Archive for the 'Texte' Category

10
Déc
08

Les combats de Fatih

J’ai rencontré Fatih dans la rue, à Elazig, le 5 décembre 2008. Son visage m’a intéressé, et je lui ai demandé l’autorisation de le photographier. Il a accepté.

J’aime bien cette première photo, où se mèlent le plaisir d’être vu, remarqué, et l’expression, me semble-t-il, d’une sorte d’absence au monde qui l’entoure, absence un peu mélancolique. J’aime aussi le contraste entre un peu d’espièglerie et une virilité volontaire. Les photos prises plus tard n’auront plus cette fraicheur, et mon copain de rencontre prendra alors toujours la pose, empruntée.

Fatih

On sympathisera rapidement : il fait froid et Fatih m’invite à venir boire un thé dans la boutique de son frère aîné, Riza. (Ils y font des clés-minute ;  l’affaire, en plein centre-ville et sur une place dédiée au départ des dolmus pour les villes voisines, marche bien).

Quand je demande à Fatih s’il connaît un lieu d’entraînement de foot pour que je tente d’y faire quelques photos, malgré la grisaille assommante, il m’y emmène d’un coup de voiture. On discutera pendant le trajet, et sur le parking du stade désert, en allemand et en anglais. Il m’explique alors son parcours : départ à 19 ans pour l’Allemagne, petits boulots, délinquance, prison, expulsion et retour à Elazig. Il me dit aussi qu’il ne souhaite plus partir, qu’il est content d’être de retour dans son pays, avec ses amis. On parle de la taule, des petits détails de la taule, avec pudeur et franchise à la fois. J’ai l’impression qu’il est content d’en parler, mais qu’en même temps il se protège de tout ce que ma présence peut lui rappeler de son expérience européenne. Il met en avant son choix de vie, sérieux, le respect de la religion, de la famille. Je n’insiste pas et nous prenons congé l’un de l’autre.

Le surlendemain, en passant sur la place des dolmus, je passe dire bonjour à Fatih. Il semble très content de me voir et me demande de rester avec lui : nous irons alors chez son meilleur ami, Ali, grossiste en fruits et légumes. Avec ce dernier, il propose que nous passions la soirée ensemble. On se donne rendez-vous pour 19 heures, après mon travail sur le marché aux moutons.

Dans la soirée, deux autres copains se joindront en fait à nous. Tous les quatre veulent m’emmener au Hammam. Un instant, je pense à mon expérience syrienne… Il n’en sera rien.

Le Hammam en question vient d’ouvrir et tient autant de l’aqualand occidental que du bain turc traditionnel. C’est neuf, hyper-moderne et propre, ludique (un toboggan fantastique nous arrachera des hurlements sous le regard un peu sévère du garcon de bains). Ils ont voulu m’offrir ce que la ville réservait de meilleur à leurs yeux.

Après nous sommes allés manger une soupe dans un petit restaurant ouvert tard, et puis on a bu quelques bières, et je suis parti me coucher.

C’était du temps camarade, du temps fraternel. Une virée entre potes, dans cette petite ville perdue, et je pensais au film de Mickael Cimino, The deer hunter.

J’ai observé Fatih, ce rien de réserve qu’il conserve, son quant-à-soi, ces années allemandes qui le séparent tout de même un peu de ses copains d’enfance. J’ai pris conscience de tout le courage dont il fait preuve, à tenir bon sans rêve, à s’accrocher à une vie qui n’est plus tout à fait la sienne, mais qui est la seule possible pour lui aujourd’hui.

Fatih, c’est le deuxième nom du sultan Mehmet. Il l’a endossé après la prise de Constantinople. Mehmet le victorieux.

J’ai souhaité que mon Fatih d’Elazig soit aussi victorieux, dans le combat qu’il mène : rester droit.

01
Oct
08

Quitter le Kurdistan, ou les enfants « chics » du quai.

Le panneau de la gare

Le panneau de la gare de Diyarbakir, ce qui veut dire pour moi, aujourd'hui : départ...

Le jour du départ finit par arriver.

( Je ressens une étreinte au coeur qui me rappelle l’enfance : quand je devais quitter l’un de mes parents pour rejoindre l’autre, et que la joie de retrouver une mère était assombrie du chagrin et de la culpabilité de quitter un père. Mais peut-être que je n’étais alors tout à fait en paix avec moi-même, ou plutôt en moi-même, que lorsque j’étais ainsi : en partance – entre deux vies qui n’étaient ni l’une ni l’autre pleinement miennes, soit avec mon père à Paris, soit avec ma mère en Province. J’aimais alors ces interstices de solitude et d’indépendance. De l’un à l’autre – préservé. )

Je quitte donc aujourd’hui le Kurdistan et je sais que c’est pour retrouver mon compagnon à Paris. J’ai prévu un long voyage de quatre jours, et le retour commence à la gare de Diyarbakir.

J’attends une bonne heure sur le quai de la gare.

J’ai acheté des provisions pour ces trente heures de trajet entre la capitale du Kurdistan turc et Ankara, l’anatolienne. Outre les biscuits, j’ai enfin cédé aux chips. En attendant le train qui accuse déjà un long retard, je les picore.

En face de moi, il y a un groupe de six femmes accompagnées de huit enfants, dont trois bébés, et de deux hommes, l’un jeune, l’autre d’âge moyen, tous les deux moustachus. Ce groupe a un impressionnant bagage composé d’un bonne quinzaine de ballots dans de gros sacs à grains récupérés. Ils viennent de la campagne. Les femmes sont assises au sol, certaines bercent leur bébé.

Les enfants jouent entre eux, et je les observe, de la plus petite (deux ans et demi ?) à la plus grande (huit ans ?). L’aînée jette un oeil sur mes chips. A la manière kurde, je lui en propose, évidemment, comme on le fit cent fois auparavant à mon adresse. Un cadet rejoint la petite fille et prend sa chips. Puis un autre, et encore un autre. Sur les cinq enfants, quatre sont venus goûter au croustillant « goût paprika » hyper-salé qui les ravit, comme moi.

Quatre sur cinq : la petite dernière n’a pas osé aller vers le grand étranger blond.

Les aînés iront donc la chercher sur le quai, et l’accompagneront jusqu’à moi, pour qu’elle ait elle aussi, toute petite et menue, sa part, comme les autres. Ils lui apprendront à oser. Ils lui apprendront qu’elle a elle aussi le droit à sa part, et l’accompagneront sans la léser.

Et je me suis dit que ces enfants étaient « chics » comme on disait autrefois.

01
Oct
08

Atef, l’immigré kurde expulsé d’Allemagne.

Je traînais du coté des remparts, pas très clair sur mes propres intentions, ni sur celles que j’espérais rencontrer. Il était déjà bien tard, et les enfants couchés, quand il a surgi, Ataf, du coin de la rue noire vers le bout de trottoir où j’errais. Grand, mince, félin, jeune, et avec quelque chose de pas tout à fait « couleur locale » dans l’allure, quelque chose d’étranger qui collait à ses gestes, à ses vêtements, à sa personne.

Ataf s’adresse à moi en allemand, directement. Il me demande d’où je viens, et quand je lui dis « France », il me répond Metz ou Strasbourg. Je comprends qu’il a émigré et vécu en Allemagne, il me précisera que c’était près de Francfort.

Il tient ici une épicerie qui fait un peu peine : quelques savons alignés, d’inévitables chips (cancer mondial de l’alimentation) et le frigo avec l’eau minérale, le Fanta et le Coca. Qu’à cela ne tienne ! Ataf m’invite à m’installer tout au fond de la boutique, me demande mon métier, me fait servir un thé, et dit aux deux jeunes qui sont là que je viens d’Europe comme si j’étais quelqu’un de très important. Ataf a l’air ravi de voir un européen si tard ce soir-là, dans ce quartier pas complètement adapté au tourisme nocturne. Il semble même soulagé, soulagé d’un poids insupportable…

Je vais assez vite apprendre de quoi il retourne.

Ataf était arrivé en Allemagne à l’âge d’un an. Il y avait fait ses études (succintes) et puis avait mal tourné : petite délinquance, bagarres, trafics divers. Son parcours allemand s’achève sur une condamnation à quatre ans de prison, suivis d’une expulsion. Il n’emportera que ses souvenirs, ses regrets, et le prénom d’une jeune fille tatoué sur son biceps droit : Kirsten.

Je n’ai jamais compris le sens d’une expulsion d’un étranger ayant grandi chez nous, et la détresse de cet homme dont je réalise vite qu’il est en pleine dépression me saisit d’effroi. Sans repère dans ce pays qui n’est plus le sien, et privé de son pays réel, celui où il a grandi et appris à vivre, cet homme n’a d’autre choix que le désespoir le plus absolu, et l’on ne condamne pas au désespoir.

Je lui demande ce que je peux faire pour lui. Il me répond « Nichts » et me serre contre lui.

28
Sep
08

Seyhmus

Le dolmus m’a déposé dans la ville basse, banale et désolante et ma déception est si vive que j’ai presque envie de repartir immédiatement. J’ai encore, à ce moment-là, le sentiment que Bitlis aura été le moment le plus fort de mon voyage au Kurdistan turc, et que tout ce qui suivra ne me consolera pas tout à fait d’avoir dû quitter la petite ville des montagnes.

En fait, il n’en est rien, car dès que je suis monté vers la citadelle, la ville haute (si haute avec un sac à dos !), dès que le regard s’est porté sur l’immensité incroyable de la plaine de Mésopotamie, dès que j’ai aperçu les premiers bâtiments, la pierre ciselée, la lumière, alors je suis certain de vouloir rester ici un moment. Au moins pour la vue, au moins pour l’architecture. Au moins pour l’émotion touristique, aussi forte ici qu’à Isak Pasha.

La ville me réserve un autre cadeau, pourtant : la rencontre avec Seyhmous.

Ce sourire qu'il me donne, et qui s'installe. L'amitié naissante.

Il attend ce jour-là devant une banque, sur les marches, à l’extérieur. Je lui demande s’il parle anglais et s’il connaît un hôtel bon marché, il répond « oui » deux fois et m’accompagne vers cet hôtel, propre mais spartiate (Basak otel, +90 482 212 62 46, Mardin, 20 YTL en single sans petit-déjeuner)

En fait, Seymhus m’accompagnera toute la journée, se faisant mon guide, mon interprète, et avant le soir venu, mon ami – de cette évidence des rencontres, « parce que c’était lui, parce que c’était moi« .

Inlassablement et alors qu’il fait très chaud, que le Ramadan aiguise la soif, il m’emmènera visiter les recoins de sa ville natale. Il me fera ouvrir la porte des maisons et oser les ruelles du haut desquelles la vue sera si belle.

Petit à petit, en même temps qu’il dévoile pour moi les trésors de la ville, Seyhmus se raconte : il est étudiant à l’Université de Konya et va devenir ingénieur. Il est là en vacances auprès de sa famille. J’apprécie la douceur avec laquelle il pose les repères qui me feront le connaître.

En fin d’après-midi, après avoir épuisé tous les bâtiments historiques, il me propose de l’accompagner à la station météo où son meilleur ami travaille. Je le suis vers une villa des hauteurs, avec ses antennes, ses abris, et je fais la connaissance de son pote et de ses collègues dans ces bureaux vastes et vaguement désoeuvrés : l’ami est turc, les deux collègues sont kurde pour l’un, arabe pour l’autre. Mais c’est de France, de culture française dont nous parlons.

Contre toute attente, les trois collègues de la station météo de Mardin voudront savoir ce que je pense de Michel Foucault (que deux d’entre eux ont lu), et pendant une heure nous échangerons sur La volonté de savoir, Surveiller et punir, ou ses travaux sur la psychiâtrie, son rapport avec le Parti Communiste et la Gauche française, que sais-je ? Ce pays ne lasse pas de m’étonner, jamais là où on voudrait l’attendre.

Le soleil se couche, et malgré la vigueur de la discussion, chacun rentre vite chez soi pour rompre le jeûne.

Seyhmus m’emmène alors dîner chez lui, où je ferai connaissance de sa famille.

Son père me fait visiter son jardin et les arbres qu’il a plantés. Quand je lui dis que je porte le nom de cet arbre qu’il me montre-là, l’olivier, le père de Seyhmus m’affirme alors que c’est un beau prénom,

« Un beau prénom que celui qui désigne aussi un arbre » me traduit Seyhmus.

25
Sep
08

Nouvelle soirée de Ramadan

Fayet vient me chercher à l’hôtel comme comme convenu, à 16h30, après avoir pris congé de ses élèves et du collège. Je suis un peu en retard : le marchand de disques m’a retenu quelque temps auparavant en chargeant tous les titres de la musique kurde actuelle sur ma clé USB, et en refusant, malgré mes demandes, de faire payer un centime à l’étranger de passage.

Fayet m’emmène chez lui, où nous déposons mon sac à dos, et nous partons faire les courses du dîner. Il m’est encore une fois impossible de participer aux frais. En insistant, je manque de froisser mon hôte : me gâter d’un bon repas lui fait autant bonheur qu’à moi. Tout en ayant le sentiment que c’est injuste, je me laisse porter par l’esprit entier de Fayet : ne décider de rien, bénéficier de tout, voilà mon statut pour un soir.

Les deux cousins nous rejoignent vers 17h30 et finissent de préparer le repas. La rupture du jeûne aura lieu à 18h20 : en attendant, tout le monde s’offre un petit bout de pain, la stricte observance n’étant pas vraiment notre fort.

À table (si l’on peut dire, car on mange sur une nappe posée sur un tapis), on aura, avec la chorba et la salade, du poulet grillé aux épices. En tant qu’invité, les copains ne me laissent manger que les filets, le « blanc », et tant de délicates attentions laissent l’occidental que je demeure, entre ravissement et gêne profonde. Pacha d’un soir, shooté au bonheur d’être là…

La nuit tombée, nous partons au village tous ensemble. On prend une table avec des tabourets bas, sur la petite place, face à la poste et à la vieille mosquée (XIIème siècle), là où tout le village semble se retrouver. On boit du thé, on picore des pistaches, et j’achète des gâteaux au miel en trompant la vigilante hospitalité de mes amis. Je m’entends dire que « I should not » et de répondre que « May be, but I did it ».

Plus tard, Fayet décide de m’emmener voir d’autres amis, sur une terrasse. Des profs également. Dans les petites rues qui nous séparent de cet endroit, je manque de tomber, et trouve le bras de Fayet. Je m’y accroche, et mon ami, avec son coude, serre ma main contre lui et me sourit. J’ai un instant l’impression que nous avons tous les deux quatorze ans, et que nous sommes livrés à la confusion des sentiments de cet âge-là. Mais non, et nous arrivons après une courte marche qui eut quelques secondes seulement le goût de l’éternité. Les collègues prévenus d’un coup de fil nous attendent.

Le Kurdistan, la liberté, la France, le socialisme, la guerre, me voilà convoqué sur cette terrasse de village, à ce grand tribunal de l’Histoire, témoin de ce que je n’ai fait que deviner, partisan circonspect, amant timide de tout un peuple, le peuple kurde, moi, français si peu et tellement.

La révolution attire les garçons fragiles à la présence des leurs, comme la lumière un papillon, et on ne raisonne pas plus le battement d’ailes d’un insecte près d’une lanterne que celui d’un coeur qui vibre sous les yeux de braise d’un inconnu engagé. On épouse une cause, on la comprend après. L’émotion est d’abord celle d’un corps qu’une main étreint sans relâche. Avec les profs de Bitlis, ce soir-là, j’ai parlé d’émancipation et de culture, d’avenir radieux et de justice, et j’ai aimé l’un d’eux, l’un de ces hommes, plus que tout autre, l’un d’eux et tous les autres.

Au matin, quand nous nous sommes éveillés, un hélicoptère de l’armée turque tournait autour du village silencieux dans un bruit effarant et déjà monotone.

Parmi mes nouveaux amis

Parmi mes nouveaux amis

Et ainsi toute la soirée qui s’est terminée tard.

24
Sep
08

Soirée de Ramadan

Passée dans une famille et au café. Je découvre l’hospitalité kurde.

Le repas du soir

Le repas du soir

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22
Sep
08

Bitlis

La rivière semble se faufiler entre les montagnes brun-clair. La route épouse les formes du cours d’eau. Le bus tourne et vire. Et puis, soudain, la petite ville de Bitlis se découvre.

En fond de vallée se dresse un piton rocheux : c’est là qu’est née Bitlis, d’abord simple place forte en à-pic de la rivière, puis se bâtissant le long du lit du cours d’eau, puis sur le cours d’eau lui-même, et enfin en s’accrochant aux montagnes à l’entour.

Voilà encore un siècle, vivaient ici Arméniens et Kurdes. En témoignent, autant les mosquées anciennes (XIIème siècle) que les maisons arméniennes, nombreuses et aujourd’hui habitées par des kurdes. On ne fait pas mystère de ce qui s’est produit ici, voici quatre-vingt-dix ans : ils ont été tués ou ont dû fuir, eux, les chrétiens, les arméniens. On a pris leur place et pillé leurs biens. Ce confins d’Arménie a disparu dans la violence et le sang.

Et pourtant, et je sais bien la cruauté de ces mots en regard de l’histoire, j’ai passé à Bitlis quelques jours heureux, doux, amicaux, même s’il est vrai qu’un conflit en a chassé un autre, et que les kurdes aujourd’hui ont fort à faire pour tenter d’exister.

Je suis d’abord monté au nord de la ville, contournant la citadelle. Je me suis approché du mausolée et de la medersa. Les enfants présents dans le jardin m’ont fait entrer, à grand renfort de « Hello, hello, what’s your name ? » et autres « Abey, abey… ». La beauté de la pierre, noire, me fascine, la joie des enfants, leur grâce, m’enchantent. Mais le piaillement des gosses attirent trois gendarmes, ce qui, au kurdistan turc n’est pas forcément de bon augure. L’un d’eux se détache : il est grand, blond, de beaux yeux acier – des ancêtres venus du Danube, pense-je. Il m’interroge, d’où je viens, et quand je lui dis venir de France, il m’assure d’un chaleureux « Bienvenue en Turquie », en français. Concurrence des accueils en cette terre de culture disputée.

Je redescends dans la ville basse.

C’est l’heure de la rupture du jeûne. La ville, quelques minutes avant, se vide, se fige. Le soleil se couche. Quelques rares véhicules foncent, à toute allure, probablement pour rejoindre leur maison, et pressés de ne pas rater ce moment.

Pour ma part, je dînerai dans un petit restaurant au centre ville : une chorba et un ragout de mouton aux légumes. Comme mes voisins de table, peu causants et affamés, je tremperai lourdement mon pain dans la sauce rouge, délicieusement grasse et pimentée, je me régalerai du goût des légumes et de la force de la viande. Et quand j’aurai fini, mon compagnon d’en-face m’adressera un de ces beaux sourires, sombres et peu assurés.

La nuit est tombée quand je m’acquitte de mes six livres turques, et sors du restaurant pour traîner dans la ville basse. Je découvre dans la nuit ses monuments, ses mosquées au bord de l’eau, ceintes de petits jardins, ses maisons anciennes mêlées à d’autres très récentes. Je m’aventure dans les ruelles trop sombres, en escaliers, défoncées, et où l’on accède à un enchevêtrements de maisons et de terrasses. Je trébuche sur une pierre. Un vieil homme m’apostrophe : probablement me dit-il de faire attention à moi.

Je reviens aux artères plus sûres d’en-bas.

L’été se prolonge. Il fait encore chaud ce soir. Partout sur les trottoirs, on est assis sur de petits tabourets, on boit du thé, on parle… On ? Les hommes bien sûr. À Bitlis, je ne verrai aucune femme le premier soir, pas même une femme voilée. La ville est masculine. On m’interpelle souvent. On me serre la main. Les gens sont contents d’avoir de la visite et de croiser un étranger. On m’invite à boire un thé. On baragouine en anglais et en turc pour essayer de nous comprendre.

Avec l’un de mes hôtes, je sors mon dictionnaire de Langues O. Il me demande ainsi si je suis marié, si je suis ici tout seul, et puis il me dit que je suis beau. Je rougis au compliment (très exagéré, voire faux), et ma rougeur le fait sourire.

C’est son sourire noir que j’emporterai ce soir-là dans mes rêves.

21
Sep
08

Van kalesi ou Tushpa

La forteresse :

On ne peut pas dire que la forteresse de Van soit à proprement parler « belle », mais la présence d’un ensemble de monuments si ancien (château urartien) suscite forcément l’intérêt.

L’ensemble de la « Van kalesi » (qui comprend plusieurs époques, dont une forteresse vieille de 3000 ans) est situé à l’ouest de la ville, sur un piton qui domine le lac. Par beau temps, la vue est belle.

En revanche, il faut dire que l’accès est sportif, voire dangereux, et nullement balisé. Je déconseillerais ce lieu aux familles avec de jeunes enfants, ainsi qu’aux personnes âgées. Les sentiers grimpent rudement, et on se retrouve au bord de falaises sans avoir pu l’anticiper.

Pratique :

Pour se rendre à la citadelle, prendre un taxi collectif en ville, direction « Kadde », descendre au parc Atatürk, puis longer le grillage sur environ 500 mètres. L’entrée coûte 3 YTL. La visite prend au moins deux heures.

La forteresse

Lacitadelle

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21
Sep
08

De Doğubayazıt à Van

Dimanche matin, j’ai décidé de quitter cette bonne ville de Dogubeyazit pour poursuivre mon périple Direction : Van.

Contrairement à mon habitude, j’avais négligé de repérer le lieu de départ du dolmus, et j’ai donc dû, sac au dos, passer d’un mini-car à l’autre en quête de la bonne direction (les dolmus affichent à l’avant un petit écriteau renseignant leurs destinations). Comme je ne trouvais pas, je me résolus à demander à un chauffeur. Ce dernier m’indiqua l’endroit que je recherchais d’un signe de la main, puis me pris par l’épaule : « Ne va pas à Van. Viens avec moi. Viens avec moi à Bazargan. »

Pour irréaliste que fût la proposition (je n’ai pas de visa iranien), je ne l’en trouvais pas moins terriblement romantique. Mais non pas cette fois, une autre fois peut-être…aller avec lui à Bazargan, comme en quête du Marin de Gibraltar..

Je suis donc bien parti pour Van, à 9 heures. Nous sommes arrivés environ deux heures trente plus tard.

La route passe autour du volcan Tendurek, et j’ai été abasourdi par l’énorme coulée de lave visible depuis la route. C’est tout à fait spectaculaire, et la forme préservée de la coulée donne la mesure de l’événement qui s’est produit là autrefois. Je n’ai malheureusement pas pu prendre de photos vue la place que j’occupais dans le mini-car.

Nous avons été également arrêtés par un barrage de la gendarmerie. Contrôle des papiers de tous les passagers, fouille des bagages, interrogatoire de votre serviteur. Qu’est-ce que je fais ici, me demande-t-on : « just wandering » ai-je répondu. Tout s’est terminé par un apaisant « Welcome in Turkye ».

Mon voisin, qui me pilotera après dans Van pour trouver un hôtel, finira par me dire, en même temps qu’au revoir : « We, kurdish people, you understand… » Oui, je crois que je comprends. J’espère comprendre.

20
Sep
08

De Tatvan à Doğubayazıt

250 kilomètres environ séparent Tatvan, au sud-ouest du lac de Van, de Doğubayazıt, au pied du mont Ararat. Je les ai parcourus en dolmuş, préférant la couleur locale de ces mini-bus privés à celle des grandes lignes d’autocars.

J’ai dû « changer » trois fois : d’abord à Ahlat, ensuite à Patnos, enfin à Ağri. Autant les changements d’Ahlat et d’Ağri ont été rapides et simples, autant celui de Patnos fut long, incertain… Nous sommes arrivés en plein marché et la petite ville était envahie de tracteurs rendant toute circulation compliquée et même impossible. Résultat : ma « correspondance » n’était pas là. Et personne ne parlait un mot d’anglais pour m’expliquer où attendre… ce dolmuş qui n’arrivait pas.

Personne ? Sauf qu’à Tatvan, j’avais fait la connaissance de Sinan. Bien qu’il ne parlât aucune langue étrangère, et moi très peu de turc, j’ai fini par comprendre que Sinan était un militaire fraîchement revenu à la vie civile, et il avait bien vu que j’étais un touriste légèrement égaré dans ce far-east turc. Même s’il ne faut pas en jouer (nos hôtes turcs s’en rendent très vite compte), le statut d’étranger perdu est de loin le plus confortable, et Sinan s’est fait un devoir d’attendre avec moi, de s’occuper de mes bagages, de s’enquérir de ma faim, ma soif, et même si j’avais besoin d’aller au toilettes… et tout ça, jusqu’à ce que je fusse bien installé dans le prochain dolmus (qui a bien fini par arriver). Je précise que ces attentions ont pris à Sinan une bonne heure et demie, et qu’il a fait tout cela de plein gré, sans rien en attendre en échange, seulement par sympathie (réciproque), désir et devoir de protection envers l’étranger…

Quand je pense à l’accueil que nous, touristes, recevons ici, et à celui que nous accordons aux étrangers, j’ai parfois un peu honte… d’être parisien.




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