Les formats fermés sont une tare majeure de la technologie contemporaine. Plébiscités par les multinationales informatiques, ils sont un moyen efficace de verrouiller un marché, d’y lâcher lourdement une main de fer pour ne jamais la relever.

Nous autres, utilisateurs de logiciels libres, sommes les plus à même de comprendre les enjeux des formats dans un monde de plus en plus numérique. Déjà sensibilisés au concept de la liberté, conscients de la guerre que se livrent les industriels et forcément attachés aux droits des consommateurs, nous nous devons de repousser la moindre tentative belliqueuse orchestrée par un quelconque « Microsoft-like ».

Et pour cause ! Nous n’avons que trop bien connu la guerre des formats bureautiques. Parallèlement, nous luttons à chaque instant pour connaître les spécifications de notre propre matériel informatique. Enfin, nous sommes frappés de plein fouet par la crise des DRM, menottes numériques par essence.

Les exemples ne manquent pas ; il se trouve aussi que les enjeux des formats dépassent largement le simple cadre de l’informatique personnelle (à ce titre, on pourra consulter ce qui constitue depuis longtemps la référence en la matière : le blog de Thierry Stoehr). Démontrons-le.

Pour cela, nous allons nous apesantir sur un format particulier qui a déjà provoqué des remous par le passé, et que l’on pensait fort satisfaisamment définitivement enterré. Il s’agit du format « Moneo ».

Moneo est le nom d’un système français de porte-monnaie électronique. Ses utilisateurs disposent généralement d’une simple carte à puce dédiée, censée leur permettre de régler des petites dépenses sans s’embarrasser de la moindre pièce en acier cuivré (le standard légal). Elle contient une information numérique qui s’identifie à un montant réel donné (fait de pièces sonnantes et trébuchantes). Ainsi, le système s’apparente à la grande famille des cartes de crédit. La recharge s’effectue sur une borne spéciale à l’aide, justement, d’une carte de crédit.

Le but avoué de Moneo est d’optimiser l’encombrement des poches de son pantalon.

Introduit à Tours à la fin de l’année 1999, puis étendu tant bien que mal à d’autres communes, Moneo essuya un échec monumental et mérité. Les raisons sont nombreuses.

D’abord, le côté peu sécuritaire de la puce a souvent été évoqué, laissant une voie possible au piratage. Notez également qu’il n’y a pas de protection réelle contre le vol ou la perte.

Ensuite, le marketing agressif qui poussait à imposer le service n’a jamais été apprécié. Il faut savoir que Moneo est géré par un consortium : BMS Billétique Monétique Service, constitué du cartel des banques. D’aucun parlerait de lobby ! Cela n’a trompé personne : il faut s’acquitter de frais bancaires pour pouvoir utiliser Moneo.

Mais surtout, et c’est seulement maintenant que nous entrons dans le vif du sujet, nous sommes face à un format fermé. Pour l’utilisateur final, le fonctionnement d’une transaction est totalement opaque. Pire, rien ne garantit que les données collectées à chaque achat ne sont pas massivement exploitées et traitées, car notre banque gagnerait certainement à connaître tous les détails sur nos dépenses de la vie quotidienne. Les créateurs de Moneo ont beau clamer qu’il n’en est rien : l’outil existe et il ne demande qu’à être utilisé. Cela n’est pas sans rappeler le fonctionnement de certains logiciels privateurs !

Toutes ces raisons ont poussé l’UFC-Que Choisir à appeler les consommateurs au boycott de la carte Moneo à la fin de l’année 2002.

J’aurais pu présenter l’étude d’un cas tout aussi instructif : celui des machines à voter. Comme avec tous les formats fermés, l’opacité est de mise : c’est d’ailleurs la caractéristique même d’un tel format.

Pourquoi alors avoir préféré présenter le cas Moneo ? Tout simplement parce que le système vient d’être imposé dans les restaurants de mon campus universitaire, selon le slogan imaginatif et puissant : « Vos restos U se modernisent, la carte restauration arrive. Vous allez gagner en liberté ! » (modernisme ou modernité ?).

À la manière d’un Microsoft qui distribue joyeusement ses licences aux étudiants, Moneo veut rebondir en disposant des hommes et des femmes de demain. Une nouvelle bataille s’engage contre les formats fermés… Qui ne se limitent pas à nos ordinateurs !

Note : En plus de présenter des dysfonctionnements techniques graves (trois chargeurs en panne dans autant de restaurants différents en l’espace de dix jours, cas de cartes mal rechargées et/ou mal débitées), la solution « retenue » marque l’avènement de la Banque au sein de l’Université. Mais ça n’est simplement pas le sujet du billet.

Nous le savons : la communauté des utilisateurs de systèmes d’exploitation libres, bien qu’en expansion, est relativement réduite. Mais il en est une qui l’est peut-être encore plus : celle des joueurs d’échecs de compétition. La Fédération Française des Échecs compte presque 50 000 licenciés, et parmi eux très peu doivent faire un usage exclusif de logiciels libres.

Et pour cause ! Pourtant, l’outil informatique est devenu au fil des années un élément indispensable de la panoplie du joueur d’échecs. D’abord, le compétiteur moderne dispose d’une base de données de plusieurs millions de parties, jouées par des milliers de personnes de tous les niveaux, qu’il peut exploiter à sa guise grâce à un logiciel spécifique. Elle lui permet de se préparer contre ses futurs adversaires, de peaufiner son répertoire d’ouverture ou encore de rejouer religieusement des parties classiques de grand-maîtres.

Ensuite, il a également besoin d’un moteur d’analyse, c’est-à-dire d’un logiciel capable de générer d’assez bons coups dans une position donnée. Comme ces logiciels sont en général très forts (disons-le clairement, les meilleurs d’entre eux peuvent battre n’importe quel humain dans une partie en temps limité), le pousseur de bois aguerri s’en sert souvent pour étudier ses propres parties et y repérer les fautes tactiques les plus grossières.

Enfin le joueur d’échecs, même occasionnel, aime jouer en ligne contre des adversaires du monde entier. Pour enchaîner les « blitz » (parties où chaque joueur dispose d’un temps de réflexion très réduit, en général inférieur à cinq minutes pour l’ensemble de l’exercice), il a besoin d’un client qui lui permette de se connecter à son serveur préféré.

Cependant, il y a un gros hic. L’entreprise qui détient le quasi-monopole de l’équipement informatique pour le joueur d’échecs s’appelle Chessbase. Et évidemment, elle ne développe ses outils que pour la plateforme Microsoft Windows (et entre nous, cela fait un moment que Chessbase est entré en mode tiroir caisse)…

Peu importe. De toute façon, le nouvel adorateur de GNU et Linux va s’évertuer à chercher des alternatives libres, quitte à perdre un peu en confort et en fonctionnalités. N’ai-je pas raison ?

Par conséquent, je voudrais ici faciliter la tâche des joueurs d’échecs souhaitant se séparer définitivement de l’OS de Redmond, en leur fournissant quelques pistes vers des solutions intéressantes. J’espère pouvoir dégrossir un peu le terrain.

1 – Gérer sa base de données avec Scid.

Scid est une application pour gérer des bases de données, créée par Shane Hudson. Elle dispose de toutes les fonctions que l’on attend d’un tel outil. Scid peut servir de simple lecteur PGN (Portable Game Notation, le format standard des parties d’échecs), dispose de fonctions de maintenance puissantes (on peut par exemple purger automatiquement les doublons d’une base) et, bien sûr, sait générer des rapports d’ouverture ou fournir des statistiques variées à partir de quelques parties. Son interface, bien qu’un peu austère, est propre et efficace.

Il faut noter que le développement de Scid s’est brusquement arrêté en 2004, lors de la mort de son créateur. Mais comme Scid est un logiciel libre, il a pu être repris par des volontaires motivés ! Ainsi, la dernière version stable de l’application date du 22 juin dernier, et de nombreuses nouvelles fonctions sont venues progressivement enrichir un outil qui était déjà d’excellente facture.

Une vieille version de Scid est disponible dans les dépôts Debian. Vous pouvez, si vous le voulez, compiler la dernière version depuis les sources.

Enfin, j’attire votre attention sur la disponibilité d’une base gratuite de plusieurs millions de parties sur Internet : Icofy. Complète et régulièrement mise à jour, elle constitue un assez bon choix par défaut.

2 – Un très fort moteur d’analyse : Toga.

Toga II est certainement le plus fort moteur d’analyse libre. C’est un module UCI (Universal Chess Interface, protocole ouvert de communication entre moteur et interface). Il est basé sur le moteur Fruit 2.1, lui aussi sous license GPL. Ce dernier a connu son heure de gloire il y a environ deux ans, quand il parvenait à rivaliser avec les meilleurs programmes commerciaux de l’époque ; on lui reconnaissait un style de jeu assez humain, ce qui a fait une partie de son succès. Toga conserve certaines de ses qualités.

Vous pouvez utiliser Toga dans Scid. Mais comme ce dernier ne gère pas nativement le protocole UCI, en tout cas pas dans la version présente dans les dépôts, il nous faudra installer un paquet supplémentaire : polyglot. Ce programme permet de rendre Scid compatible avec les modules UCI. J’ai toujours trouvé la procédure un peu obscure, c’est pourquoi je vais la détailler ici.

D’abord, téléchargez les paquets toga et polyglot avec votre gestionnaire de paquets préféré.

Nous allons maintenant créer un fichier toga.ini, qui sera ensuite pris en argument par polyglot. Créez par exemple le fichier suivant, puis placez le dans le répertoire qui contient toga et polyglot ; chez moi c’est /usr/games (pour plus de précisions, les spécifications du protocole UCI sont disponibles ici) :

[PolyGlot]

EngineName = Toga
EngineDir = /usr/games
EngineCommand = /usr/games/toga2

Log = false # Mettre à true pour des rapports de bogues
LogFile = toga.log

Resign = true
ResignMoves = 1

[Engine]

# Options standards UCI

Hash = 256

NalimovPath = /home/zitrouille/Nalimov-TB # Tables de Nalimov ici
NalimovCache = 16

OwnBook = false

Ouvrez Scid. Cliquez sur Outils, puis Moteur d’analyse. Une fenêtre s’ouvre, avec les moteurs déjà installés. Nous voulons installer un nouveau moteur. Par conséquent, nous allons cliquer sur Nouvelle.

Une nouvelle fenêtre apparaît, avec plusieurs champs à remplir. Devant Nom, écrivez par exemple Toga. Devant Commande, il va falloir indiquer l’emplacement de polyglot : c’est /usr/games/polyglot. Devant Paramètres, inscrivez toga.ini. Devant Répertoire, il faut indiquer le répertoire dans lequel se trouvent toga et polyglot, c’est-à-dire : /usr/games. Vous pouvez sans incidence laisser les derniers champs vides. Cliquez sur OK : Toga est désormais disponible pour vos analyses !

3 – Jouer sur Internet avec Eboard.

Cette partie peut intéresser les joueurs occasionnels. Le jeu sur Internet, bien qu’il puisse difficilement remplacer le jeu en club, possède un charme tout particulier. Il existe plusieurs serveurs : les plus connus sont Playchess (qui appartient à Chessbase, payant), ICC (Internet Chess Club, le plus populaire et le plus fréquenté par les grands maîtres, payant) et enfin FICS (Free Internet Chess Club, gratuit : « We do it for the game, not the money »).

Vous pouvez d’ores et déjà enterrer le premier choix, puisque l’unique client permettant d’accéder à Playchess n’est pas compatible avec GNU/Linux. En revanche il existe plusieurs applications libres permettant d’accéder à FICS. Eboard, même s’il est bien loin d’être parfait, constitue un compromis honnête entre convivialité et efficacité. En tout cas, il conviendra bien aux débutants, et possède l’avantage non négligeable d’être présent dans les dépôts de Debian.

Un autre programme libre fournit la possibilité de jouer sur ICC ou FICS : il s’agit de Jin. Pas vraiment meilleur que Eboard, il assure également l’essentiel.

4 – Une ultime expérience à but scientifique et castratrice de libertés : les solutions propriétaires existantes.

Plutôt que de jeter un voile pudique sur la scène, faisons discrètement le tour des solutions privatrices disponibles. À ma connaissance, il n’y a que l’honnête Shredder 11 qui puisse être utilisé nativement. Ainsi, notre promenade semble tourner court.

Et pourtant, nous disposons d’un outil « merveilleux » en l’objet de Wine. Et si les logiciels de Chessbase (encore eux) échouent pour la plupart lamentablement (cliquer sur les menus de mon Fritz 9 faisait invariablement planter l’application), il est un programme qui, lui, fonctionne impeccablement. C’est le déjà légendaire module d’analyse de Vasik Rajlich… Rybka ! Le meilleur des moteurs est donc parfaitement fonctionnel sur notre OS. Pour l’utiliser avec Scid il suffit d’adapter le fichier .ini précédent en écrivant notamment en face de EngineCommand quelque chose comme wine /usr/games/rybka.exe.

Notons également que le tout récent Aquarium (interface graphique créée pour Rybka par Convekta) fonctionne aussi bien avec Wine, et est donc exploitable sur GNU/Linux. De même, le bon client Babaschess peut être utilisé pour jouer en ligne. Je ne l’ai pas testé personnellement, mais il semble que les retours sont assez positifs.

Ainsi, la situation du jeu d’échecs sur GNU/Linux est finalement loin d’être catastrophique, contrairement à ce que l’on aurait pu penser au premier abord. Malgré les faiblesses évidentes de certaines des solutions proposées, nous pouvons être satisfaits car l’essentiel est préservé : le tryptique Scid/Toga/Eboard présente un réel interêt pour n’importe quel joueur d’échecs (mention spéciale pour Scid, véritable couteau suisse à l’efficacité remarquable). Courage, vous ne devriez pas voir la courbe de progression de votre classement Elo s’infléchir !

Du 21 au 25 juillet dernier se tenait à Portland l’OSCON 2008, le rendez-vous annuel de la célèbre société d’édition américaine spécialisée dans l’informatique, O’reilly Media.

Dans la plus grande ville de l’Oregon, Mark Shuttleworth s’est fendu de propos étranges. Le mécène de la distribution Ubuntu a notamment laissé entendre que le bureau GNU/Linux était encore perfectible : « La mission la plus importante à réaliser dans les deux prochaines années est d’élever le bureau Linux de quelque chose de stable et robuste mais pas spécialement joli vers quelque chose que nous pourrions qualifier d’art » a-t-il dit.

Il a ensuite invité les développeurs de logiciels libres à produire un bureau qui soit à la fois « élégant » et productif, dans le but de fournir aux utilisateurs une « expérience » qui soit la meilleure possible. Pour soutenir ses propos, Mark Shuttleworth a alors déclaré, sans trop s’y appesantir, que l’iPhone d’Apple délivrait une telle forte interaction.

Le gourou intrépide des Ubunteros a poursuivi de manière plus traditionnelle. Il a prôné une forme de tolérance envers les systèmes d’exploitation propriétaires, tout en louant le mode de développement des logiciels libres.

Que peut-on penser de cette intervention ?

D’abord, la plupart d’entre nous retiendront l’absurdité de la déclaration susmentionnée. Parler d’art dans le domaine du logiciel, dans un sens autre que celui de la technique, c’est introduire de manière subreptice une part de subjectivité. Se perdre dans des considérations qui relèvent de l’esthétique, « des goûts et des couleurs », dans le but probable d’imposer sa propre vision du bureau, c’est même peut-être le signe d’un petit caprice.

Ensuite, on comprend alors mieux pourquoi citer Apple comme un modèle « d’expérience utilisateur » peut-être considéré comme une erreur de communication !

En effet, là encore, la notion évoquée dépend de critères personnels. Si je dis que les bureaux Gnome et KDE, en plus d’être remarquablement stables et cohérents, possèdent une forte ergonomie (qui est, à la différence de l’esthétique, une considération purement scientifique qui dépend de normes étudiées et clairement établies), et que leurs fonctionnalités avancées en font des environnements puissants et complets, n’est-ce pas aussi la preuve d’une « forte interaction » avec l’utilisateur ?

Comme le concept est mal défini, une conséquence est qu’un auditeur mal pensant pourrait croire (j’espère à tort !) que Mark Shuttleworth tolère la politique privatrice de libertés d’Apple (rappellons au passage pourquoi il faut éviter l’iPhone). Ainsi, quand des termes qui n’ont pas un sens universel sont employés dans une assertion quelconque, on peut les surinterpréter de manière tout-à-fait personnelle… La route est alors toute tracée pour un buffer overflow linguistique !

Bien sûr, nous savons que Mark Shuttleworth est un homme à buzz. La montée en puissance d’Ubuntu doit beaucoup à sa communication et à son marketing habituellement mieux huilés. Mais ses récentes déclarations, dont celle sur les cycles de développement des projets libres, tendent maintenant à provoquer des réactions assez vives, quoique certainement démesurées et pas toujours justifiées. Après ce nouveau couac, l’homme devrait peut-être se montrer moins fougueux pour ne pas prendre le risque de se mettre une partie de la communauté du libre à dos…

Ce printemps semble avoir été une période faste pour les distributions GNU/Linux dites user-friendly. Les hostilités ont débuté début avril, avec la sortie de Mandriva 2008 Spring, un cru presque unanimement considéré comme excellent par les observateurs. Vint ensuite la très attendue Ubuntu 8.04, estampillée LTS (Long Term Support), qui confirma la simplicité d’utilisation des distributions modernes. Enfin, ce fut au tour d’OpenSuse 11 de venir tout récemment confirmer l’évidence : GNU/Linux peut désormais être utilisé par n’importe quel quidam, pour peu qu’il soit suffisamment équilibré.

L’arrivée de nouveaux utilisateurs sur les forums et les salons de discussions amène alors bien souvent de nouveaux points de vue. Ainsi, il n’est pas rare que des utilisateurs expérimentés soient irrités par des comportements surprenants ; le plus visible d’entre eux étant l’addiction aux logiciels privateurs de libertés.

Plus précisément, la mise en application des principes fondateurs du projet GNU est trop souvent taxée d’intégrisme. Elle est régulièrement décriée par des utilisateurs qui se targuent d’être venus au monde libre pour la bonne performance et le confort fournis par des applications gratuites et puissantes. D’ailleurs, « GNU/Linux » n’est-il pas subrepticement devenu « Linux » ?

La moindre réaction raisonnée est alors rapidement écrasée par des « kikoolol » déchaînés, en nombre, qui n’hésitent pas à traîner les pères du logiciel libre dans la boue. Extrémisme, sectarisme, étroitesse d’esprit sont les termes qui reviennent le plus souvent dans la bouche des aggresseurs. Pour justifier l’usage immodéré de composants privateurs, ils inventent une cinquième liberté, dite « de choix », qui n’a jamais existé ailleurs que dans leurs rêves.

Ainsi, l’utilisateur impliqué dans GNU/Linux se demande à quelle condition la communauté doit persister à accueillir un nombre croissant de personnes. Faut-il seulement insister sur la qualité des logiciels libres, avec les conséquences fâcheuses décrites au paragraphe précédent ?

Non, il faut aussi sensibiliser le grand public aux enjeux fondamentaux de la liberté. Mais à quel moment ? Ici, deux écoles s’affrontent.

Voyons d’abord la première approche, que j’appellerai la stratégie UMS (pour Ubuntu/Mandriva/OpenSuse, mais aussi pour « USB Mass Storage » : stockage de masse, par le biais de l’USB…) Elle consiste à attirer le plus grand nombre d’utilisateurs, en leur proposant monts et merveilles. Admirez les largesses de ma bibliothèque logicielle ! Observez comme je suis facile ! Tâtez de ma puissance, de mon look accrocheur et moderne, de ma robustesse remarquable, de ma vivacité étonnante !

La stratégie UMS est fondée sur la justification suivante : plus il y aura d’utilisateurs, plus il y aura de contributeurs potentiels. Ainsi, le cercle vertueux tournera toujours plus vite. Nous aurons ensuite tout le temps d’expliquer la liberté, rien ne presse.

Si cette approche semble a priori louable, elle possède une tare évidente : la liberté risque de se perdre en route. À force de procurer des facilités aux utilisateurs, ils vont certainement perdre de vue l’essentiel. Qui sera prêt à contribuer pour écrire un pilote de périphérique libre, si son pendant propriétaire est immédiatement utilisable, et sans efforts ? Pourquoi soutenir telle alternative à un protocole privateur, alors que celui-ci est dès à présent fonctionnel ? Avec la motivation, la liberté sera perdue.

Une deuxième stratégie, plus raffinée, consiste à ne pas trop se soucier de la popularité : en s’attachant à construire un système d’exploitation le plus libre possible, nous attirerons des utilisateurs de qualité, déjà avertis et sensibilisés à nos principes. Il y a de meilleures chances que leurs contributions futures concernent pleinement le logiciel libre.

C’est ce qui a fait tout le succès de Debian, via son remarquable contrat social

Quelle méthode préférez-vous ? Le lecteur intelligent ne sera pas étonné par ma conclusion : les deux approches sont complémentaires. Les distributions GNU/Linux grand public ont dynamisé le développement de logiciels libres, quoi que l’on en dise. Elles ont également amené des utilisateurs de qualité (et donc des contributeurs en puissance) vers des distributions plus attachées aux traditions du logiciel libre, comme Debian ou Fedora. Tant que cet équilibre naturel sera préservé, nous pourrons sereinement considérer la fin du règne immoral du logiciel privateur comme un événement inéluctable.

Bientôt l’été : un soleil de plomb et une chaleur à faire transpirer un caillou, même posé à l’ombre. Au programme des réjouissances : sable chaud, gigantesque étendue d’eau associée (vente liée), demoiselles en bikini rose (ou pas), frappes de mules dans des ballons de football crevés (EURO 2008 inside) et barbecues (aka barbeurk) organisés à l’arrache par des amis peu prévoyants.

Oserai-je déclarer la saison 2008 ouverte, avec comme nouveau mot d’ordre :

« L’été sera geek ou ne sera pas ! »

Bien sûr que oui : l’exercice sera palpitant. Généreux, je me propose ici de fournir six activités aux geeks épris de liberté, s’ennuyant pendant l’été. N’hésitez pas à compléter cette liste, elle ne s’en portera que mieux !

1 – « Tester » de nouvelles distributions.

Cette activité consiste d’abord à télécharger les ISO des distributions les plus populaires sur des serveurs engorgés. En plus de rentabiliser votre accès à Internet, les heures passées à observer une barre de téléchargement colorée empliront votre coeur de joie. Ensuite, vous aurez le choix entre graver un CD et écraser l’installation actuelle de votre Gentoo, ou utiliser une machine virtuelle comme Virtualbox. Le « test » consistera à s’extasier ou non devant le fond d’écran installé par défaut, à débattre sur la dualité marron/bleu, à noter que le système de paquets est différent d’un système à l’autre et, si vous êtes un expert, à constater humblement que Gnome est plus laid que KDE. Si vous cherchez l’exotisme, FreeBSD et OpenSolaris sont faits pour vous.

2 –  Organiser une Install Party.

Une Install Party est toujours un grand événement. Vécue en compagnie de joyeux compagnons qui auront comme vous l’envie irrépressible de partager leur savoir, la fête vous permettra d’extérioriser votre passion pour le Logiciel Libre. Grâce à vos cris, vos larmes et/ou vos explosions de joie, vous parviendrez peut-être à faire comprendre le sens profond du mot geek aux débutants.

3 – Participer au développement d’applications libres.

Ici, plusieurs voies sont possibles. Dans le cas où vous êtes un spécialiste, vous pouvez directement vous attaquer à un projet d’envergure. Nous attendons de vous un patch destiné à rendre Gnome plus fashion. Miguel de Icaza s’occupera de vous.

Si vous êtes jeune et que vous vous sentez l’âme d’un futur grand de l’informatique, rien ne vous empêche de commencer à étudier le fonctionnement de vos ordinateurs. Apprendre un langage de programmation n’est pas compliqué, d’autant plus qu’il existe d’excellents tutoriels sur le Net. Un jour, peut-être, votre projet de boulier en GTK pourrait intéresser du monde, qui sait ?

Enfin, être un gros nul ne signifie pas être inutile. Au contraire ! Vous pouvez (devez) rapporter les bogues introduits par les individus susnommés. Si vous avez beaucoup de temps libre (et vous en aurez, n’est-ce pas ?), les équipes de traduction vous tendront la main. Elles ont plus que jamais besoin de vous.

4 – Prêcher la bonne parole.

La vraie, pas celle des chaînes de télévision. Ici, il s’agira d’utiliser vos talents d’orateur ou d’écrivain pour démontrer la supériorité du Logiciel Libre sur toute autre forme de code. Plus sérieusement, ne négligez pas l’importance du projet GNU lorque vous faîtes découvrir notre bel univers aux débutants. Ne leur parlez pas que de stabilité et d’efficacité, mais aussi et surtout de liberté et de formats ouverts. Dénoncez le logiciel privateur.

5 – Troller sec sur les forums.

La toile mondiale renferme d’innombrables grottes dans lesquelles vous trouverez les merveilles numériques les plus monstrueuses. Mais ne négligez pas les forums. Ils sont la source des discussions les plus animées, des combats les plus virulents et les plus engagés. Terrain propice au troll, les forums permettent aussi d’échanger de manière courtoise des divergences de point de vue, tout en faisant comprendre à l’autre qu’il a tort. On y voit trop souvent des trolls éculés, bien sûr. Mais l’imagination est sans limite, et rien ne vous interdit d’en inventer de nouveaux. Voici quelques thèmes, classiques ou originaux, dignes de figurer dans nos forums :

  • Mark Shuttleworth : les initiales maléfiques du Destin.
  • KDE4 est le Vista de l’interface.
  • Epiphany, un sous-Firefox en carton-pâte ? Ou un véritable souffle gnomisant ?
  • Distribution source ou compilée ? Ou les deux ?
  • Konsole vs gnome-terminal : la puissance (ou pas) à portée de doigts.
  • PulseAudio pue, rendez-nous EsounD !

6 – Apprendre la danse de l’été.

A n’utiliser qu’en dernier recours. Si vous vous y connaissez en tecktonik (shame on you), vous n’aurez pas de mal à maîtriser la RMS Dance. Sinon, vous y passerez probablement l’été.

Le héron robuste vient juste de sortir de l’eau. La figure de proue des distributions orientées «Desktop» file aussi sûrement que l’oiseau échassier vers un n-ième succès.

Force est de constater que la distribution populiste tient pour le moment son pari. Arrachés en douceur de leur système d’exploitation privateur, des anciens damnés de l’informatique viennent progressivement grossir les rangs de la communauté orange.

Cependant, Ubuntu va devoir encore cravacher pour satisfaire à ses ambitions. Corriger le bug numéro 1 n’est pas une tâche aisée ; le tout puissant Microsoft continuera d’employer les moyens les plus brutaux pour empêcher l’ascension légitime du logiciel libre. Les coups de boutoir crapuleux de la firme ne cesseront pas d’alimenter la presse informatique dès demain matin…

Passons. Aujourd’hui, je veux bien sûr partager avec mes lecteurs la satisfaction, la joie (disons l’euphorie) fournies par la sortie d’une des plus belles distributions GNU du moment. Mais je souhaite également exprimer un avertissement. Je l’adresse aux nouveaux venus du logiciel libre, à tous ceux qui commencent à le découvrir ou qui souhaitent le connaître.

Lecteur assidu des forums d’Ubuntu, j’en apprécie tout particulièrement l’atmosphère chaleureuse, la richesse des propos échangés et la générosité des intervenants. J’aime ma communauté. Même si parfois, plusieurs de ses membres semblent s’égarer. Avez-vous remarqué le comportement étrange qui tend à habiter certaines âmes ?

Jugez-vous même. Ces extraits, bruts de décoffrage, proviennent tout droit des forums francophones de la célèbre distribution :

  • «Non moi je vous conseille de passer à Opera qui en passant en plus d’être rapide possède de nombreux plugin fort sympathique.»
  • «Non, Opera n’est pas du code « libre », mais Firefox sponsorisé par Google l’est-il vraiment ?»
  • «Sinon pour répondre à la question, j’ai laissé tombé Firefox pour Opera. Pas parce que j’aime pas Firefox, pas parce qu’il ne respecte pas à 100% les standards CSS, mais juste parce qu’il est trop long à charger ! C’est tout.»
  • «je viens de tester excel2007 ca marche pour moi
    ca vaut la peine de filer quelques $ a codeweavers»
  • «ouais, sauf que les logiciels libre c’est bien gentil, mais à partir d’un certain niveau ça remplace pas les logiciels proprio.»
  • «Qu’est ce qu’on s’en fout que c’est pas libre. Y’a plein de choses qui ne sont pas libre de toute façon»

Ces réflexions sont souvent en relation avec des softs comme Opera, Microsoft Office, Photoshop ou encore Skype. Les défenseurs de ces logiciels propriétaires arguent que la performance et le bon fonctionnement d’un outil prime sur sa liberté. Ainsi, certains utilisateurs ne semblent concevoir «Linux» (comme ils aiment à l’appeller) que comme un gros «freeware» gratuit, avec bureau 3D intégré. Ils ont déjà oublié les vices du logiciel privateur ! A quoi bon propulser Ubuntu dans la sphère très restreinte des OS populaires, si les libertés établies par la Free Software Fondation s’effaçent au profit d’un sens pratique douteux ? Je voudrais que les nouveaux venus prennent le temps d’y réfléchir. Pour cela, ils disposent d’un matériel conséquent : le site du projet GNU, les conférences de RMS

Bien sûr, nous n’avons parfois pas d’autre choix que de faire une entorse aux principes. Il est concevable d’utiliser un logiciel qui n’existe pas encore sous licence GPL quand il est nécessaire au bon fonctionnement de notre ordinateur.

Seulement, il faut avoir conscience de ce que l’on fait. Savoir distinguer ce qui est libre sur notre machine, de ce qui ne l’est pas. Comprendre quelles libertés l’on perd quand l’on installe un logiciel tiers. Etre pragmatique, certes, mais ne pas se leurrer.

Bonne chance aux nouveaux arrivants ! Profitez-bien de Ubuntu Hardy Heron. Une distribution magique.

SymphonyOS est une distribution GNU/Linux méconnue, mais dont la sortie récente en version stable vient d’en rappeler l’existence… Trois années de développement ont en effet suivi la sortie de la première version alpha du projet : s’appuyant à l’origine sur Knoppix, avant de changer sa base pour Debian Sid puis Ubuntu, Symphony semble avoir subi un cycle de développement quelque peu chaotique. Aujourd’hui, elle est enfin prête. Une distribution de plus ?

En fait, on n’aurait sûrement pas parlé de Symphony si elle ne présentait pas une particularité la distinguant, pour le coup, clairement de ce que les utilisateurs de GNU ont l’habitude de voir… La nouveauté ? Mezzo. Une interface graphique construite avec amour spécialement pour la distribution.

Mezzo, le souffle du

Basée sur l’honorable gestionnaire de fenêtres FVWM, Mezzo se veut révolutionnaire. Léger, épuré, transpirant la simplicité, l’étrange environnement cherche à se démarquer des conceptions classiques du bureau. L’interface n’est pas sans rappeller celle de gOS, la distribution au succès finalement assez limité. Le retrait des Green PC d’Everex, propulsés par l’OS de la start-up californienne ThinkOS, des magasins Wal-Mart en est une preuve sans doute suffisante.

Ainsi, j’ai bien peur que Symphony peine à trouver son public. Sans doute paradoxalement pas assez novatrice pour attirer des utilisateurs avancés (comme le faisait remarquer avec humour un membre d’un forum : «Encore une interface qui s’est prise pour un OS complet…»), et encore trop geek pour être utilisée par Madame Michu, son usage risque d’être fort anecdotique.

Je souhaite toutefois bonne chance à Symphony, qui a au moins le mérite d’apporter un petit vent de fraîcheur dans l’univers monstrueux du troll barbu et ventru Gnome vs KDE.

🙂

Quand mes collègues me posent l’une des questions suivantes, je suis malheureusement souvent assez pressé :

  • Pourquoi ne puis-je pas lire tes documents .odf avec Office ?
  • Pourquoi ne puis-je plus lire mes anciens .doc avec Office 2007 ?
  • Pourquoi ne puis-je pas désinstaller Internet Explorer ?
  • C’est quoi ton truc marron, là ? 🙂

Bien sûr, je ne veux pas qu’ils crépissent dans leur tragique ignorance. Surtout quand, trépidants, ils font montre d’une insatiable curiosité. En bon monsieur, je leur cède alors ce lien, en attendant mieux de ma part…

Ouverture du blog

11 avril 2008

Cela fait bientôt une année que j’ai quitté mon système d’exploitation privateur. En passant de Windows à Ubuntu, j’ai d’abord été frappé par la supériorité technique de la célèbre distribution GNU/Linux. Bien sûr, il est très apréciable de pouvoir bénéficier d’un système fiable, rapide et résolument robuste. Mais plus tard, j’ai compris que ça n’était pas l’essentiel. Le logiciel et les formats doivent être complètement ouverts !

Nous devons jouir sans entraves des libertés fondamentales décrites par la Free Software Fondation. Aujourd’hui, les enjeux financiers, éthiques ou philosophiques portés par le Logiciel sont gigantesques. Un monde fermé pourrait aboutir à des situations de monopole économique et de dépendance technologique. Il constituerait de plus un danger pour la protection des données privées. On pense bien sûr aux dérives perpétuelles d’une entreprise comme Microsoft. Mais ça n’est pas la seule.

Nous avons la chance de vivre des mutations spectaculaires : l’avènement du Web 2.0 en est un exemple. Concernant le Logiciel, cadre de la vie numérique, les choix qui seront pris vis-à-vis de lui dans les toutes prochaines années seront capitaux. Agissons pour la liberté du logiciel, faisons connaître les enjeux fondamentaux et la bataille ne sera pas perdue !