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A bord du Van Gölü Ekspresi

Je préfère prendre le train. À moins qu’en fait je préfère prendre le temps… ce qui revient à peu près au même pour qui s’aventure ailleurs que dans un TGVland. Ne voyez-là aucune crainte particulière vis-à-vis de l’avion, ou quelque sens aigu de l’économie ou bien une de ces fascinations enfantines pour le chemin de fer qui se prolongerait bien au-delà de l’âge « légal ». Non. Je préfère entrer doucement en Turquie, et le rail permet cette approche patiente.

Le pays ne se donne pas, pas d’un coup. Il est pudique. Il s’échappe de qui prétendrait l’étreindre sans ménagement. Les raiders, sportifs et voraces, les aventuriers pour qui tout voyage est une expédition virile, en seront pour leurs frais, car la Turquie les ignore, discrètement, poliment. Ce pays exige le temps du désir, et c’est pourquoi j’utilise ses grandes lignes, interminables.

Des heures et des heures, contemplatives, extatiques, à voir l’Anatolie s’ouvrir au regard, sentir peu à peu qu’on se détache de tout passé et que cette terre nouvelle nous absorbe, nous aspire, et qu’en même temps qu’on y pénètre – de gares du bout du monde, comme abandonnées et dont surgit pourtant un chef, casquette rouge, drapeau vert, à ces villages perdus, ou seuls les toits des mosquées rutilent – on devient peu à peu prisonnier de l’infini : voilà l’expérience première, l’expérience anatolienne. Celle du train express en Anatolie.

J’ai donc pris le Vangölü ekspresi, lundi soir. C’était la première fois. Je sais que je recommencerai tant l’expérience fut forte.

La ligne est la même que celle de l’Erzurum ekspresi sur la première moitié du trajet (Istanbul, Ankara, Kayseri, Sivaş), puis on met le cap au sud-est, en direction de Malatya, Elaziğ, Muş et, enfin, Tatvan. On accomplit un tel périple en un peu moins de deux jours (j’ai mis 45 heures, escales techniques comprises…).

Je recommande au voyageur les paysages de montagne, après Malatya et jusqu’aux environs de Muş. En suivant le cours du Murat Nehri, on y découvre les fameux lacs artificiels, nés du plus grand projet hydro-électrique actuel (le GAP), on s’aventure dans des vallées parfois si étroites qu’on a l’impression que les wagons vont heurter la roche brune ou rouge (à moins qu’on ne craigne de valser vers le ravin comme en témoignèrent trois wagons épaves à mes yeux qui n’en reviennent toujours pas), et alors soudain, au détour d’un tunnel, voici une plaine, un lac qui s’étend, les champs encore verts à la fin de l’été – miracle de l’irrigation.

Au milieu des montagnes, à Beyhan, le train s’est longuement arrêté : nous avons raccroché ici des wagons du train qui mène en Iran. Une dame en tchador, dans son compartiment, m’a souri. J’ai répondu à son sourire, j’ai mis la main sur mon cœur en m’inclinant légèrement. Deux inconnus qui croient à la paix, et s’en témoignent mutuellement. Et pourtant, le train n’a pas pris que des voyageurs ordinaires. Une foule d’hommes en armes (mitraillettes, gilets pare-balles kakis) a pris place dans le train, en escorte de sécurité. Ils sont restés avec nous jusqu’à Tatvan. Je me suis dit qu’on approchait du Kurdistan.

Quelques heures après, je découvrais le volcan Nemrut, et immédiatement le lac de Van. J’étais donc arrivé : nous étions mercredi, 17h30.


2 Réponses to “A bord du Van Gölü Ekspresi”


  1. 1 bellot
    1 juin 2009 à 7:13

    extra ! le texte est fameux et les photos inspirées …. nous partons la bas cet été et prendrons le même train merci l’ami !


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