Quand j'étais jeune, et longtemps pendant mon adolescence encore, je ne me suis pas senti à ma place, différent, en décalage. Je crois que c'est quelque chose d'assez répandu quand on devient adulte, qu'on cherche sa place.
Cependant cela a continué plus tard, 20 ans, 30 ans, 40 ans même.
Pas à ma place dans le monde, pas à ma place dans notre société, pas à ma place avec les gens de mon age, pas à ma place dans les choix qui étaient faits pour moi, en politique, en matière sociale, en relation humaine. Cela a créé le vide autour de moi, cela m'a rendu plus solitaire.
Charles Peguy disait “L'homme qui est poète à vingt ans n'est pas poète, il est homme ; s'il est poète après vingt ans, alors il est poète.” alors je me disais que c'était sûrement ma condition d'artiste, ma fibre familiale, ma différence.
Sans âge.
Et cette différence, même si elle m'a fait souffrir et me fait encore souffrir par le sentiment d'être “hors du temps” qu'elle engendre, je l'ai cultivé, j'ai souhaité en faire une force, une fierté, une valeur.
Politiquement, socialement, mon “décalage politique” n'a cessé de croître ces dernières années, n'a cessé de me mettre en rage en voyant le résultat des élections, en voyant les décisions applaudies par une démocratie exsangue… J'étais pessimiste, j'étais inquiet pour le futur.
Et puis, j'ai vu naître, grandir, prendre des forces, les nouvelles générations, j'ai vu de nouveaux discours, j'ai vu l'opposition qu'on leur opposait, j'ai entendu de nouvelles pensées, de nouvelles façons de concevoir le monde et le décalage béant avec l'ancien monde.
J'ai compris qu'il agonisait.
Que ce monde que je n'aimais pas, dans lequel je n'avais jamais eu ma place mourrait.
J'ai cessé d'avoir peur.
J'ai cessé de m'inquiéter.
Jeunesse qui me lisez, il y aura encore quelques années difficiles, il y aura encore quelques élections perdues, quelques soubresauts de ce vieux monde qui ne veut pas mourir mais mourra tout de même : vous êtes là et vous avez déjà gagné.
Vous ne le savez peut-être pas mais je le sais, je le vois, je le sens.
Le nouveau monde arrive.
Ce sera le vôtre.
Peut-être pas mieux, peut-être pas pire mais ce sera celui que j'aurais rêvé d'avoir à 20 ans.
Vous l'avez mérité.
Ne perdez espoir en rien et ne lâchez rien.