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Guerrière et Amazone

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  • Vous trouverez ici des Fans Fictions francophones et des traductions tournant autour de la série Xena la Guerrière. Consultez la rubrique "Marche à suivre" sur la gauche pour mieux utiliser le site :O) Bonne lecture !!
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22 juillet 2018

Laissez un mot !!!

Laissez un mot !!!
Les statistiques du blog me disent qu'il y a BEAUCOUP de lectrices/teurs qui passent par ici, je sais même plus ou moins d'où vous venez ;O) Mais j'aimerais bien en savoir un petit peu plus, histoire de mettre des noms, à défaut de visages sur ces fameuses...
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28 avril 2024

Bientôt la fin d'une longue FF !

mar

 

Cible Mouvante, avant-dernier chapitre, traduction de Fryda. Toujours un must !

Kaktus

28 avril 2024

Cible mouvante, chapitre 32

Cible Mouvante

(Moving Target)

Missy Good (Traduction Fryda – 2023)

Chapitre 32

***********************************************

« D’accord, d’accord, d’accord. » Elena les poursuivit sur la passerelle. « Que je mette ça au clair. »

« C’est votre première erreur », marmonna Kerry. « Rien de tout ça n’est clair. »

« Surtout pas nous », fit remarquer Dar en réfrénant un sourire.

« Dar. »

« Vous êtes en train de me dire que tout ce truc, tous ces bateaux et vous, ce truc entier, tout ça… c’est de l’énorme caméra cachée ? » La journaliste du Herald semblait profondément incrédule. « Vous êtes dingues. »

« On s’est posées la même question ces dernières semaines », admit Kerry. « Mais non, on ne blague pas. C’est vraiment fait pour un chaudron à fondue mongolienne de télévision. »

Elena attrapa le bras de Kerry et la fit s’arrêter. Kerry se retourna et Dar, sentant qu’il n’y avait plus de mouvement derrière elle, s’arrêta aussi et se retourna.

Voyant sa compagne retenue, elle revint à grands pas dans l’autre direction.

« Tout doux, la cogneuse. » Elena tint Dar à distance de sa main libre. « Maintenant vous m’écoutez toutes les deux », ajouta-t-elle. « Vous vous rendez compte du scoop que vous venez de balancer ? Quelle histoire stupéfiante c’est ? Alors je dois être sûre que c’est vrai, parce que quand j’appellerai pour le divulguer, les sous-vêtements de mon éditeur vont faire la roue trois fois et finir en chaussettes. »

Kerry fut impressionnée par le discours fleuri. « Bien sûr, nous le savons », répondit-elle. « Après tout vous vous êtes intéressée à nous, les locales, ça donne une bonne raison pour que nous vous rendions la faveur, pas vrai ? »

La journaliste regarda Dar puis Kerry. « C’est vraiment vrai ? »

Dar hocha la tête.

« Bon… c’est quoi votre plan alors… qu’est-ce que vous allez faire ? » Demanda Elena. « Vous venez de réparer quelque chose sur leur navire, n’est-ce pas ? »

« C’est exact. Je… »

« Dar. » Kerry dépassa la journaliste et attrapa le bras de sa compagne. « Regarde. »

Elles regardèrent par-dessus le bastingage vers le quai. Shari emmenait l’équipe de tournage en direction du navire, avec une expression déterminée. Quest apparut à gauche et se dépêcha de la rattraper, les croisant au bout de la passerelle de montée. « Qu’est-ce qui se passe ici ? »

« Qu’est-ce qui se passe ici ? » Shari se tourna vers Quest. « Vous nous avez posé un défi et nous l’avons dépassé. Il est temps de vous l’exhiber maintenant et de montrer au monde ce que nous savons vraiment faire. »

« Dar ! » La mâchoire de Kerry s’affaissa. « Tu viens juste de réparer pour elles et maintenant… »

La journaliste posa ses mains sur le bastingage. « Bon, je devine qu’elle n’est pas au courant du plan tv ? »

« Si. » Dar ressentit un goût acre à l’arrière de sa langue. « Mais je présume qu’elle a décidé de prendre le chemin de la mesquinerie.  Bon sang. »

« Arrête-la », la pressa Kerry. « Allons, Dar… tu ne peux pas la laisser retirer les honneurs pour ce que tu as fait ! »

« Ouaouh. » Elena était derrière elle et prenait des photos.

« Dar ! »

Est-ce qu’elle devait simplement les laisser faire ce qu’ils voulaient ? Non, supposa Dar. Avec un soupir dégoûté, elle passa près de Kerry et de la journaliste et descendit la passerelle vers le navire. « Je vais sûrement devoir sauter à bas de ce truc aussi. Ça devrait faire une bonne vidéo. »

En bas, Shari montait la passerelle, l’équipe de tournage sur ses talons. Quest attendait au bout, les regardant avec une expression intriguée sur le visage. « Je présume que c’est la fin que vous recherchiez », fit-il remarquer à Cruickshank qui passait près de lui.

« Et bien… je vais prendre ça », dit la journaliste. « Nous devrons aller voir les autres après ça et avoir quelques vidéos de réactions… ne dites rien à personne avant que nous le fassions. Je veux voir leurs visages. »

Dar grogna doucement. « Regarde ça, espèce de petite… » Elle choisit un endroit près de la passerelle et mit les mains sur la rambarde.

Kerry mesura la distance du deuxième étage jusqu’au sol et accéléra, ses mains tendues pour attraper Dar et prévenir un saut éventuel par-dessus la rambarde vers le sol. « Oh, maimaimai….qu… »

Dar s’arrêta inopinément. Kerry s’écrasa contre elle. « Hé ! »

« Chut. » Dar montra un point. Là, près du navire, elles virent Michelle à l’entrée de la passerelle, qui se tenait les mains sur les hanches, bloquant le passage.

« Je peux demander ce qui se passe ici ? » Cria Michelle.

Shari s’arrêta et la regarda avec méfiance. « Nous allons montrer nos résultats à M. Quest. »

Kerry se posta derrière Dar, qui avait les coudes posés sur la rambarde. Elle posa le menton sur l’épaule de sa compagne et regarda attentivement. « C’est là que tu montres si tu es loyale, Michelle », murmura-t-elle.

« Mm. »

« Quels résultats ? » Demanda Michelle.

« Le système. » Shari la regardait comme si elle était folle. « Je sais que c’est terminé. Rafael est venu me le dire. Alors allons-y et faisons le show. » Elle sourit, s’attendant clairement à ce que Michelle la rejoigne. « Faisons monter M. Quest, montrons-lui ce pour quoi il paye et ensuite… je paierai ma tournée. »

Les cameramen l’acclamèrent. « C’est parti », acquiesça Cruickshank avec un sourire.

« Allez. » Shari avança et mit la main sur le bras de Michelle. « On a travaillé comme des idiots pendant des semaines pour ça… savourons-le. »

Michelle écarta son bras. « Désolée. » Elle s’adressa aux autres. « Rafael avait tort. Nous ne sommes pas prêts. » Elle regarda Quest. « Alors je présume que vous pouvez revenir plus tard. Ou bien on vous appellera. »

« Ah. » Kerry souffla dans l’oreille de Dar. « Une loyauté inattendue. »

« Mm. »

« Quoi ? » Aboya Shari. « Tu es sérieuse ? »

Michelle garda une expression neutre. « Bien sûr. » Elle posa une main de chaque côté de la passerelle, produisant un blocage minime mais efficace. « Après tout ce dur labeur, je détesterais nous voir nous aplatir au sol en essayant de l’exhiber, hm ? Donnons-nous un peu plus de temps », leur dit-elle. « Ensuite nous serons prêts. »

Cruikshank sembla un peu soupçonneuse. « Vous êtes sûre de ne pas cacher quelque chose ? J’ai entendu des gars de chez vous dire que vous aviez terminé. »

« Ouais », dit Shari. « Ecoute, ça n’a pas besoin d’être parfait… on est presque au crépuscule. Finissons-en, Michelle. » Elle baissa la voix et lança un regard significatif à Michelle. « Nous le voulons toutes les deux.’

La rouquine se contenta de rester où elle était. « Nan, désolée », dit-elle. « J’ai conçu cela et je dirai quand c’est prêt. Ni Rafael, ni Julio et pas plus Georges ‘le vomisseur’ Washington. Moi. Je dis que ce n’est pas prêt. Tout le monde a compris ? »

« Ooh. » Kerry s’appuya sur l’épaule de Dar. « Il était temps que cette facette surgisse. »

« Je ne savais pas qu’elle avait une telle facette », songea Dar.

Quest finit par hausser les épaules. « A votre guise. » Il se retourna et commença à s’éloigner. « Mais gardez à l’esprit que j’ai une patience limitée et que nous avons un accord à conclure. »

« Ouais. » Cruickshank décrivit la situation. « Parlons de cet accord, oui ? » Elle fit signe à la caméra d’avancer. Les spots furent allumés, baignant le flanc du navire d’argenté neutre, affadissant le soleil doré. « Vous avez payé M. Quest pour vous aider à gagner l’appel d’offres. C’est ça ? »

« Yohoho », gloussa doucement de joie Elena. « Arr. Il y a des pirates dans les environs, les copains. »

Shari se retourna. « C’est exact », répondit-elle avec assurance. « Le but du jeu c’est de gagner, Ms Cruickshank. C’est ce que nous faisons. Nous gagnons », ajouta-t-elle. « Maintenant, si vous voulez bien nous excuser. Je dois parler à ma… partenaire. » Elle monta plus haut sur la passerelle, forçant Michelle à reculer.

« Mais, attendez », dit la journaliste. « Je n’en ai pas fini avec vous deux. »

« Vous avez fini », dit Shari. Elle entra dans le navire, prenant Michelle par le bras avant de la guider à l’intérieur sans protestation visible de la femme rousse. Elles disparurent dans l’intérieur sombre laissant les journalistes dehors.

Cruickshank baissa le micro et les lampes s’éteignirent. Elle se tourna et regarda le cameraman principal. « Qu’est-ce que tu en penses ? »

« Je pense qu’elle ment », dit l’homme rapidement. « Je pense qu’elle est de mèche avec les autres. »

« Qui, Graver ? »

L’homme hocha la tête. « Ouais. Il y a quelque chose de louche. Tu as dit que tu as vu cette autre femme apporter une partie de leur équipement ? Et nous avons vu cet autre matériel emporté dans cette camionnette. »

« Hm. Et nous qui pensions être subtiles », se lamenta doucement Kerry.

« Bon, je pense que tu as raison », dit Cruickshank. « Quelque chose ne colle pas ici. Nous avons tout le film dont nous avons besoin pour faire ce sujet et maintenant que nous en sommes au point critique, elles reculent. »

« Vrai. » Le cameraman hocha la tête. « Hé, tu penses que peut-être ces autres-là les ont payées ? Elles ont le pognon. »

Cruickshank tapota le micro contre sa cuisse. « Peut-être », dit-elle. « Allons parler au chef. On a mis trop de fric dans tout ça nous-mêmes pour perdre à cause de magouilles. »

« Ook. Ook », hulula Dar doucement.

Elles regardèrent l’équipe partir, traverser le quai et passer juste dessous la passerelle où elles se tenaient. Après leur disparition, Dar et Kerry se redressèrent et se regardèrent.

Puis elles regardèrent la journaliste.

« D’accord », dit Elena. « Alors, c’est quoi la fin du jeu, les filles ? Qu’est-ce que vous allez tirer de tout ce bazar ? C’est ce que je veux savoir. Quel est le but de tout ça ? »

C’était une très bonne question. « Rentrer à la maison », répondit Kerry. « On a perdu notre temps ici pendant des semaines, à dépenser Dieu sait combien d’argent sur ce projet, à y mettre de la sueur et des larmes, et pour quoi ? »

« Hm », dit la journaliste. « Vous ne pouvez pas aller chercher Quest et l’emmener sur votre navire pour lui montrer que c’est vous qui avez tout fini ? Est-ce que ça ne vous apporterait pas quelque chose ? De la bonne presse dans les médias ? Oui ? »

« On pourrait », approuva Dar, en se retournant pour les emmener vers un escalier dans le coin entre leur navire et celui-ci. » Ouais, on pourrait. »

« Alors… pourquoi vous ne le faites pas ? »

Dar garda le silence pendant quelques enjambées, tournant la tête pour regarder l’expression de Kerry du coin de l’œil. La jeune femme blonde regardait devant elles avec une douce patience, attendant qu’elle réponde pour elles deux. « Qu’est-ce que tu en penses, Ker ? On pourrait juste le faire ? »

Kerry se tourna et le regarda, penchant un peu la tête. « Non », dit-elle. « Je ne veux pas donner à ces gens de la télévision ce qu’ils veulent. Tu l’as dit la dernière fois, Dar. Le seul moyen de gagner dans ce truc, c’est de leur enlever leur but, pas d’atteindre le nôtre. »

« Bon, que je comprenne », dit Elena. « Vous perdez toute cette notoriété télévisuelle délibérément et vous gâchez tous ces dollars, juste pour faire enrager la société de télévision parce qu’elle a arrangé tout ça ? »

Dar réfléchit. « Quelque chose comme ça », acquiesça-t-elle. « Le point c’est que je n’aime pas qu’on se moque de moi. Kerry non plus. »

« Personne », interjeta Kerry. « Ni Michelle. Shari est… »

« Juste une conne. » Dar finit la phrase. « Alors nous avons dit aux autres équipes ce qui se passait et nous leur avons promis de les aider tous à finir à temps. Ce qui fait que Quest doit payer leurs projets. »

« Et si tout le monde finit au même moment, coopérant comme des gamins dans la cour d’école, il n’y aura pas de drame », dit Elena.

« Même pas de drame lesbien. Oui », approuva Kerry.

« Est-ce que vous vous sentez idiotes qu’ils aient pu aller aussi loin avant que vous ne vous en rendiez compte ? »

Dar rit doucement. « Oui. »

Elles descendirent les marches et se dirigèrent vers le bâtiment terminal. « Alors, pourquoi pensez-vous que Michelle Graver a suivi le plan ? » Demanda Elena. « Ou bien elle dit la vérité et elles n’étaient pas prêtes ? »

« Elles sont prêtes », dit Dar.

« Et vous en êtes sûre ? »

« J’ai démarré leur système. » Dar tendit la main vers la poignée de porte et ouvrit, se tenant sur le côté pour les laisser entrer. « Alors si Michelle choisit de dire autrement, tout ce que je peux présumer c’est qu’elle a juste décidé de tenir sa parole. »

« Ah oui. » Elena entra, gribouillant des notes en marchant. « Et ça vous surprend ? »

« Oh oui. » Dar et Kerry répondirent en même temps.

Le terminal était quasiment vide, à part quelques techniciens assis, qui passaient le temps et attendaient que quelque chose se passe. « Hé, Ms Roberts… » L’un d’eux installé au comptoir avec un mobile dans la main les repéra. « On commande des pizzas… ça vous dit ? »

La nature ordinaire de la question charma Dar profondément. « Bien sûr », approuva-t-elle, se souvenant irrésistiblement de sa jeunesse quand elle aurait fait ce que les techniciens faisaient et aurait vécu de pizza et de nourriture chinoise à emporter. « De chez Domino ? »

L’homme hocha la tête. « Ouais. »

« Fine et croustillante, à demi végétarienne à demi amoureux de viande, fromage en plus », annonça Kerry succinctement. « Et des beignets. Deux cocas. »

« C’est fait. » L’home lui sourit.

Dar marcha vers lui, sortant son portefeuille de sa poche. Elle en retira une carte et la jeta sur le comptoir. « Mettez ça là-dessus », dit-elle. « Dites leur de se prendre un bonus de dix pour cent s’ils livrent ici et que je ne confonde pas le fromage avec une boite d’adhésif. »

Elena gloussa, posant son carnet à côté tandis qu’elle se tenait près de Kerry. « Vous êtes de sacrées personnalités vous deux, vous savez ça ? » Dit-elle. « Mon chef m’a dit ce matin après que je lui ai raconté un peu de ce qui se passait, qu’il voulait que je fasse de ça un titre en page une de la section d’affaires, en trois parties.

« Ah oui ? » Dit Kerry. « Et c’est bien ? »

La journaliste gloussa. « Il ne sait pas la moitié de tout ça. Attendez que je l’appelle », dit-elle. « Ça vous ennuie si j’utilise le bureau à l’arrière là-bas pour le faire ? »

Kerry jeta un coup d’œil à l’arrière de la pièce qui semblait vide. « Non, allez-y », approuva-t-elle, en regardant la journaliste s’éloigner d’elle. Elle attendit un moment puis elle traversa pour rejoindre Dar qui était assise sur le comptoir. « Eh bé. »

« La journée a été longue », acquiesça Dar avec un soupir. « Mais c’est presque fini, ma chérie. »

Kerry sourit à ce petit nom. « Tu sais quoi ? J’ai vraiment apprécié de travailler là-dessus avec toi. Malgré tout. »

Dar lui ébouriffa les cheveux. « Pareil. »

Elles levèrent les yeux quand la porte principale s’ouvrit et que Cruickshank entra avec un drôle de déhanché.

« Ah. » Kerry souffla. « J’ai un mauvais pressentiment. »

« Oh oui », marmonna Dar. « J’te suis. »

Les deux nouveaux entrants s’arrêtèrent devant elles. « Nous devons vous parler », dit Meyer avec une trace de son attitude de New York. « On peut avoir de l’intimité ? »

Dar arqua les sourcils. « Bien sûr. » Elle glissa du comptoir et montra le bureau. « Après vous. »

Cruickshank se redressa également. « Monsieur ? » Elle s’adressa à Meyer. « S’il vous plait. »

Monsieur. Kerry sentit que la situation changeait radicalement et elle se souvint soudain du test sur le navire. Etait-ce un autre test ?

Ou quoi ?

***********************************

« C’était quoi tout ça, bordel ? » Shari s’en prit avec colère à Michelle. « Tu sais foutrement bien que ce truc est prêt. »

« Il ne l’est pas. »

« Conneries ! » Dit Shari. « Tu joues à quel jeu là, Michelle ? »

« J’t’emmerde. » Michelle prononça les mots avec soin. « Comme je l’ai dit à madame Patate (NdlT : en anglais c’est Cookie Puss si vous voulez chercher J), c’est mon projet, et je dis quand c’est prêt. Pas les techniciens et encore moins toi. » Elle s’écarta et se dirigea vers l’ascenseur.

« Ah oui ? Et combien elle t’a payée pour ça ? » Hurla Shari. « Ou bien elle t’a promis un plan à trois ? »

Michelle se tourna à la porte et la regarda. « Tu sais quoi ? Si elle me le demandait, je le ferais. » Elle se retourna et disparut dans le couloir.

« Ferais quoi ? » Cria Shari.

Une porte qui se ferme brutalement, faisant écho.

« Ça n’a foutument aucun sens ! » Frustrée, Shari prit un tube en papier kraft et le lança contre la cloison, le faisant rebondir. La chaleur et la poussière lui tapaient sur les nerfs et elle alla au bord de la passerelle pour respirer un peu.

Elle détestait cet endroit. La puanteur et le bruit du port lui donnaient des nausées et tandis qu’elle regardait le sol craquelé, même la couleur passée du bâtiment la rendait malade.

Son attention se concentra sur le portail qui séparait la zone de quais de la rue. Une grande silhouette était apparue, déverrouilla et entra, et elle reconnut immédiatement Andrew Roberts. « Connard », marmonna-t-elle tandis que l’homme de haute taille traversait le sol cimenté.

Comment avait-elle pu rater ça, quand elle l’avait vu pour la première fois ? Sa bâtarde de fille lui ressemblait alors pourquoi ne s’en était-elle pas rendu compte ? Même carrure, mêmes yeux, même attitude ‘foutez-moi la paix’. Elle savait qu’Andrew avait été dans la Navy et de ce qu’elle avait pu déchiffrer de sa courte période avec Dar, elle s’était dit qu’il avait dû être dans des sortes de forces spéciales.

Et bien, on aurait pu le dire. Il portait un marcel et même s’il n’était plus tout jeune, il avait une musculature impressionnante qui faisait plus que lui rappeler sa fille. Tandis qu’elle regardait, une petite silhouette furtive émergea de l’ombre et l’intercepta, l’attitude de l’homme prit celle d’une supplication.

Andrew s’arrêta et le regarda, penchant la tête dans un mouvement d’écoute.

Shari plissa un peu les yeux en regardant aussi la petite canaille. Il lui semblait familier mais elle n’arrivait pas à le remettre. Elle monta sur la passerelle et se dirigea vers eux mais ils la virent approcher et tous les deux se retournèrent et s’éloignèrent.

Elle s’arrêta. « Hé, qu’est-ce que je fais là, bordel ? » Avec un soupir de dégoût, elle se tourna et se dirigea vers le bâtiment du terminal avec sa climatisation efficace.

A mi-chemin, elle s’arrêta et se retourna à nouveau. Andrew et l’autre homme avaient disparu sous les portiques près de l’autre navire, mais il n’y avait pas beaucoup d’endroits où ils pouvaient être allés. En plissant soudain les yeux, Shari les suivit.

*********************************

Mark essuya la sueur de ses yeux, surveillant la tâche qu’ils venaient juste de terminer. « Foutus racks », commenta-t-il.

« Ouais », répondit le technicien du troisième navire. « Bas de gamme. » Il mit la main sur un étançon et le secoua, montrant son manque de solidité. « Ça craint mais ils économisent le moindre centime. »

« Oui oui. » Mark poussa les interrupteurs sur l’équipement et regarda les diodes commencer à danser. Les ventilateurs étaient presque assourdissants dans le petit espace. « Et bruyants. »

« Content de pas avoir besoin de les écouter », acquiesça son compagnon. « D’où est-ce qu’ils viennent, bordel ? Johnny a dit qu’ils ont été arrêtés à la douane en venant ici. »

« On les a eus par Telegenics », dit Mark.

« SANS BLAGUE ? »

« Ouais. »

« Ben merde alors ? »

Mark haussa les épaules. « Ils les avaient en rab. Ma cheffe leur a botté les fesses et obligés à les lâcher. »

« Ouaouh ! »

L’équipement finit de flasher et se mit à clignoter de manière plus calme avec ses nombreuses diodes. Mark commença à connecter méthodiquement des câbles sur l’avant de la machine, suivant un format un peu obscur qu’il était probablement le seul à connaître.

Le technicien se joignit à lui et ils insérèrent des prises RJ45 sans parler pendant un moment. A mi-chemin, le technicien s’éclaircit la voix. « Alors, c’est comment de travailler pour elles ? »

« Ça déménage. »

« Ah oui ? »

« Ouais. »

« Tu y travailles depuis quand ? »

« Dix ans », répondit Mark. « On entend des conneries et des conneries et des conneries sur ILS, mais pour les jobs de technologie, ça baigne. On a le meilleur équipement, les meilleures nouveautés et des chefs cool. »

« Ah. »

« C’était quand la dernière fois que tu as rapporté un bug de firmware à ton VP informatique et qu’il le répare ? »

Le technicien cligna des yeux.

« Inputaindecroyable. » Mark retourna à ses connexions de câbles. Il leva les yeux quand la porte du petit cabinet de répartition s’ouvrit, révélant Carlos. « Oui ? Tu as fini ? »

« C’est le dernier. » Carlos pointa la machine sur laquelle travaillait Mark. « On a eu des mauvais patches de fibre là-haut mais Manny en est venu à bout avec le terminateur. »

« Cool. » Mark hocha la tête. « Tu as entendu comment ça s’est passé à côté ? »

« Manny a dit qu’il s’en est occupé. Qui que ce soit qui a mis cette dorsale craignait », rapporta Carlos. « Il a dû reterminer tous les fils. Ça lui a pris longtemps. »

« Mec, je suis content qu’on ne soit pas allés avec ces types », marmonna Mark. « Ils essayaient de convaincre Kerry en lui disant qu’ils pouvaient le faire pour la moitié du prix, mais c’était des conneries. »

« Mais c’est pas le marché de faire ça pour le moins cher possible ? » Demanda le technicien près de lui. « Je pensais que c’était le but, de récupérer tout le contrat. Sous la ceinture, pas vrai ? »

Mark soupira. « Oui », admit-il. « C’était le truc mais tu sais quoi, Kerry ne peut juste pas le faire. On a décidé autrement quand elle cherchait les offres des vendeurs… et ce n’était pas cool de faire des compromis sur ce truc. On perd des contrats tout le temps à cause de ça. »

Tout le monde garda le silence un instant. Carlos était adossé à la porte, se frottant les mains en œuvrant pour enlever une épine de sa paume, vu qu’il n’y avait pas assez de place pour plus de deux personnes devant le commutateur pour y faire des câblages.

« Alors c’est cool ? » Finit par demander le technicien. « Je veux dire que c’est pour ça que Telegenics est aussi important maintenant, pas vrai ? »

Mark garda le silence quelques instants, fixant le commutateur en réfléchissant. « Pour les affaires ? Je ne pense pas que ce soit si cool », finit-il par dire. « Mais pour moi oui, c’est cool parce que j’aime bien être cool avec les trucs sur lesquels je mets mon nom. Je ne mets pas mon nom sur des trucs nuls et elle non plus. »

« Beuh. » Le technicien reprit son câblage.

« Tout ce truc devient tellement dingue. » Carlos prit la balle au bond. « Je n’arrive pas du tout à comprendre ce qui se passe. »

Mark ricana. « Bienvenue au club. »

« Ouais. »

***********************************

La journaliste n’était nulle part. Kerry regarda dans le petit bureau puis elle haussa les épaules et referma la porte derrière elle tandis qu’elle suivait Dar et les deux nouveaux venus dans la pièce.

Peut-être qu’Elena était sortie au lieu de venir dans l’espace un peu déprimant et étroit et elle pouvait difficilement l’en blâmer.

Dar s’assit sur l’un des bureaux, échangeant le confort des fauteuils pour s’avantager sur la hauteur tandis qu’elle faisait face à Meyer et Cruickshank. Mais elle mit nonchalamment un pied sur le siège et posa son avant-bras sur son genou.

Quel rôle devrait-elle jouer ? Se demanda Kerry, sachant qu’elle n’avait que quelques secondes pour se décider. Parfois Dar et elle échangeaient leurs positions et elle prenait la tête, mais elle sentait que ce n’était pas le bon endroit pour le faire. Leurs deux visiteurs étaient certainement concentrés sur sa partenaire.

Hmm.

Kerry s’assit dans le fauteuil près de Dar et s’adossa, posant ses coudes sur les accoudoirs et croisant les jambes aux chevilles. « Bon. » Elle s’adressa aux deux. « De quoi s’agit-il ? »

Ils regardèrent Dar.

Celle-ci garda le silence, un sourcil légèrement levé.

« Nous n’avons pas vraiment le temps de jouer ici », continua Kerry. « Et je pense que vous avez assez gâché le temps de tout le monde, de l’effort et aussi de l’argent. Alors si vous avez quelque chose à dire, faites-le. » Elle lut la posture du corps de Dar du coin de l’œil et soupira, se disant qu’elle avait bien deviné.

Dar leva le bras et entoura le dossier du fauteuil où Kerry était assise, ses doigts effleurant nonchalamment les cheveux clairs de sa compagne.

« Bien. » Meyer prit la tête de son côté. « Tout d’abord, je présume que vous devinez que je ne suis pas celui qui s’est présenté à vous la dernière fois qu’on s’est rencontrés. » Il s’appuya contre l’un des bureaux, reposant son poids sur ses deux mains. Cruickshank resta silencieuse, ses mains croisées devant elle.

Dar réfléchit à ses paroles. « Est-ce que vous êtes plus ou moins le connard que vous prétendiez être ? » Demanda-t-elle d’un ton neutre.

Meyer rit. « Et bien, ça dépend d’à qui vous le demandez », concéda-t-il. « Laissez-moi vous expliquer. »

« Je devrais prendre des notes ? » Demanda Kerry. « Parce que ce tableau d’affichage commence à être assez grand pour être accroché dans le stade des Pro Player. »

Meyer la regarda mais ne répondit pas. Il se lécha les lèvres et fit une pause, puis il fixa son regard sur Dar. « Etonnamment, mon nom est Jason Meyer. Mais je ne suis pas un exécutif des TI, bien que pendant quelques mois j’en ai joué le rôle à la télévision. » Il sourit à Dar. « C’est confidentiel vu que le reste des gens à New York ne savaient pas qu’ils étaient filmés pour la caméra cachée. »

Dar se contenta de le regarder.

« C’est un concept de téléréalité appelé « J’t’ai eu ! » Indiqua Cruickshank tranquillement. « C’était notre programme pilote », ajouta-t-elle. « Et je ne suis pas journaliste non plus. 

« Vrai », acquiesça Meyer. Le marché c’était que j’étais embauché pour voir jusqu’où je pouvais aller. Des papiers falsifiés, une carrière faussée, des employeurs passés bidons… Jusqu’où je pouvais aller ? Et bien, je suis allé jusqu’à la limite et juste au moment où j’allais atteindre le sommet, vous êtes apparue. »

Kerry se pencha en avant. « Vous avez risqué l’existence d’une société majeure et les jobs de milliers de gens pour une émission ? »

Meyer haussa les épaules. « Ils m’ont embauché », dit-il. « Ils ont pris un risque et nous aussi, et grâce à votre interférence, mon risque n’a pas marché. »

« Mon interférence ? » Dar semblait incrédule. « Vous vous moquez de moi. »

Il haussa à nouveau les épaules. « Vous avez explosé mon final », dit-il. « Mais interagir avec vous m’a donné l’idée de ce projet, et j’ai pu la vendre aux financeurs. Mais  cette fois vous ne le ferez plus », déclara-t-il. « Alors commençons à parler d’argent et laissons tomber les autres conneries parce que, comme vous l’avez pointé, Ms Stuart, nous n’avons pas le temps de jouer. »

Il frappa le bureau de sa main. « Il est temps de mettre les cartes sur table, Roberts. Soit nous sortons ensemble en vainqueurs soit nous sortons en perdants et croyez-moi, bébé, vous allez perdre plus que moi. »

Dar croisa les bras. Elle les fixa tous les deux avec une expression sévère. « Très bien. C’est quoi le marché ? » Demanda-t-elle. « Qu’est-ce que vous voulez exactement ? »

Meyer sourit. « Voilà la réponse que j’attendais. Alors écoutez bien. »

************************************

Ok on a fini. » Mark se frotta les mains. « Allez Carlos. Allons-y. Je suis sûr qu’il leur reste de la pizza. »

« Je te suis. » Carlos se repoussa de la porte et se releva tandis que Mark quittait la pièce. « Alors, est-ce que ce navire est ok maintenant ? »

« Sais pas. » Mark se retourna. « Il l’est ? » Demanda-t-il au technicien.

Celui-ci était connecté au nouvel équipement via un ordinateur portable et il leva simplement le pouce vers Mark plutôt que d’être distrait de sa tâche.

« Bien joué. A plus tard. » Mark était satisfait. Il rejoignit Carlos et ils remontèrent le couloir, se tournant tandis que des membres d’équipage passaient dans l’autre direction. « T’sais, je me sens un peu mal pour ces gars. »

Carlos regarda derrière lui. « Ces gars ? » Il leva un pouce vers les membres d’équipage. « Ou les gars de la salle de répartition ? »

« Les gars du navire », dit Mark. « Parce que si la grande D a raison, et que tout ça c’est du flan, ça craint pour eux, tu sais ? »

Carlos garda le silence sur quelques pas. « Je suis désolé », dit-il. « Mais après ce qu’ils ont fait et ce qu’ils nous font avec le navire je ne me sens pas ennuyé pour eux. Ms Kerry aurait pu être vraiment blessée et l’un de nous l’a été. »

Mark fronça les sourcils. « Ouais, je sais », dit-il. « Ça craignait vraiment. Si Kerry avait été blessée, Grande D aurait pété les plombs. »

« Elle était furieuse », approuva Carlos. « Elle a même crié sur son papa. »

« Oui oui. » Mark réfléchit tandis qu’ils marchaient. « Son papa est cool. »

« Si. »

« Il est dingue des deux filles. Tu savais qu’il avait été Manquant en Opération pendant quoi, des années ? Ils pensaient qu’il était mort. »

Carlos cligna des yeux. « Vraiment ? Je savais pas ça… c’est triste. »

« Ouais. Grande D a traversé pas mal de choses pendant ces dernières années. » Mark les dirigea  en bas de la passerelle vers le ponton et alla vers le portail. « Mais c’est une brave fille. »

« Oh oui, je le pense aussi. » Carlos hocha la tête. Il regarda autour de lui. « Alors ça y est ? On a fini ? »

Mark l’espérait. Il se faisait tard, il était épuisé et on était vendredi. Il avait hâte de quitter le ponton, de prendre une douche et une bière fraîche et de passer à quoi que ce soit d’autre ensuite.

Heureusement, ça n’aurait foutrement rien à voir avec des bateaux. Peut-être que Dar voudrait avancer sur le développement du nouveau routeur qu’elle avait écrit. Il y aurait au moins deux  cycles de développement et travailler sur les trucs de Dar était toujours un plaisir.

Ça marchait même si ça n’était développé qu’à moitié et pas documenté. Il trouvait toujours des petits scripts et des programmes sur lesquels elle avait travaillé, chaque fois qu’il fouillait dans les systèmes, rien d’énorme, mais juste des petits morceaux de code qui faisaient tourner le truc en arrière-plan avec une petite fanfare.

Un peu comme Dar parfois. « Ouais, je pense qu’on a fini », dit Mark. « Allons trouver la cheffe et dérouler tout ce truc. »

« Tu sais à quoi je pense ? » Dit Carlos. « Je pense qu’on devrait se réunir et emmener nos cheffes quelque part parce qu’elles ont été tellement sympas avec nous. Tu penses qu’on pourrait ? »

Mark garda brièvement le silence tandis qu’ils traversaient la chaussée et entraient dans le parking énorme et maintenant vidé, qui séparait les deux côtés du port. Le soleil se couchait et la brise était plus fraîche maintenant, séchant la sueur sur sa nuque tandis qu’il marchait.

Faire sortir Dar était dur. Sa position c’était qu’elle était la cheffe et elle avait le fric. Alors elle payait la note du dîner. Mark le savait bien parce qu’il avait assez essayé même avec quelque chose d’aussi bon marché qu’une pizza.

Mais qui pouvait savoir ? Peut-être que ça marcherait cette fois. Peut-être qu’il pourrait arrêter le serveur avant qu’ils s’asseyent et lui donner une carte de crédit. « Bien sûr. On peut essayer », dit-il à Carlos tandis qu’ils montaient les marches du terminal derrière leur navire. « Zut… le pire qu’elle pourrait faire c’est me mettre une claque sur la nuque. »

Carlos ouvrit la porte et ils entrèrent, faisant quelques pas dans la pièce avant de s’arrêter et de fixer.

Une foule énorme était réunie, entourant un écran de télévision posé sur un chariot. Tandis qu’ils regardaient, plusieurs cameramen avancèrent d’avant en arrière et les filmèrent.

« C’est quoi ce truc ? » Bafouilla Mark. « Qu’est-ce qui se passe ? »

« Chh », lui intima quelqu’un dans la foule.

Mark avança de coin jusqu’à ce qu’il puisse voir la télévision, clignant des yeux quand il reconnut la silhouette remarquable de Dar.

Un autre moment et il reconnut la pièce dans laquelle elle se trouvait comme étant la salle arrière à quelque mètres de lui et tandis que l’image bougeait maladroitement, Kerry vint également en vue.

Mais qu’est-ce qui se passait bon sang ?

Plus important, Dar savait-elle ce qui se passait ? On aurait dit qu’elle était interviewée mais avec la porte fermée, avait-elle l’information que tout le monde écoutait ?

La foule énorme bloquait le chemin vers cette pièce, mais Mark savait que cette foule n’aurait pas bloqué Dar et n’allait foutrement pas le bloquer non plus. « Viens. » Il attrapa Carlos par le bras.

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« Qu’est-ce que vous voulez exactement ? » Demanda Kerry.

« Pas grand-chose », répliqua Meyer. « Juste une fin sympa, pleine de suspense et dramatique qui va déchaîner les audiences et me payer grandement. »

« Comme quoi ? » Persista Kerry. « M. Meyer, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, nous sommes dans l’informatique. La dernière fois que j’ai vérifié, les fondus d’informatique n’étaient pas les chouchous à la mode des médias. »

« Exactement. C’est pour ça que ce sujet est devenu intéressant. », dit l’homme. « Parce que franchement, si vous m’aviez dit, avant que je sois sur ce projet, qu’un paquet de geeks et des navires en déroute auraient été bons pour la télévision, je vous aurais botté les fesses jusqu’à la sortie de mon bureau. »

« Et ? » Demanda dar.

« Et j’ai découvert qu’il y a du suspense dans des endroits inattendus », dit Meyer. « Du grand suspense dans ces vieux navires et les gens dessus, du grand suspense dans l’idée de quatre compagnies qui luttent pied à pied pour gagner quelque chose, et du grand suspense dans tout ce monde qui se bat à grands coups de griffes, se poignardant dans le dos l’un de l’autre dès que possible. Madame, je n’aurais pas trouvé un scénariste de haut vol pour inventer quelque chose de plus déluré que ça. »

« Et qu’est-ce que vous attendez de nous ? » Demanda à nouveau Kerry. « Je veux dire si vous avez un si grand sujet. »

Meyer lui sourit. « Nous savons ce que vous faites », dit-il.

« Ah oui ? » Dar lui sourit en retour.

« Oh oui. Vos amies de Telegenics ont été très passionnées et détaillées pour nous raconter votre petit plan pour faire échouer mon final », dit Meyer. « Je sais que vous avez aidé les autres navires à finir et je sais que vous avez forcé Telegenics à céder une partie de leur équipement de secours pour ces autres gars. »

« Forcé ? » Kerry lui lança un regard perplexe. « Elles l’ont proposé. »

« Ms Stuart, s’il vous plait. » Meyer lui fit un sourire condescendant.

« Et ? » demanda Dar à nouveau. « Alors vous avez raison. Nous ne jouons pas vos jeux. Nous allons tous finir sur la ligne d’arrivée, présenter nos factures et rentrer à la maison. »

Cruickshank s’était positionnée avec soin, se tenant à côté de son chef apparent et à un angle, de façon à voir à la fois Dar et Kerry. Elle gardait les mains croisées devant elle, ses doigts bougeant sans arrêt comme si elle jouait avec des perles agitées.

Le mouvement saisit l’attention de Kerry et elle regarda la journaliste du coin de l’œil. Jusque là, la conversation lui avait semblé être plutôt du vent. C’était comme si Meyer se contentait de débiter sans but, comme si…

Kerry plissa les yeux.

« Non, vous ne le ferez pas », dit Meyer. « J’ai appris beaucoup de choses sur vous ces derniers mois, Roberts. Au début je pensais que vous n’étiez qu’une idiote très cher payée. »

« C’est à moitié vrai », dit Dar d’une voix traînante. « Et cette moitié dépend d’à qui vous le demandez. »

« Mais vous ne l’êtes pas. » Meyer s’avance vers elle. « Et c’est la seule raison pour laquelle je suis ici, Roberts. Parce que je sais que vous pouvez me livrer ce que je désire. »

Dar haussa les sourcils.

« Et je ne vais pas gâcher notre temps à nous deux pour jouer sur votre sens de la justice. »

« Mon sens de la justice ? » Dar ricana. « Ce n’est pas moi qui ait sué sang et eau pour essayer de truquer le défi, Jason. »

Kerry sentit un léger bourdonnement à sa ceinture. Distraite, elle jeta un coup d’œil à son téléphone mais la vibration cessa. Elle le leva et examina l’appareil, un chatouillis de familiarité titillant sa mémoire à ce sujet.

« La plupart des gens ici… Ils n’avaient pas ce que je recherchais », dit Meyer. « Ils ne ressentaient pas ce que je ressentais, combien ce sujet pouvait vraiment être sensationnel. »

« Je ne suis pas sûre de savoir pourquoi vous pensez que ça intéresse quiconque. » Dar se leva, fit le tour du fauteuil et se contorsionna pour relâcher une contraction dans son dos. « Moi c’est sûr. »

Meyer entoura son genou des deux mains. « Laissez-moi vous exposer tout ça. »

« Voilà une première sur ce projet », marmonna Kerry, laissant son téléphone pour le moment pour se concentrer sur la scène devant elle.

Meyer l’ignora. « C’est très simple. Il y a beaucoup d’argent investi dans ce marché, de l’argent que je ne suis pas près à risquer ou à perdre. » Il se rapprocha, faisant face à Dar. « Alors voilà le marché. Vous jouez dans mon camp et je vous donne un million de dollars US. Cash. »

Un petit silence suivit ses paroles. Puis Dar bougea un peu. « Je pense que vous savez que ce ne sont pas de gros chiffres pour ILS. » Elle haussa à demi les épaules. « C’est le budget du café pour une année. »

Il sourit. « Je pense que vous savez que je ne l’offre pas à votre compagnie », répliqua Meyer. « Et même quelqu’un qui gagne comme vous, a des désirs que ça pourrait satisfaire, pas vrai ? »

Le téléphone de Kerry bourdonna à nouveau mais elle l’ignora, son attention fixée sur le profil de sa compagne. Elle pouvait entendre son propre battement de cœur tambouriner dans ses oreilles tandis qu’elle attendait la réponse de Dar, consciente et mal à l’aise de constater que pour la première fois dans leur relation, elle ne savait pas vraiment quelle réponse elle allait donner.

Heureusement elle n’eut pas à attendre longtemps.

Les yeux de Dar brillèrent doucement. « Vous ne pouvez pas m’acheter », dit-elle avec un sourire tranquille. « Même si c’était ma dernière paye à la banque, je vous dirais toujours d’aller vous faire foutre. »

Meyer ne regarda même pas Kerry. C’était comme si elle n’était même pas là. Il hocha la tête plusieurs fois, lança un regard ironique à Dar. « Je pensais que vous diriez ça… alors voilà le vrai marché. » Il se pencha en avant. « Celui que vous ne pourrez pas refuser. »

**************************************

Shari passa les portes arrière du bâtiment naval, lançant aux gardes, le nez plaqué sur la vitre, un froncement intrigué en passant. Qu’est-ce qu’ils regardaient, bon sang ? Un spectacle de monstres gratuit peut-être. Elle lança un regard rapide à ceux qu’elle poursuivait, regarda ailleurs et se pressa pour ne pas les perdre. Ce n’était peut-être pas intéressant après tout… ils regardaient probablement juste les jambes de la Garce Psycho.

Et bien, qu’ils aillent au diable. Elle s’arrêta derrière une pile de palettes tandis qu’Andrew et le petit homme s’arrêtaient juste à la passerelle de montée. Il lui sembla qu’ils se disputaient, ou du moins, que le grand homme faisait la leçon, et c’était plutôt attendu, non ?

La seule chose qu’on obtenait d’un connard c’était un autre connard. L’attitude féroce d’Andrew envers elle lui avait laissé une mauvaise piqûre, et elle avait décidé que s’il faisait quelque chose de louche, et bien, elle trouverait un moyen de le baiser pour ça, comme elle l’avait fait pour sa progéniture nullissime.

« Jouons-la sympa, hein ? Finissons à égalité. J’t’emmerde », marmonna Shari tandis qu’elle contournait la pile de palettes et avançait masquée vers la suivante, essayant de rester hors de vue et assez près quand même pour écouter. Elle avait accepté d’écouter Dar juste pour voir ce que cette garce manigançait et elle s’était dit que Michelle voulait la même chose, mais après ce retournement merdique…

Foutue Michelle. Tout ce qu’elle voulait c’était faire partie de leur petite clique. Elle aurait dû s’en rendre compte dès Orlando, avec toutes ces conneries de petit déjeuner et de dîner. Elle en avait fini avec ça après qu’elles se furent trouvées dans ce puits merdeux.

Ça avait balayé tout le glamour, avait pensé Shari. Mais apparemment elle avait tort, vu qu’il était parfaitement clair que tout ce que Michelle voulait maintenant c’était de ravaler tout ça et probablement d’obtenir un boulot avec elles.

Connasse.

Elle regarda les deux hommes monter la passerelle et entrer dans le navire, et après un moment pour leur laisser le temps de passer l’acier rouillé, elle les suivit.

C’était calme maintenant, la plupart des dockers étaient partis et les navires bougeaient placidement à leurs quais avec juste un léger cliquetis.

Shari monta la passerelle et s’arrêta à l’entrée, regardant l’intérieur plutôt sombre. Elle ne vit personne alors elle continua et entra en douce dans le lieu. Il y avait quelques caisses empilées contre le mur du fond et elle les chercha derrière, mais c’était apparemment des serviettes ou quelque chose de tout aussi ennuyeux.

Il n’y avait aucun signe des deux hommes. Elle regarda plus loin, passant la tête avec précautions dans un petit cul de sac avant de se diriger vers l’escalier à contrecœur. Elle avait monté deux marches quand elle entendit des voix derrière elle et elle s’arrêta, écoutant attentivement.

« Monsieur, j’vous dis que vous ne pouvez plus vous cacher dans ce bateau. » La voix d’Andrew grondait à travers le silence, faisant presque dansoter les particules de poussière sur la rampe.

« Ecoutez VOUS. On part bientôt et plus de conneries », répondit une autre voix, également profonde mais avec un vieil accent. « Qu’est-ce que vous pensez avoir fait, amener quelqu’un pour toucher mon navire ? Je devrais vous tuer. »

Andrew se contenta de rire. C’était un son bizarre, hors du monde et en l’écoutant, Shari pouvait y entendre un clair écho de celui de Dar.

« P’tit gars, j’vais pas m’encombrer avec ce que vous v’nez de dire. Soit vous allez dire au mec là-haut que vous vous êtes mis dans les ennuis, soit je l’fais. »

« Je suis venu vous demander de l’aide parce que vous connaissez la mer et c’est comme ça que vous me traitez ? » Dit l’autre homme, indigné. « Vous n’êtes pas un marin. »

« Fonce. » La voix d’Andrew sembla plus sévère. « Ou bien j’attrape ton cul et j’l’emmène là-haut. »

Les voix diminuèrent au milieu de sons claquants et métalliques.

Shari sortit de la cage d’escalier et suivit le bruit baissant la tête pour passer une porte en métal et repérant les deux petits ascenseurs de service. L’un d’eux se refermait juste. « Bon sang. »

Est-ce que ça valait la peine de les suivre ? Bon Dieu, le petit mec faisait probablement quelque chose d’aussi stupide que de la contrebande de cigares cubains. Ça ne valait pas la peine de gâcher son temps.

Shari pianota sur le métal. Non, ça ne valait pas de perdre son temps mais peut-être qu’elle pourrait causer des dommages de son côté. Ce ne serait pas génial si les sœurs garces allaient démontrer leur merveilleuse merde et que ça se dégonflait ?

Avec un sourire, elle retourna à l’escalier et commença à monter.

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Le souvenir revint à Kerry avec une furie étourdissante. Elle tendit la main sans même y penser et attrapa le poignet de Dar, ses doigts se resserrant sur les os sous la peau.

Dar la regarda et haussa un sourcil.

Sur le point de parler, Meyer s’interrompit. « Quelque chose ne va pas ? »

Comment le dire à Dar ? Kerry souhaita vraiment qu’elles aient cette connexion psychique sur laquelle elle se posait parfois des questions. Elle ne pouvait rien dire pour mettre sa compagne au courant sans aussi le faire pour les deux autres.

Ou bien est-ce que c’était si mal ?

« Tu vas bien ? » Dar se tourna à demi, sa voix basse d’inquiétude.

Quoi quoi quoi quoi… oh. « Je viens juste de me rappeler quelque chose », dit Kerry. « Ce dont nous parlions quand tu étais suspendue tête en bas dans le placard. »

Dar cligna des yeux, prise entre l’étonnement et la notion évidente que Kerry avait perdu l’esprit. Puis son regard bougea légèrement, dépassant Kerry avant de revenir et de se concentrer à nouveau. « Et en quoi c’est différent de cette fois-là ? »

Je t’aime. « Oui. »

« Ah. »  Dar hocha la tête. Elle se tourna vers Meyer. « Vous disiez ? »

« Je disais ceci. » Meyer lui lança un regard bizarre mais continua. « Au final, je veux que ma compagnie passe devant. Vous voulez que votre compagnie passe devant. Nous savons tous que ce marché de navires est une fraude, pas vrai ? »

« Vrai », murmura Kerry, essayant de ne pas regarder Cruickshank.

« Mon frère est au conseil d’administration de l’une des compagnies de croisière les plus grandes sur Terre », dit Meyer. « Alors ce que je suis préparé à mettre sur la table, c’est l’assurance qu’ILS obtiendra ce joli et gros contrat lucratif et juteux que nous savons tous que vous convoitez, et que nous savons tous que c’est le seul gain possible. »

« Et ? » Dar croisa les bras sur sa poitrine.

« Et, ce que vous devez me livrer, c’est que vous attraperez ce drapeau d’arrivée. Est-ce que c’est si difficile ? »

« Alors, laissez-moi vous dire ça directement », dit Kerry. « Vous voulez nous filmer en train de montrer notre système à Quest et de ‘gagner’ le marché. »

« Exactement. »

« Et pour ça, vous garantissez ce gros contrat à ILS ? »

« Exactement. »

« M. Meyer, si nous ‘gagnons’ cet ‘appel d’offres’, nous obtiendrons le contrat de toutes les façons », fit simplement remarquer Kerry. « En fait, même si nous ne faisons rien, nous allons probablement avoir ce contrat parce que le fait est que nous sommes les meilleurs dans ce que nous faisons et tout le monde le sait. »

Meyer la fixa. Dar la poussa doucement du coude, un sourire au coin des lèvres. « Autre chose ? Parce que franchement, c’est le moment de boire une bière », ajouta Kerry. « Et nous en avons fini ici. »

Cruickshank se rapprocha un peu, puis elle s’immobilisa à nouveau.

« Tout le monde ne partage pas votre confiance dans votre compagnie, j’en ai bien peur », dit Meyer. « Comme votre conseil d’administration. Un tien vaut mieux que deux tu l’auras et ils vous abandonneront dans la brousse. Vous voulez voir ? »

« Bien sûr. » Dar sentit une poussée de malaise.

« Pas de problème. » Meyer mit son téléphone sur le bureau et composa un numéro, le son des bips faisant écho doucement dans la pièce. »

***************************************

« Bon Dieu. » Mark s’était arrêté à mi-chemin dans la foule. Il était assez près de l’écran pour entendre les derniers mots prononcés et tout le monde garda le silence, pour entendre ce qui allait arriver.

Il ne traverserait jamais à temps. Il le savait. Bon sang, il ne voulait pas rester là et regarder Dar se faire avoir. Il connaissait assez le conseil pour savoir que si on leur faisait la proposition d’une telle somme, ils jetteraient Dar aux loups.

Il pensait que Dar le savait aussi, bien qu’on ne pouvait pas le deviner à voir son visage.

Merde. Ça craignait un max.

« Qu’est-ce qui se passe ? » Murmura Carlos.

« Du pigeonnage sérieux », lança Mark en retour. « Où est leur cordon de secteur bon sang… j’aimerais les éjecter de… Seigneur, c’est un système UPS protégé ? »

« Ouais. »

« Je présume qu’ils sont plus malins qu’ils en ont l’air », réalisa Mark d’un air maussade. Il pourrait se mettre à crier et déclencher une scène mais il était coincé à ce moment-là, pas sûr de savoir quoi faire. Il ne voulait pas que sa cheffe et amie soit embarrassée sur l’enregistrement mais d’un autre côté, foncer dans la foule ne serait pas non plus génial.

« On peut faire quelque chose ? » Demanda Carlos. « Je sais où sont le courant et les lumières. Ils utilisent l’UPS pour leurs caméras mais cette télévision vient du mur par-là. »

Une étincelle dans les yeux de Mark. « Génial. Viens. »

« La porte du courant, elle est sûrement verrouillée. »

Mark sourit. « Mon pote, c’est la dernière chose dont tu dois t’inquiéter avec moi dans le coin. Vas-y. Fonce. Bouge. » Il poussa Carlos qui se mit à se frayer un chemin en se tortillant à travers l’arrière de la foule.

« Allô ? »

Mark s’arrêta et attrapa Carlos. « Trop tard. »

« Quoi ? »

Lentement, Mark se tourna vers l’écran, reconnaissant la voix qui venait de résonner légèrement dans la pièce.

**********************************

Kerry avait l’impression que tout son estomac était horriblement noué. Elle avait un mauvais sentiment que Meyer les avait trompées et que ça allait maintenant lui donner, à ce salopard, exactement le final qu’il cherchait.

Elles s’étaient laissé piéger. On les avait bernées.

Quels rats ! Quels stupides vauriens de rats castrés !

« Allô ? » Une voix résonna dans le téléphone. « Allô ? »

« Ah, M. McLean », dit Meyer. « Ici Jason Meyer. Vous vous souvenez de moi ? »

« Absolument ! Bien sûr », répondit Alastair. « Je discutais justement de ce que vous m’avez dit avec quelques collègues. En fait. Ils sont plutôt fichument excités. »

Kerry regarda Dar, se demandant comment elle pouvait garder cette expression aussi stoïque alors qu’elle, plus que quiconque, savait ce qui se jouait. Le demi-sourire de sa compagne et l’expression d’impassibilité légère n’avait pas bougé d’un pouce. Dar n’était pas une actrice, pouvait-elle vraiment penser que le conseil la soutiendrait ?

Kerry connaissait le conseil. Certains d’entre eux étaient ok. Elle en aimait même bien certains et Alastair avait une place spéciale dans son cœur parce qu’elle sentait en lui un véritable intérêt pour Dar qui dépassait leur relation d’affaires. Elle soupçonnait que le PDG était sorti de son rôle pour guider Dar quand elle développait ses talents et lui apportait un soutien bienvenu quand les choses allaient mal.

Mais l’argent c’est de l’argent et les affaires sont les affaires. Kerry se rapprocha tellement que leurs épaules firent contact et elle espéra que tout se passe vite.

« C’est bon à entendre. Ecoutez… Je suis vraiment tout proche de conclure ce marché ici mais je suis devant un barrage, peut-être que vous pouvez m’aider là-dessus », dit Meyer. « En fait, je suis sûr que vous le pouvez. »

« Bien sûr », acquiesça Alastair joyeusement. « De quoi avez-vous besoin ? »

Meyer regarda son adversaire et sourit. « Et bien, voici le problème. Nous en avons presque fini ici. Votre équipe a fait un boulot génial et ils ont fini les premiers. Génial ! »

Alastair rit.

« J’ai dit à vos gens ici que tout ce dont j’ai besoin c’est qu’ils me laissent enregistrer ça et le contrat est à vous », continua Meyer. « Et ils m’ont rembarré. »

« Hein ? »

« On dirait bien qu’ils ont fait un marché avec les autres équipes pour ne pas gagner », continua Jason. « Alors ils refusent mon offre. Bon… vous pouvez arranger ça, pas vrai ? »

« Et bien, je suis sûr que je peux, mais… »

« Bon, je n’ai pas de temps à perdre au téléphone ou en réunion. C’est le coucher du soleil. Le marché est fini. Pouvez-vous arranger ça, M. McLean ? Je suis sûr que oui. Donnez-moi votre parole maintenant et je considèrerai ça comme conclu. »

Dar sentit sa gorge s’assécher et elle était contente de ne pas être en train de parler. Alastair penserait qu’elle avait perdu l’esprit, en même temps que son meilleur sens des affaires.

On y était. Elle avait passé la ligne rouge. Dar inspira et souhaita seulement tristement que Kerry ne soit pas là pour en être témoin.

« M. McLean ? Je peux avoir votre promesse ? » Il regarda Dar avec un air de triomphe paisible.

Kerry mit un bras autour de la taille de Dar. Au diable les caméras.

Il y eut un long moment de silence puis la voix d’Alastair s’éleva depuis la connexion crachotante avec une clarté inhabituelle. « Et bien, M. Meyer, non vous ne le pouvez pas. »

Inspirant pour parler, Meyer haleta. « Quoi ? »

Dar pinça les lèvres, juste légèrement.

« J’ai bien peur que je ne puisse pas vous faire cette promesse. » Alastair semblait plein de regret.

« Et pourquoi non bon sang ? »

« Les gens au pouvoir ici ont pris une décision », déclara le PDG d’ILS. « Je la respecte. »

Meyer fixa le téléphone avec une forte incrédulité. « Attendez, vous êtes en train de me dire que je vous offre un marché en or et que vous n’allez pas le saisir parce qu’une idiote ici, qui travaille pour vous, et qui n’a visiblement pas les meilleurs intérêts de votre compagnie en tête, dit autrement ? »

La voix d’Alastair prit une tonalité d’une netteté froide et stupéfiante en un battement de cœur. « Vous savez quoi, monsieur ? Cette idiote est avec moi depuis longtemps. Je ne pourrais jamais lui faire faire quelque chose qu’elle ne veut pas faire, mais vous savez quoi ? C’est toujours pour une fichue bonne raison. »

« Bon, et votre conseil d’administration ? Je suis sûr qu’ils ne pensent pas comme vous », railla Meyer avec désespoir, ses yeux pointés sur Cruickshank.

« Je vous souhaite une très bonne journée, Jason. Désolée que les choses ne se soient pas bien passées », dit Alastair juste avant de raccrocher, envoyant un fort clic sur la ligne.

Un silence précaire s’intalla. Meyer leva les yeux finalement et croisa le regard de Dar.

Celle-ci trouva un sourire qu’elle ne ressentait pas vraiment. Elle le produisit quand même, juste pour voir Meyer grincer des dents en réaction, tandis qu’elle sentait Kerry se détendre contre elle de soulagement.

Le silence dura vu que personne ne semblait sûr de savoir quoi faire ensuite. Puis Dar saisit une faible lueur de lumière qui se réfléchissait de quelque chose qui bougeait dans les énormes lunettes de soleil de Cruickshank et avec un air déterminé, elle se dirigea vers elle.

*************************************

Mark se tenait au milieu de la foule, un sourire sur le visage. Les gens autour de lui bougeaient et les conversations bourdonnaient haut et fort tandis que les cameramen restaient silencieux, maintenant peu sûrs de la marche à suivre.

« C’était… » Carlos hésita. « C’était qui, le grand chef, non ? »

« Ouais. » Mark vit une brèche dans la foule et saisit l’opportunité de commencer à avancer vers la porte du bureau. « Viens. »

« Il a fait quelque chose de bien. » Carlos le suivit.

« Mon pote, tu sais pas à quel point. » Mark passa près de deux hommes grands qui tordaient le cou pour regarder la télévision. Brusquement, l’image s’éteignit, devenant un noir morne et le bavardage monta en réaction. Ils étaient à mi-chemin de la porte du bureau quand elle s’ouvrit brusquement.

« Envoyez-moi une facture pour la foutue caméra ! » Une voix basse s’engouffra dans le hall. « Je paierai les frais postaux jusqu’en enfer, c’est là qu’est votre place ! »

« Roberts ! «  Une voix masculine outrée répondit. « Revenez ! »

« Je vous emmerde ! » Dar sortit, son pas vif s’arrêtant lentement tandis qu’elle repérait la foule qui se retournait pour la fixer. Elle haussa les deux sourcils de surprise. « C’est quoi ça, bon sang ? »

Un des cameramen passa près d’elle et se dirigea vers le bureau. Une autre femme le rejoignit tandis que le groupe près de la télévision commençait à se tourner et à graviter autour de Dar.

Quest apparut de nulle part et fonça dans la foule, se dirigeant également vers Dar et Kerry qui venait d’arriver.

Mark battit tout le monde. Il se fraya un chemin à travers la confusion et vint près de ses cheffes, se plantant entre elles et la multitude bourdonnante. « Salut. » Il hésita, pas vraiment sûr de quoi dire ensuite. « Hum… »

« Salut. » Dar regarda derrière lui. « On était le JT du soir ? »

« Ouais », admit Mark. « J’ai essayé de venir là-dedans vous avertir, mais c’était le zoo ici. »

Dar regarda la foule. « Je vois ça », murmura-t-elle. « On savait que c’était filmé mais… »

« Ouais. »

« Fils de… » Soupira Kerry. « Tu as entendu Alastair ? Je vole vers le Texas pour l’embrasser aussitôt qu’on part d’ici. » Elle écarta une mèche de cheveux blonds de ses yeux. « Je n’ai aucun juron à l’esprit à appliquer à tout ce truc. Seigneur ! »

Quest se fraya un chemin à coups d’épaules vers eux. « Très bien Roberts. »

« Dar ! » Michelle apparut d’on ne sait où. Assez plaisamment, il n’y avait aucun signe de Shari, ce dont Dar était reconnaissante. La dernière chose qu’elle voulait là maintenant, c’était de gérer son ex-amante.

Kerry sembla le ressentir parce qu’elle se rapprocha, entourant le bras de Dar du sien dans un geste inconscient. « C’est surréaliste ! » Elle secoua la tête. « Quels abrutis ! »

Bien sûr, la première chose qu’elle voulait gérer c’était l’actuelle. Dar s’appuya contre Kerry avec reconnaissance, souhaitant avoir un flacon d’aspirine et un litre de lait chocolaté pour l’avaler.

« Ah, Dar… » Graham apparut et le quatrième responsable de l’appel d’offres était juste derrière lui. « C’était plutôt spectaculaire. »

Dar tremblait toujours à l’intérieur. La victoire soudaine l’avait honnêtement surprise et elle se sentait un peu à la dérive à ce moment, ayant besoin de s’ancrer dans un monde qui s’était à moitié tourné vers elle. « Merci », marmonna-t-elle. « « Un tas de conneries qui finit une connerie de projet. »

« Je ne vous le fais pas dire », acquiesça Graham avec ferveur.

« Roberts. » Quest s’avança. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » Il regarda autour de lui. « Qu’est-ce que vous foutez tous là ? Vous avez abandonné ? »

Dar reprit ses esprits. Elle fit signe à Michelle, Graham et Mike de la rejoindre et elle fit face à Quest. « Nous avons fini », annonça-t-elle tranquillement. « Nous avons tous répondu à vos conditions. »

« Non. » Il secoua la tête. « Pas possible. Vous ne pouvez pas. »

« Si », répondit Dar.

« Non », insista l’homme. « Je ne le crois pas. »

« Vous avez raison », dit Graham. « Abandonnés à notre propre équipement, étant donné votre interférence, nous n’aurions pas dû. » Il balança sur ses talons, les mains serrées dans le dos.

« Mon interférence ? » Quest lui lança un regard faussement surpris. « Qu’est-ce que j’ai à voir avec ça ? Je veux juste que mon projet soit fini. »

« Mais heureusement pour nous, nous avions Dar. » Michelle continua la pensée avec désinvolture. « Et entre nous tous, nous avons réussi. Nous avons fini. »

« Vous en êtes sûrs ? » Demanda Quest d’un ton de doute. « Vraiment fini ? Vraiment ? »

« Nous en sommes sûrs », lui dit Michelle avec confiance. « Nous avons tous travaillé ensemble. »

Quest regarda Michelle. « Vous m’avez doublé », accusa-t-il. « Vous avez conclu un marché avec elle ! »

Michelle sourit. « Et bien, oui je l’ai fait », acquiesça-t-elle. « Et vous savez quoi, ça m’a remplie de joie. »

« Vous nous avez doublés ! » Mike montra Quest. « Vous nous avez amenés ici pour finir votre faux contrat et la seule chose que vous vouliez vraiment, c’était une émission merdeuse de télévision ! » Sa voix monta. « Alors croyez-moi bien, monsieur, vous n’aurez pas seulement ma facture pour le projet, vous aurez aussi une facture pour mon temps, celui de mes équipes, mon agacement, les charges de téléphone de ma compagnie et le foutu ticket de parking que les salopards m’ont donné hors de ce foutu bâtiment ! »

Même Dar était impressionnée par le déchaînement. « Hmpf », dit-elle. « Je n’aurais pas dit mieux. »

« Ouais. » Michelle hocha la tête.

« Presque pareil », dit Graham. » Sauf que je n’ai pas eu de ticket de parking. »

« Vous êtes un escroc, monsieur. » Kerry le pointa.

Un léger hululement parvint de l’extérieur. Quest bougea la tête et un sourire pas très sympathique vint sur ses lèvres. « Et bien, on dirait que la vérité… je ne suis pas l’escroc ici », dit-il. » Et vous venez tous de faire une plutôt belle erreur. »

« Je ne vous le fais pas dire », commenta Michelle. « Beaucoup en fait. Vous rencontrer a été la première. »

Etonnamment, Quest rit. Il commença lentement à retourner vers l’entrée arrière du terminal. « Vous vous croyez tous si intelligents. Vous ne savez rien de rien. » Il montra Michelle. « Et vous êtes la plus grande abrutie… mais vous êtes tous des idiots. »

« Nous ne sommes pas des idiots, mon pote ! » Accusa Mike.

« Elle ! » Quest montra Kerry. « Elle l’a dit juste devant vous ! Aucun de vous ne l’a compris ! »

« Hein ? » Kerry regarda Dar. « Qu’est-ce que j’ai dit ? »

Dar était aussi perplexe que tout le monde. « Aucune idée », murmura-t-elle. « Dit quand ? » Demanda-t-elle à voix haute.

« A la réunion ! » Croassa Quest. « Je pensais qu’on était coulé à ce moment-là mais aucun de vous n’a saisi. Pas même vous. » Il regarda Kerry. « Vous aviez foutument raison. Je voulais que ces navires soient préparés et je le voulais gratuitement. Et vous l’avez tous fait ! »

« La réunion ? » Dit Kerry. « Au bureau ? »

« Qu’est-ce que vous voulez dire par nous… de quoi parlez-vous, Quest ? Vous étiez dedans avec les gens de la télévision ! Il n’a jamais été question des navires ! » Cria Michelle de frustration. « Vous me l’avez dit ! »

Il atteignit la porte arrière juste au moment où une corne de bateau résonnait dehors à nouveau. « j’ai menti ! » Il se mit à rire. « Et tous vous avez perdu beaucoup de temps. » Il les montra du doigt. « Idiots ! »

« Absolument pas », dit Dar. « Vous allez recevoir une facture, mon pote. Croyez-moi. » Elle prit le chemin de la porte arrière, Kerry sur ses talons.

« Quatre factures », confirma Michelle. « Et peut-être une poursuite en justice pour votre petite fraude. »

Quest sourit à nouveau. « Ce n’était pas une fraude », leur dit-il. « Le contrat était réel. » Il jeta un coup d’œil derrière lui puis se retourna, savourant visiblement l’instant. « J’ai eu exactement ce que je voulais. »

« Ces navires ne prendront plus jamais de passagers », dit Dar. « Ne me dites pas le contraire. J’ai vu ces moteurs. »

« Pas en tant que navires non », acquiesça Quest. « Mais ils ne seront pas des bateaux de croisière. Ils vont être des hôtels. » Il ouvrit la porte. « En Europe. Hasta la vista, mes petits amis. Ma prochaine étape c’est Barcelone et vous pouvez me coller aux fesses autant de paperasse que vous voulez. »

Il sortit et ferma la porte brusquement puis il se rua vers le navire.

« Qu’est-ce que… hé ! » Dar traversa rapidement  le sol moquetté, suivie par les autres. « Quest ! ! ! »

Ils atteignirent la porte arrière juste à temps pour voir Quest sauter à bord, en utilisant une planche étroite qui avait pris la place de la passerelle de montée. Les cordages qui reliaient le navire au dock étaient déjà retirés et ils pouvaient entendre les moteurs gémir tandis qu’ils accéléraient.

« Vous pensiez me baiser ! » Cria l’homme. « Vous m’avez donné exactement ce que je voulais ! Merci ! Merci ! Connards ! » Il leur lança l’insulte et puis s’évanouit dans l’obscurité de l’endroit.

« Quest ! » Michelle cria à pleins poumons. « Revenez ici ! »

Un membre d’équipage retira la planche et s’écarta de l’espace d’entrée tandis que le navire reculait, se repoussant du ponton avec un crissement grondant de ses vieux os. L’homme leva la main et lui fit un signe paresseux, puis il disparut tandis que la porte se fermait à grand bruit, se scellant avec un claquement métallique audible depuis l’endroit où ils se trouvaient.

Choqués, ils regardèrent le navire s’éloigner, incapables de faire autre chose que de le fixer.

D’un air coquin, le navire lâcha un son de corne à nouveau, dans un genre ‘réponds à ça’, tandis qu’il s’éloignait lentement du Cut vers la pleine mer. L’eau faisait de doux clapotis contre la coque et une brise s’était élevée, remuant un drapeau américain usé qui avait été monté sur le mât du navire sur lequel Dar et Kerry avaient travaillé.

« Fils. De. Pute. » Michelle épela les mots avec soin.

Dar mit les mains sur ses hanches, vraiment perdue. Elle tourna la tête et regarda Kerry qui la regardait à son tour avec une expression complètement ébahie. « Il nous a eus », dit-elle, simplement.

« Il nous a eus » répéta Kerry. « Bon sang de Dieu. »

« Ça aussi. » Dar se couvrit les yeux, secouant la tête d’incrédulité.

« Des hôtels flottants ? » Dit Kerry. « C’est pour ça que les espaces publics ont été réparés… »

« Et pas les moteurs. » Dar regarda quand l’autre porte s’ouvrit bruyamment et que Meyer apparut avec Cruickshank sur ses talons. Ils lui lancèrent un regard noir mais le chaos les distrait et ils se concentrèrent sur le reste de la foule plutôt.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » Demanda Meyer brusquement. « Qu’est-ce qui se passe ? »

« Qu’est-ce qu’on a raté ? » Ajouta Cruickshank. « Où vont-ils ? C’est  une nouvelle blague ? C’est quoi le marché ? »

Ils se regardèrent tous. Kerry s’éclaircit la voix. « Vous avez raté votre final parfait », leur dit-elle.

« Quoi ? » Cria Meyer. « Quel final ? Quoi ? Où ? Il virevolta et regarda autour de lui. « Qu’est-ce qui se passe bon sang ? ? Vous voulez dire qu’il nous a trompés ? Quel salopard ! »

« Ironiquement, votre nom c’est la Chaîne du Voyage », marmonna Kerry entre ses dents, trouvant quelque part l’humour dans la situation. Un mouvement attira son attention et elle repéra Andrew qui venait vers eux depuis le ponton, ses mains dans ses poches de jean et une expression perplexe sur son visage cicatrisé.

Savait-il ? Se demanda Kerry. Elle espéra que non. La misère aimait la compagnie après tout, pas vrai ? 

Michelle soupira fortement. « Que je sois damnée si je l’ai vu venir », dit-elle finalement. « Je n’ai jamais pensé que je me trouverais dans une situation qui colle à ce vieil adage, mais ça, ça ne colle pas, bon sang. »

Dar regarda les navires qui s’éloignaient, encore choquée. « Oooh ook », acquiesça-t-elle désabusée. « Ook, ook, ook. »

**************************************

Kerry sortit du terminal et attendit au bord des marches que Dar la rejoigne. Elles étaient baignées du crépuscule et la lumière crue de la journée avait laissé la place à un pourpre placide et à une température presque confortable.

Presque.

Les autres concurrents étaient sortis avant elle et avaient rejoint leurs voitures. Ils se dirigeaient vers Snappers, dans Bayside pour s’asseoir et parler de tout ça, mais elle était contente d’avoir quelques minutes ici pour essayer d’éclaircir son esprit et réfléchir à ce qu’elles avaient déjà traversé aujourd’hui.

Une folie risible, voilà ce que c’était. Kerry se massa la nuque qui battait d’une douleur agaçante et elle souhaita s’être souvenue de mettre de l’aspirine dans la boite à gants. Peut-être que Dar en avait… « Oh. Te voilà. »

« Me voilà », acquiesça Dar en mettant une main sur le dos de Kerry. « Viens. Allons-y. J’ai besoin d’une boisson forte. »

« Je pense qu’on en a tous besoin. » Kerry commença à descendre les marches avec elle. « Tu n’aurais pas de l’aspirine, si ? »

« Dans la voiture, oui », dit Dar. « Papa va nous rejoindre devant et se joindre à nous », ajouta-t-elle. « Je pense que je lui dois une bière, parmi d’autres choses. » Elle se mordilla l’intérieur de la lèvre, tombant dans un silence pensif tandis qu’elles traversaient le tarmac vers leur voiture.

Kerry fut contente de se glisser dans le siège en cuir de la Lexus et elle s’adossa, la chaleur résiduelle du soleil lui chauffant les omoplates et lui offrant une sorte de soulagement. « Ouille. »

« Tu vas bien ? » Demanda Dar tandis qu’elle tournait la clé et démarrait le moteur.

« Fatiguée », admit Kerry. « Lessivée. »

« Moi aussi », dit Dar. « J’aimerais juste rentrer à la maison. »

Kerry posa la main sur la cuisse de Dar, massant légèrement de son pouce la surface rugueuse. « Moi aussi », dit-elle en écho. » Dieu merci c’est vendredi. »

« Après tout ce qu’on a traversé, ça aurait été vendredi peu importe le jour. » Dar quitta la place de parking et se dirigea vers le bâtiment du quai, où Andrew se tenait à les attendre. « J’ai tellement envie de quelques jours de congés. » Elle jeta un coup d’œil à Kerry. « Tu as quelque chose en tête pour demain ? »

« Toi et moi dans le lit à vagues toute la journée, nues », dit Kerry tandis qu’elles se garaient et qu’Andrew ouvrait la portière arrière. « Ça te va ? »

Dar réussit à produire un sourire désinvolte. « Je te mets au défi de le redire », dit-elle d’une voix trainante tandis qu’Andy refermait la portière et s’installait dans le siège arrière.

Kerry papillonna de ses cils clairs d’un air fatigué. « Moi ? »

Dar s’éclaircit la voix. « Salut, Papa. »

« S’lut Dar », répondit Andy d’un ton aimable. « Foutue fin à tout ce bazar. »

Dar ricana. « Tu savais qu’ils allaient faire ça ? Se barrer ? »

« Ben. » Andy remua, s’étirant de tout son long sur le siège arrière et s’appuyant contre la portière. « Je savais qu’ils réparaient pour partir, on peut pas rater des diesels qui démarrent. Mais tu as dit qu’ils partaient autour du coucher du soleil de toutes les façons, alors je me suis dis que c’était ça. »

« « Ils nous ont joué un tour de salauds. » Kerry se tourna à demi et le regarda par-dessus le repose-tête.

« Ouais. » L’ex-marine lui lança un regard désabusé. « J’ai pas vu celui-là arriver », admit-il. « J’me suis dit que c’était comme vous avez dit, avec les gens de la télévision. Je dois leur donner un crédit de marin, ils ont bien gardé leurs écoutilles fermées. »

« Peut-être qu’ils ne savaient pas », suggéra Kerry. « Pas les gradés, je veux dire, mais les petites abeilles. Ceux à qui j’ai parlé semblaient être plutôt perplexes quant à ce qui se passait. »

« Ouais, c’est possible », acquiesça Andy. « La Marine était comme ça. Tu sais pas, tu demandes pas, tu dis rien, tu mets pas ton cul dans le chemin. »

Dar rit. « Tu as toujours su ce qui se passait », désapprouva-t-elle.

« Ben, j’avais un singe avec les yeux dans leurs machines, pas vrai ? » Andy tendit la main et ébouriffa les cheveux de Dar. « Mais c’est sûr que je sais quelque chose dans cette situation que vous savez pas. »

« C’est quoi, Papa ? » Kerry le regarda avec curiosité. « Au sujet du navire, tu veux dire ? »

Dar se concentra en arrivant sur le pont qui les emmènerait à Bayside. Elle était fatiguée et elle savait que ses réflexes souffraient à cause de ça, mais heureusement le trafic était léger et elle passa sur la voie de gauche facilement.

« Au sujet de ce navire » Andrew semblait étonnamment narquois. « Ils sont partis avec le nombre de gens qu’ils attendaient, mais il y a quelqu’un qui va leur manquer et quelqu’un qui leur manquera sûrement pas. »

« Hein ? »

Dar regarda dans le rétro. « De quoi tu parles, Papa ? »

« J’ai livré ce petit gars des moteurs à la police », dit Andy. « Il m’a raconté ce qu’il a fait à une dame qu’il a rencontrée. Tu avais raison, kumquat. »

Les yeux de Kerry s’éclairèrent. « Ah oui ? » Elle soupira. « Ouaouh… bon sang, je me sens bien mieux maintenant. Je pensais qu’il s’était échappé… pourquoi il est revenu ? »

« Un mec du navire. » Andy haussa les épaules. « Bref, ils vont pas apprécier d’embarquer cette vieille outre pleine de vent dont vous vous fichez à sa place, je vous le dis. »

Dar faillit freiner au milieu de la voie. « QUOI ? »

Kerry se mit sur les genoux et attrapa le siège, les yeux écarquillés vers son beau-père. « Shari est montée sur ce navire ? ? ? » Couina-t-elle. « Tu te moques de moi ? »

Andy sourit, ses yeux bleus brillant vers elle. « J’pense pas qu’elle avait prévu ça, exactement », lâcha-t-il. « Elle se préparait à vous faire encore plus d’ennuis à tous, et je voyais pas l’intérêt de l’ennuyer en lui disant que le navire partait. »

Dar se claqua la tête d’une main. « Oh mon Dieu. » Elle rit, impuissante, passant dans la bretelle de Bayside presqu’à la dernière minute. « Papa, ils vont traverser l’océan. »

« Je m’en rends compte, Dardar », acquiesça son père. « Cette femme avait toujours l’air d’avoir besoin de repos. Tous ces beuglements et agitation. »

« Hé. » Kerry se retourna et s’assit, un grand sourire sur le visage. « Au diable avec Quest ! Ça, ça illumine ma journée. Elle gloussa. « J’espère qu’elle finira avec des biscuits et de l’eau à balayer les ponts pour payer son ticket. » Elle remua dans son siège, faisant une petite danse sur une musique silencieuse.

Dar se contenta de rire, secouant la tête tandis qu’elle se garait près des escaliers. « Tu sais ce que je veux savoir ? » Demanda-t-elle en sortant de la voiture. « Laquelle de nous deux va le dire à Michelle. »

Kerry ricana d’une manière désinhibée. Elle alla à l’arrière de la Lexus et fit un geste du bras, hochant la tête quand Dar ouvrit le coffre pour elle. Elle se pencha et prit la mallette de Dar, ouvrit le dessus et fouilla dedans pour attraper le flacon d’aspirine que Dar gardait là habituellement.

Son esprit voguait sur les nouvelles d’Andrew cependant. Elle imagina Shari se découvrant coincée à bord et jurant abondamment. Elle imagina le capitaine qui l’ignorait… non, pire. Elle imagina le capitaine l’enfermant hors de la salle de contrôle et laissant le reste de l’équipage se moquer d’elle.

C’était une image très satisfaisante. Elle se demanda si Shari allait geindre tout le long jusqu’à Barcelone. « Hé, Dar ? »

« Hm ? » Dar s’appuya contre le coffre près d’elle. « Tu ne trouves pas ? »

« Si, je l’ai. » Kerry sortit le flacon et l’ouvrit, secouant pour faire tomber quelques cachets et les mit dans sa poche avant de remettre le flacon en place. Elle referma le coffre et ils se mirent en marche vers le centre commercial.

« Maintenant on dîne », répondit Dar promptement. « Du poisson ça te va, Papa ? »

« Tant qu’il est cuisiné, Dardar. »

« Ce n’est pas exactement ce que je voulais », objecta Kerry. « Mais je présume que ça ira pour le moment. »

Dar monta vite les quelques marches et ils entrèrent dans le centre, se frayant un chemin parmi les vendeurs de presse du vendredi soir. Elle savait qu’elle n’avait pas répondu à la question de Kerry, mais elle savait aussi qu’elle n’avait pas de réponse intelligente, alors elle fut contente que sa compagne accepte qu’elle reporte sa réponse.

Et maintenant ? Qui savait ? Ce n’est pas comme s’il y avait une section dans les business plans qu’elle avait conçus qui recouvrait la situation qu’ils venaient de traverser. Elles trouveraient quelque chose, supposa-t-elle, tout comme elle supposait qu’elle passerait du temps la semaine suivante, à expliquer à Alastair exactement ce qui s’était passé.

En même temps que tout le reste qu’elle devait expliquer. Dar mit la pensée sombre de côté et entoura l’épaule de Kerry de son bras tandis qu’ils entraient dans le magasin extérieur et repéraient les autres.

Le bord de l’eau, avec une légère brise, était raisonnablement supportable. Ils prirent un siège à la grande table avec les autres et pendant un long moment, tout le monde s’observa.

Un serveur apparut et fixa les nouveaux venus d’un air interrogateur. « Une bière à la pression, n’importe laquelle. » Kerry fit un geste circulaire de sa main pour montrer tout le monde. « Et j’aimerais un verre d’eau aussi, s’il vous plait. »

« Bien sûr. » L’homme disparut.

« Merci, Ker. » Dar étendit ses jambes sous la table et croisa les mains sur son estomac.

« Je me disais que tu garderais le lait pour le dessert », répondit Kerry et elle tourna son attention sur le reste de la tablée. « Bon. On y est. »

« On y est », acquiesça Graham et il jeta un coup d’œil autour de lui. « Enfin, la plupart d’entre nous », ajouta-t-il. « Où est votre partenaire grossière ? » Demanda-t-il à Michelle.

Celle-ci haussa les épaules. « Je n’en ai aucune idée », répondit-elle sèchement. « Je ne l’ai pas vue depuis que le cirque a démarré avec ces deux-là. » Elle fit un mouvement de la tête vers Dar et Kerry.

« Et ben, c’est pas une perte », dit Mike, d’un ton neutre.

Andrew s’éclaircit la voix.

« Désolé, mais c’est vrai. » Mike comprit mal le son. « Je sais que ce n’est pas très correct de dire ça mais si cette sorcière s’était noyée dans le canal, j’applaudirais. Quelle connasse. »

Michelle pinça les lèvres et ses ongles se cognèrent quand elle mit ses mains en prière contre son menton. « Et bien nous sommes tous des connards à un moment ou un autre », dit-elle, diplomatiquement. « Et nous faisons les choses différemment. »

Curieusement, Kerry sentit qu’elle souriait quand elle entendit Michelle le dire et elle fut plaisamment surprise quand la femme rousse refusa de céder à la majorité et se joignit à la volée de coups. Cela demandait du caractère que franchement, elle ne pensait pas que Michelle avait.

Et c’était vrai en fait. Ils pouvaient tous être des connards quand ils le voulaient, inclus elle-même. Elle débattit sur le fait de dire à Michelle où était Shari, puis se dit que ça pouvait attendre. Michelle ne semblait pas très inquiète non plus.

Très différente de comment elle-même aurait agi dans les mêmes circonstances, c’est sûr. « Et bien, on se dit qu’ils doivent aborder quelque part. » Kerry mena la conversation vers quelque chose de plus productif. « Peut-être que notre bureau international peut les tracer. »

« Est-ce que ça en vaut la peine ? » Demanda Graham. « Je sais qu’il y a beaucoup d’argent en jeu mais pour être honnête, Kerry, je ne sais pas si ça vaut la peine de récupérer les frais. Je pourrais inscrire ce marché comme une affaire qui a mal tourné. Ça ne va pas réjouir mes chefs mais… que faire ? »

« Vous voulez dire, juste les laisser s’en tirer ? » Demanda Kerry, un air un peu étonné sur le visage.

Graham haussa les épaules.

« Tout le monde ne peut pas se le permettre », dit Michelle.

« Est-ce qu’aucun de nous peut se le permettre ? » Ajouta Mike soudain. » Je ne veux pas dire financièrement, non plus. »

Tout le monde réfléchit et puis, comme d’un commun accord, ils se tournèrent et regardèrent Dar, qui s’amusait en pliant sa serviette pour en faire un lapin.

Sentant l’arrêt de la conversation, Dar leva les yeux, ses mains s’arrêtant à mi-chemin. « Quoi ?» Demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

« C’est quoi votre plan, la gagneuse ? » Demanda Mike. « Comment allez-vous sortir le lapin de votre chapeau cette fois-ci ? »

Dar regarda son lapin serviette puis elle se contenta de hausser les épaules. « Peut-être que je ne vais pas le faire. » Elle tira un coin du tissu et le lapin disparut, redevenant un simple objet plat. « Peut-être que cette fois on a perdu. » Elle leva les yeux quand le serveur approcha et elle accepta une chope de bière glacée.

Après une gorgée, elle eut un autre haussement d’épaules pour la tablée silencieuse et ne dit rien de plus.

***********************************

Ah. De l’air frais, pas de sueur, une douche récente, des vêtements propres.

Etre à la maison, c’était comme faire un petit voyage vers le Paradis. Dar étendit les bras sur la surface du lit à vagues et se contenta d’absorber le silence béni, brisé seulement par le reniflement d’un nez de Labrador et le chantonnement doux de Kerry depuis la cuisine.

« Hé, chou ? » Cria Kerry.

« Hung ? » Dar ne put produire qu’un grognement en retour.

« Du chocolat chaud ou une crème glacée ? » Répondit Kerry de bien plus près.

« Oui », répondit Dar, les yeux toujours fermés.

Avec un léger rire, Kerry s’approcha et s’assit près d’elle, faisant remuer le lit. Elle passa les doigts dans les cheveux de Dar, ébouriffant les mèches noires et les lissant en arrière pour dégager le front de sa compagne. Il y avait une ride là et elle passa le pouce dessus, le mouvement faisant battre les longs cils noirs tandis que deux yeux bleu clair s’ouvraient et l’étudiaient. « Fatiguée ? »

« Très », admit Dar. « Et toi ? »

« Oooohhh. » Kerry réussit à produire un sourire. « Je suis juste contente d’être à la maison. »

La maison. Dar sourit en retour. « Je suis contente d’être seule avec toi. »

« Sentimentale. »

« Toi aussi, geek. » Kerry se mit à rire. « Ahghr. » Elle roula et mit la tête sur l’estomac de Dar, regardant le plafond à travers ses yeux à demi fermés. « J’ai mis du chocolat à chauffer et la glace est dans le frigo et attend sa cuillère. »

Dar renifla. « Je le sens. » Elle posa un bras sur l’estomac de Kerry. « Je pense que j’aurais préféré dîner avec l’équipe. »

Kerry couvrit la main de Dar de la sienne et entrelaça leurs doigts. « Je pense que j’aurais préféré dîner juste avec toi », dit-elle. « Je suis tellement lessivée, Dar… c’est comme si mon cerveau faisait des vrilles là-dedans. »

L’expression de Dar s’adoucit et elle tourna la tête pour étudier la jeune femme blonde près d’elle. « Comment va ton crâne ? »

« Toujours douloureux », admit Kerry. « Ou peut-être qu’il recommence à faire mal, je pense que ça a été pendant un petit moment. »

« Je pense que je devrais t’apporter le chocolat chaud plutôt que le contraire. » Dar était contente de trouver quelque chose pour distraire ses pensées de l’appel d’offres, même si ce quelque chose était l’inconfort de sa compagne bien-aimée. « Tu veux que je masse ta nuque ? »

Kerry ne chercha pas à le dissimuler. Elle roula et soupira béatement tandis que les mains puissantes de Dar commençaient à travailler les points de ses épaules et descendaient sur la nuque. Elle pouvait sentir la chaleur de la peau de Dar sous son tee-shirt fin et entendre le battement régulier de son cœur, et tout d’un coup elle eut envie de pleurer.

« Ker ? »

« Ungh ? »

« Ça va ? »

Kerry déglutit. « Je suis juste fatiguée », marmonna-t-elle. « Ces deux dernières semaines ont été frustrantes. »

Dar comprit exactement ce qu’elle voulait dire. Au lieu de continuer à masser sa nuque, elle souleva Kerry et l’enlaça. « Fichtrement frustrantes. Mais je suis égoïstement contente que tu y étais avec moi. »

Là, Kerry se mit à pleurer pour une toute autre raison. Ou peut-être que c’était la même raison, c’était difficile à dire. Ce fut un soulagement et allégea son esprit, tandis qu’elle rendait son étreinte à Dar et que toutes les deux se mirent à rire, là au milieu du lit.

Finalement Kerry renifla. « Je suis contente aussi », dit-elle.

Dar soupira, le bord externe de son pouce traçant paresseusement l’oreille de Kerry. « Je pense que je vais nous donner une semaine ou deux de congés. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« On peut faire ça ? » Demanda Kerry après un moment.

« Je m’en fiche. Je vais le faire », répondit Dar. « J’ai besoin de temps pour moi. »

Kerry pencha un peu la tête de telle sorte qu’elle pouvait voir le profil de sa compagne. La faible lumière de la chambre à coucher ne montrait pas grand-chose, mais elle se rendit compte que Dar avait probablement l’air aussi fatiguée qu’elle-même le ressentait. Si cela avait été stressant pour elle, qu’est-ce que ça voulait dire pour Dar qui avait dû gérer tout le stress émotionnel en même temps que cette affaire ?

« Ça me parait bien. » Kerry lui fit une petite pression. « J’en suis… en fait, et si on allait au chalet ? »

« Mm. » Dar grogna son approbation.

Elles gardèrent le silence un petit moment, communiquant avec de doux touchers et des câlins. Parfois, Kerry avait remarqué, ça marchait mieux avec Dar et elle sentit la tension dans sa compagne diminuer tandis qu’elle tapait sa main et déposait quelques baisers sur le dos de celle-ci.

L’amour était utile pour beaucoup de choses qu’on ne pouvait traiter avec des médicaments ou autre assistance chimique, décida-t-elle. C’était gratuit et sain et on ne finissait pas à la une de l’Enquirer à cause de ça.

Kerry réfléchit brièvement puis elle sourit. Et bien, peut-être que si, mais seulement si on était célèbre.

« Je vais devoir appeler Alastair lundi », fit remarquer Dar.

« Je vais lui envoyer un panier garni lundi », dit Kerry. « C’est quoi déjà sa marque de whisky préférée ? » Demanda-t-elle. « Parce que tu sais quoi, ça aurait été facile pour lui de promettre le monde à Meyer. Il n’aurait même pas eu besoin de te mentionner pour ça… il aurait juste eu à dire qu’il s’en occupait. Mais il ne l’a pas fait. »

« Il ne l’a pas fait », approuva Dar. « Il m’a fait confiance. »

« Ouaip. »

Dar soupira. « Et je ne le méritais pas cette fois. »

Kerry leva les yeux au ciel. « Oh, arrête tes conneries, Dar. »

Un haussement d’épaules. « Chérie, je ne le méritais pas », dit Dar. « Il me fait confiance parce qu’il a eu de bonnes raisons auparavant. Cette fois-ci, il n’en avait pas et je le sais et tu le sais. J’ai explosé la compagnie, j’étais en train d’exploser mon job et la seule raison pour laquelle nous étions en avant à ce moment-là, c’était de la chance pure et stupide. »

Kerry se tortilla pour mettre sa tête au niveau de celle de Dar, mais elle garda son étreinte autour du corps de sa compagne. « Tu y crois vraiment ? »

« Humhum. » Dar hocha la tête. « Tu le devrais aussi parce que ça aurait pu tourner au bazar intégral que tu aurais dû nettoyer. »

« Tu penses que ça m’aurait gênée ? »

Dar tourna la tête et regarda Kerry. Un haussement de sourcil. « Tu devrais fichement l’être. »

« Et bien non. »

Le comportement joyeux de Kerry surprit beaucoup Dar, surtout si elle se souvenait de leur conversation dans le bus Disney il n’y a pas si longtemps, quand Kerry s’était inquiétée d’abandonner ses responsabilités professionnelles pour un jour d’amusement.

Qu’est-ce qui avait changé ? « Il me semble à moi », commenta Dar, décidant de deviner pourquoi. « Je me souviens avoir été sermonnée pour avoir joué dans un parc d’attractions au lieu de travailler, il n’y a pas si longtemps. »

Le visage expressif de Kerry se plissa dans une expression ironique. « Tu m’as eue », admit-elle. « Mais c’était il y a bien longtemps. »

« Deux semaines ! »

« Ce projet a duré une semi éternité. Beaucoup de choses peuvent changer en une semi éternité », protesta Kerry. « J’ai une perspective totalement différente, Dar. Je suis passée par-dessus. Je suis passée par-dessus moi, peut-être », finit-elle d’un ton plus doux. « Tellement de gens m’ont demandé ce que je fichais à courir sur le quai en tirant un câble… peut-être que je me suis aussi posé la question. »

« Hm. » Dar fit un petit son pensif.

« Je pense que nous avons besoin de congés toutes les deux, pour pouvoir trouver à nouveau quels sont nos rôles », conclut Kerry tranquillement. « Peut-être les réécrire pour qu’ils aient plus de sens. »

« Hm. » Dar répéta son bruit pensif, finissant cette fois sur une note un peu plus aigue qui signifiait qu’elle approuvait.

« Ils n’avaient pas beaucoup de sens ces dernières semaines. »

« Heu heu », acquiesça Dar. « Tu as raison. » Elle tendit la main pour écarter doucement une mèche des cheveux clairs de Kerry qui lui couvrait un œil. La peau autour se plissa tandis que Kerry souriait et Dar continua en traçant ses lèvres du bout de son doigt. « Ils n’avaient pas beaucoup de sens. »

« Mais nous avons du sens », murmura Kerry, attrapant le doigt de Dar entre ses dents puis le relâchant. « Alors on va y travailler, pas vrai ? »

Dar se pencha et l’embrassa.

Kerry prit ceci pour un oui et rendit le geste, le faisant durer avec plaisir. Elle prit une inspiration et sentit son corps se presser contre celui de Dar tandis que sa compagne faisait de même. Son mal de crâne commença à diminuer tandis qu’elles étaient là, entrelacées dans les bras l’une de l’autre et elle nicha sa tête sur l’épaule de Dar et se contenta d’absorber le moment.

Dar lui caressa le visage et ce fut comme de boire quelque chose de chaud un jour froid, un sentiment de chaleur interne qui démarra et se propagea en elle, effaçant les lambeaux restants de la journée qui s’accrochaient toujours à elle. « Mm. »

« Mm. » Dar fit écho.

« Les journées peuvent être aussi pénibles qu‘elles le veulent tant qu’elles finissent comme ça. » Kerry se pencha et pressa ses lèvres contre la joue de Dar. « C’est la seule chose que nous avions et pas les autres, tu sais ? »

Dar sourit et hocha la tête. « Oui oui. »

« Ça et ta sublime façon de parler », la blagua Kerry. « Je ne sais pas ce que je ferais sans ça. »

Dar fit la moue, battit de ses cils noirs et eut une expression faussement blessée.

« Encore moins ce que je ferais sans toi. » Un regard vert tendre sur elle tandis qu’un sourire passait sur les lèvres de Kerry. Elle passa son pouce sur la moue qui se dissout en un doux sourire en retour. « Seigneur, ce que je t’aime. »

Dar laissa son front reposer sur sa compagne tandis qu’elle réfélchissait à l’ironie de sa vie. Puis elle pencha la tête légèrement et se permit un long baiser, roulant un peu sur le dos en entrainant Kerry avec elle jusqu’à ce qu’elles finissent nez à nez l’une sur l’autre.

L’avantage des lits à vagues sur les autres pour ce genre de chose. Kerry était étalée sur elle et c’était tout simplement confortable, au lieu d’être à moitié suffocant. « Je t’aime aussi », dit Dar, levant la tête pour attraper le nez de Kerry de ses lèvres.

« Mm. » Ce fut le tour de Kerry de sombrer dans la non verbalisation.

Dar s’éclaircit doucement la gorge. « Tu sais ce que je viens de réaliser ? »

« Quoi ? » Demanda Kerry.

« On a perdu la trace de la journaliste du Herald. »

Kerry se mordit la lèvre inférieure, son front se contractant légèrement. « Ah oui ? Oh… oui je sais. » Elle glissa une main sous le maillot de Dar. « Je l’ai cherchée quand on est allées au bureau, mais elle n’était nulle part. Tu penses qu’elle est partie ? Je ne l’ai pas vue après non plus. »

Dar mit le nez sur l’oreille proche de Kerry, mordillant le lobe avant de répondre. « Peut-être qu’on le découvrira en lisant la page Affaires lundi », murmura-t-elle dans l’oreille de Kerry.

« Si elle est partie avant les navires, on ferait mieux de l’appeler et de nous assurer qu’elle ne passe pas pour une idiote », murmura Kerry en retour.

« On finirait probablement par avoir le beau rôle si on ne le fait pas. »

« Jusqu’à ce qu’elle doive se rétracter sur l’histoire. » Kerry fit un petit baiser sonore sur la hanche de sa compagne. « Méchante Dar. »

Un rire bas de gorge fit vibrer son oreille.

« Allons. Allons chercher nos friandises », dit Kerry. « On ne peut pas s’inquiéter pour les journalistes du Herald maintenant. » Elle fit un rapide baiser à Dar et roula hors du lit, entrainant Dar avec elle. « Il y a de la glace qui attend et beaucoup de conneries à oublier. »

Dar la suivit obligeamment, plus que prête à balancer le passé récent par la baie vitrée et ne pas regarder en arrière.

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Conclusion partie 33.

4 avril 2024

Pas de poisson, mais une MAJ !

mar

La Noirceur du matin, chapitre 24. La fin approche ... Merci à Emma pour la traduction et Fryda pour la relecture !

Kaktus

 

PS: le blog n'est pas encore totalement au top, il manque les catégories, je suis sur le coup !

4 avril 2024

La noirceur du matin chapitre 24

La noirceur du matin – Tome 14  – Melissa Good

 

Xena et Gabrielle se sont installées à Amphipolis et profitent de leur nouvelle fille, Doriana.

Mais est-ce bien le cas ? La vie est, comme Gabrielle le sait bien, une série de compromis. Pour obtenir une chose, il faut souvent renoncer à une autre.

 

Chapitre 24

La lumière du soleil déclinait lentement, glissant sur l'herbe de la rivière, avant de se répandre le long des remparts et de mettre doucement en valeur la forme haute et sombre qui se tenait à leur sommet. Les oiseaux ne chantaient plus, le camp derrière elle bruissait du bruit des cliquetis provenant du réfectoire, et Xena s'accorda un moment de réflexion face à ce qui allait bientôt arriver.

Elle pouvait clairement voir la ligne des troupes adverses maintenant. Une ligne noire qui s'étendait sur la plaine, des reflets d'acier et des éclairs de couleur provenant des bannières visibles à sa vue perçante. En respirant profondément, elle pouvait presque les sentir, une combinaison de cuir et d'acier, d'animaux et de musc commune à presque toutes les armées qu'elle avait connues.

Sauf les Amazones, peut-être. Xena sourit ironiquement. Une odeur légèrement différente.

Un bruit de pas attira son attention et elle se retourna pour voir Toris grimper sur les marches pour la rejoindre. Il portait une armure complète, éraflée mais bien entretenue. Il retira son casque et passa un avant-bras boueux sur son front, y étalant de la sueur teintée de brun. "Eh bien, je pense que nous sommes prêts."

"J'en doute. Personne n'est jamais vraiment prêt pour la guerre." lui répondit Xena en croisant les bras. "Mais ce n'est pas grave." Elle sentit une bonne odeur de cuisson en bas, et son estomac lui rappela qu'il s'était écoulé beaucoup de temps depuis le déjeuner.

Ou était-ce le petit déjeuner ? Xena secoua la tête et se demanda comment Gabrielle s'en sortait... espérant que son âme sœur était bien au chaud dans le camp secondaire. Elle ressentait une vague appréhension de la part de la barde, mais c'était déjà le cas depuis un certain temps, et Xena se doutait qu'il en serait ainsi jusqu'à la fin de la guerre.

"Hé, Xena ?" hésita Toris sans oser la regarder. Il finit par se percher sur le bord du mur pour se donner une contenance.

"Oui ?"

" Il y a... " Son frère avait clairement l'air mal à l'aise. "Il y a quelque chose dont je voulais te parler, mais... je..." Il s'arrêta, réfléchissant à la suite. "Je sais que c'est un moment bizarre, mais, tu sais... des choses pourraient arriver et..."

Xena s'assit sur le mur et replia un pied botté sur son genou, avant de croiser les bras. "Qu'est-ce qu'il y a ?" Avec un peu de chance, c'était son dernier problème, et si elle attendait assez longtemps, Toris lui expliquerait tout et lui faciliterait la tâche.

Il prit une grande inspiration avant de répondre. "C'est à propos de Dori."

C'est bien. "Qu'est-ce qu'il y a avec elle ?"

Toris étudia ses mains. "Je ne sais pas vraiment par où commencer... ni même si je dois le faire." Il prit une inspiration pensive. "Mais ça me pèse."

"Crache le morceau alors." Conseilla sèchement sa sœur. "Mais ne prends pas toute la nuit, Toris. J'ai faim et nous n'avons pas le temps."

Des yeux bleus, identiques aux siens, croisèrent son regard. "Je sais que toi et Gabrielle avez eu des moments difficiles." commença-t-il timidement. "Et je sais que Dori compte beaucoup pour toi."

"Deux vérités incontestables."

Toris acquiesça. "J'étais vraiment... content... quand Gabrielle m'a demandé de... hum... de l'aider, tu sais, Xena ? C'est une personne merveilleuse, et je l'aime beaucoup."

"Oui oui."

"Alors... bref, j'étais heureux de... euh... j'étais heureux d’avoir pu vous aider et je..." Il se tût à nouveau. "J'ai été un peu surpris quand vous êtes revenues et qu'elle était... hum... Je veux dire que je... c'était génial, mais..."

"Mais tu ne pensais pas que ce serait si facile." l’aida Xena. "C'est ça ?"

"Eh bien..." Toris se gratta l'oreille, visiblement très mal à l'aise et embarrassé. "Je veux dire... J'ai grandi ici, Xena... avec des vaches et des moutons et tout, et je sais qu'il suffit d'une fois parfois, mais j'ai... toujours pensé que tu sais... euh... eh bien, j'ai pensé... que l'homme devait… au moins... euh..." Il leva les yeux vers sa sœur d'un air pathétique.

Xena fronça les sourcils un moment, puis elle comprit de quoi il parlait. "Et tu ne l'as pas fait ?" déclara-t-elle.

Il prit une teinte rouge brique. "Je suppose que j'étais nerveux. Je ne sais pas, ou peut-être... " Il s'interrompit un moment. "Mais... je ne vois pas comment ça aurait pu autrement... ou alors… mais..."

"Tu ne penses pas être le père de Dori." déclara Xena.

Toris lui jeta un coup d'oeil. "Tu prends ça beaucoup mieux que je ne le pensais."

Xena se décala un peu. "Eh bien... le fait est que Gabrielle et moi en avons déjà parlé."

Toris écarquilla les yeux de surprise. "Elle te l’a dit ?" Sa voix s'éleva en un grincement.

Sa sœur le regarda. "La veille de notre départ, elle était sur le point de commencer son cycle." lui répondit Xena. "Les chances que tu sois le père étaient de toute façon assez minces."

Ils restèrent tous deux silencieux pendant un moment, alors que le vent faisant claquer la bannière noire et or du faucon au-dessus de leur tête de façon irrégulière. "Oh." finit par dire Toris. "Je suis désolé... il y avait..." Il regarda les traits calmes de Xena. "Je suppose que ce ne sont pas mes affaires." conclut-il doucement.

Xena regarda la plaine, reconnaissant qu'il avait raison. Ce n'était vraiment pas ses affaires. Cependant. "Il n'y a pas eu d'autre homme." déclara-t-elle.

"Oh." s’exclama Toris à nouveau, l'air profondément perplexe.

Ils se regardèrent en silence. "Alors...hum..." Il finit par répondre. "Comment... euh... tu dis que c'était..." Il pointa un doigt vers elle en guise de question. "C'est un peu exagéré, Xena, non ?"

Xena haussa les épaules. "A toi de me le dire." répondit-elle ironiquement. "J'avais deux possibilités. Je pouvais soit croire que Gabrielle m'avait menti et avait eu par hasard des relations avec quelqu'un d’autre qui avait produit un enfant qui me ressemblait physiquement, soit..." La guerrière soupira. "Accepter le fait que d'une manière ou d'une autre... j'ai été impliquée." Elle gratta une boucle d'armure. "Face à ces deux options, j'ai choisi la seconde... "

"Wow." Toris se frotta le visage. "C'est... sacrément étrange, sœurette." Il fit une pause. "Mais, si ça peut t'aider, je pense que tu as choisi la bonne option. Elle est vraiment faite à ton image."

Xena se contenta d'acquiescer.

"Peut-être..." continua Toris. "Peut-être que c'était... une façon, en quelque sorte, pour les Dieux de te rendre... Je veux dire..." Il s'interrompit. " C'était une chose sacrément stupide à dire, je n'ai pas..."

Étonnamment, sa sœur sourit. "Ce n'est pas grave. L'idée m'a déjà traversé l'esprit à l'occasion". admit-elle. "Bien que je la considère généralement comme un cadeau pour nous deux."

"Oh." dit Toris. "Oui... je n'y avais pas pensé." Il esquissa un sourire hésitant. "Félicitations ?"

Xena rit. "Repense à ça quand elle aura grandi." La guerrière se leva et fit un signe de tête en direction du réfectoire. "Allons dîner... Je veux envoyer quelques éclaireurs dès que la nuit sera tombée. "

Elle commença à descendre le long du mur, sautant de plateforme en plateforme, évitant facilement les piles de flèches soigneusement empilées. Toris lui emboîta le pas et tous les deux atteignirent le sol à peu près en même temps, s'écrasant sur le sol boueux dans une grande enjambée.

"Elle ne va pas être de tout repos, ça c'est sûr." commenta Toris. "Je me souviens de toi à cet âge." Il secoua la tête. "Pauvre Amphipolis."

Xena ricana. "Écoutez le parler, Monsieur 'Je ne savais pas qu'il ne fallait pas donner des épices chaudes aux chevaux'".

Toris siffla innocemment.

*******************************************************

Quelque chose sentait les petits pois. Gabrielle s'extirpa lentement de l'obscurité et força un œil à s'ouvrir, avant de cligner des yeux pour éclaircir sa vision. Son dos était de nouveau en feu et tout son corps était glacé, même sous l'épaisse couche de fourrure qui la recouvrait alors qu'elle était étendue sur le ventre.

Ugh.

Une forme robuste de taille moyenne se détourna du brasero de la tente et tourna la tête vers elle. "Eh bien, bonjour".

Gabrielle ne la reconnut pas, mais ce n'était pas surprenant. "Bonjour".

La femme s'approcha et s'accroupit. "Je m'appelle Setha. Je viens de Cirron. Ils m'ont demandé de m'occuper de toi quand tu t'es évanouie."

Oh. C'est ce qui s'est passé ? "Merci." répondit Gabrielle. "Ces derniers jours ont été difficiles." Elle n'avait même pas envie de lever la tête. "Qu'est-ce qui se passe ?" La barde entendait beaucoup de bruits venant de l’extérieur de la tente.

"On range les affaires." lui apprit Setha. "Ils ont préparé une litière pour te transporter." Gabrielle ouvrit la bouche mais fut stoppée lorsque la femme leva une main pour lui faire signe de se taire. "S'il te plaît, ne discute pas... tu es sacrément blessée et malade, et essayer de monter à cheval dans ton état ne fera qu'empirer les choses."

La barde referma la bouche, mais parvint à sourire. "Je sais..." admit-elle. "Je me sens plutôt mal. Quand devons-nous partir ?"

"Hum... probablement dans deux bougies." répondit Setha. "J'espère que tu te sentiras un peu mieux d'ici là. J'ai nettoyé et refait le bandage de la coupure dans ton dos. Mes compliments à ton dernier guérisseur, il a fait du bon travail." Elle leva les yeux lorsque le rabat de la tente bougea et hocha la tête en apercevant la nouvelle arrivante. "Bonjour."

Aslanta entra et lui rendit son hochement de tête. "Bonjour". Elle jeta un coup d'œil à Gabrielle. "Je peux te parler ?"

"Bien sûr." souffla Gabrielle tandis que l'autre Amazone tirait un petit tabouret et s'asseyait. "Comment ça se passe ici ?"

"Bien, plutôt calme." Répondit la grande blonde. "Nous avons fait des forages, nous nous sommes disputées avec les hommes, nous avons attrapé du poisson... comme d'habitude. Et vous, comment ça se passe au front ?"


"Pas bien." Admit la barde. "Nous avons perdu quelques bonnes personnes." Elle fit une pause. " Et Gillen est morte."

Aslanta écarquilla les yeux de surprise. "Cette vieille hache de guerre ? Je pensais qu'elle survivrait à tout. Tombée au combat, hein ?"

Gabrielle secoua lentement la tête. "Non." Elle rajusta ses fourrures. "Elle travaillait pour Andreas. Elle a essayé d'assassiner quelqu'un dans le camp et …" Plusieurs battements de cœur s'écoulèrent. "Elle est morte dans l'opération."

Le choc colora le ton d'Aslanta. "Fils de Bacchae... Je n'arrive pas à y croire." murmura-t-elle. "Je ne l'avais jamais imaginée comme ça... Je le jure." Elle leva les yeux vers le visage de Gabrielle. "Elle s'en est prise à Xena ?"

Elle secoua la tête. "A moi." répondit Gabrielle. "C'est comme ça que j'ai été blessée."

Aslanta se leva et fit les cent pas dans la tente, visiblement agitée. "Je ne comprends pas... comment a-t-elle pu faire ça ? Elle était plus intelligente que ça, Gabrielle... elle savait que ce salaud ne ferait que l'utiliser... je ne comprends pas." Elle se retourna. "Nous en avons parlé... après toute cette histoire avec cette gamine... elle a même dit que s'il offrait le double, ça n'en vaudrait pas la peine. Pourquoi a-t-elle changé d'avis ?"

"J'aimerais le savoir."

"Les combats étaient-ils si terribles ?"

Gabrielle réfléchit un moment avant de répondre. "Eh bien... les premières batailles concernaient les avant-postes... et nous avons perdu quelques Amazones... peut-être qu’elle pensait que Xena les sacrifiait délibérément... c'est un peu l'impression qu'elle m’a donnée." Avec précaution, elle se redressa et enroula les fourrures autour d'elle, passant des doigts légèrement tremblants dans ses cheveux blonds. Elle se pencha en avant, l'autre main appuyée sur le rebord de la paillasse pour soulager son dos, et ravala une nette envie de vomir. "Gillen, je veux dire. Mais si Xena doit sacrifier quelqu'un, ce serait..." Gabrielle resta silencieuse un instant. "Elle est toujours la première à se battre et la dernière à quitter le combat."

L'autre Amazone l'étudia. "Ça doit être dur pour toi d'être ici, au lieu d'être là-bas."

Des yeux vert brumeux la regardèrent. "Très dur."

Setha s'approcha doucement et offrit à Gabrielle un bol de soupe qu'elle posa sur le banc rudimentaire à côté de la paillasse. La barde regarda l'épaisse substance verte et détourna rapidement le regard, se demandant si son teint n'était pas en train de changer pour le refléter.

"Je pense que tu devrais t’allonger." lui conseilla la guérisseuse en voyant sa réaction.

Je suppose que c'est le cas. "Oui." Gabrielle s’allongea doucement et se recroquevilla sur le côté. Ses paupières lui semblaient très lourdes et elle laissa sa tête reposer sur l'oreiller, luttant contre son estomac rebelle qui continuait de se révolter. "Je vais peut-être me reposer jusqu'à ce qu'il soit temps de partir."

Aslanta s'approcha et posa une main sur l'épaule de Gabrielle. "Repose-toi, ma sœur... nous partirons bien assez tôt."

Gabrielle laissa ses yeux se fermer avec soulagement. Autant profiter du calme maintenant. Elle écouta le doux crépitement du feu et laissa la douleur derrière elle, pour un petit moment.

"Pauvre petite." Setha serra les lèvres en redressant les fourrures autour de la forme molle. "Elle s'est aussi cognée à la tête... Rien que de penser que nous allons devoir la bouger dans peu de temps, je déteste ça."

"On ne peut pas faire autrement, malheureusement." lui rappela Aslanta doucement. "Mais nous la garderons en sécurité, sois-en sûre." Elle jeta un dernier regard à la barde endormie, puis elle quitta la tente et se fraya un chemin à travers le chaos vers une grande forme poilue.

Jessan se tenait à côté de son père et de deux soldats de Cirron qui faisaient face à un messager à cheval qui venait d'arriver. Aslanta les rejoignit juste au moment où l'homme terminait sa déclaration.

"Comme nous l'avons dit, nous avons fouillé la moitié de la vallée entre ici et là, et aucun signe d'elle.

"Aucun signe de qui ?" demanda Aslanta, curieuse. "Gabrielle ? Elle est ici."

"Non, madame." L'homme secoua la tête.

"Par les Dieux, c’est pas possible." Lestan se couvrit les yeux d'une grande main. "Nous sommes sur le point de partir en guerre, bon sang... nous n'avons pas le temps pour ça. Comment peut-on perdre quelque chose d'aussi petit ?"

"Hein ?" Aslanta tira sur la fourrure de Jessan. "Hé, de qui ils parlent... qui a disparu ?"

Jessan soupira d'un air malheureux. "Dori."

"Dori ?" L’Amazone écarquilla les yeux. "Ce n'est pas.. "

"La fille de Gabrielle et de Xena, oui." Jessan mordilla le poil de sa lèvre inférieure. "Nous devons la retrouver."

"C'est une armée !" protesta Lestan. "Nous n'avons pas le temps de nous occuper de bébé !"

"Nous prendrons le temps pour celui-là." Répliqua Jessan. "J'y vais." Il s'éloigna à grands pas, évitant plusieurs chariots en mouvement. Lestan soupira et appuya son seul poing sur sa hanche.

"Devons-nous le dire à Gabrielle ?" demanda Aslanta. "Elle est déjà assez mal en point."

Lestan réfléchit en silence pendant un long moment. "Non." décida-t-il finalement. "Laissons mon fils s'en occuper."

*******************************

La première bombe incendiaire frappa les remparts juste avant le lever de la lune. Xena entendit le cri d'alarme et rangea le petit livre qu'elle lisait dans son armure avant de sortir de sa tente et de courir vers le mur. Les torches s'agitaient follement dans la brise et elle pouvait sentir l'odeur de la poix dans le vent alors que l'obscurité du camp s'illuminait et que le feu jaillissait au-delà du mur et arrivait à l’intérieur du camp.

"Attention !" hurla Xena, les yeux écarquillés. "C'est du feu grégeois !"

Trop tard, un homme se retrouva touché par le feu. Il roula à l'agonie sur lui-même alors que la substance brûlait sa peau et son armure. La guerrière l'atteignit, arracha sa cape et la jeta sur la forme qui se tortillait. "Enveloppez-le." ordonna-t-elle à un villageois qui déplaçait des flèches vers le mur. "N'essayez pas de l'étouffer avec de l'eau ! Mettez de la boue dessus !"

Attrapant une pelle, elle leur montra en ramassant un tas de terre et en le jetant sur des flammes, ce qui les étouffa. "Compris ?"

"Oui !" Plusieurs hommes se mirent au travail pour éteindre le feu et elle bondit en avant, se hissant sur la première plate-forme pour regarder par les meurtrières.

Il faisait sombre dehors, et même avec son excellente vision nocturne, elle ne détectait pas le moindre mouvement. Elle décida alors de fermer les yeux et pencha la tête sur le côté, pour écouter attentivement. Derrière elle, elle pouvait clairement entendre la rivière et les bruits de son camp, alors elle mit une main autour d'une oreille et se concentra sur l'extérieur, laissant les bruits autour d'elle s'effacer de sa conscience.

Un bruissement. C'était l'herbe, Xena le savait. Elle laissa de côté les sons doux de la nature et se concentra sur les quelques bruits restants.

Des craquements. Du bois ? Des roues ? Du cuir ? De la corde. Xena acquiesça en reconnaissant une catapulte en train d'être armée. Elle ouvrit les narines et inspira, captant l'odeur âcre du feu, des chevaux, des hommes et l'odeur verte et écrasée de l'herbe de la rivière qu'ils avaient piétinée. "Ils ont un engin de siège là-bas." cria-t-elle. "Attention aux bombes incendiaires !"

"Qu'est-ce que c'est que ce truc ?" demanda Toris qui venait d’arriver près d’elle.

"Reste loin des tentes et du foin." répondit sa sœur laconiquement. "C'est quelque chose qui brûle et qui continue de brûler... on ne peut pas l'éteindre." Elle entendit le bruit de la corde qui montait au loin dans le vent. "Préparez-vous ! !!"

Des hommes et des femmes coururent dans tous les sens pour s’écarter de l'espace ouvert derrière le mur. "Mettez-vous contre les plates-formes !" ordonna Xena en se levant et en leur faisant signe de se rapprocher. "Vite !"

 

Le silence. Puis un gros bruit de bois frappant du bois au moment où les cales se libérèrent et enfin le grondement et le souffle de la catapulte qui se déclenche. "La voilà !"

La bombe incendiaire frappa l'extérieur du mur près de la plate-forme où se trouvait Xena et roula vers l'arrière, enflammant l'herbe proche de la rivière à l'extérieur des remparts. Avec un sifflement et un crépitement effrayant, les flammes explosèrent vers le haut, atteignant avidement l'épais feuillage. "Ouvrez les portes !" Xena se retourna et s'élança vers un petit chariot placé sur le côté, qui contenait de la boue pour aider à consolider les murs. "Bougez-vous !"

Les soldats se précipitèrent sur les cordes et actionnèrent les poulies, déplaçant les sections de mur vers l'extérieur pendant que Xena lançait un harnais de charrette sur l'un des chevaux attachés à proximité, avant de pousser rapidement l'animal vers le chariot. "J'ai besoin de six personnes pour m'accompagner à l'extérieur et recouvrir cette foutue prairie !"

Six devint rapidement une demi-légion, et Xena jura alors qu'elle attachait le cheval à la charrette et commençait à le mener entre les portes qui s'ouvraient.

Ils venaient à peine d'en franchir l’entrée que ses sens se mirent à vibrer. Elle lâcha la bride de l'animal juste à temps pour tirer son épée de son fourreau alors que deux silhouettes sombres se dressaient devant elle, leurs armes se reflétant dans la lumière des flammes.

********************************

"Aucun signe de Jessan ?" Setha leva les yeux tout en replaçant un linge froid sur le front brûlant de Gabrielle. " Nous allons bientôt devoir partir et... "

"Je sais." Aslanta jeta un coup d'œil à l'extérieur, dans l'obscurité, où le camp se déplaçait déjà, les soldats étaient prêts et le camp avait été empaqueté en majorité. "Comment va-t-elle ?"

Setha regarda la femme sur la paillasse. Gabrielle reposait sur le côté, la peau pâle, à l'exception d'une rougeur autour des joues. Ses cheveux blonds semblaient ternes et sa respiration était légèrement laborieuse, trop audible pour la guérisseuse inquiète agenouillée à proximité. "Pas bien." Elle avait de nouveau nettoyé la blessure de la barde, et bien que la méchante entaille semblait bien se refermer, il y avait un cercle rouge terne autour de la plaie qui inquiétait beaucoup Setha. "C'est une dure à cuire, hein ?"

Aslanta ricana doucement. "Oui." Elle souffla. "Je vais leur demander d'amener le chariot jusqu'ici... nous la porterons là-dedans." déclara-t-elle avant de partir. Setha retourna à son travail, essuyant doucement le front de la barde.

Quel étrange mélange, songea-t-elle silencieusement, alors que ses yeux étudiaient le visage jeune de la barde, avec ses cils pâles et ses joues encore empreintes de la douceur de l'enfance. Elle paraissait à peine adulte, mais les mains posées sur le lit étaient fortes, et le corps recouvert de fourrures montrait les signes d'une utilisation physique et intense. Elle pouvait aussi apercevoir à plusieurs endroits une petite série de cicatrices blanches et fines.

Elle se demanda si la moitié des histoires qu'elle avait entendues étaient vraies, à propos de Gabrielle et de sa redoutable compagne Xena. "Hé !" Elle adressa à la barde un sourire encourageant, tandis que les yeux vert brumeux s'ouvraient difficilement pour la regarder d'un air flou. "Comment vas-tu ?"

Les paupières se refermèrent, avant de se rouvrir à nouveau alors que le corps de la barde se crispait. "Aïe". murmura Gabrielle. "Wow, ça fait mal."

"Je sais." Acquiesça Setha. "J'ai quelques herbes que tu peux prendre maintenant, puisque nous devrons te déplacer bientôt. Cela soulagera la douleur."

"Qu'est-ce que c'est ?" demanda la barde. "Quel genre d'herbes ?"

Setha les nomma rapidement, surprise par le double hochement de tête de Gabrielle avant de la voir secouer la tête. "D’accord pour les deux premières, mais je ne peux pas prendre la dernière." Elle se hissa lentement sur un coude. "Elle me rend malade." Elle repoussa ses cheveux blonds de ses yeux. "Tu as de l'eau ?"

Setha lui tendit un verre et regarda la barde se forcer à boire les trois quarts de son contenu. " Tu sais ce que tu dois faire, je vois. "

La barde lui renvoya un regard fatigué. "Oh oui." Gabrielle laissa tomber sa main et la gourde sur la couchette et souffla. "L'une des premières leçons que j'ai apprises sur la guérison... l'eau compte." Elle sourit d'un air sombre. "A l'intérieur comme à l'extérieur."

La guérisseuse acquiesça. "Tu connais aussi les herbes... où as-tu appris le métier ?"

"Auprès de Xena."

Setha écarquilla les yeux, manifestement surprise. "Vraiment ?"

Elle acquiesça. "C'est une guérisseuse incroyable.... Je l'ai vue sauver des gens que tout le monde pensait condamnés." Gabrielle se déplaça un peu pour se mettre à l'aise, heureuse d'avoir l'occasion de parler du côté plus doux de sa compagne. "Quand je suis blessée, je sais que j’irai bien parce qu’elle est là."

"Elle s'est occupée de ta blessure ?"

 

Gabrielle acquiesça. "Ça a fait vraiment mal... mais elle a dit qu'elle voulait s'assurer qu'elle avait bien tout nettoyé." Elle grimaça et toucha sa blessure. "Aïe."

"C'est assez gonflé." murmura Setha. "Mais elle a fait du très bon travail... J'ai été très impressionnée. Je ne savais pas que c'était Xena qui l'avait fait... J'ai supposé..." Elle marqua une pause maladroite. "Je veux dire..."

"La plupart des gens le font." répliqua la barde. "Je me souviens à quel point j'avais été surprise la première fois…".

*********************

Cela faisait à peine un mois qu'elle avait commencé à voyager avec Xena. Elles s'étaient dirigées vers le nord et avaient traversé une région peu boisée avec beaucoup de collines.

Elle était épuisée et il était tard. Elle avait suivi la grande forme d'Argo avec plus de courage que de raison, posant un pied devant l'autre jusqu'à ce que les bruits de pas s'arrêtent et qu'elle s'écrase presque sur la jument qui s'était stoppée.

Xena était descendue et avait commencé à les guider hors du sentier, vers un endroit qu'elle avait apparemment choisi, dans le plus grand silence.

Comme d'habitude.

Gabrielle avait été bien trop fatiguée pour s'en préoccuper. Elle avait été soulagée de savoir que la guerrière cesserait bientôt d'avancer, ce qui lui donnerait l'occasion de s'asseoir sur le sol jonché de pierres et de se reposer, pendant que le feu de la soirée serait allumé.

Ensuite, elle verrait ce qu'elles avaient prévu pour le dîner, mais elle avait toujours ces quelques minutes pendant lesquelles Xena ramassait du bois pour reprendre des forces, et elle avait appris à chérir ces courts moments, souhaitant pouvoir les accumuler pour les longues journées de voyage.

Ce soir, elle avait été si reconnaissante de voir Xena lâcher les rênes d'Argo et préparer le feu qu'elle avait simplement laissé ses genoux se déverrouiller et s'était retrouvée au sol, désossée.

Elle ne s'était pas rendu compte qu'une branche cassée était à moitié caché sous l'herbe. Et le bord tranchant et dur s'était enfoncé dans sa cuisse, provoquant une terrible douleur qui lui avait arraché un cri et secoué violemment le corps.

Elle avait roulé à moitié sur le côté avant d’agripper la branche responsable, ses doigts rencontrant le bois noueux qui dépassait de sa chair, alors que le mouvement lui arrachait un autre glapissement.

Puis une main s’était posée sur son épaule. "Qu'est-ce qu'il y a ?" avait demandé Xena, d’une voix basse et impatiente, comme d'habitude. "Qu'est-ce que tu as encore fait ?"

"Je...je..." La douleur avait été trop forte pour elle et elle s’était mise à pleurer, gênée et honteuse, et parfaitement consciente du léger soupir de la guerrière. "Ma... jambe, je..."

"Ne bouge pas." Xena s'était agenouillée et avait écarté le long tissu de sa jupe, tachée par le voyage. Elle avait ensuite froncé les sourcils lorsqu’elle avait vu la blessure. "Bon sang.... C’est pas vrai. Ne bouge pas."

Xena s'était relevée puis éloignée, laissant Gabrielle s’interroger sur ce qu'elle allait faire. Elle avait entendu le frottement du métal sur le cuir et son cœur s'était emballé, effrayée à l'idée que son imprévisible partenaire puisse utiliser sa grande épée pour faire quelque chose de radical.

Comme lui couper la jambe.

La nuit tombait et Gabrielle s'était mise à trembler lorsqu'elle avait levé les yeux et regardé la grande forme ombrageuse de Xena qui se dirigeait vers elle à une vitesse menaçante. "Qu... qu'est-ce que tu vas faire ?"

Les bruits de pas s'étaient arrêtés et la guerrière avait mis un genou à terre, tenant un sac de cuir dans une main et sa dague dans l'autre. Elle avait fixé Gabrielle du regard. "Enlever ça de ta jambe... à moins que tu préfères que je le laisse dedans."

"Oh." avait murmuré Gabrielle. "Est-ce que ça va faire mal ?"

La guerrière l’avait regardé froidement. "Oui."

"Oh." avait répété Gabrielle, très doucement, alors que sa compagne de voyage avait ouvert le sac et en avait déversé le contenu. "Qu'est-ce que c'est ?"

"Peu importe. Retourne-toi."

Elle l'avait fait, mais seulement en partie, pour pouvoir continuer à observer Xena. La guerrière sélectionnait des objets et en fixait d'autres, mystérieux, aux yeux de la jeune fille. Elle avait alors senti une chaleur à l'arrière de sa cuisse et avait réalisé qu'il s'agissait de la main de Xena.

Elle avait fermé les yeux par réflexe, un peu surprise par l'étrange palpitation de son ventre.

"Ne bouge pas."

Elle avait senti un coup sec, puis sa jambe s'était engourdie.

"Ne regarde pas."

Elle avait gardé les yeux fermés, ne ressentant qu'une pression parfois ou une traction. Xena avait soufflé avant de se pencher plus près, et Gabrielle avait entrouvert les paupières pour observer le profil aiguisé au-dessus d'elle, les petits muscles de son visage bougeant tandis qu'elle se concentrait. "Qu'est-ce que tu fais ?"

Xena lui lança un regard noir. "Je croyais t'avoir dit de ne pas regarder."

"Tu as dit de ne pas regarder ma jambe... tu n'as jamais dit de ne pas te regarder."

Les lèvres de la guerrière avaient tressailli, juste un peu. "Je recouds ta jambe."

"Vraiment ? Je ne savais pas que tu savais faire ça." Trop curieuse, Gabrielle avait penché la tête pour regarder, avant de cligner des yeux lorsqu'elle avait vu l'incroyable quantité de sang qui recouvrait sa jambe, sa jupe et les longues et puissantes mains de Xena. "Oh…" Elle avait regardé avec fascination Xena recoudre proprement l'entaille, ne sentant que de minuscules piqûres lorsque la fine aiguille d'os transperçait sa chair.

Puis la guerrière avait posé quelque chose sur la plaie et l'avait recouvert d'un bandage. "Tiens-toi à quelque chose"

"Pourquoi ?" avait demandé Gabrielle.

La guerrière avait répondu par des mouvements rapides sur sa jambe et puis son corps s'était recroquevillé dans un cercle d'agonie alors que la douleur était revenue, lui arrachant un cri aigu.

"Regarde où tu t'asseois la prochaine fois." lui avait dit Xena brutalement. "Tiens... serre ça et attends... la douleur va se calmer un peu dans une minute."

Elle avait serré fort alors que les soubresauts de la douleur s'estompaient lentement pour laisser place à une brûlure sourde et douloureuse. Elle avait laissé sa tête reposer contre les feuilles, les poumons emplis de l'odeur du sang et de la terre. "Bon sang." avait-elle dit finalement. "Ça fait vraiment mal."


"Vraiment ?!" avait fait remarquer Xena sèchement.

"Heureusement que tu savais quoi faire... Je ne savais pas que tu étais une guérisseuse." Gabrielle avait gardé les yeux fermés, consciente de la présence de Xena juste derrière elle.

Il y eut un long silence. "Quand on a passé toute sa vie à se battre... ça vaut le coup de savoir se recoudre soi-même." avait fini par dire la guerrière. "Ne recommence pas."

"D'accord." avait répondu doucement Gabrielle. "Je suis désolée... Je sais que ça a dû te paraître assez stupide."

Xena avait grogné.

 

"Merci de m’avoir soignée." Gabrielle se demanda brièvement pourquoi Xena était encore là. Normalement, la guerrière, qui ne tenait pas en place, ne restait pas assise plus de quelques minutes au même endroit. "Je vais... ramper et sortir quelques affaires pour le dîner. Tu peux aller t’occuper du feu ou autre...je sais que tu as beaucoup de choses à faire."

"Gabrielle."

"Non, vraiment... vas-y, Xena. Je sais que je dérange ton emploi du temps."

"Gabrielle."

A contrecœur, elle avait levé les yeux, par-dessus son épaule, pour tomber sur deux yeux bleus amusés qui la regardaient. "Oui ?"

La guerrière grimaça doucement. "Tu dois d'abord me lâcher la main."

Oh. Gabrielle avait regardé vers le bas, où ses doigts étaient toujours enroulés autour de la chose qu'elle avait serré si fort, contre sa poitrine, juste au-dessus de son cœur. Embarrassée, elle desserra précipitamment sa prise. "Désolée".

La main se retira lentement, s'arrêtant juste un instant pour lui tapoter l'épaule, puis Xena avait disparu, laissant une zone froide derrière elle.


****

Gabrielle sourit à ce souvenir, puis elle secoua légèrement la tête. "C'est l'heure de partir ?"

"Ils amènent le chariot, oui." confirma Setha. "Est-ce que tu penses pouvoir marcher jusqu'à lui ? Si ce n'est pas le cas, nous pourrons te porter."

La barde passa lentement ses jambes par-dessus le bord de la couchette et se leva, attrapant son bâton par réflexe. Le bois usé semblait solide sous ses doigts et elle s'appuya sur le bâton tout en redressant son corps, petit à petit, pour finalement se tenir debout. "Je peux y arriver". dit-elle à la guérisseuse. "Allons-y." Elles sortirent de la tente, Setha tenant légèrement le coude de Gabrielle alors qu'elles s'arrêtaient pour laisser passer plusieurs grands chariots de ravitaillement.

Un cri retentit dans toute l’agitation et Gabrielle releva la tête, repérant l'origine des bruits. "Aslanta !"

La Reine Amazone changea de direction et s'approcha rapidement. "Gabrielle ! C'est bien que tu sois debout. Nous avons des problèmes... cette gardienne de chevaux de la ville d'Andreas a finalement montré son vrai visage... Je savais qu'elle ne valait rien. Elle s'est enfuie avec les meilleurs chevaux... si elle passe la rivière…".

Gabrielle pousse un juron, l'un des préférés de Xena, qui choqua à la fois la Guérisseuse et l'Amazone. "Combien de temps ?"

Aslanta appela l'une de ses guerrières. "Quand avez-vous découvert que la cavalière était partie ?"

"Une bougie, peut-être... pas plus longtemps." répondit la femme laconiquement. "Elle n'a pas pu aller bien loin, ma Reine."

"Espérons-le." Gabrielle passa une main dans ses cheveux blonds, remettant un peu d'ordre dans les mèches. "Prends une équipe de guerrières et trouve-la, Eilion. Notre meilleur avantage est la surprise et elle peut tout gâcher."

"De quel côté penses-tu qu'elle est allée ?" demanda Aslanta. "Elle va se diriger vers la rivière, c'est certain. Alenas m'a dit qu'il l'avait entendue râler parce qu'elle n’avait pas reçu la récompense qu'elle méritait pour les chevaux qu'elle avait amenés."

Gabrielle réfléchit longuement, visualisant mentalement le paysage local qu'elle connaissait aussi bien que le dos de sa main. "Le seul endroit où l'on peut traverser la rivière à gué de ce côté-ci est le col d'Arès. " Elle le pointa du doigt. "Sinon, ce sont des ravins jusqu'à Amphipolis. Envoie quelqu'un là-bas... et fais savoir à tout le monde qu'il faut se méfier d'elle."

"Oui, Reine Gabrielle." L'Amazone la salua, puis elle s'élança en appelant plusieurs de ses sœurs.

Aslanta et Gabrielle échangèrent un regard. "Où est Jessan ?" demanda soudain la barde en ressentant un malaise.

Aslanta ne répondit pas.

**********************

La végétation se referma derrière elle et Dani posa une main sur les naseaux de l'étalon qui s’agitait à côté d’elle. Elle recula prudemment et s'engagea dans un long chemin caché de la route, le grand cheval à ses côtés.

Les juments le suivirent sans se faire prier, les bruits de leur passage étant couverts largement par le mouvement de l'armée.

Dani gloussa doucement. "Allez, bucko... toi et moi, on va se faire de l'argent... tout ce qu'on a à faire, c'est de traverser cette foutue rivière." Elle descendait prudemment la pente, s'arrêtant de temps en temps pour écouter si quelqu’un les suivait, tout en observant les oreilles de ses chevaux qui bougeaient au gré des bruits qu’ils entendaient.

"Stupides bâtards... après ce que j'ai fait pour eux, hein? Je leur ai apporté cinq cent chevaux. Est-ce que j'ai eu un dinar ? Non... tout ce que j'ai obtenu, c'est de me faire dire quoi faire par une bande de femmes au cul excité et des boules de poils ambulantes."

Elle secoua la tête avec dégoût.

Puis elle s'arrêta et écouta. Un léger bruissement se fit entendre à sa droite, et elle se figea, essayant de comprendre de quoi il s'agissait.

Des feuilles, oui. Un petit animal, peut-être ? Il n'avait pas l'air grand. Elle se détendit, puis tapota l'épaule de son étalon. "Attends ici, mon gars." Elle quitta silencieusement le sentier pour se diriger vers un tas de pierres, se déplaçant rapidement sur la surface avant de se frayer un chemin entre les troncs.

Les bruits se rapprochaient, maintenant ponctués de petits bruits sourds et du craquement sec d'une pierre frappant une autre. Ses sourcils se froncèrent alors qu'elle essayait de comprendre quel animal pouvait bien les produire. Elle se rapprocha de plus en plus, avançant prudemment parmi les feuilles, jusqu'à ce qu'elle se trouve devant un petit groupe de buissons.

Elle tendit la main et écarta les branches en silence, puis elle passa la tête dans la clairière et la parcourut du regard.

La dernière chose qu'elle s'attendait à voir était un bébé.

Un bébé très boueux, assis dans un tas de feuilles mortes, qui s'amusait à démonter un nid d'oiseau, éparpillant ses brindilles sur le sol et sur elle-même. "Bck."

"Hé." lança Dani.

Le bébé tourna la tête vers elle et ses yeux vert clair la regardèrent avec curiosité. Un petit doigt se pointa vers elle. "Guff !"

Dani sourit froidement. "Peu importe les chevaux... Je viens de me procurer un ticket repas à vie." Elle se fraya un chemin à travers les feuilles et s'approcha doucement de l'enfant. "Viens, petit rat... toi et moi allons devenir de grandes amies."

**********************

Les hommes étaient masqués, et Xena pouvait à peine voir le blanc de leurs yeux derrière les capuches alors qu’ils s'approchaient d'elle. Elle sortit son épée et bloqua le premier coup, repoussant l'homme. "Déplacez le chariot derrière moi !" cria-t-elle. "Je m’occupe d’eux !" Elle entendit le grincement et sentit le passage du véhicule en bois dans son dos, tandis qu'elle balançait son arme dans un large arc de cercle, repoussant les silhouettes devant elle. Une embuscade, bien sûr, mais elle se doutait bien qu'ils ne comptaient pas sur elle pour mener le groupe qui serait sorti.

Six d'entre eux lui sautèrent dessus, et elle sentit des mains s'agripper à son armure, et le coup sec d'une dague qui tentait de se frayer un chemin sous les épaisses plaques de cuir. Elle donna un coup de coude en arrière et la piqûre disparut. Une autre main tira sur son armure de poitrine, et elle donna un coup de tête dans cette direction, entendant un juron en réponse qui la fit sourire.

Ses jambes poussèrent contre le sol et elle s'élança vers le haut, repoussant deux autres adversaires, avant de s’occuper de celui qui la gênait le plus. Celui qui restait accroché à son dos et qui essayait....

Essayait…

Elle sentit le métal froid toucher sa peau, et une vague de désir sombre la traversa, la mettant à genoux et sans défense, pendant un long moment. Il s'emparait de ses sens, libérant l'animal en elle si rapidement qu'elle n'eut même pas l'occasion d'essayer de l'empêcher. Un rugissement jaillit de sa poitrine et elle se redressa, l'épée devenant le prolongement de sa colère. Elle coupa son assaillant en deux et un torrent de sang recouvrit le haut de son corps.

Un rideau du même rouge descendit sur ses yeux, alors que l'odeur du sang pénétrait dans ses poumons et franchissait les barrières d'humanité qui retenaient sa violence.

Elle ne reconnaissait que le meurtre et l'odeur de la peur tandis que ses mouvements s'accéléraient et que son épée devenait un simple flou au clair de lune, décimant tout ce qui se trouvait à sa portée. Deux silhouettes obscures tentèrent de s'enfuir, et elle les attrapa d'une main, les tirant en arrière avant de les découper, puis d’arracher leur tête de leur corps et les jeter loin d'elle en riant.

C'était une sensation merveilleuse. C'était comme d’être libre... enfin. Xena bondit en avant et chercha une nouvelle victime, qu'elle trouva dans trois autres silhouettes qui se dirigeaient vers le chariot. Elle se jeta sur eux avec joie, rengainant son épée et tira sa dague à la place, avant de décrire un arc de cercle vicieux avec sa main gauche et de laisser la lame se frayer un chemin à travers la chair et les os. L'homme qu'elle tenait entre ses mains hurla lorsqu'elle lui taillada le visage, puis le bruit se réduisit à un gargouillis lorsqu'elle se servit de ses doigts puissants pour arracher l'avant de son corps.

Un autre homme tenta de venir à sa rescousse, essayant de frapper Xena avec une longue épée, mais elle se contenta de la repousser et bondit sur lui, le poussant au sol avant d’atterrir sur son corps, en poussant un grognement hideux. Il laissa tomber son arme et détourna le visage, tandis que les mains de Xena atteignaient sa poitrine et déchiraient son armure pour exposer sa chair. Elle leva les mains et plongea la dague vers le bas alors que la forme sans défense dessous elle, envoyait une gerbe de sang vers le haut, l'éclaboussant généreusement.

Mmm. Xena se lécha les lèvres et rit, puis elle dégagea le couteau et lui trancha la gorge, juste pour le plaisir.

Des cris interrompirent son plaisir et elle leva les yeux, agacée, lorsque le chariot traversa son champ de vision, poussé par plusieurs hommes vers les portes. "C’est bon, on est rentrés !" l’interpella quelqu’un. "Tu peux revenir !"

Revenir ? Xena se releva, sa cape tourbillonnant autour de ses jambes. Elle laissa le vent frapper son visage. Non. C'était une belle nuit... et il y avait encore beaucoup de gens à tuer.

Elle pouvait les sentir, juste au-delà de cette ligne.

Elle sentit un poids autour de son cou et réalisa que c'était le cadeau d'Andreas, et cette seule pensée provoqua une attraction profonde qui la poussait à s’éloigner de la rivière. Vers lui.

Vers la conquête. Avec Andreas et son armée, elle pourrait prendre tout ce qu'elle voulait.

Oh oui...

Xena fit un pas en avant, s’éloignant des remparts. Et de sa maison. Elle tendit la main pour toucher le collier.

Mais ses doigts touchèrent quelque chose d'autre à la place.

Des facettes lisses. Froides.

"Xena !" cria Toris depuis les portes. "Allez !!!! Avant qu'ils reviennent ! !!"

Xena libéra le cristal et posa ses mains sur le collier, sentant les maillons d'or froids et vibrant à son contact. Puis elle le passa par-dessus sa tête et le retira. Elle le fixa un long moment avant d'ouvrir la pochette de sa ceinture et de le mettre à l'intérieur.

Tout son corps se mit à trembler.

Tout son univers venait de changer.

Elle ferma les yeux et respira profondément avant de les rouvrir. La brume rouge s'estompa et laissa sa vision dans un flot d'argent et de noir. Et d’ombres austères sous une lune ronde. Elle se retourna difficilement alors que la fatigue se propageait rapidement dans tout son corps, la laissant épuisée. Elle marcha vers les portes et passa entre elles avant d’entendre le son solide de ces dernières qui se refermaient derrière elle.

"Xena !" Toris accourut et posa une main sur son épaule. "Tu vas bien ? J'ai cru qu'ils t'avaient touchée une minute... tout va bien ?"

Xena leva les yeux et regarda son frère, dont le visage et la voix lui semblaient très lointains. "Je vais bien." murmura-t-elle. "Je reviens tout de suite." Elle s'éloigna de lui et parvint tant bien que mal jusqu'à sa tente. Elle laissa le rabat se refermer derrière elle et accueillit avec soulagement l’obscurité de la tente à peine éclairée par quelques bougies. Lentement, elle s'agenouilla, attrapa l'une des bassines qu'elle utilisait pour se soigner et y vida ses tripes convulsivement, ne s'arrêtant que lorsqu'elle fut recroquevillée sur le côté, dans la terre, la gorge à vif et les mains blanches et tremblantes à force de tenir fermement la bassine.

Elle la lâcha finalement et s'affaissa sur le sol, fixant d'un air morne devant elle les pieds de sa couchette et les minuscules touffes d'herbe qui se trouvaient en dessous. " Par les Dieux !" Épuisée, elle se força à se lever et s’asseoir sur un petit tabouret, avant de poser ses bras couverts de sang sur ses genoux et de prendre sa tête dans les mains.

****************************************

"Reviens ici, petite..." siffla Dani, en esquivant une branche avant de trébucher sur un tas de pierres. "Merde !"

Dori se faufilait avec agilité dans les sous-bois, dépassant facilement sa poursuivante en raison de la végétation dense qu'elles traversaient. Elle se retourna et jeta un coup d'œil à travers les feuilles, gloussant lorsqu'elle vit sa nouvelle amie toujours en train de la poursuivre. "Gaffe !" Elle la pointa du doigt, puis se remit à trottiner, grimpant sur un rocher avant de retomber de l’autre côté et de se diriger vers le bruit de l'eau.

"Que les Dieux soient maudits jusqu'à l'Hadès et au-delà." jura Dani en détachant une épine de sa surtunique. "Petite démon... reviens ici !" Elle commençait à regretter sa décision d'essayer de capturer la gamine, qui possédait visiblement un talent d'évasion presque incroyable. Elle avait laissé les chevaux sur le chemin et s'était lancée à sa poursuite, certaine de pouvoir attraper le petit monstre en quelques minutes.

Cela s'était transformé en une demi bougie. Dani s'essuya le front d'un bras et regarda à travers les feuilles. Elle aperçut un éclair de peau sombre, gémit, puis elle enjamba un buisson bas et se dirigea vers la gamine.

Ah. Dori se tortillait sous une bûche et semblait examiner ce qui s’y trouvait. Ses doigts se refermèrent sur un bon gros ver et elle le ramassa, avant de l'observer avec grand intérêt. "Bck". Elle pencha la tête sur un côté, regardant le ver s'enrouler autour de ses doigts. "Moche." Elle jeta l'animal loin d'elle, puis creusa dans la litière de feuilles à la recherche d'un jouet plus attrayant.

Un caillou. Dori y réfléchit, puis le jeta. Un bâton. Elle le posa rapidement, car il y avait des choses vertes dessus, et elles sentaient mauvais. "Uck." Les feuilles bruissèrent tout près d'elle et elle leva aussitôt la tête, ses yeux s'écarquillant lorsqu'un objet flou s'approcha d'elle en sautillant. "Guff !

Le lapin, qui fuyait les bruits derrière lui, s'arrêta net et se demanda s'il devait ou non s'approcher de la petite chose bruyante et nue. Mais le vent apporta à ses narines frémissantes une odeur âcre, et il décida de tenter le coup. Il s'approcha en sautillant.

Dori attendit, ayant appris la vertu de la patience.

Un autre bond et le corps poilu était maintenant à sa portée. Elle s'en saisit en un geste vif, prenant deux poignées de peau et de fourrure douces et tira fort. Arès perdait généralement des poils à ce stade, mais le lapin était bien plus petit que Dori, et il se retrouva enveloppé dans une paire de bras forts, bien que petits, et entendit des gargouillis bizarres et ravis dans l'une de ses oreilles.

"Guff ! Dori poussa un cri de joie, ravie de son nouveau jouet. Elle se mit debout de façon instable et regarda autour d'elle. Apercevant un grand corps qui se dirigeait vers elle, elle partit dans l'autre direction.

**************

"Je pense que tu devrais aller dans le chariot." dit Setha à Gabrielle, qui s'appuyait sur son bâton en surveillant les derniers préparatifs. "Tu ne peux pas vraiment aider ici."

"Je pense que je ferais mieux de m'assurer que Dani ne traverse pas la rivière." la contredit Gabrielle. "Au point où nous en sommes, cela pourrait vraiment tout gâcher... Je ne peux pas prendre ce risque." Elle leva la main et deux soldats s'approchèrent en trottinant. "Vous avez un cheval de rechange ? J'aimerais partir avec le groupe à la recherche de Dani."

"Oui, madame." répondit le plus jeune des deux après qu’ils l’eurent saluée respectueusement. "Je l'amène ici pour vous."

"Gabrielle, tu ne devrais pas monter à cheval." insista la guérisseuse. "Tu vas aggraver ta blessure."

La barde la regarda froidement. "Si la nouvelle traverse la rivière, ma blessure n'aura plus d'importance." répondit Gabrielle fermement, en jetant un coup d'œil au ciel. Le soleil se couchait, envoyant des vrilles de lumière rouge à travers les feuilles, qui peignaient des taches lugubres sur sa propre poitrine et sur les épaules de la guérisseuse. Le gros de l'armée avait commencé à descendre la vallée, il ne restait plus qu'une petite arrière garde, dont elle faisait partie.

Gabrielle se déplaça légèrement et mit un peu plus de poids sur son bâton lorsqu'une décharge de douleur remonta le long de son dos jusqu'à un point situé entre ses omoplates, la faisant expirer avec un dégoût las. Elle remonta son capuchon contre le vent froid qui s'était mis à souffler et regarda le soldat revenir, tirant une jument grise. Il menait un second cheval de l'autre côté, apparemment le sien d'après le harnachement.

Le chariot avait l'air tellement plus accueillant. Elle lui jeta un coup d'œil, puis elle rassembla ses forces et commença à marcher vers le cheval, essayant d'étirer avec précaution ses muscles dorsaux endoloris. Cela ne servit pas à grand-chose. "Merci." Elle lui tendit son bâton en prenant les rênes. "Tiens-moi ça une seconde, s’il te plaît."

"Bien sûr." Le soldat prit le bâton, d'un geste presque révérencieux, et l'étudia, ses mains parcourant sa longueur tandis que Gabrielle se hissait sur la selle, étouffant un gémissement lorsque son dos toucha le cuir. Avec un petit hochement de tête, elle posa ses pieds dans les étriers et se maintint avec ses genoux, soulageant ainsi son coccyx. "Merci." Elle tendit la main pour attraper le bâton, le plaçant contre son corps dans une position confortable et familière.

"Avec plaisir Madame.." murmura le garçon doucement.

La barde s'appuya sur le pommeau de la selle. "Juste Gabrielle, s'il te plaît." murmura-t-elle. "Quel est ton nom ?"

"Josh." Il avait des cheveux noirs et lisses comme ceux de Xena, et des yeux encore plus sombres. "Le reste de la patrouille est en train de se mettre à cheval, Ma...euh...Gabrielle."

Elle lui adressa un sourire et il baissa les yeux d'un air gêné. "Merci, Josh. Tu viens avec nous ?"

Il acquiesça.

"Tu es de Cirron ?"

Il secoua la tête.

"Tu sais, j'ai mis deux ans à convaincre Xena de me parler... J'espère que ça ne prendra pas autant de temps avec toi."

Il releva la tête et la regarda. Il jeta ensuite un coup d’œil autour de lui, puis il sourit. "Désolé... je suis berger... nous ne parlons pas beaucoup." expliqua Josh tout en montant sur son cheval, une jument beige avec une tache blanche autour d’un œil. "Mes parents étaient des marchands... ils ont déménagé à Potadeia il y a un an."

L'humeur de Gabrielle changea. "Oh." Elle regarda son pommeau de selle. "Je suis désolée."

"Moi aussi." Il acquiesça. "J'étais dehors avec les moutons quand les pillards sont arrivés... Je suis revenu en courant, mais le temps que j'arrive en ville, tout était fini." Ses mains se posèrent sur les rênes. "Je suis vraiment désolé pour ton père... Je sais qu'il t'aimait beaucoup."

Gabrielle resta silencieuse pendant quelques battements de coeur"Ah... merci…" Sa langue lui semblait engourdie. "Mais qu'est-ce qui te fait dire ça ?"

Josh rapprocha son cheval. "Il parlait beaucoup avec mes parents... il y a deux... trois lunes, juste après le début de la récolte. Ils lui ont posé des questions sur Lila... ta sœur ?"

"Mmm."

"Ton père disait que c'était une bonne fille, tu sais, gentille et tout, mais qu'elle ne t'arrivait pas à la cheville." lui raconta Josh doucement, avant de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule à la patrouille qui se rapprochait d'eux. "Il a dit... qu'il n'y avait pas beaucoup d’hommes qui étaient les pères de héros... et qu'il était fier d’être l'un d'entre eux."

Gabrielle inspira lentement, consciente des larmes qui lui montaient aux yeux. "A sa manière..." déclara-t-elle doucement, après avoir dégluti plusieurs fois. "C'était aussi un héros." Elle fit une pause. "Et à la fin, j'étais fière de lui moi-aussi."

"Gabrielle... tu viens avec nous ?" demanda Aslanta en arrivant à son côté à cheval. "Je croyais que tu voyagerais avec les troupes."

"C'est moi qui connais le mieux la région." répondit la barde avant de se racler la gorge et de s'essuyer les yeux du revers d'une main gantée. "Allons-y... Je connais un raccourci pour accéder à la rivière."

"Tu es sûre ?" La Reine Amazone se rapprocha. "Monter à cheval doit être vraiment douloureux."

Gabrielle leva la tête, captant les derniers rayons du soleil sur son visage. "Je survivrai... mettons-nous en route." Elle s'arrêta et jeta un coup d’œil autour d'elle. "Aslanta, j'ai essayé de trouver Jessan, mais... est-ce qu’il est parti avec les troupes ?"

Personne ne lui répondit.

Les poils de la nuque de la barde se dressèrent en pure réaction à la tension soudaine qui régna autour d'elle. "Aslanta ?" Sa voix baissa d'une demi-octave inconsciemment, acquérant une intonation qu'elle avait appris à imiter de son âme sœur.

"Hum... on devrait y aller..." L'Amazone jeta un coup d’œil autour d'elle, prise entre l'envie de ne pas mentir et celle de ne pas dire la vérité. "Je crois qu'il est parti en éclaireur, ou... quelque chose comme ça."

Gabrielle se redressa immédiatement et se retourna, cherchant quelqu’un dans la foule de soldats autour d’elle. Elle se redressa et prit une grande inspiration, avant de crier. "Lestan !"

"Gabrielle..."

"Lestan !" répéta la barde, sa voix résonnant puissamment. Le grand Être de la Forêt, qui était déjà à mi-chemin sur le sentier qui descendait vers la rivière, s'arrêta et se retourna à moitié avant de réaliser qui l’interpellait. Il lança un ordre au cavalier qui le précédait, puis fit faire demi-tour à sa monture et revint au trot.

"C'est bon de te voir sur pied, petite sœur." grogna Lestan, en tenant ses rênes d'une seule main, son bras estropié bien calé contre son corps. "Quelque chose ne va pas ?"

"Où est Jess ?" lui demanda Gabrielle directement, d'un ton ferme.

Lestan et Aslanta échangèrent un regard et l'Amazone leva les deux mains dans un geste d'impuissance. L’Être de la Forêt baissa le regard, puis souffla. "Il est à la recherche de Dori. Elle a disparu." répondit-il doucement. "Nous avons appris que le chariot avait été attaqué sur le chemin de la vallée... ils ont vaincu les pillards et les ont tués... ou capturés, mais quand ils... Gabrielle ?"

La barde regardait fixement devant elle. "Par les Dieux."

"Gabrielle, il la trouvera. Il peut la sentir. Tu le sais." lui rappela doucement Lestan.

"Elle voulait venir avec moi." chuchota Gabrielle.

"Et bien, alors..." Lestan se frotta la mâchoire pleine de crocs. "Peut-être qu'elle te trouvera avant qu'il ne la trouve."

"Gabrielle, pourquoi ne resterais-tu pas ici... en nous laissant retrouver Dani ?" suggéra Aslanta. "Je suis sûre que Jess la trouvera et qu'il la ramènera ici... auprès de toi."

Xena avait une habitude. Lorsqu'elle ne savait pas quoi faire, ou qu'elle avait une décision difficile à prendre, elle tournait la tête et regardait ailleurs, loin des autres personnes présentes, comme si cela lui donnait l'espace dont elle avait besoin pour réfléchir.

Gabrielle détourna le regard et étudia le soleil mourant, tandis que les rochers à proximité passaient du cramoisi au pourpre avec le crépuscule. Son esprit savait que retrouver et arrêter Dani était la chose la plus importante à faire. Son cœur, lui, était déjà à la recherche de sa fille.

Dommage que sa tête et son cœur ne puissent appartenir à des personnes différentes. Elle se retourna vers Aslanta. "Allons-y. Nous allons retrouver Dani, puis j’irai chercher ma fille." Elle tourna la tête vers Lestan. "Si Jess revient avant moi, qu'il attende ici avec Dori, d'accord ?"

"D'accord, petite sœur." lui répondit Lestan en lui jetant un regard doux. "Prends soin de toi... tu n'as vraiment pas l’air bien."

Gabrielle mit consciemment de côté ses pensées les plus sombres et, comme elle avait vu Xena le faire tant de fois auparavant, ignora ce qu'elle ressentait avant de commencer à guider la patrouille le long d'un sentier envahi par la végétation, esquivant les branches raides sur son passage tout en resserrant sa cape autour de son corps pour lutter contre le froid qu'elle sentait envahir ses os.

**********************

"C'est bon. Tu ne bouges plus maintenant." Dani haletait, ses mains enroulées autour d'un corps, couvert de boue et de feuilles, qui se tortillait dans tous les sens. "Ça suffit maintenant !"

"Bck !" Dori se battait contre la prise et l'odeur étrange de la personne qui la tenait si brutalement. Elle donna un coup de pied et se débattit, alors que ses sourcils se contractaient sous l'effet de la colère. "Mauvais !"


 

"Tais-toi !" s’énerva davantage Dani avant de la secouer.

La colère de la petite s’amplifia. Elle tendit ses petits poings et frappa la cavalière, tordant son corps toujours sous l'emprise de Dani en poussa un hurlement de colère.

"Chut !" Dani lâcha une main et plaqua ses doigts sur la bouche de Dori, les retirant une seconde plus tard lorsque la petite la mordit. "Fils de Bacchus !" s’écria-t-elle avant de gifler Dori avec force.

Il y eut un moment de silence choqué, alors que la petite fille la regardait stupéfaite, les yeux remplis de larmes, puis les petits poumons se gonflèrent et Dori hurla puissamment, produisant un volume sonore incroyable pour une si petite enfant.

Dani sursauta et la lâcha par pur réflexe. La petite tomba à terre, se heurtant à une branche au passage, et atterrit brusquement sur le sol, ce qui coupa brièvement ses hurlements, remplacés par une toux rauque.

Dori resta immobile au sol un moment, choquée, puis elle se mit à pleurer sérieusement, avec de petits hoquets, manifestement sous le coup de la douleur.

"Stupide enfant... c'est de ta faute..." Dani jeta un coup d’oeil autour d'elle avant de tendre la main vers l'enfant. Elle suspendit son geste instantanément lorsqu’elle entendit un craquement derrière elle.

Puis un grognement bas, guttural et vicieux.

Elle se figea, puis tourna lentement la tête et découvrit des yeux jaunes qui la regardaient fixement et une mâchoire pleine de dents très blanches qui ressortaient vivement en contraste avec la fourrure noire. "Que..."

Arès baissa la tête et grogna à nouveau en s'avança doucement vers elle, dans une démarche qui lui rappela distinctement qui était maintenant le chasseur et qui était la proie. Les lèvres du loup se retroussèrent sur des crocs acérés, alors que sa fourrure se hérissait davantage.

Dani leva les mains et recula. "D'accord... d'accord... j’ai compris... Je ne toucherai plus cette petite bâtarde...."

"Gworrll." Arès s'accroupit, se préparant à attaquer, alors que le volume de ses grognements augmentait en même temps que les pleurs de Dori.

"Ferme-là !" siffla Dani en continuant à reculer. "Tu vas nous faire tuer !"

Ares s’élança sur elle et elle se retourna rapidement avant de se mettre à courir le plus vite possible, se frayant un chemin à travers les arbres, sautant par-dessus les troncs pour s'échapper. Elle continua à courir, certaine d'entendre le martèlement des pattes juste derrière elle, jusqu'à ce qu'elle regarde derrière après s’être mis à l’abri derrière un gros arbre. "Merde." Il n'y avait plus de loup.

Soulagée, elle abandonna son idée d'enlèvement et recommença à courir, avec l'intention de revenir à l'endroit où elle avait laissé les chevaux et de poursuivre son chemin.

Elle ne vit jamais la main qui s'élança de derrière un arbre, la frappant à la gorge et l'emportant dans un tourbillon de noirceur, teintée de rouge.

************************************

"Majesté ?"

Gabrielle entendit les mots, mais il fallut de longues secondes à son cerveau pour les assimiler et lui faire lever la tête. "Oui ?" Elle se concentra sur le visage d'Aslanta et essaya de reprendre conscience de ce qu’il se passait autour d’elle. Elles chevauchaient depuis plus d'une bougie et la nuit tombait alors qu'ils approchaient de l’embouchure haute de la rivière. "Nous y sommes presque."

"Penses-tu que nous la trouverons ici ?"

Gabrielle s'appuya sur le pommeau de sa selle, reposant ses épaules douloureuses d’avoir porté son poids pendant le trajet. "Je ne sais pas... mais si elle repart dans l'autre sens, je m'en fiche... puisqu'elle n'atteindra pas la route du bas de la rivière avant au moins une semaine... tout sera fini d'ici là." Elle jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule. "Et je sais qu'elle ne peut pas se diriger vers le gué d'Amphipolis... à moins qu'elle n'ait envie de rejoindre Hadès au plus vite."

L'Amazone acquiesça. "Très bien... nous allons vérifier s’il y a des traces de son passage à l’embouchure...  et après ..... Gabrielle ?" Elle se rapprocha, plissant les yeux dans l'obscurité. "Reine Gabrielle ?"

La barde était figée, immobile sur sa selle.

"Arrêtez-vous ! " cria Aslanta tout en rapprochant sa jument de leur Cheffe en détresse. "Gabrielle !"

C'était comme si un animal sauvage s'était introduit dans son crâne. Gabrielle serra les poings sur sa selle et baissa la tête alors qu’une vague d'énergie noire la traversait. Impuissante, son corps se mit à convulser et elle bascula de sa selle, atterrissant sur le sol dans un bruit sourd à peine perceptible. Elle se mit en boule et haleta, alors que ses doigts s'agrippaient au sol avec des tics erratiques.

Josh et Aslanta descendirent rapidement de leurs chevaux et foncèrent sur la barde au sol, l'attrapant et l'empêchant de se débattre dans tous les sens. "Par les Dieux... qu'est-ce qu'elle a ?" marmonna Aslanta. "Elle allait très bien !"

Du sang. Gabrielle pouvait presque le goûter. Ses poumons s'emplirent de la puanteur, et elle sentit un plaisir profond, presque sexuel, la traverser lorsque ses mains se refermèrent autour d'une poignée invisible et son corps tressaillit lorsqu'elle sentit la faim monter en elle, réclamant une mise à mort.

Elle paniqua, poussa un cri et rentra ses mains dans sa poitrine, enroulant ses doigts dans la cape qui la couvrait pour s'agripper à un poids soudain et brûlant au creux de sa gorge.

Ses doigts touchèrent du cristal, et elle sut d'où venaient les ténèbres.

 

"Xena." Sa gorge forma le mot comme si elle avalait des cailloux autour de lui. Elle commença à sombrer dans l'hystérie, puis elle réussit à se ressaisir par un effort de pure volonté.

Elle a besoin de moi. Gabrielle s'immobilisa et resserra sa prise sur le collier, bloquant l'ardente soif de sang. "A moi." murmura son esprit, entre les bruits tonitruants de ses propres battements decoeur. Un souffle.

Une seconde.

Puis, comme si elle avait éteint une bougie avec son souffle, cela s'arrêta.

L'envie s'estompa. Le besoin s'était dissipé, la laissant malade, vide et choquée, alors qu’une vrille d'horreur absolue s'étirait à travers le lien qu'elle avait avec Xena, venant de la guerrière, réalisa-t-elle engourdie.

Son corps se détendit, s'affaissant sur le sol tandis que ses muscles rigides se relâchaient et la laissaient tremblante et faible, alors que ses compagnons anxieux restaient accroupis à ses côtés.

"Par les Dieux..." souffla-t-elle.

"Gabrielle... tu vas bien ?" La voix d'Aslanta lui semblait tranchante et douloureuse pour ses oreilles encore sensibles.

Elle releva la tête très lentement, se soutenant d'un bras. "Je crois que oui."

"Que s'est-il passé ? demanda Josh, les yeux écarquillés.

Gabrielle ferma à nouveau les yeux, et timidement, envoya une onde de chaleur en direction de sa compagne. Elle reçut en retour un écho de désespoir brutal, qui la fit presque pleurer. "C'est bon." Les mots s'échappèrent. "Tiens bon... ça va aller."

 

Elle voulait tellement toucher Xena. Si elle fermait les yeux, elle pouvait former le visage de son âme sœur dans son esprit, avec ses cheveux sombres et ses yeux hantés. Mais à la place de la toucher, elle lui envoya ce qu'elle pouvait, étant donné le contact douloureusement limité que leur lien permettait.

************************

La tente était sombre et silencieuse.

Xena était incapable de bouger, assise la tête dans les mains, essayant d'absorber ce qui venait de lui arriver.

Même assise ici, même avec le collier loin d'elle, elle pouvait encore sentir ce désir de tuer.

Elle sentait le sang sur sa langue.

"Non." haleta-t-elle doucement, alors qu'un sanglot se frayait un chemin dans sa gorge. "Non... Je ne suis pas comme ça."

Mais les larmes coulèrent, parce qu'elle savait que c'était un mensonge.

Il n'y avait pas eu de changement. Pas d'expiation.

Elle sentait les feux du Tartare lécher ses épaules et savait, au plus profond de son âme, ce qu'elle était.

Elle resta assise un long moment dans l’obscurité de la tente. Dehors, elle entendit le bruit de la catapulte qui redémarrait, et elle se demanda soudainement pourquoi elle devrait s'en préoccuper. Rien de ce qu'elle ferait ne ferait de différence... ni pour elle, ni pour .....

Ses lèvres se mirent à trembler. Ses doigts aussi lorsqu'elle les enroula autour du cristal taché de sang et incrusté de saleté qui pendait encore à son cou. Elle ferma les yeux, bien que l'obscurité à l'intérieur de la tente rende cela superflu, et à travers la puanteur de la guerre, une bouffée d'air pur s'échappa.

Le frôlement d'un doigt sur sa joue. L'absolution d'un baiser sur sa tête, si réel que si elle inspirait, elle pouvait goûter le parfum de Gabrielle sur sa langue.

Son âme se tenait au bord du précipice... suspendue par le plus fin des fils blancs et scintillants.

*************************

Arès renifla en entendant la petite qui hurlait toujours en se débattant dans les feuilles. "Gwrof."

Dori cessa alors de crier, sa poitrine se soulevant et s'abaissant rapidement tandis qu'elle reprenait son souffle, puis elle hoqueta et recommença à sangloter...

Le loup se rapprocha et lui lécha le visage, nettoyant les larmes et la faisant bafouiller.

"Guff !" Dori s'agrippa à la langue rose et la retint.

Arès gémit. "Aoerf."

"Mauvais." Dori relâcha l'appendice de son compagnon de jeu et hoqueta. Arès se remit à la nettoyer, à lui lécher les oreilles, puis il commença à descendre le long de son corps potelé.

"Maman." gémit Dori, l'air triste. "Aïe."

Un grand bruit les fit lever les yeux. Arès se retourna soudainement et s'accroupit au-dessus de sa protégée, la collerette hérissée et les crocs dévoilés. "Ggrrrrrrwwww...."

"Grrwwrrrr." grogna en retour le nouveau venu, grand et poilu. " Ça va aller maintenant, ma petite... détends-toi."

Dori cligna des yeux et le pointa du doigt. "Zusu !"

Jessan s'avança prudemment, ne voulant pas entrer en confrontation avec le loup encore hérissé. "Hé là, gamine.... Tu te souviens de moi, n'est-ce pas ?" L’Être de la Forêt se mit en position assise et tendit une main velue vers la petite. "Arès, ne me mords pas, d’accord ?"

"Growfl." Le loup baissa la tête à contrecœur et soupira.

"Bon garçon". Jessan s'avança et ramassa la silhouette abîmée et sale de Dori. "Tu sais, tu aurais dû t'arranger pour avoir de la fourrure... Je crois que tu détestes les vêtements." Il cala la petite contre lui avec un bras et l'examina avec anxiété. "Hé... que s'est-il passé ? Tu vas bien ?"

Dori se remit à pleurer doucement.

"Oh." Le visage de Jess se crispa et sa mâchoire couverte de fourrure se contracta. "Tu es blessée." La petite avait une grande ecchymose tachetée qui s'étendait sur son visage, et une marque rouge le long d'un bras. Il toucha la marque et Dori hurla, ce qui fit se dresser les poils d'Arès sur la tête. "Oh... désolé." Jessan se mordit la lèvre inférieure, consterné. "D'accord... d'accord... écoute, je vais t'envelopper pour que tu ne prennes pas froid, d'accord ? Et ensuite je vais te ramener à ta maman."

Le cri s'interrompit brusquement. "Mmm mama ?" hoqueta Dori. "Veux maman".

Jessan la berça avec précaution dans ses grands bras. "Chut... ouais, on va te ramener à maman... ça va aller, petite." Avec précaution, il enleva l'épais sac qui recouvrait le mécanisme de son arbalète et l'enroula doucement autour du corps de Dori, en bougeant son bras le moins possible. "Tu dois avoir froid."

Dori semblait épuisée. Ses cris s'étaient transformés en sanglots irréguliers et elle bougeait la tête d'avant en arrière. "Maman."

"Bientôt." lui répondit Jessan pour essayer de la calmer.

"Boo."

 

Il lissa les cheveux sombres de Dori, puis il prit sa tête dans une large paume et ferma les yeux, laissant la Vue lui montrer l’état de la petite. Son essence argentée était atténuée, et il pouvait sentir la douleur de l'enfant, mais la tristesse qui semblait l'entourer était encore plus forte. "Ça va aller, petite." Il ouvrit ses yeux dorés et se releva, tenant la petite fermement dans le creux d'un bras. "Il est temps de rentrer à la maison."

Les buissons en face d'eux bruissèrent soudainement et il se figea avant de reculer lorsque trois formes noires s'avancèrent dans la lumière de la lune. L'argent se reflétait sur le bois sombre des arbalètes dressées, et l'homme le plus proche d'eux actionna avec désinvolture le cran de sûreté de celle qu'il tenait, pointée droit sur la poitrine de Jessan. "Pose l'enfant."

L’Être de la Forêt entrouvrit ses lèvres et dévoila ses crocs. "Non."

La flèche partit et il bougea rapidement, pas aussi vite que Xena l'aurait fait, mais suffisamment pour éviter cette dernière qui glissa sur le cuir de son manteau de combat avant de s'enfoncer dans l'arbre derrière lui avec un claquement audible. Ses lèvres s'entrouvrirent davantage, se tordant en un grognement. "Un de moins".

"Nous ne voulons pas perdre de temps avec toi, bête." lui lança l'homme qui avait tiré. "Pose l'enfant et tu pourras continuer ton chemin... il n’y a pas grand-chose à manger de toute façon."

Les yeux dorés se portèrent sur le visage de Dori, puis sur celui de l'homme. Une pointe de langue cramoisie apparut entre les dents de Jess. "Elle est plus en sécurité là où elle est.... qui êtes-vous ?"

L’homme s'avança davantage et la lune révéla son armure. Jessan écarquilla les yeux devant la tête de lion brodée sur sa poitrine. Des hommes d’Andreas. Il prit une inspiration, puis la relâcha doucement.

"Ce n'est pas tes affaires... Maintenant, pose l'enfant, ou nous la prendrons de force, et tu perdras la vie en même temps que ton repas."

"Tout ce que tu vois, c'est un animal... " souffla Jessan. "Très bien." Il s’agenouilla et déposa délicatement Dori sur les feuilles avant de lui caresser les cheveux. "Reste tranquille, petite... et pardonne-moi."

Puis il se retourna et se leva d'un bond, écartant les bras et aspira une bouffée d'air qu'il expulsa dans un rugissement puissant qui fit trembler la clairière. Les hommes sursautèrent, levant leurs armes, mais il ne leur laissa pas le temps de s'en servir. D'un bond, ses griffes aiguisées balayèrent les corps, les bords tranchants s'accrochant à la chair et aux os les déchirant comme s'il s'agissait d'un lapin bien cuit.

Il poussa un nouveau rugissement et sa tête se déplaça sur le côté pour attraper entre ses dents le poignet du chef qui tentait de l'attraper. Il referma ses mâchoires et les serra, jusqu’à sentir les os se casser sous l'effet de sa force. Il donna ensuite un grand coup de tête qui arracha la main du bras, projetant une gerbe de sang sur son visage.

Le dernier d'entre eux hurla, lâcha son arbalète et s'élança vers les arbres. Jessan se jeta sur lui par derrière et l'envoya au sol, saisit alors sa tête et la tira simplement vers l'arrière, lui brisant la nuque d’un coup sec, coupant son cri à mi-voix.

Puis le silence revint dans la forêt, à l'exception des gargouillis et de la toux de Dori.

Jessan se releva, fléchit ses mains puis les secoua pour faire sortir les lambeaux de chair de ses griffes. "Ugh." Il fit une grimace, puis cracha une bouchée de morceaux de chair sur le sol avant de tirer la langue. "Par Hadès... Je déteste le goût de l'humain." Il soupira. "Mais cela signifie qu'Andreas a déjà des hommes de l'autre côté de la rivière... et Xena doit le savoir." Il s'essuya les mains sur son pantalon bleu foncé avant de reprendre Dori dans ses bras en la regardant avec inquiétude. "Tu vas bien ?"

"Bck." Dori tira la langue avec mécontentement.

"Oui." acquiesça Jessan. "Je ressens la même chose." Il plaça ensuite la petite en toute sécurité entre son coude et son buste et se mit en route à travers les arbres. Arès le suivit en trottinant à ses côtés, grognant doucement lorsqu'il passa devant les trois soldats morts.

*****************************

Setha glissa une cape pliée sous la tête de Gabrielle, alors que la barde était déposée délicatement sur une couchette dans le chariot. "Doucement." murmura-t-elle au soldat qui l'avait transportée depuis qu’elle s’était évanouie. "Que s'est-il passé ?"

"J’en sais rien du tout." Aslanta essuya ses mains sur sa tunique. "Nous n’avons repéré aucun signe de cette meneuse de chevaux, et quand on est arrivé au col... la Reine a eu une sorte de crise."

"Une crise ?" La guérisseuse releva brusquement la tête.

"Ou quelque chose comme ça. Elle est tombée de son cheval et a commencé à convulser... puis elle s'est éteinte comme une lumière." Aslanta jeta un regard inquiet à la barde. "Est-ce que c’est cette coupure ? Je pensais qu'elle était en train de guérir."

Setha se glissa dans le chariot. "Peux-tu m'aider avec cette armure ? Je ne sais pas trop comment elle s'enlève." Les deux femmes s'attaquèrent aux boucles usées et enlevèrent les couches superposées sur le dos de Gabrielle. Puis la guérisseuse enleva le bandage taché de sang qui se trouvait en dessous. "Hm."

La coupure traversait la colonne vertébrale de Gabrielle où des points de suture nets et précis la maintenaient fermée, permettant juste un léger suintement pour soulager la pression à l'intérieur. "Ce n'est pas aussi grave que ça l'était." murmura Setha en touchant la peau d'un doigt. "L’infection se réduit aussi..non...je ne pense pas que ce soit ça."

Gabrielle remua, peut-être en sentant les doigts à proximité de sa blessure, et ses mains se fléchirent faiblement. "Umg."

"Tout va bien, Gabrielle." Aslanta posa une main sur son épaule. "Tu es en sécurité."

Sa tête ressemblait à l'intérieur d'une marmite brûlée. Gabrielle déglutit péniblement, puis elle se redressa un peu et leva les yeux. "De l'eau ?" On lui tendit une gourde qu'elle porta à ses lèvres d'une main tremblante avant d’aspirer le liquide avec soulagement. Les souvenirs de ce qu'elle avait ressenti il y a si peu de temps remontèrent à sa conscience, et elle dût s'arrêter de boire et déglutir plusieurs fois pour ne pas vomir. "Combien de temps suis-je restée inconsciente ?"

"Une bougie." lui répondit Aslanta en la regardant, inquiète. "Est-ce que tu sais ce qui s'est passé ?"

Est-ce qu’elle le savait ? Gabrielle se frotta les yeux. "Je n'en suis pas sûre." De Xena... elle ne sentait qu'un silence sourd, comme si l'intensité même de leur échange avait surchargé ce lien parfois fragile qu'elles avaient entre elles. "Est-ce que vous avez retrouvé Dani ?"

"Non." Aslanta secoua la tête. "J'ai laissé un garde au col... nous voulions te ramener ici. Nous n'avons pas vu d'autres traces de passage là-bas." Elle haussa les épaules. "Peut-être qu'elle s'est dirigée vers le chemin le plus long... peut-être qu’elle voulait éviter les ennuis."

Gabrielle prit une grande inspiration. "C'est possible." concéda-t-elle, avant de jeter un coup d’oeil par-dessus le bord du chariot. "Des nouvelles de Jess ?"

Elles restèrent silencieuses, sans oser croiser son regard. Les torches à proximité clignotaient de façon irrégulière, éclairant leurs visages par intermittence. Gabrielle se redressa à moitié et s'agrippa sur un côté du chariot alors que ses yeux fouillaient l'obscurité autour d'eux avec une intensité douloureuse.

"Gabrielle." hésita Aslanta. "Nous devons nous remettre en route... l'attaque va bientôt commencer là-bas."

La barde posa son menton sur le bois, sentant sa texture rugueuse contre sa peau et son odeur terreuse. Elle savait qu'Aslanta avait raison.

Le bien commun l'exigeait. Elle ferma les yeux et souhaita être quelqu'un d'autre, à une autre époque, n'ayant rien d'autre à penser que de savoir où trouver des baies pour le dessert du dîner. "Allez-y." déclara-t-elle finalement en regardant la Reine Amazone. "Je vais attendre ici jusqu'à ce que Jess revienne."

"Gabri...

"Partez." ordonna-t-elle alors que son visage se refermait. "Je vous rattraperai."

"Tu ne peux pas rester ici toute seule." essaya de la dissuader la Reine Amazone.

 

"Je ne peux pas partir sans savoir ce qui est arrivé à ma fille". Répondit Gabrielle sur un ton inflexible, même si une autre pulsion la poussait entièrement dans l'autre direction, ressentant un besoin viscéral d’être auprès de Xena.

Découvrir ce qui s'était passé et s'assurer qu'elle était... Gabrielle inspira. En sécurité. Elle envoya tout son amour à travers le lien, puis elle reporta son regard vers les ombres, souhaitant que Jessan en sorte.

Et c'est ce qu'il fit.

Entre deux arbres, les ténèbres ondulèrent et se séparèrent, les torches envoyant des mèches de lumière sur une fourrure dorée éclaboussée de quelque chose de beaucoup plus cramoisi.

"Jess !"

L’Être de la Forêt s'approcha d'elle et ses yeux vibrèrent lorsqu'ils rencontrèrent les siens avant de se fixer vers un petit paquet porté dans le creux de son bras. Un petit cri retentit. "Chut..." chantonna-t-il doucement en s'approchant d'elles. Aslanta recula pour lui faire de la place près du chariot. "Voilà ta maman, petite."

Gabrielle oublia son dos et prit le paquet qui bougeait difficilement. "Merci, Jess."

"Elle est blessée." lui dit-il. "Elle a dû tomber, ou quelque chose... Je ne sais pas. Son bras... et..."

La barde se déplaça et l'un des soldats approcha une torche. "Oh.…" Son cœur se serra lorsqu'elle vit l'horrible ecchymose qui couvrait un côté du visage de Dori. "Chérie, qu’est-ce-qui s'est passé ?"

"Maman." Dori la regarda à travers un œil gonflé. "Maman.…" reprit-elle avant de se mettre à pleurer. "Maman...aïe."

Gabrielle se réinstalla doucement dans la paille, berçant Dori contre elle tout en caressant doucement ses cheveux sales et emmêlés. " C'est bon.... tout va bien."

Aslanta souffla puis elle se dirigea vers sa monture. "Mettons-nous en route." Elle monta à cheval et regarda Jessan s'installer sur le siège du conducteur du chariot. "Tu es tombée dans un bourbier ?"

Des yeux sauvages et dorés se posèrent sur elle. "Ce n'est pas de la boue." Jessan prit les rênes et fouetta doucement le dos des chevaux, et le chariot partit avec un grincement de protestation en suivant les ornières peu visibles laissées par l'armée.

****************************

Le vent soufflait sur l'herbe de la rivière, apportant une odeur âcre sur le camp. Une partie des remparts n'était plus qu'une masse de boue fumante, et pour l'instant, les attaques à la catapulte s'étaient arrêtées. Xena était assise sur le mur, le visage inexpressif et froid, et regardait les ombres entrer et sortir des minuscules rayons de lune qui perçaient à travers les nuages qui s'amoncelaient.

Elle entendait le grincement des harnais. Les pas feutrés des chevaux qui se mettaient en position, préparant une charge de cavalerie contre ses forces.

Elle avait du mal à s'en soucier.

"Xena."

"Oui." Elle continua à regarder dehors, les mains posées sur l'épaisse surface du mur. Toris grimpa à côté d'elle, mais elle se sentait très loin de tout ça, même de lui. "Qu'est-ce que tu veux ?"

Son frère posa ses coudes sur le mur. "Tu as l'air plutôt silencieuse."

"Vraiment ?" murmura Xena.

"Eh bien, oui." Toris se redressa. "Tu vas bien ?"

Xena tourna la tête et croisa son regard, l’observant tressaillir en retour. "Ils vont attaquer. Probablement dans moins d'un quart de bougie. Veille à ce que tout le monde soit prêt."

 

"Euh... d'accord". répondit Toris. "Quel genre d'attaque ?"

"La cavalerie." lui répondit brièvement Xena. "Probablement des flèches enflammées. Continuez à tout humidifier et gardez la boue à proximité."

Il se déplaça et commença à se tourner, mais s'arrêta finalement et posa une main sur l'épaule de Xena, sur les épaisses plaques de l'armure et leur ornementation métallique. "Sois prudente, sœurette."

Xena ne répondit pas. Elle se contenta de le regarder jusqu'à ce qu'il retire sa main et commence à descendre le long du mur. La lune était apparue, l'illuminant d'une lumière argentée, et lorsqu’il leva les yeux pour voir la forme ombragée de sa sœur qui se tenait au-dessus de lui d'un air menaçant,...

...Il frissonna.

Xena se retourna pour scruter à nouveau l'horizon. Au bout d'un moment, ses poils se hérissèrent et elle se raidit, sentant une présence familière derrière elle. "Bonjour, Arès." Elle le sentit se rapprocher.


"Eh bien, eh bien." La voix grave et suave caressait ses sens, touchant des cordes en elle qui avaient été mises en sourdine pendant des années. "On peut dire que c’est le cas." Le bout d'un doigt caressa le métal travaillé de son armure. "Tu ressembles davantage à la Xena dont je me souviens."

C'est ce que je ressens aussi. Xena se retourna et s'appuya contre le mur, en le regardant froidement. "Qu’est-ce que tu veux ?"

"Toi." Les lèvres du Dieu se serrèrent avant de se tordre dans un sourire appréciateur. Leurs regards se croisèrent, puis il se laissa aller à une longue exploration de la silhouette fine et musclée devant lui. "Je suis heureux de sentir à nouveau cette flamme délicieuse brûler en toi, Xena."

 

"Que veux-tu de moi, Arès ?" redemanda Xena, d’une voix basse, teintée de moquerie. Elle se laissa aller à lui retourner son regard. "Tu t'ennuies déjà avec ton nouvel ami ?" Un soupçon de sourire lui échappa. "Tu viens chercher ce que tu veux vraiment ?"

Les yeux du Dieu de la Guerre s'illuminèrent et il s'approcha d'un pas, avant de tendre une main pour effleurer sa joue. "Je me demande s'il a la moindre idée de ce à quoi il est confronté." Ce fût au tour d'Arès de sourire. "Il veut te posséder, Xena... " Le Dieu de la Guerre pencha la tête en arrière et rit. Xena se joignit à lui. Leurs tons s'accordaient tandis qu'ils se déplaçaient et se rapprochaient l'un de l'autre.

"Alors... " Xena laissa les rires s'éteindre. "Quel est ton jeu ?"

Arès l’encercla, en posant ses bras sur le mur de part et d’autre du corps de Xena, d’un air presque propriétaire. "Il n'est pas mauvais, Xena. Pas dans ta catégorie... mais il n'est pas mauvais."

"Et ?"

"Il veut prendre Athènes... Je veux qu'il prenne Athènes... Il faisait du bon travail pour y arriver... jusqu'à ce que tu entres en scène."

La guerrière releva un sourcil sombre. "Vraiment désolée." rétorqua Xena ironiquement.

"Oh... ce n'est pas grave." Arès lui caressa la joue. "J'étais en colère au début, mais tu sais, Xena... c'était tellement... " Il remua les doigts. "Tellement satisfaisant pour moi de te voir ruiner chacun de ses plans... J'avais oublié à quel point tu étais douée quand tu t'y mettais."

"Mm." Xena tendit la main et joua avec un bout de sa veste en cuir, l'observant sous des paupières à demi baissées. "J'ai eu un bon professeur."

Les narines d'Arès se dilatèrent et ses yeux s'illuminèrent d'excitation. "Tu étais mon élève vedette."

sourit-il de façon séductrice.
 

Xena lui répond par un sourire. "Que veux-tu que je fasse ?"

"Pas grand-chose". Le grand Dieu se rapprocha encore un peu. "Ne résiste pas à son armée, Xena... laisse-les gagner."

La guerrière releva un sourcil.

"Ensuite... une fois que je l'aurai tué... nous pourrons fusionner son armée et la tienne... et nous diriger vers Athènes."

"Mm... juste toi et moi ?" demanda Xena, légèrement. "Comme au bon vieux temps ?"

Arès avait l'air d'avoir gagné les clés de la salle du trône privée de Zeus sur le Mont Olympe. "C'est ça, Xena... Allez. Je l'ai senti quand tu as lâché prise tout à l'heure... tu en as envie. Tu sais que c’est ce que tu veux."

C'était vrai. Xena avait accepté cette vérité. Avec l'armée d'Andreas, rien ne pourrait l'arrêter. Elle pouvait tout prendre, et alors qu'elle imaginait cette réalité, un désir brûlant parcourut son corps. "Ça marcherait."

Les dents blanches d’Ares brillèrent alors qu’il sourit. "Alors tu vas le faire ?"

Xena sourit à son tour, si proche de lui qu'ils pouvaient presque se goûter l'un l'autre. "Non." Elle souffla sur sa poitrine et remua les poils sombres et bouclés.

"Super... que... quoi ?" Arès fronça les sourcils. "NON ?"

Un long doigt tapota la poitrine. "Je ne me retournerai jamais contre mon propre camp, Arès, pour personne." lui expliqua Xena. "Même pas pour toi."

Arès recula et fit les cents pas devant elle, c’est tout ce qu'il pouvait faire sur la minuscule plate-forme où ils se trouvaient. "Ne sois pas stupide, Xena... tu ne peux pas gagner cette guerre, toi et moi le savons tous les deux."

"Nous verrons bien." Xena se redressa lentement.

"Tu mourras."

La tête sombre hocha la tête, juste un peu. "Bien." murmura Xena. "Il était temps."

Il se figea. "Tu veux mourir ?" ricana-t-il. "Et dire adieu pour toujours à ta petite bimbo blonde ?"

Xena tourna la tête et le regarda fixement. "Je vais tenter ma chance."

Dégoûté, il leva les mains avant de les laisser retomber. "Je ne comprends pas, Xena. Pourquoi ?"

Un léger sourire traversa le visage de l'ancienne Seigneur de guerre. "Parce que ça t'énerve." répondit-elle avant que son visage prenne un air tristement sérieux. "Et parce que c'est la bonne chose à faire."

Le Dieu de la Guerre lui lança un regard noir. "Tu vas mourir bientôt, Xena… et pas d’un coup d'épée rapide pour toi. "Il la pointa du doigt. "Et je vais m'assurer, avant que tu ne meures, que tu vois ta précieuse petite amante mourir écorchée vive sous tes yeux." Ses mains se déplacèrent dans un flou, et elle eut à peine le temps d'esquiver une boule de feu qui passa au-dessus de son épaule droite, brûlant la boue avec malveillance. Puis il ricana et disparut dans un bruit sec, laissant derrière lui une odeur de feuilles brûlées et d'armure rouillée.

Xena fixa l'endroit où il s’était trouvé pendant un long moment, avant de laisser son corps se détendre lentement. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu'elle sortit un petit morceau de papier de sous son armure avant de le relire à la faible lumière de la lune.

****************************

La lune entrait et sortait des nuages, plongeant le chariot tour à tour dans l'ombre et la lumière, tandis qu'ils progressaient à travers les arbres clairsemés. Jessan conduisait toujours le chariot, ses yeux dorés scrutant le chemin devant lui alors que ses oreilles arrondies pivotaient d'avant en arrière. Aslanta et trois autres soldats chevauchaient deux par deux de chaque côté du chariot, les manteaux tirés autour d'eux pour les protéger du vent froid.

Gabrielle était allongée sur le côté, la tête calée contre un sac plié et un bras enroulé autour du corps de Dori. Elle regardait sa fille les yeux entrouverts, heureuse que le bébé se soit enfin endormi. "Pauvre petite." murmura-t-elle en repoussant une mèche de cheveux noirs hors des yeux fermés. Elle avait soigneusement nettoyé la boue et la saleté du corps de Dori, avec l'aide de Setha, puis la guérisseuse avait examiné le bras blessé du bébé et l'avait enveloppé d'un bandage soigné pour le maintenir en place.

Il n'était pas cassé, pensait-elle, mais elle n'en était pas sûre. Gabrielle regarda les ecchymoses visibles avec tristesse. "Tu penses qu'elle est tombée ?" demanda-t-elle doucement à la guérisseuse.

Setha avait déballé quelque chose dans ses sacs et lui tendait maintenant un peu de pain de mie et de fromage. "Tiens…" Elle attendit que Gabrielle prenne l'offrande. "C'est difficile à dire, Majesté.

"Juste Gabrielle, s'il te plaît." l'interrompit la barde.

"Pourquoi ?" demanda Setha.

"Hm ?"

La guérisseuse étendit son corps dans la paille avant de mâcher son propre pain. "Pourquoi rejettes-tu ainsi ton rang ?"

Gabrielle resta silencieuse pendant plusieurs battements de cœur, un sillon apparaissant sur la peau de son front. "Je ne sais pas." finit-elle par répondre pensivement. "C'est juste que je ne me vois pas comme ça, je suppose." Elle grignota le bord du fromage. "Je n'ai jamais été à l'aise avec ce genre d'autorité... Je laisse ça à Xena."

"Est-ce qu'elle t'en veut ? D’être la Reine ?"

La barde marqua une pause, puis elle secoua la tête d'avant en arrière plusieurs fois. "Non." Elle but une gorgée d'eau et souhaita que le voyage se termine rapidement. "Nous ne sommes pas en compétition."

"Hm." La guérisseuse absorba la réponse, puis changea de sujet. "Je dirais qu'elle s'est peut-être cognée contre un rocher... ou un arbre, Gabrielle, pour répondre à ta question. Je ne pense pas qu'une chute puisse causer un tel hématome, surtout que..." Setha posa un doigt prudent sur l'une des joues de Dori. "Tu vois ici ? On dirait presque une empreinte de main. "

Gabrielle se pencha et étudia la marque. "Une empreinte de main..." répéta-t-elle, perplexe, avant que son visage se crispe de colère. "Tu veux dire que quelqu'un l'a frappée ?" Du coin de l'oeilœil, elle aperçut Aslanta qui se rapprochait, la tête de l'Amazone penchée marquait son intérêt pour la conversation. "Jess ?"

L'Etre de la Forêt tourna la tête. "Hum ?"

"Est-ce qu’elle était seule quand tu l’as retrouvée ?" Gabrielle sentit un sentiment d'alerte remuer la fatigue sourde qui s'était installée en elle.

"Arès était avec elle...mais..." Jess se mordilla la lèvre inférieure. "Il y avait des traces de pas autour… mais après j’ai été pas mal occupé et je n’y ai plus pensé." continua-t-il. "Trois soldats d'Andreas sont arrivés à ce moment-là et, disons que j’ai dû m’en occuper."

Gabrielle se redressa brusquement. "Des hommes d'Andreas ? Ici ?"

"Plus maintenant." répliqua Jess doucement. "Ils ressemblaient à des éclaireurs... comme s'ils avaient vécu à la dure pendant un certain temps." Il fit une moue dégoûtée. "Ils n'avaient pas pris de bain récemment."

La barde inspira. "Combien d’autres sont arrivés jusqu’ici ?" Elle jeta un coup d’oeil dans l'obscurité, souhaitant que la nuit soit finie. "Penses-tu qu'ils ont trouvé l'armée ?"

Jessan resta silencieuse un moment, puis soupira. "Ils semblaient plus intéressés par la petite." dit-il en désignant de la tête la forme endormie de Dori. " C'est lâche, si tu veux mon avis. Qu'est-ce que vous avez, vous les humains ? Mon peuple ne s'en prendrait jamais à un enfant."

Dori remua et son visage se plissa d'inconfort. "Bck."

"Chut." Gabrielle serra plus étroitement le tissu doux qui la recouvrait. "Rendors-toi, chérie... ça va aller." Elle n'avait pas vraiment de réponse à donner à Jessan, si ce n'est ce qu'elle avait appris de la nature humaine au fil des ans, à savoir que profiter des faiblesses était un trait de caractère que sa race semblait avoir développé, presque jusqu'à une forme d'art. Après tout, n'était-ce pas ce que faisait Xena elle-même ?

Xena s'en prendrait-elle à un enfant ?

"Maman." Dori la regarda d'un air malheureux.  Elle leva une main et tapota son visage enflé. "Ow."

Gabrielle attrapa sa main et la tint doucement. "Non, chérie... ça ne ferait qu'empirer les choses." Elle prit Dori dans ses bras et la berça alors qu'elle se mettait à pleurer. " Shh... shh.…" Le bruit résonnait fort dans l'obscurité qui les entourait. "Tiens... tu veux une friandise ? Maman a une boule de miel pour toi."

Elle introduisit la friandise dans la bouche de Dori et glissa une main sous le tissu rugueux qui la recouvrait, pour frotter doucement son ventre.

"Gurk". Dori se calma, apparemment réconfortée.

La barde soupira et se pencha en arrière, grimaçant en redressant son corps douloureux. "Combien de temps encore ?"

Aslanta se redressa sur ses étriers et grogna. "Une bougie et demie... cela nous permettra d'atteindre la dernière crête avant la vallée de la rivière." Elle se rassit. "Je me demande comment ils s'en sortent là-bas ?"

Je me le demande aussi. Gabrielle continua à caresser doucement sa fille, regardant ses yeux s'assombrir. Elle avait découvert le point faible de Dori un soir où le bébé était plus agité que d'habitude et, frustrée, elle avait essayé la seule chose qui fonctionnait toujours sur sa Boo, beaucoup plus grande, souvent grincheuse et tout aussi agitée.

Et ça avait marché. Gabrielle regarda avec humeur les nuages qui cachaient la lune et la plongeaient dans l'obscurité. J'aimerais que Xena soit là maintenant. Je parie qu'elle aurait besoin d'un bon massage du ventre, elle aussi.

****************

"Les archers sur les remparts !" hurla Xena, attrapant une flèche enflammée au passage avant de la renvoyer dans l'autre direction. Elle sauta d'une plate-forme à l'autre, esquivant une lance alors qu'elle se mettait en position et attrapait un arc. Elle encocha une flèche et attendit, ne voyant que des éclairs de feu dans la nuit alors que la cavalerie passait en trombe, envoyant des éclairs enflammés dans leur direction. "Regardez..."

Les deux soldats à côté d'elle s'approchèrent, leurs corps lourdement armés se pressant contre les siens. "Ils respectent un rythme." Xena hocha la tête en rythme avec le cheval qui courait, à peine visible dans la lumière irrégulière de la lune. " Badaboum...badaboum... badaboum..." Elle relâcha la corde et frappa, et un bruit sourd retentit tandis que le cavalier le plus proche tombait violemment au sol,  tant son tir fût puissant. "Attendez qu'ils soient à moitié debout pour lâcher la flèche – vous pouvez voir le feu s'élever."

"J'ai compris." acquiesça le plus grand des deux. "Je vois ce que tu veux dire, génr'le."

"Bien." Xena lui tendit l'arc. "Allez... arrêtez-moi ces bâtards."

"Oui, génr’ale." L'homme acquiesça et se dirigea vers le bord du mur. Xena sauta sur la plate-forme suivante, où deux archers éliminaient déjà des attaquants. Elle les étudia, puis se retourna et sauta de la surface en bois avant d'atterrir sur le sol boueux et de marcher à travers les troupes qui traversaient la zone derrière le mur. Ils étaient occupés, oui... mais elle ne sentait ni panique, ni peur.

C'était bien.

"Xena !"

Elle se retourna et aperçut la silhouette qui courait vers elle. "Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Toris dit qu'il pense qu'ils sont plusieurs à essayer de creuser près de l'extrémité ouest... il entend des coups de hache." L'homme était l'un des sergents de Bennu, un homme solide et épais aux cheveux roux grisonnants.

"Ah oui ?" Xena sourit. "Très bien." Elle le contourna et se mit à courir vers la zone en question, sa cape se déployant derrière elle. A l'approche du mur, elle allongea sa foulée et sauta, s'agrippant à l'extrémité carrée, où il n'y avait pas de plate-forme pour se tenir debout. Elle escalada le mur intérieur et atteignit le sommet, puis elle se hissa par-dessus et s'arrêta, jetant un coup d’oeil dans l'obscurité trouble.

 Elle pouvait entendre le bruit d'une hache et le raclement d'une pelle à creuser. Un sombre frisson la parcourut, et elle se redressa avant de sauter par-dessus le mur et de se laisser tomber sur le sol de l’autre côté.

Pas de cris. Aucun bruit, si ce n'est le murmure de l'acier contre le cuir alors qu'elle dégainait son épée et trouvait ses victimes par instinct, un frôlement de cheveux contre ses mains lui amena un cou à trancher en premier. Le corps glissa sous elle et elle fit un petit pas en avant, découvrant un deuxième homme qui ignorait toujours sa présence. Sa dague trouva sa gorge, libérant du sang chaud sur ses mains, et elle enjamba le corps pour retrouver le groupe principal d'attaquants, qui travaillaient régulièrement sur la surface du mur. "Bonjour, les gars." déclara Xena, assez fort pour qu'ils l’entendent.

 

Ils sursautèrent et se retournèrent, et ne virent qu'une ombre menaçante en armure entre eux et la sécurité. Xena leva sa lame, et le clair de lune l’illumina un instant, la faisant scintiller tandis qu'elle bondissait déjà en avant et attaquait le plus proche, envoyant un bras dans un sens, et la tête dans l'autre.

Un homme hurla.

Les autres se mirent à courir, essayant de s'éloigner d'elle, tandis qu'elle s’élançait pour les attaquer,  se frayant un chemin à travers le groupe confus qui trébuchait les uns sur les autres dans une peur pure et animale. "Je n'aime pas qu'on mette le bazar dans mes murs.…" Elle souleva le dernier d'entre eux encore en vie et plaça son corps contre la surface humide, en le regardant avec une intensité féroce. "Tu m'as compris ?"

Il hocha rapidement de la tête. "Alors retourne d’où tu viens et tu leur dis... que si quelqu'un d'autre essaie ça... Je leur arrache le cœur." Avec un grognement, Xena tournoya et le jeta loin d'elle, sur les corps de ses compagnons, et elle regarda sans compassion le jeune homme se relever et s'enfuir à l'aveuglette.

Xena gloussa doucement, puis elle se retourna pour examiner les dégâts, touchant les entailles dans la structure en bois. Satisfaite, elle rengaina son épée et s'accroupit avant de bondir vers le haut et d’attraper une maigre prise, juste assez pour lui permettre de balancer une jambe par-dessus le mur, pour faire levier.

Elle retomba légèrement sur le sol de l'autre côté et s'essuya les mains. "Nous avons besoin d'une plateforme pour des archers ici." Elle saisit un soldat à proximité. "Faites monter les supports. Je ne veux pas que cela se reproduise."

Toris apparut d’un côté. "Tu as reçu mon message ?"

"Je m’en suis occupée." répliqua Xena. "Fais tourner un groupe d'archers sur les murs. Ils font ça pour nous épuiser... l'attaque frontale aura lieu à l'aube."

Son frère acquiesça et partit en courant.

Xena passa en revue les défenses, tout en essuyant le sang qui séchait sur ses mains et sur sa cape. Elle se retourna lorsque son nom fut à nouveau appelé, cette fois d'une autre direction. Deux des hommes de Bennu venaient vers elle, avec une grande silhouette qui se tortillait entre eux, essayant manifestement de s'enfuir. La guerrière releva un sourcil lorsque la lumière de la torche lui permit de reconnaître le captif.

"Que se passe-t-il ?" demanda-t-elle au plus proche des deux soldats.

"Nous avons eu des nouvelles de la vallée... cette femme a quitté le camp en volant au passage quelques chevaux." répondit l'homme. "Nous l'avons trouvée en train d'essayer de se faufiler dans la forêt près de la rivière."

"Lâchez-moi." râla Dani. "J'essayais juste de sortir d'ici avant d'être tuée." Son visage était à moitié couvert de sang séché et ses yeux refusaient de rencontrer ceux, plus froids, de Xena. "C'est un crime ?"

Xena l'étudia, analysant les mains qui se contractaient et le tic nerveux juste à côté de son œil gauche. "Tu as décidé que tu ne nous aimais plus, Dani ?" demanda la guerrière, avec une douceur trompeuse. Une acclamation s'éleva des murs et elle tourna la tête pour voir un certain nombre d'archers lever le poing en l'air. Elle poussa un cri en réponse et ils sifflèrent à leur tour. Elle reporta son attention sur Dani et ses ravisseurs. "Amenez-la à l'intérieur." en désignant la tente dédiée à la stratégie qui était toute proche, et dont le rabat pendait mollement et bougeait au gré de l'air.

Xena plaça la torche qu'elle avait récupérée à l'extérieur dans son applique et contourna la table où elle avait dans le passé installé ses cartes et qui était maintenant débarrassée de son contenu et présentait une belle surface plane. Elle prit l'outre accrochée au poteau de soutien, dévissa le bouchon et avala une longue gorgée de vin pendant que les soldats amenaient Dani à l'intérieur, avant de se mettre au garde-à-vous de chaque côté de la prisonnière.

"Laissez-nous."

Les hommes obéirent sans poser de questions et Xena se laissa aller à la douceur de se rappeler à quel point elle aimait cela. Elle prit une autre gorgée de vin sucré et la chaleur se répandit agréablement dans son estomac vide. "Alors..."

Dani parcourait la pièce des yeux sans jamais les poser sur elle.

"Combien pensais-tu qu'il te donnerait ?"

"Je ne vois pas de quoi tu parles." marmonna Dani.

"Bien sûr que si." Xena se percha sur un coin de sa table, laissant une jambe se balancer nonchalamment. "Tu t'es dit que tu allais traverser la rivière et raconter tout ce que tu savais à Andreas."

La cavalière lui jeta un regard plein de ressentiment. "Pas moi. Je voulais juste dégager d’ici. Je pensais que tu me récompenserais pour ces chevaux, mais je n'ai eu droit qu'à un tas de conneries."

"Tu aurais eu ta récompense." répondit Xena. "Après la guerre."

Dani renifla. "Ce n'est pas assez bien."

La guerrière haussa les épaules. "Ce n'est pas mon problème." Elle se leva et s'approcha de l'autre femme avant de commencer à lui tourner autour. "Mais toi, tu es un problème, n'est-ce pas ? Si tu avais vraiment voulu juste t'en aller, tu aurais couru dans l'autre sens, Dani... pas vers la guerre..." Xena lui tourna le dos et s'approcha d'une presse en bois près du mur de la tente. Elle actionna la serrure et souleva le couvercle manufacturé. Elle en sortit un sac, puis laissa retomber le couvercle. "Alors, je te repose la question. Combien pensais-tu obtenir ?"

Dani croisa les bras. "Je ne sais pas." Elle observa la silhouette en armure qui lui tournait toujours le dos. "Je ne pensais pas que tu serais aussi détendue à ce sujet." poursuivit-elle, une note curieuse dans la voix.

Xena rangea le sac sous son armure et retourna vers la table, avant de se percher à nouveau sur le bord en laissant ses mains reposer sur sa cuisse. "Je suis réaliste." Elle haussa les épaules. "Je préfère ne pas acheter mes allégeances, mais je ne suis pas assez stupide pour penser que je n'ai pas à le faire, parfois." Elle releva les yeux et croisa le regard de Dani, en relâchant un peu les rênes de sa personnalité. "Il t'aurait tuée."

La grande femme aux cheveux de paille se décala. "Peut-être". Répliqua-t-elle en haussant les épaules d’un air faussement nonchalant.

"Non, pas peut-être." Xena se leva et s'approcha d'elle doucement. "Il n'est pas aussi..." Les dents blanches apparurent brièvement dans un sourire tordu. "… Facile à vivre que moi." Elle tapota la poitrine de Dani, qui sursauta. "Il se serait souvenu que c’était toi qui avais volé ses chevaux en premier lieu... et il t’aurait fait écorcher vive."

Dani resta silencieuse.

"Et tout ce que tu lui as fait perdre ce sont des chevaux, alors que je risquais de perdre la vie de beaucoup de gens qui comptent beaucoup pour moi… alors à ton avis, que dois-je faire de toi ?" demanda Xena doucement. "Que dois-je faire de la personne qui vendrait mes soldats pour quelques dinars."

D'un geste brusque, la guerrière attrapa sa captive par la gorge et la serra, souriant sadiquement lorsque Dani lui attrapa le poignet et essaya de se dégager, en vain. "Hmm ?"

"Grrr." La grande femme tordait son corps d'avant en arrière, mais c'était comme tirer sur un arbre, car cela n’avait aucun effet sur la forme robuste de Xena. "Lâche-moi!"

"Non." Xena fit un pas en avant, et la poussa à reculer, la faisant à moitié trébucher. "Pourquoi devrais-je le faire ?"

"Je peux te dire des choses."

"Tu n’as rien à me dire." grogna férocement Xena. "Tu n'as rien qui puisse valoir d’acheter ta misérable vie."

Dani se débattait frénétiquement, mais sa gorge était maintenue par une poigne d'acier que ses doigts ne pouvaient même pas faire bouger. "Ah ouais ? Et ta maudite gamine alors ?"

Le comportement de Xena passa du feu à la glace en un clin d’oeil. Sa main libre se leva et frappa d’un coup, faisant tomber Dani comme une pierre sur le sol. Elle s'accroupit à côté d'elle et regarda la femme lutter pour respirer, incapable de bouger un muscle. "Qu’est-ce que tu as à dire à propos de ma fille ?"

"Je... laisse-moi partir."

"Parle ou meurs." déclara la guerrière froidement. "Tu as trente secondes."

Dani haleta et la fixa, le visage crispé par la peur. "Je l'ai trouvée dans les bois." s’exprima-t-elle difficilement en s'étranglant à moitié.

"Et ?"

"Laisse-moi partir !"

La guerrière se contenta de la regarder froidement.

"Cette stupide gamine criait si fort que je l'ai laissée là-bas."

D'un geste, Xena libéra la pression avant de se lever brusquement. Elle se dirigea vers la table et appuya ses mains dessus alors que son corps commençait à trembler en réaction. Elle écouta les halètements derrière elle et prit plusieurs respirations profondes, alors que son monde, d’ordinaire noir et blanc, se teintait de gris. "Pourquoi criait-elle ?" s’écria Xena en se retournant avant de bondir d’un coup et de soulever Dani pour la projeter à travers la tente. "Qu'est-ce que tu lui as fait ?" Sa voix s'était transformée en un grognement rauque, alors qu’elle soulevait la femme à nouveau et la plaquait violemment au sol.

"Rien !" hurla Dani, les yeux exorbités par la peur.

"Menteuse !" Xena se rapprocha. "Dis-moi !"

Leurs respirations rapides et haletantes comblèrent le silence pendant un moment. "Je l'ai juste giflée un peu... pour qu'elle LA FERME !" finit par hurler Dani. "Cette sale gamine stupide !"

La guerrière la fusilla du regard. "Tu as frappé ma fille ?" répliqua la guerrière froidement.

"Je suis sûre que ce n'était pas la première fois que cette gamine s’en prenait une." cracha Dani, sans se soucier des conséquences. "Toi et ta putain d'Amazone, vous devez avoir l'habitude."

Xena se leva lentement, soulevant la dresseuse de chevaux avec elle. Comme dans un rêve, elle se baissa et sortit sa dague de sa botte, en gardant les yeux sur le visage de Dani, tandis qu’une horrible pensée s’infiltrait dans son esprit. "Tu l'as tuée ?"

"J’aurais bien aimé !" déclara Dani en riant froidement. "Mais je l'ai juste frappée contre un arbre... je voulais qu'elle se taise pour pouvoir l'emmener de l'autre côté de la rivière et en tirer un très, très bon prix."

Xena leva le bras vers l'avant et la lame de la dague transperça l'estomac de sa victime avant que la guerrière ne la tourne sadiquement de droite à gauche.

Dani hurla.

La guerrière laissa tomber le couteau avant d’enfoncer violemment sa main dans l'entaille. "Salope". Elle poussa de toutes ses forces vers le haut, brisant des os au passage tandis que ses doigts tranchaient des veines et perforaient le tissu spongieux des poumons de Dani. La femme haleta et s'étouffa dans son sang en tremblant violemment alors que la main de Xena trouvait sa cible.

Et se referma sur elle.

Elle serra et tira d'un coup sec.

Dani s'effondra avec un grognement, son corps sans vie tombant aux pieds de Xena.

Pendant un long moment, la guerrière fixa sans émotion sa main droite, couverte de sang, qui tenait un morceau de chair dans sa paume.

Le coeur pompait encore légèrement.

Puis, Xena le laissa tomber mollement sur le corps.

"Xena... " Toris écarta le rabat et entra, avant de se figer en état de choc, en fixant sa sœur avec des yeux écarquillés. "Qu’est-ce que ..." Il regardait la forme ensanglantée de Dani et les mains pleines de sang de Xena, et recula d'un pas. "Par les Dieux... qu'est-ce qui t'arrive ?"

Sans un bruit, Xena enjamba le cadavre et le dépassa, sortant de la tente avant de s'enfoncer dans l'obscurité.

***********************

Gabrielle s'appuya sur son bâton, observant avec inquiétude Setha qui changeait le bandage du bras de Dori. Ils avaient atteint la nouvelle position de l'armée et se trouvaient maintenant au centre du camp, entourés de petits feux sans fumée autour desquels les troupes se blottissaient en parlant à voix basse et en partageant des rations de voyage rudimentaires.

"Comment va-t-elle ?"

Setha ajusta le nouveau bandage sur le bras de la petite et sourit à la barde inquiète. "Elle va bien Gabrielle... Va plutôt chercher quelque chose de chaud à boire... tu as l'air épuisée."

"Mm." La barde regarda sa fille à moitié endormie. "D’accord... hé chérie... je vais chercher à manger, tu as faim ?"

Dori suça un doigt puis s’agita.

Gabrielle soupira. "Je reviens rapidement." Elle se retourna et s'éloigna en boitant de l'abri érigé à la hâte dans lequel les guérisseurs s’étaient regroupés, préparant des herbes et des bandages pour la bataille à venir. Elle laissa derrière elle l'odeur riche et épicée de leurs mélanges et se déplaça dans l'obscurité vacillante, percevant les centaines d’Être de la Forêt, d'Amazones, de Centaures et de soldats autour d'elle.

Elle n'avait vraiment pas l'intention de manger. Son estomac était noué par une telle tension que même boire de l'eau avait été difficile. Et son corps souffrait de la tension liée à sa blessure, aux gens qui l'entouraient et à l'inquiétude écrasante qui lui rongeait les entrailles à propos de son âme sœur.

Son nom, appelé doucement, attira son attention et elle tourna la tête pour voir Lestan s'approcher. Elle s'arrêta et s'appuya sur son bâton en attendant qu’il la rejoigne. "Bonjour."

Le grand Être de la Forêt posa une main sur son épaule. "Je suis heureux que tu sois arrivée, mon amie. Je m'inquiétais pour toi." Il jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule. "Et pour mon fils aussi... J'ai entendu dire qu'il avait accompli sa tâche."

"Oui, il l'a fait." Gabrielle réussit à sourire. "Nous lui devons beaucoup... Je ne saurais te dire à quel point."

Les yeux acajou scintillèrent gravement. " Il ne pensera jamais que c'est assez, quoi qu'il arrive. " déclara Lestan de sa voix grave. "Comment te sens-tu ?"

Gabrielle le regarda d'un air fatigué. "Mal en point." avoua-t-elle. "Je suis vraiment inquiète."

"A propos de Xena ?"

La barde acquiesça, le cœur serré. Elle passa sa main libre sur sa poitrine et prit une grande inspiration, essayant de soulager l'horrible tension qui lui enserrait les os. "Elle souffre."

Lestan la serra dans ses bras. "Je sais." murmura-t-il. "Nous le savons tous." Il sentait la force sous ses mains et s'émerveilla à nouveau de cette jeune femme parfois douce, toujours courageuse, et du lien puissant qui la liait avec celle qui les guidait tous. "Reste forte, ma petite... tu tiens la clé de notre victoire entre tes mains."

Gabrielle prit une brusque inspiration, heureuse d'être soutenue par ses bras. "Merci." Elle rassembla ses forces et se redressa, repoussant ses cheveux hors de ses yeux en étouffant un bâillement. "J'allais chercher du thé... tu en veux ?"

 

"Avec plaisir." répondit Lestan, en marchant à côté d'elle alors qu’ils se dirigeaient vers le plus grand feu, où quelques membres de leur armée servaient du cidre chaud à la louche. "Comment va Dori ?"

"Elle semble aller mieux." répondit Gabrielle. "Je pense que…" Elle tourna brusquement la tête alors qu'elle sentait une présence familière l'interpeller. Elle s'arrêta de marcher et scruta les alentours, pour finalement concentrer son regard sur deux grands arbres, non loin de là. "Ah..."

Lestan sourit et lui tapota l'épaule. "Je ne m'attendais pas à cela, mais c'est peut-être une bonne chose." Il se retourna et partit discrètement, la laissant affronter cette rencontre au clair de lune avec un sentiment d'excitation pensive.

Gabrielle se dirigea vers les arbres et fut à mi-chemin lorsque la lumière se brisa, se reflétant sur une grande forme ombragée qui s'arrêta en la voyant, son langage corporel montrant une hésitation très peu caractéristique de sa compagne. "Xena ?"

Elle vit les épaules bouger, comme si la guerrière prenait une profonde inspiration, puis son âme sœur marcha à sa rencontre. La barde savait que quelque chose n'allait pas, que les vagues d'énergie noire qui émanaient de Xena étaient dangereuses, mais elle laissa tomber son bâton et ouvrit les bras, retrouvant malgré tout le chemin de la maison.

"Gabr..."

"Shh." Gabrielle suivit son instinct. "Ne parle pas... ne pense pas. Laisse-moi te serrer dans mes bras."

Le cœur sous son oreille battait si vite qu'elle n'arrivait pas à distinguer les différents battements. Mais au bout d'un moment, après que les bras de Xena se furent refermés sur elle avec hésitation et qu'elle eut appuyé son poids contre la forme robuste de la guerrière, les battements commencèrent à ralentir un peu. L'armure bougea sous sa joue lorsque Xena prit une grande inspiration avant de souffler, réchauffant le dessus de la tête de Gabrielle.

Elles restèrent ainsi pendant un moment, alors que la lune glissait doucement derrière les nuages. "Merci d'être venue." finit par murmurer Gabrielle. "J'avais tellement besoin de te voir."

"Il s'est passé quelque chose." répondit la voix grave dans un murmure. "Quelque chose d'horrible."

Gabrielle releva enfin la tête et fixa les traits peu visibles au-dessus d'elle. Elle ne savait pas à quoi elle s'attendait. Elle sentait les ténèbres si proches et brûlantes autour d'elle, mais la forme de son visage, son toucher et son odeur lui étaient tellement familiers. Elle grimaça un peu en voyant les ombres sous les yeux de son âme sœur. "Pour toi ?"

Xena fronça les sourcils. "Non... c'est Dori... elle n'est jamais arrivée dans la vallée."

"Je sais." Gabrielle poussa très doucement son âme sœur vers un rocher proche, dans un petit coin tranquille et loin des regards du camp. "Assieds-toi." Xena s'exécuta et Gabrielle se glissa entre les genoux de la guerrière, avant d’enlacer le cou de la guerrière et de caresser la peau douce de ses joues. "Jess l'a retrouvée."

Xena l'observait intensément. "Est-ce qu’elle est..." Ses lèvres tressaillirent.

"Elle va bien." l’informa Gabrielle avant de voir les paupières se fermer et de sentir les muscles se détendre soudainement. "Elle est blessée... nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. Elle est tombée, ou..."

"Elle a été frappée." chuchota Xena. "Et projetée contre un arbre."

Gabrielle prit une brusque inspiration. "Comment est-ce que tu le sais ?"

Xena tressaillit en l’entendant. "C'est Dani. Elle me l'a dit."

Les narines de la barde se dilatèrent et son corps se raidit. "Est-elle dans ton camp ? Xena, je veux y aller. Je veux..."

"Elle est morte." la coupa Xena d’une voix sans émotion. "Je l'ai tuée."

Elles restèrent toutes les deux silencieuses après cela. Puis Gabrielle s'approcha davantage du corps de son amante et la serra contre elle, sentant la guerrière se raidir, puis céder et s'appuyer en retour contre elle. Elle frotta doucement le cuir chevelu de Xena, humide de l'eau dans laquelle sa compagne s'était visiblement lavée avant de venir. Pour laver le sang, se dit la barde, alors qu'elle sentait encore l'odeur sur sa cape et son armure de cuir. Oh Xena. Gabrielle sentit des doigts chauds se poser sur son genou, l'attirer un peu plus près. "Eh bien... après avoir vu les marques... Je l'aurais probablement tuée aussi." rétorqua-t-elle. "La guérisseuse a dit qu'elle allait bien... mais je suis vraiment contente que tu sois là, pour que tu puisses t'en assurer."

Xena inspira en tremblant. "Je ne pense pas que ce soit une bonne idée."

Gabrielle déplaça ses mains vers le bas avant de commencer un massage sur les muscles tendus des épaules de la guerrière, qu'elle sentait sous le bout de ses doigts. Xena était, elle le savait, sur le fil du rasoir. "Ils t'ont eue, n'est-ce pas ?" Sa compagne hocha doucement la tête. "Mais tu les as battus."

La guerrière secoua la tête. "TU les as battus." dit-elle en prononçant ses mots avec précaution.

Gabrielle accepta la déclaration puis pencha la tête et embrassa le front de Xena. "Je le ferai toujours." répondit-elle avec confiance. "Le bien est plus fort que le mal, Xena. L'amour est plus puissant que la haine.... Je le sais, tu le sais... ils ne nous vaincront jamais. "

Xena leva la tête et leurs yeux se rencontrèrent, se cherchant intensément. La guerrière leva la main et sortit un petit paquet de sous son armure, qu'elle lui tendit en tremblant. "Garde ça."

Gabrielle l'accepta, sentant le poids froid à l'intérieur du tissu doux. "J'ai senti qu'ils te l'avaient mis." murmura-t-elle. "Xena, laisse-moi revenir avec toi. Il doit y avoir un autre moyen de faire ça."

Pendant un instant, elle crut que Xena allait accepter. La guerrière laissa retomber sa tête contre la poitrine de Gabrielle et resta silencieuse pendant un long moment. Elle finit par se redresser. "Le timing doit être parfait." Sa voix rauque peinait Gabrielle. "Et tu es la seule en qui j'ai confiance."

Gabrielle la serra dans ses bras. "Viens voir Dori." l'exhorta-t-elle en entendant le début de refus dans sa phrase. "Je me sentirais beaucoup mieux si tu le faisais... s'il te plaît ?" Elle releva le menton de Xena et essuya un peu de poussière sur l'arête de son nez. "Nous avons besoin de toi."

Cela semblait être la bonne chose à dire. L'expression de Xena s'adoucit et une petite lueur apparut dans ses yeux pâles.

Mais il y avait aussi une profonde tristesse. Gabrielle lui prit la main et la tira, puis passa fermement un bras autour de la taille de Xena tandis que la guerrière se levait. Elle prit la direction de l'abri de la guérisseuse. En écartant le tissu qui isolait un peu la tente, elle entendit les pleurs de Dori.

 

"Ah... Gabrielle... Je suis contente que tu sois revenue." Setha lui jeta un coup d’œil inquiet. "Elle a été très agitée, j’ai..." Les mots de la guérisseuse s'interrompirent lorsque ses yeux se posèrent derrière la barde et qu'elle aperçut la silhouette sombre et menaçante. "Oh."

"Maman". Dori l'avait repérée et elle tendit son bras blessé, sa voix s'élevant en un cri à mesure que la douleur augmentait. La lumière de la torche mettait en évidence les bleus qui couvraient son visage et Gabrielle sentit une soudaine montée de rage derrière elle, qui correspondait presque parfaitement à ce qu'elle ressentait elle-même.

"Chut... chérie, je suis là." Elle saisit les mains du bébé et les tint. "Ne bouge pas, d'accord ?" Elle sentit une chaleur derrière elle, puis des doigts s'agrippèrent à ses épaules tandis que Xena regardait par-dessus l'une d'elles. "La pauvre."

Dori hoqueta, puis ses yeux se levèrent et repérèrent la nouvelle venue. "Bbbbooo."

Gabrielle sentit la poitrine de Xena tressaillir et elle entendit un léger craquement lorsque les muscles de sa mâchoire se contractèrent. Elle s'écarta pour laisser sa compagne s'approcher. "Tu vois qui est là pour te voir ? Ta Boo t'a manqué, hein ?"

"Bbbbooo." renifla Dori avant de se tortiller, détachant une main de sa mère pour la tendre vers la guerrière. "Gaboo."

Xena attrapa la petite main dans la sienne et la tint doucement. "Hé". Elle prit une inspiration, puis s'agenouilla et examina le petit corps blessé devant elle. L'oeil gauche de Dori était presque enflé et ce côté de son visage était d'un violet foncé. Xena pouvait voir la légère trace de rouille sur une petite oreille et son cœur se serra lorsqu'elle toucha le bandage sur le bras du bébé.

"Booo... " Dori dégagea la main de Xena avec hésitation et se remet à pleurer. Gabrielle la souleva alors et la déposa dans les bras de Xena avant que la guerrière ne puisse protester. "Xena, assieds-toi ici quelques minutes... tu pourras peut-être réussir à l'endormir. Je vais te chercher quelques boulettes de viande... je n’en ai pas pour longtemps."

"Mais..." Xena se retrouva poussée très doucement, mais avec insistance, vers le fond de la tente et elle recula jusqu’à sentir une boîte toucher l’arrière de ses genoux. Elle s'assit dessus en berçant le corps chaud de Dori. "Gabri..."

"Chut." Dans un geste rapide, Gabrielle se pencha vers elle et l'embrassa sur les lèvres. "Je sais que tu dois partir. Je reviens tout de suite, je te le promets." Elle ramassa son bâton et sortit en boitant, faisant signe à Setha de la suivre, laissant Xena et le bébé derrière elle.

"Bck." Dori cessa de pleurer et se blottit plus près, avant d’attraper la fermeture de la capuche de la cape de Xena et de la mettre dans sa bouche. Son œil non blessé observait le visage sombre au-dessus d'elle, et elle sembla se calmer, ses coups de pied agités se calmant alors que la guerrière la caressait doucement. "Veux Boo."

Xena sentit les ténèbres se dissiper un peu. Sa vie était devenue un cauchemar éveillé, mais ici, pendant quelques minutes, elle apercevait une lueur d’un passé récent, qui repoussait l'horrible connaissance qu'elle avait maintenant de ce qu'elle était.

Cela ne changeait rien à ce qu'elle savait.

Mais son corps épuisé avait besoin d'un moment de paix, et la tentation de laisser le présent s'échapper un peu était trop grande. Elle concentra son attention sur Dori et lui fit une grimace, recevant un petit sourire en retour.

***********************

"Est-ce que c'est sans danger ?" demanda Setha, hésitante, alors qu'elle suivait Gabrielle dans le camp.

" Qu'est-ce qui est sans danger ?" La barde était distraite, choquée par l'état dans lequel se trouvait son âme sœur, et cherchait toutes les idées possibles pour y remédier. "Marcher dans le camp ?"

"Laisser Dori avec elle."

Gabrielle s'arrêta net et la guérisseuse se heurta violemment à son dos. Elle se retourna et fixa Setha d'un regard furieux. "Qu'est-ce que tu veux dire exactement ?"

Setha recula d'un pas. "Je ne veux pas te vexer, Gabrielle. Mais c'est une très petite enfant et elle peut se blesser très facilement. "

La barde la fixait froidement. "Pas avec elle à ses côtés."

"Gabrielle, pardonne-moi, mais ton jugement n'est-il pas obscurci par tes sentiments ?"

La barde se redressa. "Non." Elle se retourna et continua à avancer en boitant, l’estomac retourné.

Setha regarda la barde s’éloigner. Elle hésita un instant, puis se retourna et reprit le chemin qu'elle avait emprunté pour revenir vers l’abri où se trouvait sa petite patiente. Alors qu'elle l’atteignait, elle se figea en entendant un son auquel elle ne s'attendait pas du tout au milieu d'un camp armé.

Un chant.

Une voix grave et très mélodieuse égrenait les paroles d'une vieille chanson de berger, accompagnée de petits gargouillis satisfaits. Discrètement, Setha passa la tête à l'intérieur de la tente, clignant des yeux à la lumière de la torche avant que ses yeux ne s'ajustent et qu'elle puisse voir l'intérieur.

Xena était assise sur la caisse de provisions, les jambes en armure ramenées en croix sous elle. Dori était sur ses genoux, les deux petites mains serrées autour de celle de la guerrière, beaucoup plus grande, alors que ses petits pieds battaient la mesure tandis qu'elle écoutait la chanson. Ses yeux étaient rivés sur le visage de Xena, et l'attention semblait réciproque, car la guerrière ne tressaillit même pas à son entrée.

Stupéfaite, elle se retira et s'installa sur un rocher à l'extérieur de l'abri pour réfléchir, restant là jusqu'à ce que Gabrielle revienne, tenant une gourde et un paquet glissé sous un bras. A ce moment-là, le chant s'était déjà éteint et elle ne pouvait plus entendre que le doux battement de la torche à l'intérieur de l'abri. "Gabrielle."

La jeune femme s'arrêta et la regarda.

"Je suis désolée."

Gabrielle l'étudia brièvement. "Pas de problème." Elle glissa ensuite son corps endolori à l'intérieur de l'abri et s'arrêta, un sourire se dessinant sur son visage tandis qu'elle absorbait la scène qui se tenait devant elle. Xena était adossée à l'arbre auquel l'abri de la tente était attaché, et tenait Dori contre sa poitrine. Les yeux de la guerrière étaient fermés, tout comme ceux de l'enfant, tous deux en paix, ce que Gabrielle répugnait à perturber.

Mais Xena sentit sa présence et ouvrit les yeux, chassant le brouillard qui les recouvrait pour se concentrer sur le visage de la barde. "Hm. Je ne voulais pas faire ça."

"C'est bon." Gabrielle posa ses deux mains sur le genou de sa compagne. "Tu te sens un peu mieux ?"

Mieux ? Xena réfléchit à la question. C’est vrai, elle se sentait plus... normale. "Oui." Elle jeta un coup d’œil à la forme endormie de Dori. "Je ferais mieux d'y retourner... Je pense que nous les avons repoussés pour cette nuit, mais..."

"Tiens." Gabrielle lui tendit deux très grandes tranches de pain, encore chaude, remplie de morceaux de viande de chevreuil. "J'ai aussi du cidre chaud là-dedans." Elle lui tendit la gourde, dont le contenu chauffé gargouillait doucement.

Xena accepta le sandwich, le tenant d'une main tandis que l'autre restait enlacée autour de sa fille. Elle prit une bouchée et mâcha tranquillement, puis elle reporta son attention sur la femme qui se tenait à côté d'elle. "Comment va ton dos ?"

"Hum." Gabrielle haussa les épaules. "Ça fait mal." Elle s'appuya sur son bâton. "Mais s'asseoir fait plus mal que rester debout".

"Mm." Xena but une gorgée de cidre chaud et reprit une bouchée de pain garni de gibier. Puis elle offrit une bouchée du sandwich à la barde. Des dents blanches et soignées se refermèrent sur le bord et le coupèrent soigneusement, tandis que Gabrielle s'appuyait doucement sur son épaule. Elles partagèrent le repas en silence, ne levant les yeux que lorsque Setha rentra un moment plus tard dans l'abri. Gabrielle fouilla dans sa poche et en sortit une boule de miel qu'elle introduisit dans la bouche de sa compagne, puis elle vida la gourde de cidre, la posa et accepta le corps endormi de Dori tandis que Xena se levait et remettait sa cape en place d'un coup de main.

"Sois prudente." La guerrière se pencha et embrassa la tête de Dori, puis elle se redressa un peu et embrassa les lèvres de la barde.

"Toi aussi." répondit Gabrielle en lui souriant tandis que la guerrière hochait la tête en direction de Setha, puis s'esquivait par le rabat de la toile avant de disparaître dans l'obscurité.

Setha regarda la barde arranger délicatement la couverture autour de Dori, et remarqua son air beaucoup plus paisible, tandis qu'elle installait le bébé dans une petite boîte qu'elles avaient préparée pour servir de berceau temporaire. "Il y a une pile de linge dans le coin, Gabrielle, si tu veux dormir un peu toi aussi."

Mm. Dormir. Gabrielle ne discuta pas. Elle prit la boîte de Dori et l'apporta dans le coin, puis elle laissa son corps fatigué s'enfoncer dans le linge épais et s'enroula sur le côté, son bras drapé sur le lit de fortune de Dori. Elle baissa la tête et essaya de détendre son corps autant qu'elle le pouvait.

Ses pensées suivaient Xena. A travers les bois sombres et la rivière, les yeux mi-clos, elle voyagea aux côtés de son âme sœur, respirant l'air froid et entendant le doux mouvement de l'armure de Xena pendant qu'elle chevauchait. Elle pouvait presque sentir la chaleur du corps devant elle sur la selle et les battements de son coeur sous la peau de sa joue.

**********************

Xena rentra dans le camp et y trouva l'activité réduite, bien que les sentinelles faisaient nerveusement les cent pas sur les remparts en observant la longue étendue de terre qui s'étendait devant eux. Les soldats profitaient du calme pour dormir, recroquevillés sous les plates-formes, les armes à portée de main, les capes rabattues sur les armures.

Les sentinelles la saluèrent, se raidissant au garde-à-vous à son passage, et elle leur adressa un signe de tête en retour, ainsi qu'un geste de la main. Elle se fraya un chemin à travers les groupes d'hommes jusqu'à sa propre tente et se glissa à l'intérieur, avant de s’arrêter soudainement lorsqu'elle s'aperçut qu'il y avait déjà un occupant à l'intérieur. "Toris."

Son frère était assis devant le brasero, son visage tendu par la maigre lumière qu'il procurait. Xena prit l'autre siège et enroula ses bras autour de ses genoux, lui rendant son regard fixe. "Un problème ?"

"A toi de me le dire." Toris répondit. "Tu nous fais tous peur, Xena."

"Vraiment ?" La guerrière releva un sourcil sombre. "C'est une guerre, Toris. Pas le festival des récoltes. Tu t'attendais à ce que je fasse quoi, des biscuits pour Andreas ?"

Son frère se renfrogna. "Non, je ne m'attends pas à cela, mais j'attends de toi que tu te comportes comme..." Il hésita à poursuivre.

"Un être humain ?" répondit Xena, très calmement.

Toris regarda le sol.

"Très bien, maintenant tu vas m’écouter." Xena se pencha en avant. " Je vais faire tout ce qu'il faut pour gagner. Si cela signifie que je dois agir comme un animal sauvage si cela sert ce but, alors je le ferai. "

Toris releva la tête vers elle et l'étudia attentivement. "Où étais-tu ?"

Xena cligna des yeux. "Quoi ?"

"Où étais-tu ? Je t'ai cherchée pendant plus de deux bougies... et je ne t'ai pas trouvée. Où es-tu allée ?"

La guerrière retira sa cape, la déposa sur la paillasse puis s’assit dessus. "Je suis allée vérifier les forces de la vallée."

Toris se déplaça et inspira de façon audible. "Comment va Gabrielle ?"

"Elle va bien." répondit Xena doucement.

Toris se leva, puis s'installa sur la paillasse à côté de sa sœur. " Tu sembles différente maintenant, depuis que tu es revenue. "

"Vraiment ?

"Oui."

Pour combien de temps, se demanda Xena. Jusqu'à la prochaine attaque, quand ses instincts s'enflammeraient à nouveau et que l'attrait de sa soif de sang l'emporterait ? La visite à sa famille avait rétabli une partie de son équilibre, mais elle sentait la tigresse rôder autour de ses sens, en attente. Ses doigts se crispèrent en réaction, se recourbant à la recherche d'une arme. Elle se prit la tête dans les mains et se frotta les tempes. "Des signes d'éclaireurs ?"

Toris accepta le changement de sujet. "Nous avons cru voir une petite force s'approcher du côté gauche il y a environ une bougie, mais il s'agissait d'autre chose."

Xena posa son menton sur ses mains. "Quoi ?".

"Des moutons."

"Ah."

"Nous les avons amenés à l'intérieur du camp." continua son frère. "Ça ne sert à rien de laisser des côtelettes d'agneau courir sur le champ de bataille pour Andreas."

Xena sourit brièvement. "Va te reposer, Toris."

Il resta silencieux pendant un moment. "Tu as besoin de quelque chose d'abord ?"

Xena secoua la tête.

 

Toris se leva et se dirigea vers l'ouverture de la tente, avant de se retourner pour regarder sa sœur. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis la referma discrètement et partit.

Pendant quelques minutes, Xena resta simplement assise. Puis elle finit par se redresser et enleva ses bottes sur le sol boueux, regardant son armure de jambes avec des yeux pensifs. Lentement, ses mains s'abaissèrent et défirent les sangles sous ses genoux, retirant les plaques d'armure avant de les mettre de côté. Elle retira le reste de son armure et la posa sur le sol, puis elle se leva et retira ses cuirs tachés par la bataille, les drapant sur le bord de la paillasse tandis qu'elle se dirigeait vers le bassin d'eau froide.

Elle entreprit ensuite de défaire les boucles de sa tunique rembourrée et de l'enlever, laissant l'air à peine réchauffé de la tente souffler sur son corps fatigué. Elle attrapa l’éponge et la plongea dans l'eau froide, puis la retira et commença à frotter la boue et les impuretés sur sa peau. Elle ajouta un peu de savon épicé à base de plantes et regarda l'eau passer lentement de claire à trouble, puis à rouille tandis qu'elle rinçait l'éponge à plusieurs reprises.

Elle resta un moment devant le brasero, laissant l'eau sécher contre sa peau avant d'enfiler son autre sous-vêtement, savourant l'odeur de propre avant de boucler les fermetures et de se glisser dans son cuir noir.

La tenue lourde se mit en place facilement, et elle tressaillit avant de boucler les sangles qui la maintenaient sur son corps, en prenant soin de positionner le coussin dorsal qu'elle avait ajouté.

Un cauchemar impliquant une blessure qui la rendait impuissante et immobile avait été plus que suffisant. Xena vérifia chaque attache soigneusement, puis elle s'assit avec son nécessaire de nettoyage et récupéra la première plaque d'armure, la nettoyant méticuleusement en redressant un bord avant de la poser et de passer à la suivante. Après l'armure, elle nettoya et aiguisa son épée, donnant un tranchant de rasoir à la lame à double face, puis elle vérifia son fourreau, avant de polir soigneusement le chakram et les cinq dagues qu'elle portait au combat.

Puis elle rangea sa trousse dans sa sacoche et enfila l'armure.

Et elle replaça ses armes.

Le métal froid se réchauffa lentement contre son corps, et il ne restait maintenant plus qu'à s'asseoir et à attendre. Xena s'installa sur la chaise la plus proche du brasero et étendit ses jambes, lissant distraitement les plaques de cuir sur ses cuisses. Elle laissa ses mains reposer sur ses genoux, les étudiant à la faible lumière du feu. Elle tourna les paumes vers le haut, examinant les muscles épais couverts de callosités. Le bout d'un doigt traça une ligne fine, presque invisible, sur la surface opposée, s'arrêtant là où la ligne s'interrompait.

Xena recroquevilla ses deux mains en poings, puis elle se leva de la chaise et se mit debout, avant de faire les cent pas à l'intérieur de la petite tente.

C'était trop calme. Elle regarda autour d'elle. Trop vide. Xena se dirigea vers le rabat de la tente et sortit dans l'air froid. Elle ne voulait pas être seule. Elle marcha sur le sol battu, passa devant des silhouettes recroquevillées dont les yeux s'ouvraient et la suivaient, jusqu'au mur de défense. Elle grimpa jusqu'au point le plus haut, son profil se détachant sur la ligne d'horizon alors qu'elle s'asseyait près des gardes en position qui la regardèrent avec des yeux écarquillés.

Xena resserra sa cape autour d'elle et leur adressa un signe de tête, avant de s'adosser et de tourner son visage vers l'extérieur, pour attendre l'aube.

**************************

La suite au chapitre 25

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19 mars 2024

Printemps

mar

La Noirceur du matin, chapitre 23, merci Emma ! 😊

Bonne lecture !

Kaktus

 

P.S. Canalblog a fait des changements importants, qui pourraient donner quelques bugs sur le site. Cela ne devrait pas durer !

19 mars 2024

La noirceur du matin chapitre 23

La noirceur du matin – Tome 14  – Melissa Good

 

Xena et Gabrielle se sont installées à Amphipolis et profitent de leur nouvelle fille, Doriana.

Mais est-ce bien le cas ? La vie est, comme Gabrielle le sait bien, une série de compromis. Pour obtenir une chose, il faut souvent renoncer à une autre.

 

Chapitre 23

Ils se rassemblèrent près des arbres, penchés discrètement sur leurs selles. Devant eux, un groupe des troupes d'Andreas avançait, des guerriers à cheval au nombre de deux cents environ.

"Les éclaireurs." murmura Xena en caressant doucement l’encolure d'Argo. Ses yeux se posèrent sur eux, et au-delà, sur une deuxième unité de sa cavalerie qui attendait son signal.

"Ils doivent savoir que s'exposer ainsi, c'est demander à être attaqué." Gillen se redressa légèrement sur ses propres étriers. "A quoi ils jouent ?"

"A me chasser." La guerrière rit doucement. "Assurons-nous que leur chasse soit fructueuse." Elle tourna la tête. "Tout le monde est prêt ?" Sa voix était basse, mais tout le monde l’entendait. "Attention aux flèches. On ne sait pas s'ils mettent quelque chose sur les pointes. Couvrez-vous si vous le pouvez."

Les têtes acquiescèrent, tandis que les armures étaient ajustées et les casques étaient mis en place.

"Les archers sont prêts ?"

Les Amazones à pied se déplacèrent, levant les pointes de leurs arcs en une ligne ondulante le long de l'herbe.

Xena se mit debout sur ses étriers et leva son chakram, envoyant un signal à ses troupes, en faisant refléter les rayons du soleil dans un éclair brillant. Dans l'espace qui les séparait et qui se remplissait lentement de soldats ennemis, un éclair de réponse se fit voir de l’autre côté.

"Armez" déclara Xena calmement, en se rasseyant sur sa selle. "Maintenant."

Une pluie de flèches explosa des deux côtés des arbres, puis une deuxième et une troisième, les arbalétriers visant les têtes et les flancs non protégés des chevaux. Les colonnes ordonnées se désorganisèrent et des cris retentirent. Des carreaux d'arbalète répondirent à leurs flèches, sifflant légèrement contre l'herbe, sans toucher leur but.

"Feu". Xena se pencha en avant et récupéra son épée. Elle sentait ses troupes s’agiter autour d'elle. Les forces d'Andreas se rassemblaient, levant leurs boucliers pour se protéger des flèches tout en se déplaçant pour attaquer. "Doucement.... Doucement..." Argo hennit bruyamment.

Les capitaines d'Andreas organisèrent leurs troupes et commencèrent une charge vers la forêt pour attaquer les tireurs d'élite qui les bombardaient de flèches. Ils couchèrent leurs boucliers devant eux pour se protéger et lancèrent leurs chevaux au galop. Le grondement des sabots sur la pelouse se fit de plus en plus fort à mesure qu’ils avançaient.

"Archers, rechargez." Xena resserra ses doigts autour de son épée. "A mon signal.... Prêt…" Un grognement sourd s'éleva dans sa gorge et se transforma rapidement en un cri de guerre qui fit trembler les feuilles autour d'eux. "Yeahhh !!!!"

Les archères Amazones s'écartèrent de leur chemin tandis que la cavalerie chargeait, sortant des arbres en une vague inattendue pour attaquer les soldats qui arrivaient.

Gabrielle resta résolument aux côtés de sa compagne, poussant Iolaus à avancer pour suivre sa mère alors qu'ils traversaient les broussailles et rencontraient les soldats d'Andreas. Elle laissa son monde se réduire à un cercle contenant uniquement Iolaus, Xena et Argo, et où elle s'efforçait d'exclure tout ce qui tentait d’y pénétrer.

C'était plus facile ainsi. Son bâton lui donnait une portée supérieure à celle de la plupart des autres soldats à cheval, et Iolaus était bien entraîné et fougueux, mordant et donnant des coups de sabots à tous ceux qui essayaient de s'approcher d'elle.

Elle avait aussi une nouvelle astuce. Elle laissait son bâton reposer au niveau de ses hanches, en travers de son corps, et traversait simplement les soldats serrés les uns contre les autres, poussant vers l'avant avec ses bras lorsque les extrémités du bâton les frappaient. Les guerriers étaient surpris, car personne ne leur avait jamais vraiment appris à se défendre contre une petite Amazone à moitié folle, sans épée ni couteau... armée juste d’un grand bâton et d’un cheval puissant.

Elle sentit une douleur aiguë contre son épaule et elle se coucha sur la selle alors qu’une masse glissait pour venir frapper la croupe d’Iolaus. L'étalon, furieux, donna un violent coup de sabots avec ses deux postérieurs, fracassant la trachée du cheval de son agresseur. La jument s'effondra avec un gargouillis, tandis que son cavalier sautait de la selle et tentait de s'agripper à l'étrier de Gabrielle dans sa chute.

Sa main fut coupée par un coup d'épée presque désinvolte de Xena, qui décrivit un cercle autour d’elles avant de dévier une flèche dont les plumes frôlèrent légèrement le nez de la barde.

Un moment de calme hors du temps la saisit, éloignant l’odeur du sang qui se mêlait au bruit des sabots et des cris des femmes et des hommes qui les entouraient. Elle leva les yeux et regarda Xena, sa Xena, qui la regardait en retour, sous une frange indisciplinée et éclaboussée de sang, sa tête fièrement découverte rendant son identité à tous.

La guerrière cligna des yeux.

Et la marée de la bataille les envahit toutes les deux à nouveau. Elle lutta pour garder son bâton hors des mains d'un homme à pied déterminé, qui essayait de la tirer vers le bas.

"Arrête ça !" Elle le frappa violemment à la poitrine, l'extrémité cuivrée de son bâton s'entrechoquant contre l'armure de son torse. L'homme tressaillit et il la fixa étonné, observant son visage déterminé et ses yeux verts étincelants.

C'était un jeune garçon, réalisa-t-elle, plus jeune qu'elle, et ses grands yeux gris s'écarquillèrent lorsqu'elle leva son bâton pour le faire tomber. Il se baissa et s'enfuit, la laissant surprise et un peu déconcertée.

Les cavaliers d'Andreas, pris entre les deux lignes de cavalerie de Xena et les forces à pied des Amazones, commencèrent lentement à battre en retraite. Leur nombre avait été réduit de moitié, bien qu'ils aient prélevé leur propre tribut dans les forces de Xena et ils commençaient à se regrouper pour fuir et s'échapper vers l'armée principale.

"Laissez-les partir." Xena se redressa sur ses étriers, attirant les carreaux d'arbalète ennemis qui passaient à côté d'elle, avant de les dévier sans difficulté. "Il y en a d'autres là d'où ils viennent."

Un hurlement s'éleva de ses troupes, qui brandirent leurs armes sur les hommes qui battaient en retraite.

Gillen arriva à cheval, essuyant le sang d'une vilaine entaille sur son bras. "Et les blessés, Xena ?"

"Mets-les sur des chevaux avec un cavalier valide et ramène-les au camp." répondit Xena en brossant ses cheveux sur son front maculé de terre et de sang.

"Je veux dire les leurs." L'Amazone souleva son casque et souffla sur ses propres mèches humides de sueur. "Il y en a au moins une vingtaine."

 

Xena pencha la tête et réfléchit, tout en utilisant un peu de linge pour nettoyer la lame de son épée. "Nous avons des combattants formés au soin ? Alors qu'ils examinent les blessés. S'ils sont sauvables, nous les prenons. S'ils sont mourants, remettons-les entre les mains d’Hades. "

Gabrielle sentit une protestation monter du fond de sa gorge et elle s'efforça de la faire taire. Son instinct lui dictait de les ramener tous, quoi qu'il en coûte. Mais... "Je vais aller voir si je peux aider, Xena." proposa-t-elle doucement, recevant en retour un rapide regard compréhensif mais rempli d’ironie.

"Bien." La guerrière lui tapota le genou. "Je veux que cette zone soit nettoyée... nous garderons une avant force ici. C'est étroit et ça donne une chance de ralentir leur progression." Elle se retourna. "Ephiny, envoie un coureur chercher des renforts et des provisions pour consolider les avant-postes."

"D'accord." La Régente acquiesça et se dirigea vers un groupe d'Amazones.

Gabrielle détacha ses liens et attacha son bâton à son support, puis elle descendit du dos d'Iolaus et s'appuya contre son flanc chaud pendant un long moment. Puis elle prit une grande inspiration, se redressa et rassembla deux des hommes de Bennu et une de ses Amazones, avant de commencer à trier les blessés.

Xena s'étira, puis elle éloigna un peu Argo de la scène de combat, scrutant l'horizon lointain à la recherche d'une contre-attaque. Une main se posa sur sa botte et elle jeta un coup d'œil vers le bas pour voir Cait, couverte de sang des combats, qui affichait un air plutôt joyeux. "Hé, Cait."

"C'était absolument splendide." Cait sourit. "Tu as besoin de quelqu'un pour aller voir ce qui se passe là-haut ? J'en serais ravie." Elle jeta un coup d'œil derrière elle. "Pally ne veut pas, mais je crois que je pourrais la convaincre."

Xena regarda par-dessus son épaule, vers l'endroit où Paladia avait commencé à aider Gillen à déplacer les blessés. "C'est peut-être une bonne idée." Acquiesça-t-elle pensivement. "Je vais te dire, attendons que les premiers remplaçants arrivent ici, et tu pourras partir... voir ce qu'ils font."

Le visage de Cait s'illumina. "Avec plaisir !" souffla-t-elle, se délectant de la confiance de son idole. "Je le ferai dès qu’ils arriveront."

Gabrielle s'agenouilla et passa en revue une autre forme gémissante. Elle tira doucement sur l'épaule du soldat, le fit rouler sur le dos et souffla en reconnaissant son jeune agresseur. Le sang coulait d'un coup de lance juste sous sa cage thoracique, le liquide rouge recouvrant ses mains qu'il avait serrées contre son corps pour tenter d'arrêter l'écoulement. Avec un soupir, la barde sortit un morceau de lin plié de sa poche et le pressa contre la blessure.

"Ne...me...fais...pas de mal." Chuchota le garçon. "Je n'ai plus de couteau."

"Je ne te ferai rien." le rassura Gabrielle, en retirant son casque de protection et en le posant sur le sol. "Reste tranquille... Qu'est-ce qu'un gamin comme toi fait à se battre dans une armée, hein ?"

"N... pas un gamin." protesta le garçon. "Je voulais juste voir A...Athènes."

"Tu ne manques pas grand-chose." Gabrielle écarta délicatement son armure et étudia la blessure. Le sang perlait déjà à travers son bandage de fortune, et elle pouvait voir à quel point sa respiration était irrégulière. "C'est sale et ça sent mauvais... Mais ils ont de bonnes pommes farcies là-bas. Avec du miel."

Distrait, il la regarda. "Vraiment ?"

Elle sourit. "Oui."

"Jeune fille..." L'un des soldats guérisseurs de Bennu posa une main sur son épaule. "Il n'y a pas beaucoup de chances."

Non. Gabrielle souffla. Pas beaucoup de chance pour lui, ou pour eux de le sauver... mais...

Peut-être...

Gabrielle releva la tête et regarda autour d’elle, scrutant la foule. Elle aperçut, non loin de là, la grande silhouette autoritaire assise sur Argo, à moitié redressée sur sa selle alors qu'elle hurlait des instructions et dirigeait l'armée. La barde rassembla ses forces et aspira l'air dans ses poumons, puis elle projeta son cri vers sa compagne. "Xena !"

Instantanément, la tête sombre se tourna, concentrant sur elle des yeux clairs d'une intensité effrayante.

"Peux-tu venir s’il te plaît ?"

Gabrielle était consciente que les soldats regardaient et écoutaient, avec quelque chose de proche de l'émerveillement, tandis que leur Cheffe descendait du grand dos d'Argo et se dirigeait vers la barde agenouillée à grandes enjambées rythmées. Gabrielle pencha la tête en arrière lorsque la guerrière la surplomba, les bottes couvertes de boue et de pire encore. "Peux-tu l'aider ?"

Xena s'agenouilla et examina le garçon, la tête inclinée d'une manière féroce, presque comme un faucon. Le soldat ennemi était manifestement terrifié, mais incapable de s'éloigner de la silhouette menaçante de la guerrière. "Il mourra le temps qu'on le ramène à l'hospice." prononça-t-elle d'un ton tranchant.

Gabrielle regarda la boue entre ses bottes, reconnaissant la logique de la déclaration de sa compagne. "D'accord." murmura-t-elle. "Merci." Elle leva les yeux vers ceux du garçon, avec une douce compassion. "Je suis désolée."

Sa peur était si évidente qu'elle lui faisait mal. Xena jura doucement dans une langue que Gabrielle reconnaissait mais ne comprenait pas, et se déplaça à côté d'elle.

"Gillen, demande à tes hommes de faire un feu près des arbres pour que nous puissions soigner nos blessés. Cait, amène Argo ici, j'ai besoin de mes sacoches." La guerrière retira ses gantelets, dévoilant de longues mains puissantes et s'avança, écartant l'armure du garçon pour exposer la plaie béante. "Nous n'utilisons pas de lances barbelées." Elle reporta son attention sur le soldat. "C'est l'un des tiens qui a fait ça ?"

Ses dents claquaient de peur, mais il acquiesça.

Xena se pencha sur lui, ses yeux se plantant dans les siens, l’empêchant de détourner le regard. "Y avait-il quelque chose sur leurs lames ?"

Le garçon se contenta de la regarder fixement. "Réponds-moi." S'impatienta Xena. "Ou bien il est inutile que j'essaie de te sauver la vie."

La tête du garçon bougea enfin d'un côté à l'autre. "N...non... pas... les nôtres."

L'un des autres combattants grogna. "C'est bon à entendre."

Xena écarta le bandage que Gabrielle avait appliqué sur la blessure et prit une décision rapide, alors que Cait s’agenouillait près d’elle avec ses sacoches. Elle fouilla dans l'une d'elles sans regarder et en sortit sa trousse de guérisseur, que Gabrielle récupéra rapidement avant de l’ouvrir. "Boyau, aiguille à os, vite".

Gabrielle était consciente des regards autour d'elles, de leurs hommes et des blessés d’Andreas capturés, qui la regardaient enfiler le boyau dans l’aiguille avant de la tendre à sa compagne. Elle prit sa gourde et l’ouvrit, puis elle pressa le sac pour faire gicler de l'eau sur la blessure et retirer autant de saleté qu'elle le pouvait.

Xena travaillait rapidement, recousant l'entaille de l'intérieur vers l'extérieur avec des mains habiles, refermant la plaie et coupant ainsi l'horrible flux de sang. Elle ignora les gémissements du garçon qui était maintenu au sol et immobile par deux soldats. Elle finit d'attacher le boyau et fit un signe de tête à Gabrielle pour que la barde lave à nouveau la blessure. "De toute façon, il y aura probablement une infection à l'intérieur". grommela-t-elle. "Très bien. Ajoutez-le avec le groupe qui repart." Elle posa un nouveau morceau de linge sur la poitrine du garçon, puis elle replia sa trousse.

Gabrielle tendit la main et saisit celle de sa compagne, sentant la chaleur lorsqu'elle la souleva et l’effleura de ses lèvres. "Merci. "

La main se dégagea doucement et lui caressa la joue avant d’ébouriffer ses cheveux moites, mais Xena resta silencieuse. Puis la guerrière se leva et remit son armure en place, avant de s'éloigner et de recommencer à donner des ordres aux troupes.

Gabrielle laissa deux des soldats soulever le garçon évanoui et l'emmener vers les arbres, puis elle se leva et sentit un regain de force l'envahir. Elle redressa les épaules. "Au suivant."

En regardant autour d'elle, en voyant les morts s'amonceler, elle se rendit compte à quel point une seule vie pouvait avoir de l'importance. Elle pouvait le voir dans les yeux des soldats capturés et dans les regards de leurs propres combattants qui la regardaient avec admiration. Elle prit sa sacoche et suivit les guérisseurs jusqu'au prochain rassemblement pathétique d'armures et de cuir.

******************

Ils installèrent leur campement pour la nuit, tout en restant en alerte au moindre mouvement suspicieux. Les blessés avaient été renvoyés à la rivière et deux cents soldats de Xena étaient venus renforcer leur troupe. Des sentinelles avaient été positionnées un peu plus loin, au cas où Andreas déciderait d'essayer de les surprendre pendant la nuit, et le reste des combattants s'était recroquevillé près des petits feux tout juste allumés, pour se reposer et manger les rations de voyage qu'ils avaient emportées.

Les histoires se répandaient, réalisa Gabrielle en marchant dans le camp, alors que les nouveaux arrivants se faisaient raconter par les combattants venus avec Xena, les batailles qu'ils avaient livrées. Jusqu'à présent, le bilan n'était pas très lourd, ils avaient perdu vingt hommes et femmes en tout et pour tout, sur la centaine de cavaliers que Xena avait amenés avec elle, et des Amazones des avant-postes, dont deux de sa propre Nation.

Des pas s'approchèrent et elle tourna la tête pour voir Ephiny qui trottait pour la rattraper. "Hé…"

"Salut." La Régente soupira tandis qu'elle se mettait au pas à côté d'elle. "Tu as dîné ?"

"J'y vais maintenant." Répondit la barde. "Ensuite, il faut que j'aille trouver Xena... Je ne l'ai pas vue depuis une ou deux bougies au moins."

"Je pense qu'elle a réquisitionné une petite clairière après ces deux affleurements pour elle-même." Ephiny pointa l’endroit du doigt. "J'ai cru voir Argo là-bas avant."

Gabrielle acquiesça. "Merci... bon sang, la journée a été longue. Tu penses qu'on aura des problèmes cette nuit ?"

"Ça ne m'étonnerait pas." répondit Ephiny d'un air sombre. "Nous l'avons piqué trois fois maintenant, il va vouloir répliquer tôt ou tard." Elle fit un signe vers l'obscurité. "J'ai placé un garde dans les environs de cette clairière." Dit-elle en pointant l’endroit que Xena avait réquisitionné. "S'il te plaît, ne le dis pas à qui tu sais, d'accord ?"

Gabrielle grimaça. "Comme si elle ne le savait pas ! Sérieusement..." Elle changea de direction et se dirigea vers la zone mentionnée par Ephiny. "Je vais voir si elle est là-bas. Peut-être qu'on s'arrêtera au feu principal pour dîner." Elle fit un signe de la main à Ephiny et se dirigea vers les affleurements. Bien sûr, Argo était là, broutant patiemment l'herbe à côté d'Iolaus, dont le pelage avait été brossé avec soin. Près de l'endroit où se trouvaient les chevaux, Xena avait installé une toile de tente qui recouvrait un rocher lisse sur lequel elle avait étalé ses cartes et les examinait.

Son armure était rangée près d'elle, nettoyée et prête, et elle portait son deuxième ensemble de cuirs avec ses protections lourdes sur les cuisses et le dos. La protection brillait un peu aux reflets du feu à cause de l’eau qui gouttait encore de ses cheveux noirs.

Elle leva les yeux lorsque Gabrielle entra dans la clairière, la lumière du feu révélant le sourire qui apparaissait, franc et sans ambiguïté, lorsqu'elle aperçut son âme sœur. Gabrielle se surprit à sourire à son tour, réagissant à l'énergie sauvage et féroce qui se dégageait de Xena. "Salut".

Xena se leva et tendit la main vers elle. "Viens ici." Elle saisit les doigts de la barde et l'entraîna vers un siège sur le rocher, avant de poser un bras sur ses épaules. "Est-ce que Gillen t'a parlé ?"

"Non." répondit Gabrielle en lui jetant un regard curieux. "Pourquoi ?"

"Cinquante des hommes d'Andreas sont arrivés il y a à peu près un quart de bougies. Ils venaient se rendre." Répondit La guerrière avec un sourire. "Bien sûr, c'est une goutte d'eau dans l'océan, mais…".

"Est-ce que tu vas les intégrer dans notre armée ?" demanda le barde. "Ce serait un peu bizarre."

"Mm... J'adorerais l’agrandir, mais non." répondit Xena, trouvant une oreille de barde savoureuse à mordiller. "Nous les avons désarmés et nous leur avons enlevé leur armure avant de les envoyer sur leur chemin au-delà de la rivière."

"Oh. Ça chatouille." Gabrielle étouffa un rire. "Ils étaient d'accord avec ça ?"

"Oui. L'un d'eux a dit à Gillen qu'il était content d'être sorti de là. Apparemment, nous avons mis des abeilles dans les culottes d'Andreas depuis une quinzaine de jours." Xena mordit un peu plus loin, atteignant la pente où le cou de Gabrielle rejoignait ses épaules.

"Est-ce que tu as faim, par hasard ?"

"Qu'est-ce qui te fait penser à ça ?" gronda la guerrière à son oreille. "Peut-être que je veux juste te dévorer."

"Hmm." Gabrielle pencha la tête en arrière et se laissa volontiers aller au baiser qui s'emparait de ses lèvres. Ses douleurs et son épuisement s'estompèrent soudainement et elle relâcha lentement son souffle lorsqu'elles se séparèrent. "J'ai de la chance alors...".

Xena gloussa, puis elle étala un peu ses cartes et étouffa un bâillement. "Tu as fait un sacré boulot aujourd'hui, ma barde. Chaque fois que je me retournais, tu étais là."

"Ugh... oui, je sais. Je le sens. Ces sangles sont géniales, Xena... mais je crois que même mes bleus ont des bleus." admit Gabrielle. "Et nous venons juste de commencer."

"Hum ?" Xena roula les parchemins et les rangea dans leur étui, puis elle tira Gabrielle vers elle et lui massa les épaules. "Laisse-moi voir." Elle détacha la tunique de la barde et exposa sa cage thoracique. "Mm... oui." Elle traça les marques sombres du bout du doigt. "Il faut que je te fasse une ceinture rembourrée... Je crois que j'ai quelque chose qui pourrait marcher." Elle tapota le ventre de Gabrielle et renoua sa chemise. "Ton armure a besoin d'être entretenue ?"

"Je l'ai nettoyée en grande partie... Je voulais te demander si tu pouvais ajuster quelques détails." Gabrielle était très contente d'être dans les bras de Xena et ne voulait pas bouger. " Ephiny pense qu'il va y avoir des problèmes ce soir. Qu'en penses-tu ? "

La lumière de la torche jouait sur ces traits bien dessinés. "Je partage son avis." répondit Xena calmement. "Les hommes que nous avons battus aujourd'hui ont eu le temps de rejoindre le gros des troupes et de faire leur rapport... Je dirais que nous pouvons nous attendre à des représailles, oui."

Gabrielle prit une inspiration, puis la relâcha. "Je ne suis pas sûre d'aimer être de ce côté de la surprise." Elle se mordilla un ongle. "Qu'est-ce qu'on va faire ?"

"Nous reposer autant que possible." Xena l'embrassa légèrement sur les lèvres. "Et dîner un peu. Allez, viens." Elle passa un bras sur les épaules de Gabrielle et elles marchèrent dans l'obscurité, passant devant des groupes de combattants et d'équipements faiblement éclairés par les petits feux de camp, en direction de l'endroit où les quartiers-maîtres distribuaient des rations rudimentaires aux troupes.

Un faible murmure s'éleva autour d'elles, contenant principalement le nom de Xena, et la guerrière leva sa main libre pour retourner des salutations. "Deux portions, Hereicus." demanda Xena à l'intendant qui travaillait dur.

"Oui Genr'l... pas de problème..." L'homme jeta un coup d'œil autour de lui.

"N'essaye même pas." lui dit Gabrielle en le pointant du doigt. "Crois-moi, nous avons toutes les deux connu pire. Donne-moi ça." Elle rejeta sa cape sur une épaule et tendit la main pour recevoir les rations, les reflets du feu illuminant son tatouage découvert.

"Tu as raison, petit faucon." gloussa l'homme avant de baisser la tête en lui remettant les rations.

Gabrielle les glissa sous son bras tandis qu'elles se dirigeaient vers le grand feu où Bennu était assis, avec Gillen et Ephiny. Une outre de vin circulait entre eux et la conversation semblait animée, mais elle s'interrompit lorsque la grande silhouette de Xena entra dans le cercle de lumière. "Ah, voilà quelqu'un qui peut régler ce problème."

"Qui, moi ?" Xena s'assit sur l’un des rondins. "Quel est le problème ?"


"Toi ?" déclara Ephiny avant de rire. "Par les Dieux, non, Xena... je parlais de Gabrielle. Quand as-tu déjà réglé une dispute ?"

Les rires prirent une teinte nerveuse, jusqu'à ce que Xena elle-même se joigne à eux. "Pas faux."  Confirma la guerrière d'un air ironique, tout en étirant ses longues jambes vers le feu.

"Non, ce n'est pas vrai." Gabrielle s'assit à côté d'elle, les jambes croisées, et déballa leur repas. "Tu as réglé une dispute entre ces deux types avec cette vache, juste au nord d'Athènes. Tu te souviens ?" Elle tendit à Xena un pain de viande et une pomme un peu flétrie. "Quand ils n'arrivaient pas à décider à qui appartenait la vache ?"

"Hm." Xena prit une bouchée de la pomme. "Je crois me souvenir que j'ai poussé la vache au-delà de la rivière et que j'ai dit que celui qui pourrait la ramener à la maison pourrait l'avoir."

"C'est vrai que ça a réglé la dispute." Gabrielle sourit en sentant l'atmosphère se détendre. "Et nous en avons tiré un peu de ce bon fromage que tu aimes." Elle coupa une tranche du bloc de fromage dans son paquet et l'offrit à sa compagne, qui l'accepta en souriant. "Mais je crois que la vache t’en a voulu".

Gillen s'esclaffa. "Combien de temps avez-vous erré toutes les deux dans la campagne ?"

"Plus de trois ans." répondit Xena en grignotant son pain de viande. "Ça m'a semblé plus long à l'époque."

Gabrielle lui donna un coup de coude dans les côtes. "Un reproche sur ma manie de trop parler ?"

"Non." La guerrière lui donna un coup de coude dans le dos. "Je pensais plutôt à ton talent pour t’attirer des ennuis."

"Tu dis toujours ça." Gabrielle accepta l'outre qu'on lui tendait et en prit une timide gorgée. "Yow." Elle la rendit rapidement à sa compagne. "Et ce n'est pas vrai." poursuivit-elle, en agitant son pain de viande en direction du groupe qui grossissait lentement autour du feu.

"Tu dis que tu n'aurais jamais eu le moindre problème si tu n'avais pas rencontré Xena ?" s'esclaffa Ephiny. "Franchement Gabrielle..."

"En fait." Gabrielle leva un genou et l'entoura d'un bras. " J'aurais été capturée par des esclavagistes, et probablement vendue une demi-douzaine de fois, ou je serais déjà morte si je n'avais pas rencontré Xena. "

Les yeux se tournèrent vers elle avec curiosité. "Je ne crois pas avoir jamais entendu parler de ça". murmura Ephiny. "Je savais juste que vous vous étiez rencontrées à l'extérieur de Potadeia."

Xena resta silencieuse, consommant ses rations tout en observant le profil de son âme sœur. Gabrielle n'avait pas l'habitude de parler d'elle dans ses histoires, préférant raconter les choses d'un point de vue extérieur. Elle se demandait si la barde allait faire une exception ce soir.

"Eh bien... c'était un jour d'été à Potadeia." commença la barde. "Une journée plutôt ordinaire, en fait. Je m'étais levée, j'avais fait mes corvées et j’étais allée à la rivière avec ma sœur Lila et dix ou douze autres enfants."

"Des enfants ?" demanda Gillen. "C'était il y a combien de temps ?"

"Cinq ans." Répondit Xena succinctement.

"Oh par la Grande Artémis... tu es si jeune que ça ?" gémit l'Amazone.

Gabrielle rit. "Ce n'est pas ma faute." Elle secoua la tête. "Bref... nous étions sur le chemin de la rivière, quand nous avons été encerclés par des esclavagistes. Ils nous ont capturés rapidement sans que nous n’ayons rien pu faire. On était à leur merci." Gabrielle prit une bouchée et avala. "Puis, quand ils étaient sur le point de nous emmener..."

"Ah ah ah !" Xena lui tapota l'épaule.

"Quoi ?"

"On n'oublie pas quelque chose ?" La guerrière releva un sourcil. "Quelques petits détails ?"

"C'est mon histoire ou la tienne ?" répliqua Gabrielle.

"Gabrielle oublie de mentionner qu'elle s'est très vite offerte aux esclavagistes s'ils laissaient partir le reste du groupe." poursuivit Xena d'un air suffisant.

La barde soupira et la guerrière lui sourit en retour. "C'est vrai. " admit Gabrielle devant le groupe souriant. "Je n’avais pas une vie familiale vraiment géniale... et je n'étais pas sûre de l'avenir que je voulais avoir."

Tout le monde se taisait.

"J'ai donc pensé que je pouvais au moins essayer de tirer les autres d'affaire. Mais ça n'a pas marché. Nous étions donc là, sur le point d'être amenés et vendus quelque part, quand cette femme sauvage à l'allure folle est apparue et les a tous battus à plates coutures."

Xena rit. "Je suis surprise que tu n'aies pas pris tes jambes à ton cou après ça." admit-elle. "Je devais avoir l’air plutôt effrayante."

Gabrielle réfléchit un instant. "Non" Elle secoua la tête et émit un petit rire triste. "Je t'ai regardée dans les yeux et je me suis sentie tellement perdue que je n'aurais pas bougé si la Gorgone elle-même était arrivée devant moi."

"Aww." Ephiny s'approcha d'elle et lui donna une tape sur la jambe.

"Ouais...." La barde sourit, se sentant un peu ridicule d'avoir dit cela devant tous les guerriers aguerris autour du feu. "Idiot, je sais."

"Ne dis pas ça." Xena s'approcha d'elle et lui tira une mèche de cheveux. "Je t'ai regardée et je me suis sentie tellement perdue que j'ai reçu un coup sur la tête et que je ne l’ai même pas remarqué."

Elle croisa ses bottes au niveau des chevilles.

Personne ne savait vraiment quoi dire face à cette histoire, se rendit compte Xena, alors qu'ils essayaient de concilier ce qu'ils savaient d'elle en tant que guerrière avec ce que Gabrielle essayait de leur dire à propos d'elle en tant que personne. Elle ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose, ni même si cela valait la peine de faire cet effort.

"C'est vrai. Je l'avais oublié." Gabrielle se recula et s'appuya sur le bras de Xena. "Mais tu t'es relevée et tu leur as botté les fesses. Et nous n'avons pas fini en esclavage." Elle finit sa pomme. "Et après nous avons voyagé ensemble."

"Tu oublies avant ça que tu m'as suivie jusqu’à Amphipolis et que tu m'as sauvé la vie." corrigea Xena rapidement, notant le regard émerveillé et respectueux que la barde recevait de la part des combattants autour d’elle. "Tu oublies toujours cette partie."

Gabrielle soupira. "Oui d’accord et ensuite, nous avons voyagé ensemble."

"Ensuite je t'ai laissé me convaincre de venir avec moi." La guerrière prit une gorgée du vin fort contenu dans la gourde, puis elle pencha la tête sur le côté, en réfléchissant. "Il y a cinq ans aujourd'hui, en fait."

La barde leva les yeux vers elle, surprise. "Vraiment ?"

"Mmhmm."

Gabrielle poussa un grognement de surprise et étouffa un bâillement. "Comment fais-tu pour compter les jours comme ça ? Je sais que c'était la même saison que maintenant, mais au jour près ?"

"J’ai..." Xena remua sa botte. "… de nombreux talents."

Un petit rire s'éleva dans le groupe. "N'est-ce pas la vérité ?" gloussa Bennu. "Vous avez vu ces deux cavaliers que la Générale a éliminés juste au moment où nous chargions ?"

Gabrielle laissa les mots s’écouler autour d’elle. Les récits de bataille étaient, elle le savait, un moyen pour les combattants de se rassurer et de partager leurs compétences et leur expérience. Mais elle n'avait aucune envie de les écouter, car les prouesses dont ils parlaient n'étaient pas celles qu'elle partageait. Il était bien plus satisfaisant de se blottir contre le corps chaud de Xena et de poser sa tête contre une épaule recouverte de cuir afin d'entendre les puissants battements de cœur de sa compagne en symbiose parfaite avec les siens.

En cet instant, elle se sentait extrêmement chanceuse. Le reste du camp serait sur le qui-vive toute la nuit, à l'affût des premiers signes d'attaque. Le repos ne leur viendrait pas facilement, tandis qu'elle... Gabrielle ferma les yeux. Elle était au chaud, au sec, relativement à l'aise, malgré la dureté du sol, et elle était blottie dans l'étreinte protectrice de la personne qui saurait bien avant tout le monde si quelque chose n'allait pas. Gabrielle étouffa un autre bâillement alors qu'elle commençait à s'assoupir. Elle sentit Xena enrouler la cape qu'elle portait autour de son corps et elle se détendit, accueillant le sommeil nécessaire.

Le feu continua à brûler faiblement après que les conversations eurent cessé et que les guerriers se furent transformés en masses recouvertes de tissu, qui observaient et attendaient silencieusement.

******************************

"Pourquoi dois-tu toujours te porter volontaire pour ces conneries ?" grommela Paladia tout en se glissant derrière la forme mince de Cait. "Ça ne te suffit pas de taper sur les gens toute la journée ?"

"Chut". Cait la fusilla du regard par-dessus son épaule. "Ne sois pas stupide, Pally... on se faufile à travers une armée, d'accord ?"

"Ouais, ouais." La grande Amazone leva les yeux au ciel. " J’serai contente quand ce stupide truc sera fini... trop de travail."

Cait s'arrêta et attendit qu'elle arrive à son niveau. "Paladia... ce n'est pas du travail." Son visage était inhabituellement sérieux. "C'est la guerre."

Son amie s'assit rapidement sur un rocher à proximité. "Le travail, la guerre, c’est pareil. Il faut quand même déplacer des choses, les porter, se salir les mains et dormir sur le sol." Rétorqua-t-elle. "La seule différence, c'est que maintenant tu peux te faire tuer plus facilement, sachant que traîner avec toi dans tous les cas n’est pas vraiment sûr, même quand il n'y a pas de guerre."

Cait soupira et posa une main décontractée sur l'une des épaules de Paladia. "Tu es juste grincheuse parce que tu n'as pas pu dessiner la dernière fois."

"Non." Paladia sourit. "J’ai pu faire un dessin plutôt sympa quand on a attendu ce matin… le soleil traversait les feuilles et faisait des trucs bizarres sur le visage de Machin, tu sais le gros bonhomme qui bave sur Xena et sur toi."

"Bennu". répondit Cait. "Il est plutôt sympa."

"Ouais... peu importe." Paladia jeta un coup d'œil dans l'obscurité. "Il écoutait Xena parler encore et encore, et ça donnait une image assez cool." Elle fit une pause. "On va juste s'asseoir ici ?"

Cait se pencha impulsivement vers elle et l'embrassa, puis elle la poussa vers l'avant. "Non on avance encore... Je veux voir ce qu'il se passe là-bas." Elle ouvrit la voie dans l'herbe et elles continuèrent à avancer en silence pendant plus d'une bougie.

Finalement, même Paladia put sentir un soupçon de fumée dans l'air, et elle grogna. "Toujours en train de brûler."

"Mm." Cait ralentit ses pas et se dirigea vers un affleurement rocheux qui descendait et suivait le profil ondulé de la terre. "Voyons si nous pouvons voir quelque chose de là-haut." Elles se rapprochèrent à travers les hautes herbes séchées par l'hiver, heureuses que le vent vienne vers elles et emporte avec lui les bruits dans leur dos.

Alors qu'elle arrivait à portée de saut des rochers, Cait s'arrêta et pencha la tête, se touchant l'oreille tout en jetant un coup d'œil à sa compagne en signe d’interrogation. Paladia écouta également, puis elle fronça les sourcils et fit un mouvement avec ses doigts et son pouce, les rapprochant pour signifier qu’elle entendait des voix.

Cait acquiesça et toucha ses lèvres d'un doigt. Puis elle se mit à plat ventre et commença à avancer en rampant, imaginant silencieusement l'expression de dégoût sur le visage de Paladia lorsque l’Amazone ferait de même. Pally détestait ramper, vraiment, et Cait supposait que si elle était aussi grande, elle détesterait probablement cela aussi, bien que Xena semblait tolérer ça très bien.

Xena avait d'ailleurs confié à Cait qu'elle avait l'habitude de jouer avec Gabrielle de cette façon, en se cachant dans les herbes hautes et en rampant vers elle, pour en sortir au tout dernier moment et faire couiner la barde. Cait avait eu du mal à s'arrêter de rire rien qu'en l'imaginant, mais elle avait décidé que personne ne la croirait si elle le leur disait.

Mais c'était une excellente image et elle aimait y penser parfois.

Elle travailla sur sa meilleure imitation de Xena et se glissa dans l'herbe, se prenant pour un grand chat sauvage chassant sa proie. Les tiges d'herbe rudes la piquaient, mais elle les ignora, les aplatissant doucement tout en avançant jusqu'à ce qu'elle atteigne le premier rocher et qu'elle réfléchisse. Par-dessus ? Autour ? De quel côté ? Elle écouta le murmure encore audible des mots et décida qu'ils étaient sur sa gauche. Elle se glissa donc de ce côté, en s'agrippant au rocher.

Un ver se tortilla contre sa main et elle se força à ne pas sursauter. Xena lui avait dit, une fois, que les vers pouvaient être très savoureux s'ils étaient bien cuits, et qu'elle en avait même mangé crus, mais c'était un domaine dans lequel Cait ne pouvait pas se résoudre à imiter son héroïne.

 

Elle retira le ver avec précaution et le mit de côté, puis elle continua à avancer en se tortillant. Elle passa sa tête d’un côté de la forme rocheuse, remerciant ses cheveux blonds et sa peau pâle qui lui permettaient de passer inaperçue dans l'herbe, et elle cligna des yeux en apercevant de grandes formes qui ne s’intégraient pas dans le paysage, juste devant elle.

Un cheval. Deux, en fait, et des cavaliers qui se tenaient à côté d'eux, la tête penchée. L'un d'eux était un soldat ennemi, pensa-t-elle, l'autre était masqué et plus difficile à identifier. Elle calma sa respiration et tendit l'oreille.

"...à environ deux bougies au nord, nous pensons." marmonna le soldat. "Nous ne connaissons pas leur taille."

"Deux cents." vint la réponse, faisant dresser les poils sur la nuque de Cait. "Xena est là, et Gabrielle aussi... Si vous attaquez, visez la blonde, parce que si vous l'éliminez, vous serez à mi-chemin de la victoire."

"Trop dur." Le soldat secoua la tête. "Elle reste trop près de Xena... on a essayé. Tu ne peux pas t'occuper de ça ?"

Fils de Bacchantes. Cait écarquilla les yeux alors que tout son corps se crispait.

C'était la voix de Gillen. Instinctivement, sa main se porta à son fourreau et elle en sortit sa dague, ses doigts déplaçant automatiquement la garde contre sa peau.

"Je pourrais essayer." répondit Gillen. "Mais crois-moi, ce serait plus facile dans le feu de l'action, parce qu'autrement, elles restent ensemble comme deux sangsues collées l’une à l’autre."

"Qu'est-ce que tu fais ?" Le murmure de Paladia lui parvint, alors que la grande femme rampait pratiquement sur Cait. "Qu...hé... ce n’est pas..."

"Si." Les dents de Cait grincèrent sur le mot. "Et si tu me lâches, je vais la tuer."

"Merde." Paladia se plaqua au sol. "Quelle ordure... Xena lui a aussi sauvé la mise ce matin."

"Excuse-moi une minute." Cait commença à ramper, serrant sa dague entre ses dents blanches. "Je reviens tout suite."

"Attends." Paladia posa une main sur son dos.

Des yeux gris meurtriers la fixèrent en retour.

"Écoute... Je ne suis pas du genre stratège, mais si tu la tues, comment sauras-tu qui est avec elle derrière tout ça ?"

Cait tambourina ses doigts contre le sol, puis elle retira son couteau de sa bouche. "C'est très brillant, Pally. Bon travail."

Un cri les fit sursauter et s'aplatir sur le sol, et elles virent deux autres cavaliers rejoindre les deux qu'elles observaient. Il s'agissait sans aucun doute d'hommes d'Andreas, bien armés, sur des chevaux portant manifestement eux-mêmes des armures de combat.

"L'avancée commence." déclara le premier d'entre eux. "Nous avons deux divisions prêtes à passer la crête et à attaquer leur premier camp."

"Ça va marcher." acquiesça Gillen. "J'ai drogué les avant-postes de ce côté."

Les doigts de Cait se crispèrent sur son couteau et Paladia et elle échangèrent un regard. Paladia fit une grimace et se mordit la lèvre. "Ooh... J'ai vraiment envie de la tuer." grogna la jeune Amazone. "J'ai vraiment envie de..."

"Nous ferions mieux de prévenir les autres." répondit Paladia. "Après je t'aiderai à l'écraser... c'est un ver."

Cait soupira d'exaspération. "D'accord." Elles regardèrent Gillen monter à cheval et partir avec le soldat avec qui elle discutait en premier lieu. Les deux autres cavaliers s'attardèrent, sirotant de l'eau dans des gourdes de cuir sombre. "Nous irions beaucoup plus vite avec des chevaux."

"Je savais que tu allais dire ça." soupira Paladia.

Cait sourit, puis elle prépara sa dague, s'arrêta une fraction de seconde puis elle lança sa lame vers l'avant, frappant le premier homme directement dans le cou. Il sursauta et s'affaissa sur sa selle, obligeant son compagnon à cracher sa gorgée d'eau sur le garrot de son cheval alors qu'il s'apprêtait à l'attraper.

"Hé... qu'est-ce qui t'arrive ? Hé ???"

Cait sauta sur le rocher derrière lequel elle s’était accroupie, puis elle s'élança dans les airs et percuta le deuxième soldat, enfonçant sa seconde dague dans son flanc, juste à l'endroit où son armure se rejoignait. Il hurla, un son qui passa d'un cri rauque à un gargouillis tandis qu'elle enfonçait la lame dans ses poumons, avant de l’enlever pour le poignarder à nouveau sans pitié.

Elle fit descendre le corps du cheval et dégagea son couteau, essuyant proprement sa lame sur l'herbe avant de se lever, pour voir Paladia s'emparer des rênes du cheval effrayé. La grande femme enleva avec précaution le premier cavalier déjà mort de sa selle d'une poussée et contourna son corps qui s'affaissait sur le sol. "Ugh." Elle regarda le sang qui avait coulé généreusement sur la selle.

"C'est un peu sale, désolée." Cait lui prit les rênes et se hissa sur la selle. "Allez... il faut qu'on se dépêche." Elle poussa son cheval vers le chemin qu'ils avaient emprunté.

Paladia monta à son tour à cheval et la suivit, jetant un coup d'œil derrière elle dans l'obscurité, avant de sursauter lorsqu'elle vit des yeux rouges de prédateurs tourner autour des corps. Des loups ? Elle cligna des yeux et vit des crocs blancs claquer. Oui, c'était des loups.

La lune glissa alors derrière les nuages, laissant les loups et les corps se fondre dans l’obscurité.

********************************

Gabrielle se tenait debout dans l'obscurité, souhaitant que la lune réapparaisse. Elle avait dormi pendant plusieurs bougies, puis elle s'était réveillée au contact léger de Xena et était allée chercher son armure pour le début d'une autre longue journée. C'était encore très calme et les avant-postes n'avaient pas signalé de problèmes, mais Xena avait senti qu'il y avait des problèmes et elles avaient toutes les deux appris au fil des ans à suivre son instinct.

Elle se pencha vers la citerne et se passa de l'eau sur le visage, grognant, lorsque ses muscles endoloris par les combats de la veille se rappelèrent à elle. Elle désirait plus que tout un bain chaud.

Non, elle voulait plus que tout que cette foutue guerre soit finie. Gabrielle souffla et frotta sa peau. "Je veux retrouver ma vie." Elle s'adressa au grossier support de bois qui tenait la bassine. "Je veux retrouver ma fille, ma maison et mes petits pains au miel le matin." Elle se retourna lorsqu’elle entendit des pas dans son dos, puis elle sourit en reconnaissant la personne qui approchait. "Bonjour."

Ephiny entra en baillant. "Si tu deviens toi aussi une personne joyeuse avant l'aube, je vais m'écrouler ici même."

Gabrielle ricana un peu. "Non... il n'y a pas beaucoup de chances que cela arrive. Crois-moi, il y a plusieurs endroits où je préférerais être qu'ici en ce moment." Elle soupira. "La vérité, c’est que j'ai bien peur que cela ne fasse jamais de moi une bonne Amazone, Eph."

La Régente plongea un seau d'eau dans le bassin et se le passa sur la tête, plaquant ses boucles blondes foncées sur son crâne. "J'ai une nouvelle pour toi, oh ma Reine... toutes ces histoires sur les Amazones qui aiment la vie rude dans les bois et qui passent des années dans la nature ?"

"Hmm ?"

"Des mensonges. De sacrés mensonges." L’assura Ephiny. "Alors si tu souhaites être de retour à Amphipolis en ce moment, ou mieux encore, blottie contre la grande ténébreuse dans un lit douillet, tu as tout à fait ta place parmi les autres membres de ta Nation, crois-moi."

Gabrielle éclata soudainement de rire en retour puis elle se rendit compte que c'était probablement un son très étrange dans un camp militaire, alors elle le refoula, mais elle se sentit mieux de l'avoir fait. Elle retira sa tunique et se lava, frottant les marques de boue sur ses bras et le haut de ses cuisses. "Ugh."

"Wow." Ephiny s'approcha. "Qu'est-ce que tu as fait ?"

"Mon propre bâton." Gabrielle baissa les bras, comme pour saisir son arme. "Je le garde ici... et bam." Elle fit un mouvement brusque. "Mais au rebond, il me frappe juste là." Elle passa une main sur l'hématome situé juste au niveau de sa ligne de dos. "Xena a dit qu'elle me ferait une ceinture rembourrée ou quelque chose comme ça."

"Ce que j'ai fait." répondit Xena d’une voix grave dans l'embrasure de la porte. La guerrière, déjà en armure, entra, portant un morceau de cuir dans une main. "Bonjour Ephiny. J'aimerais envoyer un groupe vers les avant-postes quand vous serez prêtes. Les messagères ne sont pas encore arrivées."

"Bien sûr." acquiesça la Régente. "Je vais voir si le groupe de Gillen a fini de s'armer... à ce propos, je me demande où elle a fini la nuit dernière ?" gloussa Ephiny. "Je ne l'ai pas vue autour de notre feu." Elle s'essuya la tête avant de secouer ses cheveux.

Xena haussa les épaules en s'approchant de sa compagne et puis elle posa le morceau de cuir sur son épaule et récupéra le morceau de lin que Gabrielle avait utilisé pour s’essuyer. "Tiens... ne bouge pas."

Gabrielle resta immobile pendant que Xena installait le cuir souple autour de sa taille et l'ajustait. La pièce d'armure comportait deux sections épaisses et rembourrées qui s'étendaient au-dessus et au-dessous de sa taille, protégeant même le haut de ses cuisses, ainsi qu’une large section à l'arrière qui couvrait le bas de sa colonne vertébrale. Elle était chaude, avec son rembourrage en laine d'agneau, et elle sentait le cuir bien traité et l'odeur légèrement terreuse du boyau que Xena avait utilisé pour la coudre. "Mmm." Elle hocha la tête en signe d'approbation, tandis que Xena l'aidait à enfiler sa chemise rembourrée, puis elle passa son armure par-dessus sa tête et la laissa retomber sur ses épaules. "Oui... ça fait du bien."

Xena s'occupa d’ajuster son armure, puis elle sortit son épée et frappa la barde sur les hanches avec le plat de la lame. Gabrielle recula d'un bond et poussa un glapissement, mais plus de surprise que de douleur. "Comment c'est ?"

"Plutôt bien, merci." La barde ramena ses cheveux humides en arrière et les essora. "Je vais aller préparer Iolaus."

Elle se dirigea vers la zone où les chevaux avaient été attachés, déplaçant légèrement les épaules pour mettre l'armure en place. Elle s'était réchauffée grâce à la chaleur de son corps et elle devenait de plus en plus confortable. Elle tapota la nouvelle pièce et poussa un grognement d'approbation, tout en s’approchant d’Iolaus et Argo.

"Prêts pour un autre combat, les gars ?"

Argo hennit et releva la tête, jetant à Gabrielle un regard ironique clairement emprunté à sa cavalière. "Oh oui, bien sûr, Argo... vas-y, moque-toi de moi." Elle donna un léger coup de poing dans le derrière de la jument et reçut un coup de queue sur le bras en retour. "Oh... je parie que ça fait mal, hein ?" Gabrielle traça une fine entaille le long du flanc de la jument, qui avait été soigneusement recousue la veille. Xena avait même coupé très court les poils près de la blessure, toujours aussi méticuleuse dans les soins qu'elle prodiguait à son cheval favori. Argo était déjà sellée, seule sa bride n'était pas attachée, le mors se balançant librement pour que la jument puisse continuer à brouter tranquillement.

"Prends bien soin de Xena, d'accord ?" Gabrielle caressa l'épaule douce et dorée. "Je sais que j'essaie de garder un œil sur elle aussi, mais elle dépend vraiment de toi."

Iolaus se mit à grignoter ses jambières en cuir pour recevoir aussi des caresses et Gabrielle lui frotta les oreilles en retour. "Oh... désolée, Iolaus. Est-ce que tu penses que je t'ignore ?" Ses mains tripotèrent sa crinière, la déplaçant du bon côté. "Tu sais, je crois que je commence vraiment à aimer les chevaux... qui l'aurait cru ?".

Elle entoura l’encolure de l'étalon avant de se serrer contre lui, appréciant le parfum riche et terreux de sa peau et le doux picotement de sa crinière contre son visage. Il hennit doucement, avant de relever la tête et de dresser ses oreilles, avertissant Gabrielle d'une autre présence. Elle se retourna pour voir qui approchait. "Salut. Ephiny te cherchait."

Gillen s'avança, resserrant sa cape autour d'elle contre la brise froide. "Ah bon ? Je ne l'ai pas vue." L'Amazone plus âgée s'arrêta près de l'épaule d'Argo et donna une tape à la jument. Argo se déplaça et la regarda, plantant un sabot dans la terre humide. "Où est Xena ?"

"En train de rôder autour du camp." Gabrielle resserra la sangle de la selle d'Iolaus, puis elle attacha sa sacoche. "Je pense qu'elle voulait que tu envoies une messagère vers les avant-postes... nous n'avons pas eu de nouvelles d'elles depuis un moment."

Gillen fit le tour d'Argo et glissa une main le long de l’antérieur d’Iolaus. "C'est un bel animal." Commenta-t-elle. "Je vais envoyer quelqu'un voir ce qu'il en est de ces avant-postes... probablement rien."

"C'est un bon garçon." Gabrielle lui sourit, puis elle se tourna pour ranger la sangle de sa sacoche.

Le coup la projeta contre Iolaus et une explosion de douleur lui traversa le dos, alors qu'elle laissait échapper un souffle par réflexe. Gillen plaqua une main sur sa bouche, l’empêchant de crier et Gabrielle sentit ses genoux se dérober tandis qu'elle s'accrochait au cheval dans une tentative désespérée de rester debout. Elle pencha la tête sur le côté, libérant une partie de sa bouche. "Pourquoi ?"

Gillen était derrière elle et répondit doucement à son oreille. "Ce n'est pas une affaire personnelle, Gabrielle. Je t'aime bien, tu sais ? Mais tu es la clé pour vaincre Xena, et sans toi, Andreas pourra la prendre." Elle jeta un coup d'œil derrière elle alors qu'un cri retentissait et que le bruit de sabots approchant agitait la nuit. "Voilà l'armée... juste à temps."

Gabrielle inspira. "Qu'est-ce que tu as à y gagner ? Il te tuera aussi, Gillen... ne sois pas stupide." Ses genoux cédèrent et elle glissa sur le sol.

Gillen dégagea sa lame et la rangea dans le fourreau de sa botte avant de s’accroupir près de sa victime. "Il m'a promis bien plus que tu ne pourras jamais me donner, Gabrielle... J'emmènerai les Amazones avec moi et nous ne finirons pas en chair à canon."

La barde s'accrocha faiblement à l'un des antérieurs de Iolaus. "Il te détruira... tu ne le vois pas ? Il ne tolérera aucune concurrence, Gillen... regarde ce qu'il veut faire de Xena... pas la battre... il veut la posséder."

Gillen saisit l'armure de la barde et la rapprocha. "C'est tellement ironique... qu'elle ait laissé quelqu'un d'aussi naïf être la seule faiblesse qu'elle ne pourra pas protéger."

Gabrielle la regarda avec un petit sourire. "Tu sais... Gillen... beaucoup de gens ont pensé cela." chuchota-t-elle. "Ils oublient juste deux choses à mon sujet."

L'Amazone plus âgée se pencha plus près. "Et qu'est-ce que c'est ?"

"Je suis une barde." répondit-elle avant de se tendre et de planter ses pieds fermement dans le sol, dégageant Gillen pour l’éloigner d’elle. Gabrielle se releva rapidement, esquivant la prise sauvage de la femme plus âgée. "Le jeu d’acteur vient avec le titre."

"Espèce de salope." Gillen sortit à nouveau sa lame et bondit. "Peu importe."

Gabrielle plongea pour s'écarter et roula sur la terre humide, arrivant juste à côté d'Iolaus, avant de tirer sa propre dague de son fourreau. "Eh bien, la deuxième chose qu'ils oublient..." Elle s'arrêta en plein mouvement, surprenant Gillen qui s'élançait vers elle. Elle se redressa dans un mouvement rapide, puis elle fit pivoter son torse et envoya son poing en plein dans le nez de Gillen. "C’est que je suis aussi une Amazone." Elle jeta un coup d'œil à sa droite et vit des flammes s'élever, puis elle sentit une poussée sauvage dans ses tripes qui confirma ses soupçons. Xena était très, très occupée, et c'était à elle de se sortir de là. Les Dieux seuls savaient combien de leurs propres troupes étaient aussi en train de se battre pour leurs vies.

Alors qu'elle tournait autour de Gillen, surveillant la main armée de l'Amazone, elle fit appel à tout ce dont elle se souvenait de ce que Xena lui avait appris, tout en cherchant à faire disparaître sa panique. Elle esquiva un premier coup, puis elle se déplaça légèrement sur sa gauche et évita un autre coup de poing, avant de retourner le coup à son tour, frôlant la mâchoire de Gillen. Les deux femmes sursautèrent lorsqu’Argo hennit, avant de s’élancer, zigzaguant entre les arbres en réponse à un signal inaudible. "Ta surprise est terminée, Gillen." l’avertit Gabrielle, esquivant sur un côté avant de grimacer lorsqu'un coup de pied l'atteignit à la cuisse.

"Elle ne fait que commencer." L'Amazone reprit son sérieux et s'élança vers elle, abattant sa lame sur l'armure de Gabrielle alors que la barde faisait un bond en arrière. "Vous vous croyiez si intelligentes... si douées pour repousser ces forces... c'était un piège, Gabrielle... il sait tout. Votre nombre, vos réserves…".

"Il pense qu'il sait." répliqua Gabrielle en restant concentrée. Puis elle s'élança vers l'avant, saisit le bras de Gillen et le tordit, projetant l'Amazone au sol d'un coup de tête inattendu. Elle se retourna rapidement et se jeta sur son adversaire, la clouant au sol avant d’appuyer son genou sur le bras armé de Gillen. "Il sait ce que tu sais, n'est-ce pas ?"

Gillen respirait difficilement et se tordait contre la force étonnamment plus puissante de Gabrielle. "Qu’Hadès t'emporte."

"Tu sais ce que nous voulions que tu saches." Gabrielle arracha le couteau de l'emprise de Gillen et le jeta loin d'elle, puis elle grogna lorsque Gillen réussit à la faire tomber et à inverser leurs positions. Elle se retrouva sur le dos, les mains de la femme plus âgée se resserrant autour de son cou, et elle prit une profonde inspiration lorsque les doigts puissants se refermèrent sur sa trachée. "Je m'en fiche. Je m'en fiche, et tu sais pourquoi ?" grogna Gillen furieusement. "Parce qu'au moins je vais pouvoir te tuer, Gabrielle. Je te déteste... je déteste tout de toi." Elle frappa la tête de la barde contre le sol. "Je déteste ta gentillesse, je déteste ta faiblesse... Je déteste la façon dont tu contrôles Xena... Je te déteste."

Gabrielle lutta contre la prise, son instinct animal reprenant le dessus alors que son cerveau commençait à réclamer de l'oxygène. Elle s'agita sous Gillen, son corps se tordant dans tous les sens, puis une de ses bottes s'accrocha à un rocher, ce qui lui permit d'utiliser ses cuisses puissantes pour les soulever toutes les deux du sol pendant qu'elle se débattait.

Elle ne pouvait pas parler. Elle ne pouvait pas respirer. Elle pouvait entendre le tonnerre des battements de son propre cœur dans ses oreilles, par-dessus les cris et le fracas de la bataille qui se rapprochait de plus en plus. Elle ferma les yeux et puisa au plus profond d'elle-même, rassemblant toute la force qu'elle pouvait pour tenter un dernier mouvement. Elle balança son corps vers le haut et sur le côté, et elle réussit à surprendre Gillen juste assez pour que son emprise se relâche un instant.

Une demi-respiration. C'était tout ce dont elle avait besoin. Gabrielle poussa un faible sifflement et se baissa, pressant sa tête contre le sol tandis qu'Iolaus réagissait à son signal en donnant un grand coup de sabot en arrière avec ses deux postérieurs.

Ils percutèrent le crâne de Gillen, l'envoyant s’affaler sur la barde, ce qui libéra la gorge de Gabrielle qui aspira une bouffée d'air dont elle avait terriblement besoin. Comme dans un rêve, elle ramena ses bras devant elle, soutenant la dague qui avait autrefois appartenu à Xena, marquée de son sceau, et enfonça la lame dans la chair de la femme plus âgée.

La chaleur se répandit sur ses mains.

Et la poigne de Gillen se relâcha.

Gabrielle repoussa lentement, faiblement, le corps affaissé et resta un long moment assise, couverte de sang. Iolaus poussa un hennissement et s'approcha d'elle, avant de lui donner un petit coup de tête. La barde tendit la main et s'agrippa au dessus de son antérieur, avant de se relever difficilement et se tenir debout, les jambes encore tremblantes.

Ses mains laissèrent des taches rouges sur la robe dorée de l’étalon.

Elle appuya sa tête contre l’encolure du cheval, puis elle se retourna lorsque le choc des armes se rapprocha. Elle leva les yeux vers le rocher de granit situé juste à côté et inspira lorsque les étoiles furent soudain effacées par une énorme forme en armure qui se détacha du rocher et fonça sur elle à une vitesse effrayante.

Elle ne bougea même pas lorsque la silhouette atterrit et bondit vers elle avant de l'engloutir dans une étreinte de laiton, de cuir et de sang, alors que la chaleur immatérielle et profonde du lien qu'elle sentait battre entre elles se répandait dans son corps.

Elle n’avait pas besoin de dire quelque chose. Xena savait. Et les longs bras l'enveloppèrent doucement alors qu'elle sentait le froid de la lame de la guerrière reposer sur l'arrière de ses jambes. "Tu es blessée ?"

"Un peu." Gabrielle respirait difficilement. "Je crois que je viens d'être poignardée dans l'âme, Xena." Elle sentit la pression attendue sur sa tête et enfouit son visage contre la peau chaude au-dessus de l'armure de Xena.

"Cait et Paladia nous ont prévenu à temps... nous avons repoussé la première vague." chuchota la guerrière. "Nous devons partir... ils seront sur nous d'une minute à l'autre." Elle souffla. "Gillen a dû se faufiler... Je la cherchais, mais…"

"Elle n'est pas seule."

"Je sais." La guerrière souffla à nouveau. "Viens, monte avec moi."

Gabrielle se redressa enfin et regarda le profil inquiet au-dessus d'elle. "C'était une Amazone, Xena. Comment a-t-elle pu faire ça ?" demanda-t-elle aux yeux bleus graves qui l'observaient. "Je ne comprends pas."

"Je sais." Xena l'embrassa doucement sur le front, puis elle siffla Argo. D'autres bruits de sabots répondirent et Ephiny arriva en trombe. "Ils reviennent ?"

"On dirait bien... on ferait mieux de... Gabrielle... ça va ? Qu’est-ce..." Les yeux d'Ephiny se posèrent sur la silhouette affaissée dans l'ombre.

"Gillen." déclara Xena de façon succincte. "Je considérerais toutes ses Amazones comme suspectes jusqu'à ce qu’on me prouve le contraire."

"D'accord." Ephiny repoussa ses cheveux en arrière. "Gabrielle ?"

"Je vais bien." La barde se redressa, puis elle leva la tête vers la Régente. "Tu pourras dire à la tribu de Gillen qu'elle a décidé de me défier et qu'elle a perdu."

Ephiny regarda Gabrielle, ses yeux glissant vers le bas, notant les taches de sang sur les bras de la barde, puis elle jeta un coup d'œil à Xena. "Je le ferai."

 

************************

"Bon sang." Xena jeta un coup d'œil à travers les broussailles. Ils avaient dû tourner en rond dans les bois pour échapper aux patrouilles d'Andreas et maintenant ils étaient confrontés à un dilemme.

Son armée les avait devancés et ils étaient maintenant regroupés dans le passage étroit qui séparait les hautes terres de la basse vallée qui menait à la rivière. Xena souffla et joua avec la crinière d'Argo, examinant les options qui s'offraient à elle. Ils pouvaient grimper sur l'escarpement et faire le tour par là, mais cela signifiait qu'ils devaient laisser les chevaux et elle n'était pas très enthousiaste à cette idée.

Ils pouvaient aussi essayer de se frayer un chemin à travers toute la partie ouest de l'armée d'Andreas et croiser les doigts. Cela ne l'enchantait pas non plus.

Ils pourraient revenir sur leurs pas et trouver un autre chemin à travers les collines, mais cela prendrait beaucoup de temps et ils n'en avaient pas beaucoup. Elle étudia les troupes. Le fait d’avoir été trahie lui piquait les nerfs. "J'aurais dû m'en douter." grommela-t-elle, pas pour la première fois, sentant la pression désagréable se nouer dans son ventre. Voir le visage de Cait lorsqu'elle était rentrée en trombe avait déclenché tant de sonnettes d'alarme... Ils avaient eu de la chance. Ils s'étaient trouvés un peu plus au Nord de l'endroit où Andreas s'attendait à les voir et ils avaient eu juste le temps de prendre les armes avant que l'avant-garde ne leur tombe dessus.

Ils avaient perdu trente guerriers. Sept d'entre eux appartenaient à Gillen, et Xena se demandait si elles avaient été tuées par l'ennemi ou par leur propre peuple, ou....

La guerrière grinça des dents. Cette trahison l'avait ébranlée, même si elle savait, à un certain niveau, qu'ils devaient avoir au moins quelques ennemis dans leur camp. Mais qu'il s'agisse d'une Reine Amazone... elle se demandait si ce petit bout de son passé ne la rattrapait pas enfin. Les Amazones avaient la mémoire longue, après tout. Les Amazones de Gabrielle n'avaient commencé à l'accepter qu'à contrecœur, et en raison de la familiarité et de l'affection sincère qu'elles portaient à la barde.

De toute façon, les autres n'avaient aucune raison de lui faire confiance. Elle jeta un coup d'œil latéral quand Ephiny s'approcha d'elle, la Régente avait une grave coupure à l'avant-bras qui avait été rapidement soignée. "Des ennuis." La guerrière fit un signe de tête vers l'armée.

"Je vois." Ephiny dévia son regard sur l'autre passagère d'Argo. "Comment vas-tu ?"

Gabrielle avait la joue appuyée contre le dos de sa compagne. "Bien". Répondit-elle, sans plus de détails. Elle avait mal au dos, une sensation de brûlure qui remontait de plus en plus le long de sa colonne vertébrale et qui descendait aussi dans ses cuisses. Elle avait envie de vomir, mais elle savait que ce n'était pas le moment, et certainement pas l'endroit. Une main se posa inopinément sur sa cuisse et la réchauffa, et elle serra à nouveau le torse contre lequel elle était blottie.

"Très bien."

Elle pouvait entendre la voix de Xena gronder à travers ses cuirs, son armure et le tissu de sa cape.

"Nous allons devoir attendre qu'ils franchissent ce col, puis nous nous faufilerons derrière eux et contournerons par l'ouest."

Ephiny acquiesça. "C'est ce que je me disais." Elle repoussa ses boucles en arrière. "Ça va être très serré."

"C'est vrai." confirma Xena. "Mais je me dis qu'une fois qu'il aura franchi le col, il se déploiera dans la vallée et nous pourrons nous glisser dans ses rangs." Elle se déplaça et se retourna pour faire face à la troupe. "Descendez de cheval. Reposez-vous et faites vous soigner. Nous allons rester ici jusqu'à ce qu'ils aient franchi le col."

Des formes solides et armées descendirent docilement et Xena attendit quelques instants avant de passer sa jambe par-dessus l’encolure d'Argo et de se laisser glisser, avant de se tourner pour tendre sa main à Gabrielle par habitude. La barde hésita, puis elle saisit la main tendue pour l’aider à descendre avant de s'agripper à la selle d'Argo lorsque ses pieds touchèrent le sol et qu'un éclair de douleur manqua de la faire tomber.

"Hé." Xena la rattrapa. "Gabrielle ? Tu vas bien ?"

Devait-elle lui dire la vérité ? Lui mentir ? Non. "Non" dit Gabrielle d'une petite voix. "Je pense... ow... que c'est mon dos... je..." Elle tenta de se redresser, puis elle sursauta. "Oh."

"Bon sang." Xena lui saisit les épaules et la fit tourner avec précaution. "Mets tes bras autour de mon cou." ordonna-t-elle, tout en tâtant prudemment le dos de sa compagne sous sa cape. Un souffle s'éleva contre sa poitrine lorsqu'elle toucha la zone située juste au-dessus du coccyx de la barde. "D'accord... doucement." Xena leva les yeux vers Ephiny. "J'ai besoin d'un abri."

"D'accord." Ephiny disparut dans le sous-bois épais.

"Je dois t'enlever cette armure, Gabrielle." Xena détacha la cape de la barde d'une main, tout en la maintenant toujours contre elle de l'autre. "Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu avais mal ?"

"Mmph... "Gabrielle se mordit la lèvre presque jusqu'au sang. "Xena, s'il te plaît, ne me crie pas dessus maintenant." Sa voix était à peine un murmure.

"D'accord." La guerrière détacha l'armure et commença à la soulever, sentant le corps de la barde se tendre et trembler sous son contact. "Doucement... doucement..." Elle réussit à enlever le cuir et le posa sur le dos d'Argo, puis elle détacha la ceinture rembourrée et l'enleva. Le cuir était taché de sang et l'odeur cuivrée monta rapidement au nez sensible de Xena. "On t'a poignardée ?" demanda-t-elle.

"Oui." Gabrielle s'accrocha à la selle d'Argo tandis que Xena se déplaçait derrière elle et s'agenouillait pour l’ausculter avec précaution. Elle tressaillit et sut que sa compagne le sentit grâce à la pression réconfortante qu'elle reçut sur sa jambe. "Ça... fait vraiment mal."

"C'est passé très près de ta colonne vertébrale." expliqua Xena d’une voix basse. "C'est une mauvaise coupure." Elle toucha un point. "Est-ce que ça fait mal ici ?"

"Oui."

"Ici ?"

"Oui."

"Et là ?"

"Ow."

La guerrière poussa un long soupir. "Très bien."

Ephiny apparut soudainement. "Il y a un affleurement juste là, Xena. C'est assez grand pour passer en dessous... nous avons attaché les chevaux à côté."

"Bien." Xena se leva, libéra sa sacoche, puis elle la mit en bandoulière. "Prends Argo." Elle tendit les rênes à Ephiny, puis elle passa délicatement ses bras autour de Gabrielle. "Mets tes bras autour de mon cou."

"Je peux marcher."

"Gabrielle, ne discute pas avec moi. Fais ce que je te dis, bon sang !" s’énerva Xena. "Maintenant."

Les bras se glissèrent autour de son cou et elle souleva Gabrielle, la tenant avec précaution tandis qu'elle se dirigeait vers le rocher à travers les broussailles. Cait la rattrapa avec anxiété. "Cait... va chercher la couverture qui se trouve sur la selle d'Argo et étale-la ici."

Xena attendit que la jeune fille s'exécute, puis elle allongea soigneusement Gabrielle sur le côté. "Roule par ici." La barde s'exécuta en silence, s'appuyant sur son ventre, puis elle remonta un genou pour soulager un peu la douleur. Xena fit une pause et prit plusieurs inspirations avant de s'agenouiller derrière sa compagne. "Gabrielle... Je vais devoir nettoyer ça, puis recoudre la plaie. Ça va faire mal." Un hochement de tête lui répondit. "Beaucoup".

Gabrielle la regarda par-dessus son épaule. "D'accord."

Son âme sœur lui tendit un morceau de cuir de son kit d'armure. "Tu ne peux pas crier ici." Elle regarda la barde prendre le morceau et le mordre lentement, puis elle posa sa tête sur un bras et attendit. Xena saisit le bras de Gabrielle pendant un long moment avant de se mettre au travail. Malgré la tension douloureuse et les tressaillements atroces que Xena pouvait clairement sentir pendant qu'elle travaillait, aucun son ne sortit de sa compagne pendant tout le temps que cela dura. Elle nettoya la plaie très soigneusement, la rinçant à plusieurs reprises pour s'assurer qu'il n'y avait plus rien dedans, lavant les caillots de sang et les minuscules fragments d'os de la colonne vertébrale de la barde que la lame avait fracturés. Puis elle épousseta la profonde entaille triangulaire avec des herbes et la recousit. "J'ai presque fini." Xena plaça un tampon de lin contre l'entaille fermée, puis le fixa avec une bande autour de la taille fine de la barde. "C’est bon." Elle posa une main sur l'épaule de Gabrielle et la tira un peu en arrière, s'arrêtant lorsqu'elle découvrit le visage strié de larmes.

Faire face à sa propre douleur était une chose. Elle l'avait fait presque toute sa vie. Mais voir Gabrielle agoniser de la sorte la touchait bien plus profondément. Elle était consciente des soldats regroupés autour d'elle, et de la situation dangereuse dans laquelle ils se trouvaient, mais elle ne put s’empêcher de mettre de côté cette situation quelques instants. Elle retira son armure d'une seule main, la posant à côté d'elle, avant de prendre doucement le corps de la barde dans ses bras, lui caressant les cheveux dans un réconfort impuissant alors que des sanglots la déchiraient.

Les mains de Gabrielle s'agrippèrent à son cuir tandis que la barde se rapprochait d'elle, laissant échapper un soupir tremblant tandis qu'elle recrachait le morceau de cuir, les marques de ses dents clairement identifiables. "Il n'y a pas de point de pression à cet endroit." murmura Xena. "Je suis désolée, ma chérie."

Un souffle.

"Je n'avais même pas réalisé..." murmura Gabrielle. "J'ai dû être tellement dans les vapes après... "

"Chut." Xena appuya son dos contre le rocher et souffla. "Repose-toi. "Cela compliquait encore davantage une situation déjà désastreuse. Elle se reprochait aussi de ne pas s'être assurée que Gabrielle n'avait pas été blessée lors de l'attaque et de ne pas avoir remarqué qu’elle avait sûrement souffert pendant leur trajet.

Oui, elle était responsable des troupes. Oui, elle devait s'assurer qu'ils s'en sortent tous vivants. Mais bon sang !

Quelque chose lui donna un coup dans le ventre et elle baissa les yeux, les sourcils férocement froncés. Des yeux gonflés et rougis par les larmes la regardèrent.

"J'essayais juste d'être un bon soldat." expliqua Gabrielle.

Xena essuya une larme sur sa joue. "Je ne veux pas que tu sois un bon soldat." dit-elle à la barde. "Je veux juste que tu sois toi-même."

"D'accord." Quelque part, Gabrielle retrouva le sourire. "Arrête de t'en vouloir, alors." Xena crispa légèrement les lèvres en réponse mais elle accepta à contrecœur sa requête, et la barde, satisfaite, laissa sa tête reposer contre l'estomac de la guerrière avant de sentir un bras s’enrouler autour d'elle doucement. La douleur incroyablement vicieuse qui l'avait saisie s'était calmée en une agonie sourde, et elle était très reconnaissante de pouvoir simplement rester allongée et d'être avec Xena. "Wow... ça fait vraiment mal."

Xena ordonna paresseusement ses cheveux moites. "C'est très proche de ta colonne vertébrale... c'est très sensible. Tu avais des éclats d'os... cela a peut-être touché des nerfs."

"Oh." réalisa Gabrielle. "C'est une bonne chose que tu aies fabriqué cette ceinture, hein ?"

"Mmhmm." Xena acquiesça, puis elle leva les yeux. "Comment ça se passe ?"

Bennu secoua la tête. "Quelque chose les ralentit." Il souleva son grand corps au-dessus du rocher derrière lequel ils étaient accroupis et se frotta les yeux. "Je ne sais pas ce que c'est." Les troupes meurtries autour de lui, regroupées en petits groupes autour du rocher, semblèrent pousser des soupirs de soulagement. Plusieurs soignaient leurs blessures, la plupart avait récupéré des tranches de bœuf séché ou des barres de céréales et les grignotaient tranquillement.

Xena fouilla dans sa sacoche et en sortit une de leurs barres, avant de la casser en deux et d’offrir un morceau à Gabrielle.

Cait se mit à ramper vers elles, en s'appuyant sur ses coudes. "Je peux atteindre le sommet de cet arbre... Tu veux que j'y aille pour voir ce qui se passe ?"

"Vas-y." murmura Xena. "Sois prudente."

"D'accord." rayonna Cait avant de s'éloigner en rampant. Elle contourna le rocher et se dirigea vers son point d'observation.

"Ta confiance signifie beaucoup pour elle." commenta Gabrielle. "Elle en est très fière."

"Elle l'a méritée." répondit simplement la guerrière et cela souleva un sentiment doux-amer au fond du cœur de la barde, alors que l'écho d'un souvenir dans un pays lointain refaisait surface.

Je me demande. Elle cligna des yeux, ses cils effleurant la surface de cuir sur laquelle elle reposait. Je me demande si j'entendrai un jour ces mots sans penser à ce que j'ai fait en Chine. Elle ferma les yeux pour que Xena ne voie pas ses larmes.

"Tu as encore mal ?" La voix de la guerrière gronda doucement.

Gabrielle acquiesça, soupirant et laissa un peu de sa ration tomber mollement contre l'armure de Xena. Une lourdeur s'installa dans sa poitrine et elle resta allongée, avachie.

Xena jeta un coup d'œil à Cait qui grimpait lentement mais sûrement le long du tronc, puis elle reporta son attention sur son âme sœur. La guerrière plissa les sourcils et se mordit la lèvre, inquiète du sentiment de malaise qui émanait de la barde. "Hé !" Du bout des doigts, elle chatouilla le bord de l'oreille de Gabrielle.

Un œil injecté de sang s'ouvrit, luisant d'humidité.

Xena sourit. "Je me souviens de la dernière fois où tu as dû dormir comme ça... toi aussi ?"

La barde lui répondit dans un souffle. "Non."

La guerrière releva un sourcil. "Tu ne t'en souviens pas ? Tch... allez, Gabrielle... il m'a fallu au moins trois marques de bougie pour te débarrasser de ces piquants."

La barde éclata de rire, de façon complètement inattendue. "Oh par les Dieux." répondit Gabrielle d'une voix rauque. "Je crois que j'ai délibérément occulté ce souvenir."

"Si j'étais tombée sur un porc-épic en essayant d'échapper à une mère chèvre en colère qui me poursuivait parce qu'elle pensait que j'avais volé son chevreau... je l'aurais probablement oublié aussi." admit Xena.

Gabrielle mit de côté ses idées noires. "Je n'essayais pas de le voler... je voulais juste l'éloigner du lait de sa mère pour pouvoir...".

"Me faire du fromage" termina Xena avec un sourire attendri. "Je sais... Je me sentais si mal à l'aise de te voir subir tout ça juste..." Elle hésita. "Juste pour moi."

"Mm... Je me souviens... tu m'as apporté tellement de pâtisseries au miel et aux noix que j'ai failli être malade." Le nez de la barde tressaillit, tandis qu'elle esquissait un sourire. Elle bougea un peu la tête et leva les yeux. "Est-ce qu'on va rentrer sans problème ?"

Xena lui donna une petite pichenette sur le menton. "On va y arriver."

Gabrielle acquiesça et se détendit, déplaçant sa main vers le bas pour trouver celle de sa compagne dont les doigts s'emmêlèrent autour des siens, apaisant les zones d'ombre qui s'accrochaient encore à ses pensées. "A quel point cette coupure est-elle grave ?"

La guerrière lissa les cheveux de la barde en arrière. "Assez grave pour que tu ne puisses pas te battre pendant un certain temps." l'avertit-elle.

"Xena..." protesta Gabrielle. "Allez... J'ai passé la moitié de la matinée avec."

"Et maintenant, tu es allongée ici à cause de ça." s’emporta sa compagne. "Qu'est-ce qui t'arrive, Gabrielle ? Tu t'entêtes avec l'âge ?".

La barde la regarda fixement. "Si tu penses que je commence juste à devenir têtue, tu devrais te regarder avant de parler."

Xena ricana. "Arrête de me ressembler."

"Agaçant, n'est-ce pas ?" Gabrielle prit une grande inspiration contre son oreiller de cuir. "Tu ne me renverras pas dans la vallée." Elle leva les yeux lorsque sa compagne ne répondit pas et découvrit des yeux calmes et sérieux qui la regardaient. "Tu ne le feras pas."

"Gabrielle."

"Xena, je te le dis..." Des doigts couvrirent ses lèvres et elle se calma, mais son expression s'assombrit.

"Ecoute-moi." insista la guerrière. "Il n'y a personne, personne au monde que je préférerais voir garder mes arrières plutôt que toi."

"Mais..."

"Mais." Ses doigts caressèrent le visage de la barde. "Si tu te bats blessée, c'est beaucoup plus dangereux pour nous deux, Gabrielle... pour toi, parce que tu ne pourras pas réagir comme tu le fais d'habitude, et pour moi, parce que je serai tellement inquiète pour toi que je vais probablement me faire couper la tête."

Bon sang ! Gabrielle soupira, se retrouvant prise entre deux émotions très fortes.

"Nous en parlerons plus tard." continua Xena. "Attendons d'être de retour à la rivière et nous verrons comment tu te sens à ce moment-là, d'accord ?"

"D'accord." approuva Gabrielle.

Pour l'instant.

********************************

Xena dirigeait silencieusement Argo, contournant un grand chêne pour regarder prudemment le détroit devant elle. C'était calme, mais les broussailles, le sol et les arbres montraient de nombreuses traces de l'immense armée qui venait de passer. "D'accord" dit-elle. "Voyons jusqu'où nous pouvons aller." Elle se retourna et se hissa sur Argo derrière Gabrielle, qui était déjà à cheval, avant d’enrouler un bras protecteur autour d'elle, puis elle dirigea la jument au-delà des arbres et descendit vers le col.

Être assise à cheval, serrée contre Xena, n'était pas confortable, mais Gabrielle serra les dents et supporta la situation, sachant que si Xena devait sortir son épée et se battre, elle serait plus en sécurité là où elle se trouvait que derrière son âme sœur.

Les troupes se répartirent derrière elles, Ephiny et Eponine chevauchant d'un côté et Bennu et quelques-uns de ses soldats de l'autre.

C'était très calme et Xena gardait tous ses sens en éveil, espérant que l'absence d'oiseaux et d'animaux reflétait la peur de l'armée qui venait de passer. Ils chevauchaient dans le vent, mais celui-ci ne lui apportait que ce qu'elle savait, à savoir qu'une grande force armée était venue par là et qu'elle n'était pas très loin devant eux.

Xena fit une pause, alors qu'ils franchissaient l'affleurement rocheux qui formait le col et ralentit l'allure d'Argo, ses sens en alerte s'éveillant brusquement. Elle s'arrêta juste avant l'ouverture et descendit. "Restez ici." Dit-elle en levant une main et en s'avançant doucement, touchant la roche chauffée par le soleil tout en penchant la tête sur un côté pour écouter attentivement.

Le bruissement des feuilles.

De minuscules rochers, délogés par le vent et les vibrations, qui s'ébranlaient.

La puanteur des chevaux et des hommes qui lui parvenait, ainsi que l'odeur du feuillage meurtri et, bien plus loin de là, celle de l’eau.

Les poils de sa nuque se hérissèrent.

Lentement, paresseusement, elle passa la main par-dessus son épaule et fit glisser son épée hors de son fourreau de cuir, en faisant le moins de bruit possible, tout en faisant un signe derrière elle. Elle fit un pas en avant, et soudain, sans crier gare, frappa la poignée de son épée contre le rocher, produisant un bruit sourd.

Elle entendit un mouvement.

Puis un grognement résonna de derrière le rocher.

Xena poussa son cri de guerre et elle entendit une vague de mouvement en réponse. "C’est un piège !" Beugla-t-elle. "Bougez !"

Ses troupes se précipitèrent et soudain, un mur d'hommes et d'animaux arriva au bord du col, armes dehors et presque au-dessus d'eux.

Xena bondit à mi-chemin du rocher et s'accrocha à un petit rebord, avant d’abattre la lame de son épée et de trancher la tête du premier soldat qui franchit le passage. Elle poussa à nouveau son cri de guerre tout en frappant encore et encore les hommes armés devant elle, jusqu'à ce que ses troupes la rattrapent et plongent dans la mêlée. Elle jeta un coup d'œil vers le bas pour voir la forme dorée familière d'Argo et se laissa tomber du rocher sur le dos de la jument, derrière sa compagne qui était en train d'esquiver les différents assauts. "Accroche-toi."

"Comme si je pouvais faire autrement ?" répondit Gabrielle d'un air sombre.

Les chevaux les entouraient, le choc des épées et les cris des combattants emplissaient l'air. "Nous devons sortir d'ici." Ephiny abattit la poignée de son épée sur une tête casquée. "Nous allons avoir toute cette foutue armée sur nous, Xena !"

Gabrielle sentit l'hésitation derrière elle. "Là-bas !" Elle pointa soudain du doigt une ouverture entre les arbres. "Si on arrive à passer par là... je pense qu'on pourra franchir le ruisseau !"

Bennu fit tourner son gros étalon, ouvrant un espace autour de lui. "Genr’le, Genr'le ! On s’occupe de les retenir !"

Cela allait à l'encontre de tout ce qu'elle était. Xena vit le bouclier se former devant elle et elle lutta contre son instinct qui la poussait à retourner se battre.

"Allez !" Eponine donna une tape sur la croupe d'Argo. "Pour l'amour d'Artémis, Xena... sans toi, nous n'avons aucune chance !"

D'autres soldats ennemis s’avancèrent et les flèches volèrent, aggravant la situation alors que Xena dirigeait Argo vers les arbres à contrecœur. "Vous tous à l'arrière... suivez-moi !" finit-elle par crier, visant la percée dans les arbres en poussant la jument à avancer plus vite.

Gabrielle se contenta de s’accrocher, particulièrement sensible à l'agonie qu’elle avait entendu transparaître dans la voix de sa compagne. Elle essaya de ne pas penser aux amis qu'elle laissait derrière elle, alors qu'elles s'élançaient vers les bois, avant de voir une ligne de cavaliers se séparer de la force d'attaque et se diriger vers elles.

Xena les vit aussi et fit passer son épée de sa main gauche à sa main droite, faisant dévier Argo vers la droite par pur instinct, pour protéger le reste des combattants des chevaux qui arrivaient. Elle emmêla ses doigts dans la crinière d'Argo et plaça autant de son corps que possible autour de celui de Gabrielle, alors que le premier des soldats les atteignait.

"Yeah !!!!" Xena rencontra le premier coup d'épée et le dévia, puis elle frappa en retour le cavalier juste sous le menton, lui ouvrant le cou et envoyant un torrent de sang sur la tête de son cheval. L'animal hennit, les yeux révulsés, et se cabra, permettant à Xena de passer en trombe et d'attaquer le second cavalier, qui lançait une lance au-delà de ses défenses. Elle lâcha la crinière d'Argo et attrapa l’autre extrémité de la lance, luttant pour garder son équilibre alors qu'elle et son adversaire chevauchaient côte à côte pour obtenir le contrôle de l'arme.

Xena se souleva légèrement de sa selle et fit passer son épée de l'autre côté, perforant l’armure juste sous le bras du soldat avant de la retirer lorsqu'il bascula sur un côté, la laissant avec la lance.

Elle la jeta au sol et poussa Argo à aller plus vite, observant la première ligne de leurs troupes atteindre la brèche. "Allez! Allez!!!!" Elles passèrent en trombe, et elle se retourna à moitié, avec l'intention de faire revenir Argo pour surveiller leur retraite. Mais quatre des siens la devancèrent, formant un bloc dans la brèche pour repousser les cavaliers. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de continuer à avancer, se faufilant entre les chevaux au galop jusqu'à ce qu'elle soit à l'avant.

Derrière elles, elles pouvaient entendre le fracas de la bataille et le son des cors, alors que les troupes d'Andreas appelaient des renforts. Les cris et les bruits de métal s'estompèrent peu à peu pour laisser place au grondement des sabots sur le sol recouvert de mousse et au fouettement des feuilles qui s'entrechoquaient, laissant derrière elles une traînée de senteurs végétales.

Ils ralentirent le galop après avoir mis suffisamment de distance. La tension était presque palpable dans le groupe, dans la faible lumière du jour masquée par les arbres.

Xena jeta un coup d'œil autour d'elle, espérant que le chemin resterait dégagé jusqu'à l'endroit où ils devraient sortir et traverser la grande zone ouverte menant à la rivière. Ils seraient alors à découvert, mais elle estimait qu'ils auraient alors une bonne longueur d'avance sur les troupes d'Andreas, et qu'ils auraient normalement le temps de s'abriter derrière les remparts.

Elle essaya de ne pas penser aux gens qu'elle avait laissés derrière elle.

"Tu vas bien ?" demanda-t-elle à la forme immobile et silencieuse qui se trouvait devant elle. Gabrielle acquiesça, mais ne répondit pas, gardant la tête baissée pour ne pas être gênée par les branches qui les fouettaient autour d'elles.

Ils chevauchèrent encore un moment, les chevaux transpirants et respirant fort, jusqu'à ce qu'ils approchent de la lisière clairsemée de la forêt et que Xena ralentisse son allure pour soulager un peu Argo. "Une fois que nous serons dans la plaine, faites profil bas et restez à l'orée des bois." dit-elle derrière elle, recevant des hochements de tête fatigués en retour. "Toi aussi, reste baissée." Elle posa une main sur l'épaule du barde. "Comment va ton dos ?"

"J'ai mal." murmura Gabrielle. "Mais je survivrai."

Xena inspira, puis elle pressa doucement ses jambes pour diriger Argo vers les grands espaces.

Et puis, d'un seul coup, la lumière fût bloquée par des corps armés à cheval.

Ils les attendaient.

Xena cligna des yeux, puis elle dégaina son épée et fonça vers eux, en poussant un cri sauvage et féroce.

Un cri de faucon retentit et les cavaliers qui se trouvaient dans la brèche s'éparpillèrent, s'élançant hors du chemin comme si Hadès lui-même sortait des arbres pour leur foncer dessus.

Les troupes s'élancèrent vers le soleil, à travers une foule aux couleurs familières. Xena les regarda plus attentivement, puis elle souffla en reconnaissant les visages qui l'entouraient. "Toris ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Retournez au camp !"

"Je viens t'aider !" lui répondit son frère en criant. "Nous avons deux groupes de cavaliers qui harcèlent leur force principale... Allons-y ! Ils ont brûlé les plaines."

Toris fit passer son grand hongre à côté de sa sœur, tandis que Xena s'arrêtait, tout en faisant signe aux cavaliers de ralentir. "Qu'est-ce qui s'est passé ?"

Xena tapota l'épaule en sueur d'Argo. "Qu'est-ce qui ne s'est pas passé, tu veux dire ?"

"Tu vas bien ?" demanda Toris à Gabrielle, qui s'accrochait péniblement à Xena.

"Bien pour l'instant."Répondit la barde. "Comment vont les choses ?"

Toris jeta un coup d'œil derrière eux. "Pas terrible... nous avons reçu un grand nombre de réfugiés hier, Xena... tu ne croirais pas ce que ces bâtards leur ont fait."

"Bien sûr que si." La réponse de Xena lui fit froid dans le dos. "Plus tu terrorises les gens, moins ils te combattent."

"Marquer les gens au fer rouge ? Leur arracher les yeux ? Les écorcher vifs et les laisser mourir ?" répliqua Toris. "Tu ferais ça ?"

Xena resta assise tranquillement sur le dos d'Argo pendant un long moment, réfléchissant à la question. Ses troupes se déplaçaient avec inquiétude, attendant la réponse. Même Gabrielle était silencieuse.

"Non." vint la réponse après un moment de réflexion. "Je les aurais simplement tués." Elle leva la tête et balaya la zone autour d’elle. "Allons-y… Je veux avoir le temps de cartographier son ordre de bataille avant qu'ils n'atteignent la zone basse." Elle dirigea Argo dans la plaine et se fraya un chemin parmi les combattants. "Ça va devenir de plus en plus difficile à partir de maintenant."

Gabrielle attendit qu'elles soient à une distance suffisante des autres avant de tourner la tête vers Xena. "Et les gens que nous avons laissés derrière nous ?"

"Soit ils nous rattraperont, soit ils ne nous rattraperont pas."

Les lèvres de la barde se serrèrent en une fine ligne.

Les yeux de Xena restèrent froids pendant un moment, puis son expression s'adoucit légèrement. "Je pense qu'ils nous rattraperont, Gabrielle... il y avait de sacrés bons guerriers là-bas."

"Certains d'entre eux étaient de sacrés bons amis à nous aussi." déclara Gabrielle, très doucement.

 

La guerrière soupira. "Je sais... c'est pour ça qu'ils sont restés." Xena lui donna une tape sur la jambe. "Ne commence pas encore leurs bûchers, Gabrielle. Tout peut arriver en guerre. "

La barde se retourna et regarda devant elle, entre les oreilles dorées d'Argo.

**************************************

L'ambiance était sinistre. Xena traversait le camp, alors que les soldats se précipitaient pour apporter des fournitures de dernière minute sur les murs tandis que d’autres s'efforçaient de déplacer de lourdes caisses sur le sol boueux. Le retour avait été heureusement calme et maintenant elle se déplaçait anxieusement d'un point à l'autre, préparant les choses au mieux, étant donné que, d'après elle, l'armée d'Andreas était trois fois plus nombreuse que la sienne.

"Genr'le !

Xena leva les yeux vers la vigie.

"Un autre groupe arrive."

Xena jeta un coup d'œil vers les portes. "Laisse-les entrer et envoie-les de l’autre côté de la rivière."

La vigie lui fit un signe de la tête puis fit demi-tour et cria ses ordres aux gardiens des portes.

Bennu la rattrapa alors qu'elle continuait à avancer et il fit quelques pas à ses côtés avant de parler. "Ça va être une mauvaise journée, Générale."

"En effet, Bennu."

Ils marchèrent un peu. "Il faut bien que les guerriers meurent un jour." finit par dire le grand soldat. "Bonne cause, bonne cheffe... on ne peut pas vraiment demander plus que ça."

Xena s'arrêta et mit les mains sur ses hanches. "Je n'ai pas rassemblé une armée dans le but de la laisser se faire massacrer, Bennu."

"Non." répondit le soldat. "Mais nous savions tous que nous allions au-devant d'ennuis, Xena." Son visage maculé de saleté se plissa en un sourire. "Quoi qu'il arrive, c'était pour une bonne chose de toute façon."

La guerrière souffla, puis elle tapota le bras de Bennu et s'éloigna.

*********

La tente des guérisseurs était animée et l’ambiance était morose. Les guerriers qui étaient arrivés avec Xena se faisaient rafistoler, et ceux qui avaient participé aux premières escarmouches étaient recroquevillés sur des couchages d’appoint, les visages tirés par la douleur. Plusieurs guérisseurs circulaient parmi eux, mais Xena se concentra jusqu’à trouver la forme caractéristique d'Elaini, agenouillée près d'un couchage à l'arrière de la tente, une torche éclairant son travail.

La guerrière pouvait sentir l'attention portée sur elle tandis qu'elle se déplaçait dans la zone bondée, et elle prit le temps d'établir un contact visuel, offrant aux hommes et aux femmes blessés un sourire discret, avant de poser une main sur une épaule ou sur la tête. Une vague d'excitation nerveuse se répandit autour d'elle en réaction, et même les guérisseurs levèrent la tête pour voir ce qui se passait.

Elaini tourna la tête et montra brièvement ses longs crocs. "J'aurais du savoir que c'était toi." Grogna l'Etre de la Forêt. "Est-ce que tu veux venir ici Xena. Cette tente entière remplie de combattants ne me donne pas autant de fil à retordre que cette petite humaine."

Xena s'approcha et jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule d'Elaini, pour découvrir des yeux verts grincheux qui la fixaient. "C'est drôle... ma mère dit toujours ça à propos de Dori... tu penses qu'elles ont un lien de parenté ?"

"Hmm." grogna Elaini, pour s’abstenir de dire ce qu’elle pensait vraiment. "En tout cas, je suis sûre que je n'échangerais pas mes trois terreurs pour l'une ou l'autre." Elle changea soigneusement le bandage sur le dos du barde. "C'est une très mauvaise coupure, Xena."

"Je sais."

"Ça ne fait pas si mal que ça." Gabrielle posa son menton sur son bras.

"Tu as dit que ça te faisait mal de marcher." rétorqua Xena. "Et que tu te sentais engourdie jusqu'aux genoux."

Elaini fronça les sourcils. "Tu ne m'as pas dit ça." Elle regarda la barde d'un air renfrogné. "Gabrielle, s'il te plaît... n'agis pas comme une de ces têtes dures, tu veux bien ? Tu as bien plus de bon sens que ça, je le sais."

Gabrielle la regarda avec mécontentement, tout en tendant une main pour s’accrocher à l'armure du genou de Xena. "Le bon sens n'a rien à voir avec ça". Sa voix était légèrement rauque. La vérité, c'était que chaque mouvement lui causait une décharge de douleur dans les jambes et dans le dos, et elle savait que son âme sœur le savait.

Elle savait aussi ce que pensait Xena, et même si son esprit lui disait que la guerrière avait raison, son cœur s'opposait à l'idée de quitter sa compagne à la veille même de la bataille. Elle leva les yeux vers le visage de la guerrière et y vit la confirmation de ses pensées dans les sourcils froncés et le sourire crispé de sa compagne. "Crottins de Centaures."

Elaini la regarda sans comprendre, puis elle jeta un coup d'œil à Xena. "Comment faites-vous ça?"

"L’Expérience." répondit la guerrière sans ambages. "Très bien...Elaini... Je vais prendre le relais ici."

L'Etre de la forêt se leva et pressa l'épaule de Xena, puis elle se dirigea vers son prochain patient, avant de s'agenouiller à côté d'un jeune homme de la cavalerie dont la moitié de la jambe avait été coupée.

"Maman a accepté d'emmener Dori et un groupe de blessés graves de l'autre côté de la rivière, dans la vallée." déclara Xena. "Tu iras avec eux."

La protestation mourut sur ses lèvres, car un mouvement involontaire lui fit serrer la mâchoire et se mordre le côté de la langue. Xena lui tapota très doucement la tête et elle souffla de frustration. "Je ne veux pas te quitter."

"Et je ne veux pas que tu t'en ailles." répondit la guerrière honnêtement. "Mais te savoir en sécurité là-bas... me soulagera d'un grand poids."

"Combien de temps ?"

Xena jeta un coup d'œil à l'extérieur. "Une bougie... peut-être deux." Répondit-elle. "Ils sont en train de préparer le chariot."

Gabrielle se redressa sur un coude. "Peux-tu m'accorder quelques minutes d'ici là ?"

La guerrière hocha la tête. "Pour toi ? Toujours."

*******************

Cyrène se retourna au bruit de pas et vit une silhouette familière s'introduire dans la tente. "Ah." Elle repoussa ses cheveux en arrière. "Nous sommes presque prêts."

"Boo !" s’exclama Dori énergiquement dès qu’elle réalisa qui venait de les rejoindre. Ses bras se tendirent dans un mouvement impatient et saisissant. "Booo !!! Booo !!!" Elle se tortilla sur la caisse sur laquelle Cyrène l'avait assise et faillit tomber.

"Doucement, petite." Xena la rattrapa et glissa son petit corps dans le creux de son bras. "Alors quelle catastrophe as-tu inventé ces derniers temps, hum ?"

Dori passa ses bras autour du cou de Xena et la serra en poussant de petits grognements d'approbation et de bonheur. "Bobobobobobobobobooo...." Elle hoqueta, puis cligna des yeux. "Maman ?"

"Oui... nous allons voir maman." promit Xena, en jetant un coup d'œil à sa mère. "Nous voulions passer un peu de temps ensemble avant que vous ne partiez."

Cyrène frotta le bras de sa fille, mais ne dit rien.

"Allez, Dori... on va voir maman ?" dit-elle tout en sortant de la tente presque vide. Elle s’était vêtue de son gambeson, après s’être lavée rapidement de la saleté de la journée, et ses cheveux étaient encore humides de son bain. "Par les Dieux, tu as encore grandi."

Dori attrapa le devant du tissu rembourré et le tira d'un coup sec. "Go go go go !!!" Elle adressa à Xena une petite grimace. "Go maintna !"

Xena la regarda sérieusement. "Je te l'ai promis, n'est-ce pas petite ?" murmura-t-elle, tandis que Dori la regardait avec confiance et impatience. "D'accord... d’accord." Cela ne prendrait pas longtemps, et les quelques minutes de jeu lui enlèveraient un poids des épaules. Elle regarda autour d'elle, fronçant les sourcils en constatant que le campement grossier et terne s'étendait de part et d'autre d'elle, le long des berges de la rivière. "Il n'y a pas de place ici…" souffla-t-elle. "Je suppose que nous allons devoir passer de l'autre côté, Dori. Accroche-toi."

C'était une sensation surréaliste qu’elle vivait. Marcher dans un camp de guerre, à la veille de ce qu'elle savait être un horrible carnage, tout en berçant Dori dans ses bras alors qu'elle slalomait entre les tentes et les caisses. Elle laissa les cris et les sons tomber derrière elles et traversa le pont rapidement.

Ses bottes faisaient trembler les planches de la passerelle. L'odeur de la rivière lui parvenait et la frôlait presque, tandis que le vent tournait autour d’elles. Les bruits du camp s'estompèrent doucement, remplacés par les grillons et le bruit de l'eau.

C'était comme retourner dans un autre monde. Ici, il n'y avait pas de boue, pas d'odeur d'hommes et de chevaux, pas de sang. Pas de cris de blessés, ni d'odeur de mort. Au loin sur le chemin, elle pouvait voir les portes de la ville, et pendant qu'elle regardait, un poulet solitaire traversa la route en sautillant, à la recherche d'insectes. Xena respira profondément l'air pur et froid en marchant tranquillement. Ses bottes soulevèrent un peu de poussière et, pendant un bref instant, elle souhaita que ce ne soit qu'un matin comme les autres. Un matin qui se terminerait par un retour à la cabane avec Dori, pour réveiller Gabrielle et déguster des biscuits et des fruits ensemble.

"Tu sais quoi, Dori ?"

"Booga ?"

Xena prit une grande inspiration. "J'ai grandi et je n'aime plus la guerre." avoua-t-elle à l'enfant, avec un sentiment de légère surprise. "C’est quelque chose, n’est ce pas ?"

Dori ne semblait pas perturbée. Elle mâchouillait une boucle avec application et explorait le cristal accroché au cou de sa compagne de jeu préféré.

Xena décida de profiter de l'instant présent. Elle prit le chemin de droite, qui contournait Amphipolis, et se mit à trottiner. Dori poussa un cri, se tortillant de plaisir en reconnaissant le mouvement.

"Plus vite ?"

"Go, go, go !"

Xena accéléra le pas, ajustant son équilibre avec le bébé dans ses bras, puisqu'elle avait laissé tous les sacs de Dori au camp. "Comme ça, hein ?"

Dori rit de plaisir, semblant visiblement apprécier la vue de face. "Go !"

Elles remontèrent la pente, complètement seules dans la forêt qui entourait la ville abandonnée. Les petits animaux s'écartèrent rapidement sur leur passage, surprit de les trouver là après avoir été au calme pendant plusieurs jours. Xena zigzaguait entre les arbres, sautant par-dessus les rochers et les souches, et riait en écho avec les gloussements ravis de Dori. "Prête ?"

"Boo !"

Elle fit un pas, puis elle se lança dans un saut périlleux, ce qui lui amena un cri presque dans l'oreille. Après avoir atterri, elle se redressa rapidement avant de sauter à nouveau, en tournant deux fois dans les airs, puis elle s'élança vers une légère montée, avant de sauter du sommet sans la moindre hésitation.

"Booo !!!!" Dori criait d’excitation alors qu'elles volaient dans les airs, le vent frappant leurs visages. La pente leur permit de rester en l'air plus longtemps, puis Xena arqua le dos et se tourna sur le côté, avant de basculer en avant et de se remettre sur ses pieds, juste à temps pour atterrir. "Whoo... c'était un bon coup, hein, Dori ?"

"Bon !" approuva la petite fille. "Encore !"

"D'accord." Xena repéra un rocher à proximité, qui faisait à peu près la moitié de sa taille. Elle s'élança vers lui et sauta dessus. Elle atteignit facilement le sommet du rocher et resta un moment immobile, observant le paysage autour d’elle alors que le vent soufflait en rafales. D'ici, elle pouvait à peine apercevoir le toit de l'auberge de sa mère à travers les arbres. Dori tendit les mains et les agita, alors que ses pieds battaient la mesure avec application. "D'accord, accroche-toi."

La guerrière s'accroupit, puis elle bondit vers le soleil, rentrant ses genoux et tournoyant rapidement dans les airs tandis que Dori gloussait de plaisir. Xena riait avec elle, se retournant dans tous les sens, alors que la brève lumière du soleil, qui avait percé le couvert des arbres, se déversait sur elles. Elle atterrit, puis elle sauta à nouveau, se délectant de sa propre force alors qu’elle enchaînait les sauts périlleux, rebondissant sur le sol avec aisance. Puis elle se laissa finalement retomber dans l'herbe épaisse et s’allongea dessus, alors qu'un nuage de pollen poussiéreux explosait autour d'elles.

Dori éternua et agita ses petites mains, tout en s’asseyant sur la poitrine de Xena. "Bien !" Elle se rapprocha du visage de la guerrière et lui fit un bisou. "Aime Boo."

Xena la serra dans ses bras, chérissant ce moment sans réserve. Elles profitèrent de cet instant calme dans l'herbe quelques minutes, puis la guerrière leva les yeux, soupira et se leva d'un bond. "Il faut qu'on aille retrouver maman maintenant... d'accord ?"

"Maman" acquiesça Dori. "Maman, aime."

Elles atteignirent rapidement le pont et se remirent en route. "Sois sage, Dori." murmura Xena. "Tiens compagnie à ta maman pour moi, d'accord ?"

"Maman" répéta Dori docilement.

La guerrière ralentit en entrant dans le camp et s'arrêta dans un coin éclairé par le soleil, avant de regarder sérieusement sa fille. "Dori ?"

Le bébé leva les yeux vers elle avec curiosité. "Boo ?"

"Je t'aime." Xena toucha son visage du bout des doigts. "Je veux que tu me promettes quelque chose." Dori s'agrippa à son doigt et en suça l'extrémité. "Ecoute... si quelque chose m'arrive, Dori... je veux que tu me promettes de prendre soin de ta maman, d'accord ?"

"Bck."

"Ça va être tellement dur pour elle..." Xena s'arrêta pour déglutir. "Mais je sais qu'elle restera avec toi, parce que tu es notre fille et que tu as besoin d'elle." Elle embrassa la tête du bébé. " Et parce qu’elle t'aime beaucoup. "

Dori tira la langue et se mit à gigoter.

Xena soupira. "Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Tu ne comprends pas un mot de tout ça, n'est-ce pas ?" Elle secoua la tête et se dirigea vers la tente de commandement, où Gabrielle se reposait avant d'entamer le voyage en chariot vers la vallée.

Il leur restait encore un peu de temps.

*************

Xena se glissa dans la tente et sourit lorsque Dori se mit à se tortiller à la vue de sa mère, essayant de se libérer pour la rejoindre. "Doucement, doucement. Souviens-toi de ce que je t'ai dit."

Gabrielle était recroquevillée dans un fauteuil et s'appuyait sur un bras pour maintenir la pression sur son dos. "Hé, ma chérie !" Elle esquissa un vrai sourire lorsque Dori, qui avait été posée au sol, trottina vers elle avant de s'écraser contre la chaise et de lui attraper la jambe. "Ooh... attention". Elle aida avec précaution le bébé à se hisser, puis elle grimaça lorsque Dori passa ses bras autour de son cou en poussant un cri. "Doucement... oui, moi aussi je suis contente de te voir ... Qu'est-ce qui vous a pris autant de temps ?"

"J'avais une promesse à tenir."

Gabrielle leva les yeux vers elle, surprise, puis elle regarda Dori. "Une promesse ?"

"Go !" Dori agita les bras.

La barde regarda sa fille. "Tu l'as emmenée courir ?" murmura-t-elle, étonnée.

"Mm." La guerrière ne la regardait pas. "Juste quelques minutes... après le pont et on est revenues... Je..." Elle haussa les épaules. "J'avais promis."

Gabrielle toucha du bout des doigts le nez en bouton de Dori, ce qui fit loucher la petite qui essayait de suivre le mouvement. "Oui, tu avais promis." reconnut-elle. "Et Boo tient toujours ses promesses, Dori... ne l'oublie pas, d'accord ?"

"Bck." Une petite main s'approcha de la sienne et la serra.

Xena ramassa les sacoches de la barde déjà emballées, les mit de côté et s'assit sur le sol en croisant les jambes. "Ils sont presque prêts."

Gabrielle acquiesça, tout en lissant les cheveux indisciplinés de Dori. "Je m'en doutais." Elle posa une main sur le bras de Xena, qui s’était assise à proximité. "Sois prudente, s'il te plaît."

Xena leva les yeux vers elle. "Toi aussi." Elle laissa Dori jouer avec son pouce. "Je pense qu’ils commenceront à attaquer dès ce soir."

La barde hocha la tête. "Des signes de..."

"Rien pour l'instant."

Elles regardèrent toutes les deux Dori jouer, alors que la petite explorait les limites de la chaise et essayait de grimper sur l’un des accoudoirs. Xena se décala légèrement pour se mettre devant elle, et la repoussa, la faisant se rasseoir brusquement.

"Bck !" objecta-t-elle en pointant Xena du doigt. "Gaboo !"

Dehors, elles entendirent le grincement de la charrette et les hennissements des chevaux qui y étaient attelés. Xena se leva doucement et souleva Dori dans ses bras, puis elle tendit la main à Gabrielle. La barde l'accepta et se mit debout avec précaution, prenant une inspiration en attendant manifestement que la douleur s'estompe. "Prends appui sur moi si tu en as besoin."

Gabrielle s'exécuta, enroulant un bras autour d'elle. Elles sortirent ensemble de la tente et se dirigèrent jusqu'à l'endroit où les derniers non-combattants montaient dans la charrette. Xena embrassa Dori sur la tête, puis la confia à Cyrène, très réticente de partir, avant de se tourner pour aider Gabrielle à monter dans le chariot.

La barde posa ses mains sur la paroi en bois, résistant à l'envie de se retourner et de repartir vers la tente de commandement. Elle voyait les soldats l'observer et elle se sentait tellement lâche de partir maintenant, alors que les ténèbres se rapprochaient si clairement d'eux.

Pour une raison tellement stupide, en plus. La barde maudissait intérieurement l'attaque avortée de Gillen qui avait causé une si petite coupure qui l'avait pourtant handicapée aussi sûrement que si cette maudite Amazone lui avait coupé les ischio-jambiers.

Mais...

Avec un soupir, elle laissa Xena la soulever dans le chariot puis elle s'installa avec précaution sur les fourrures, reposant en partie sur un côté pour se mettre le plus à l'aise possible. La paroi du wagon était dans son dos et elle sentit les doigts de Xena lui ébouriffer les cheveux alors qu'elle y appuyait ses épaules. Par réflexe, elle tendit la main et l'attrapa, enroulant leurs doigts l'un contre l'autre pendant que le reste des passagers montait à bord.

Elle leva les yeux et vit Xena qui la regardait. "Tu veux bien me promettre quelque chose ?"

La guerrière cligna des yeux, surprise. "Bien sûr... si je peux."

Gabrielle tendit la main et posa sa paume sur la joue de la guerrière. "Reste sur le droit chemin." demanda-t-elle, simplement.

Leurs regards se croisèrent, et tout ce qu’elles avaient vécu ensembles sembla défiler devant leurs yeux, comme si tous ces évènements prenaient tout leur sens dans cette seule et unique demande.

"Je le ferai." finit par répondre Xena. "Je te le promets." Elle se pencha vers elle et elles s'embrassèrent, ne se préoccupant pas de la foule qui les observait avec inquiétude. Nez contre nez, elles se regardèrent une dernière fois, se respirant une dernière fois l'une l'autre. "Reste à l'écart des ennuis". dit Xena.

L'ombre d'un sourire lui répondit. "Je le ferai... je le promets."

Xena recula et reprit son rôle de chef, tandis que le conducteur s'installait sur son siège avant de rassembler ses rênes. Il se retourna et jeta un coup d'œil à Xena, qui lui adressa un bref signe de tête en guise de reconnaissance, avant de fouetter l’air et de faire avancer les deux gros animaux qui tiraient le chariot.

Ils avancèrent d'un bond et les roues grincèrent en avançant péniblement dans la boue à mesure qu'ils s'éloignaient vers le pont, laissant derrière eux quelques observateurs qui restèrent silencieux jusqu'à ce qu'ils dépassent les arbres et soient hors de vue.

Xena regarda encore un moment, puis elle se retourna lorsque des pas s'approchèrent. "Oui ?"

Toris passa une main dans ses cheveux épais. "Les guetteurs disent qu'ils sentent une odeur de poix dans le vent, Xena... nous pensons qu'ils vont nous bombarder."

La guerrière balaya du regard le camp autour d’elle. "Que tout le monde prenne les seaux et arrose tout avec de l'eau. " décida-t-elle. " Maintenant !"

*************************************

Le chariot avançait lentement et les pas rythmés des chevaux berçaient la charrette de bois,  endormant presque ses occupants.

Du moins, c'était la théorie. Gabrielle soupira et essaya de s'installer plus confortablement. Il y avait du foin au fond du chariot, heureusement, et elle s'était appuyée contre deux sacs de grain rembourrés, sa cape serrée autour d'elle. Cyrène était assise à côté d'elle, Dori ronflant béatement dans ses bras. L'aubergiste leva les yeux en sentant le regard de Gabrielle sur elle.

"Je suis surprise... Je pensais qu'elle serait en train d’explorer partout autour d’elle. "

La barde leva la main et toucha celle de Dori, examinant les petits doigts avec un demi-sourire. "Xena l'a emmenée jouer juste avant notre départ." répondit-elle, observant la poigne du bébé se refermer sur son pouce, même dans le sommeil. "Elle semble savoir comment la fatiguer."

"Elle sait de quoi elle parle..." fit remarquer Cyrène d'un air placide. "Tch... regarde ces manches... il est temps de changer de tenue, je pense."

"Mm." acquiesça Gabrielle en touchant le tissu qui remontait le long du bras de sa fille, jusqu'à la moitié de son coude. La combinaison verte était également bien ajustée sur son corps. "Oui... elle va devenir trop grande pour celle-ci, c'est sûr." soupira la barde. "Je crois que j'en ai une plus grande dans les grottes...la bleue d'Ephiny..." Sa voix se bloqua soudainement alors qu’elle sentit un nœud se former dans sa gorge et elle devint silencieuse.

Cyrène lui prit la main et la frotta, son visage se crispant de sympathie.

"Ça n’a tellement pas de sens." chuchota Gabrielle.

"La guerre n’en a jamais." Répondit sa belle-mère. "Peu importe comment ils la justifient... peu importe qui gagne ou qui perd... tout se résume à des gens qui s'entretuent sans raison." Elle croisa le regard de la barde. "Et parfois, Gabrielle... ça vient à toi et tu ne peux pas l'arrêter."

Dori se réveilla et étira ses bras et ses jambes avant de bailler. "Brwp." Elle jeta un coup d'œil à sa grand-mère, puis elle fronça les sourcils et tourna la tête à la recherche de Gabrielle. "Maman !" Ses yeux s'illuminèrent de joie, ce qui fit sourire la barde.

"Tiens... donne-la moi." Gabrielle se déplaça doucement avant de s'appuyer à nouveau contre les sacs. "Ça me changera les idées, de toute façon." Elle prit sa fille, qui se tortillait dans tous les sens, et l’installa dans le creux de son bras avant de chatouiller son ventre de son autre main. "Hé, ma belle".

Dori affichait un sourire lumineux. "Bck."

"Ooo... tu es tellement mignonne." Gabrielle jeta un coup d'œil dans le chariot, où les six autres combattants gravement blessés étaient allongés, certains la regardant avec des yeux fatigués et emplis de douleur.

 

Elaini était appuyée contre le mur du fond, observant le pire d'entre eux, une jeune Amazone qui avait eu la majeure partie d'un bras arraché et avait reçu une flèche dans la partie supérieure de la poitrine. L'Etre de la Forêt changeait le bandage imbibé d'herbes sur la blessure de la femme tout en gardant un œil sur ses autres patients, et elle sourit lorsqu’elle découvrit que Dori s’était réveillée. "Oh oh". Elle releva un sourcil. "Je savais que c'était trop paisible pour durer."

"Hé... elle est vraiment gentille." protesta Gabrielle. "Elle n'a pas causé le moindre problème depuis des semaines."

Dori grogna en se tortillant sur le ventre, puis elle se redressa. "Mm." Elle mit un doigt dans sa bouche et regarda sa mère en la questionnant. "Cookie ?"

Des rires fatigués s'élevèrent du wagon.

"C'est de ta faute." Gabrielle jeta un regard noir à Cyrène. "J'essaie de lui faire manger de bonnes choses comme des carottes, et qu'est-ce que tu fais ?

"Je connais mon public". Répondit Cyrène avec un sourire en coin, avant de sortir de sa poche une pâtisserie fourrée aux noix qu'elle tendit à sa petite-fille. "Voilà, mon petit pois."

"Maman" soupira la barde.

"Oh, d'accord. Tiens." Cyrène retira un autre biscuit et le tendit à Gabrielle. "Tu crois que je ne sais pas d'où elle tient ça ?"

"Hum." Gabrielle renifla la pâtisserie avec appréciation, puis elle en prit une bouchée. Le goût sucré déclencha une douleur nostalgique dans sa poitrine, et elle fut surprise de réaliser qu'elle avait finalement hâte d'atteindre la vallée, une partie d'elle-même étant très contente d'être éloignée de la bataille.

Pensivement, elle termina la pâtisserie. Était-ce de la lâcheté ? Elle y réfléchit un moment, tandis que Dori rampait sur elle, à la recherche d'autres friandises. Si elle n'avait pas été blessée, elle serait certainement restée aux côtés de Xena, cela ne faisait aucun doute dans son esprit. Mais le fait est qu'elle était blessée.

Elle pensait juste qu'elle devrait se sentir plus mal qu'elle ne l'était. "Qu'as-tu trouvé, Dori ?" Le bébé tirait sur l'une de ses poches avec une attention enfantine. "Hmm ?" Gabrielle décrocha le rabat et laissa Dori fouiller à l'intérieur, riant lorsqu'elle sortit un bonbon au miel un peu poussiéreux et un peu abîmé. "Comment savais-tu que c'était là ?"

"Mmm." Dori fourra la précieuse friandise dans sa bouche.

"Tu sais qui a mis ça là-dedans, n'est-ce pas ?" Gabrielle lui ébouriffa les cheveux. "Je te laisse deviner."

"Grpfh ?"

"C’est Xena qui l’a mis là."

"Boo !" Dori regarda autour d'elle avec impatience. "Va Boo !"

"Non, ma chérie." soupira Gabrielle. "Pas maintenant."

Le chariot ralentit et la barde leva les yeux, regardant le conducteur se raidir et se soulever légèrement de son siège. Il tourna la tête et la regarda directement. "Madame ?"

Ils n'avaient jamais vraiment su comment l'appeler, n'est-ce pas ? "Gabrielle, tout simplement". La barde se redressa légèrement. "Qu'est-ce qu'il y a ?"

L'homme baissa la voix. "On dirait qu'on va avoir de la compagnie." lui dit-il. "Il y a eu beaucoup de passage par ici."

 

"Quoi ?" Gabrielle fit doucement descendre Dori dans la paille, puis elle se hissa prudemment sur ses genoux pour pouvoir voir par-dessus le dos des chevaux. La route était vide, tout comme la rigole de chaque côté, mais même elle pouvait voir les tiges d'herbe aplaties, et les branches cassées menant au feuillage qui témoignaient du passage de nombreux corps. "Hm."

"Nous ne sommes pas assez nombreux pour faire ça."

"Non." Gabrielle appuya ses bras sur le banc de la charrette, soulageant un peu le poids douloureux de ses genoux. "Rapproche-toi un peu."

Les chevaux se dirigèrent vers la forêt, alors que le conducteur se rangeait sur le côté gauche de la route pour permettre à la barde de mieux voir. Elle se déplaça et s'appuya sur un des côtés de la charrette et observa les nombreuses traces au sol témoignant du passage de nombreux chevaux.

 

"Bo." Dori s'était hissée sur ses pieds et s'était mise à côté de sa mère, ses petits yeux verts lorgnant juste au-dessus de la planche de bois. Elle montra un oiseau du doigt. "Zom !" Elle sauta. "Go !"

"Chut." Gabrielle détacha une main du bord de la charrette et l'enroula autour de son enfant. "Pas de vol maintenant... reste tranquille, Dori."

Dori appuya son visage contre le bois, puis elle entreprit de mordre une solide cheville qui maintenait les planches.

Gabrielle se mordilla la lèvre. "Continue à avancer sur la route." décida-t-elle. "Voyons ce que nous allons trouver."

Le chauffeur lui jeta un coup d'œil. "Madame... nous avons des blessés ici et nous ne savons pas ce qu'il y a au bout de ce chemin... ça pourrait être des ennuis."

"Peut-être" acquiesça Gabrielle. "Mais on ne peut pas revenir en arrière, et s'il y a tant d'ennuis que ça, ils nous ont probablement déjà repérés." Elle tourna la tête. "Tout le monde se cache autant que possible... Elaini..."

"Fait comme un tapis, je sais." L’Être de la Forêt posa sa trousse et commença à aider les blessés à se cacher.

"Commence à avancer." ordonna Gabrielle. "Doucement, lentement et régulièrement." Le chariot fit un bond en avant et elle se rattrapa à une planche, fermant les yeux alors qu’une décharge de douleur la saisissait soudainement, arrêtant sa respiration pendant un long moment d'angoisse. "Whoa." Elle laissa ses muscles se relâcher lentement et reprit son souffle.

"Maman ?" Dori tira sur sa cape. "Voir Boo."

"Pas maintenant, chérie." Gabrielle la poussa doucement vers le bas. "Assieds-toi maintenant... pour ne pas te blesser."

Têtue, la petite résista au mouvement en s'agrippant au dossier du siège et se tortilla sous la main de sa mère pour rester debout, jetant des coups d'œil intéressés autour du chariot.

Gabrielle soupira et replia le bord de sa cape autour du corps de Dori, avant de reporter également son attention sur les environs.

C'était calme et sauvage ici, bien au-delà des champs les plus éloignés d'Amphipolis, où la forêt ancienne s'étendait jusqu'au bord de la route et où les branches clairsemées de l'hiver bruissaient et claquaient dans le vent. Une rafale de cette même brise agita les cheveux de Gabrielle, et elle tourna son visage vers elle, écoutant et reniflant l'air comme Xena lui avait appris à le faire.

Bien sûr, elle ne pouvait pas détecter un dixième de ce que sa compagne pouvait faire, mais au fil des ans, elle avait commencé à se faire une idée du monde qui l'entourait, de ce qui devait faire partie du paysage et de ce qui n’y appartenait pas. Bien que son récent séjour à Amphipolis ait un peu émoussé son sens de l'observation, le vent lui apporta une odeur qui n'avait pas sa place ici.

Des chevaux.

Beaucoup de chevaux.

"Bck". Dori fronça le nez. "Chevaux".

Gabrielle pencha la tête et cligna des yeux en regardant sa fille, puis elle leva les yeux vers le conducteur du chariot. "Elle a raison." marmonna la barde. "Il y a un grand troupeau dans le coin."

"Pourraient-ils être sauvages ? Avant il y avait beaucoup de ces bêtes au-delà de la vallée." expliqua Cyrène qui s'était rapprochée d'elles. "Xena en aurait bien besoin."

"Eh bien... ils sont assez proches de nous maintenant alors s’ils ont des cavaliers, ils savent que nous sommes là." déclara Gabrielle sérieusement. "Continuons à avancer et voyons ce qui se passe. S'ils sont sauvages, nous pourrons envoyer un message dès que nous aurons atteint la vallée."

Le chariot avança en grinçant et ils entrèrent dans une zone d'arbres plus profonde, qui bloqua le vent et amena une ambiance silencieuse et étrange autour d'eux. Le bruit des sabots de leurs chevaux et le tintement de leur harnachement semblèrent soudain s'amplifier. Ils continuèrent à avancer, surveillant les bords de la route d'un œil prudent, mais les roues tournèrent sans incident pendant de longues minutes, qui devinrent une demi-bougie, puis une bougie entière, et enfin ils commencèrent à se détendre. Gabrielle se laissa retomber dans la paille avec un soupir de soulagement, avant de se recroqueviller à moitié sur le côté alors que la douleur qu'elle avait tenue à distance pendant tout ce temps, se rappelait à elle.

"Gabrielle." Cyrène posa une main inquiète sur son épaule.

"Ça va aller." La barde leva une main légèrement tremblante. "Dori, assieds-toi, chérie." Elle sentit le grincement et le déplacement du chariot qui amorçait un virage sur la route qui les mènerait enfin entre des affleurements de granit, signe qu’ils se rapprocheraient de la vallée.

"Gabrielle" s’exclama soudain le conducteur, d'une voix pressante. "Nous avons de la visite."

Poussant un juron, Gabrielle se redressa et regarda par-dessus le bord du chariot. Son cœur tressaillit, puis il bondit fortement lorsqu'elle vit un groupe de cavaliers masqués devant eux, carrément sur leur chemin, s'étalant sur la route et la bloquant entièrement.

"Ah !" murmura Gabrielle.

"Qu'est-ce qu'on fait ?" siffla le chauffeur.

"Continue à avancer." répondit la barde. "Droit sur eux."

Tout le monde la regarda avec inquiétude. "Gabrielle..." objecta Cyrène.

"Fais-le, c'est tout." La barde fixa ses yeux sur le groupe devant elle, ignorant les battements frénétiques de son cœur.

*****************

Le chariot s'approchait et les silhouettes masquées les attendaient patiemment. Plusieurs cavaliers s'écartèrent pour les entourer lorsqu'ils franchissaient la petite montée de la route qu’ils avaient entamée. Le conducteur du chariot arrêta les chevaux avec incertitude et jeta un coup d'œil à Gabrielle.

La barde inspira. "Vous bloquez la route pour une raison ?" Elle croisa froidement le regard du cavalier le plus proche.

"Nous attendons Gabrielle la barde." répondit l'homme promptement. "Est-ce que c’est toi ?"

Un silence momentané s'installa sur la route.

"C'est moi." admit la barde. "Qu'est-ce que vous voulez ?" Elle était consciente que tout le monde la regardait, et inconsciemment, elle redressa ses épaules et laissa retomber une main autour de Dori.

"Viens avec nous." Le cavalier de tête fit avancer son cheval de quelques pas et rabattit son capuchon, révélant un beau profil ciselé, une barbe auburn taillée de près et des cheveux brun rouille.

"Allez voir Hadès." aboya Cyrène. "Prends tes amis avec toi et dégagez de la route."

Gabrielle se racla la gorge. "C'est bon, maman." Lentement, elle se leva et passa une jambe par-dessus le bord du chariot, se servant de ses bras pour soutenir son poids alors qu'elle glissait vers le sol.

"Gabrielle, non." L'aubergiste se précipita vers elle et lui saisit les mains. "Tu n'iras nulle part."

"Il le faut." répondit la barde.

"Ne fais pas ça... Gabrielle, si tu pars... tu ne comprends pas à quel point ta sécurité est importante ?" siffla l'aubergiste, furieuse.

"Prends soin de Dori, d'accord ?" La barde retira doucement ses doigts. "Ça va aller."

"Gabrielle !" Cyrène la fusilla du regard.

"Maman ?" Dori s'approcha anxieusement et l'attrapa. "Maman ?"

"Chut... ça va aller, chérie." Gabrielle se pencha en avant et l'embrassa sur la tête. "Reste ici avec grand-mère." Elle recula avec raideur et contourna les chevaux en boitant pour se diriger vers les cavaliers. "Laissez-les partir." ordonna-t-elle fermement, regardant le cavalier de tête faire un signe, pour dire à ses hommes de s'éloigner de la route, dégageant ainsi le passage. "Dirige-toi vers la vallée". dit-elle au conducteur. "Vas-y."

Visiblement contrarié, l'homme hésita, mais il finit finalement par faire avancer les chevaux, les yeux rivés sur Gabrielle tandis que le chariot passait en grinçant. Cyrène avait l'air à mi-chemin entre l'indignation et l'horreur, et la barde pouvait voir les protestations monter à ses lèvres.

Mais elles s'éteignirent lorsque la barde secoua la tête d'un petit coup sec.

Dori se précipita de l'autre côté du chariot, trébuchant dans le foin et se cogna contre le bois. Elle s'agrippa au bord du chariot et regarda par-dessus. "Maman !"

Gabrielle sentit son rythme cardiaque doubler et elle ferma les yeux un bref instant, avant de les rouvrir. "Sois une bonne fille, chérie."

Le petit front se plissa et Dori poussa un gémissement. "Mamamamammmmaaa !" Elle se mit à grimper sur les planches, en direction de sa mère, tombant lentement dans le vide.

"Dori !" Cyrène s'élança vers elle, mais elle ne fût pas assez rapide. Dori passa de l’autre côté et se serait écrasée au sol si Gabrielle n'avait pas sauté en avant et ne l'avait pas rattrapée de justesse, avant de s'agripper à un côté du chariot avec agonie tout en serrant la petite contre elle de son autre main. "Augh."

"Maman." Dori passa ses bras autour de son cou et s'accrocha désespérément à elle. "Pas partir. Pas partir."

"Chut." Gabrielle lâcha le chariot et lutta contre la douleur. Puis elle se redressa et berça doucement sa fille. "Chut... ça va aller, chérie. Ça va aller."

"Ungh." Dori resserra sa prise autour du cou de Gabrielle.

Oh bon sang. La barde souffla, puis elle leva les yeux pour rencontrer ceux, accusateurs, de Cyrène qui la regardaient. "Dori, tu ne peux pas rester avec moi." Elle décrocha les petits bras. "Reste ici avec grand-mère."

"Non."

"Dori..."

"Non."


Le cavalier de tête gloussa derrière elle, et elle s'arrêta, prit une profonde inspiration avant d'empoigner fermement sa fille. "Doriana, maintenant tu t'arrêtes."

Dori suça un de ses doigts et la regarda tristement avec une petite moue.

Gabrielle se mordit l'intérieur de la lèvre, reconnaissant ce visage, l'ayant vu dans le miroir plus d'une fois. "Chérie, tu ne peux pas venir avec moi, je suis désolée."

La petite moue s’accentua.

Résolument, Gabrielle ferma les yeux et souleva le corps de Dori par-dessus le bord du chariot avant de la déposer dans la paille près de Cyrène et de la relâcher. Puis elle se retourna et s'éloigna, leur tournant le dos alors que le conducteur faisait claquer les rênes et que les roues recommencèrent à grincer sur le sol rocailleux. Elle ne se retourna pas au cri de Dori.

Qu'est-ce qui faisait le plus mal ? se demanda-t-elle sourdement, alors que le son s'estompait derrière elle. Ce cri ou la douleur que lui causait sa blessure ? Finalement, le chariot disparut et elle leva les yeux vers le cavalier.

"C'est une belle enfant." Remarqua l'homme.

"Merci." répondit Gabrielle doucement. "Elle est un peu têtue."

Un sourire plissa le visage du barbu. "Comme ses deux mères, à ce qu'il paraît."

La barde l'étudia un moment, puis elle inclina brièvement la tête.

"Nous avons des choses à faire, barde Gabrielle. On y va ?" lui demanda l'homme calmement.

Gabrielle s'approcha de lui avec raideur, puis elle posa une main sur l'encolure lisse de son cheval. "Je suis prête." confirma-t-elle. "Allons-y."

********************

Xena se tenait sur les remparts, la surface boueuse étant douce sous ses bottes. De l'autre côté de la plaine, elle pouvait voir la ligne d'avancée des troupes et les traces noires qui marquait l'herbe brûlée devant eux. Le vent balaya les cheveux de ses yeux et elle l’huma, sentant l'odeur du feu, de la bataille et, par tous les Dieux, de l'absence de pluie.

Elle jeta un coup d'œil à sa droite, puis à sa gauche, vérifiant les remparts remplis de soldats occupés à décocher des flèches et à aiguiser des armes, et elle analysa leurs positions pour la centième fois. Elle avait revêtu son armure complète et sentait son poids solide autour d'elle tandis qu'elle inspirait profondément.

Le grand moment était presque arrivé.

Xena se retourna puis elle sauta du haut des murs, effectuant sans effort une pirouette dans les airs avant d'atterrir tranquillement sur ses pieds, les genoux à moitié pliés pour absorber son poids. Alors qu’elle traversait à grandes enjambées le sol parsemé de flaques d'eau, elle réfléchissait à ses différentes options, qui n'étaient pas nombreuses, et à ses ressources, qui n'étaient pas non plus infinies. Elle entra dans sa tente de commandement et s'approcha de la table de travail avant de passer en revue les listes de fournitures et les troupes qu'elle avait laissées.

On tapa doucement sur le montant de l’entrée de la porte. "Entrez".

Bennu entra, la saluant par réflexe avant de s'approcher. "Genr'le... ils ont déposé les balles que tu as demandées près de la tente... tu veux les voir ? "

"Oui." La guerrière se redressa. "Est-ce qu’ils ont bien répandu le mélange que je leur ai donné sur la pointe des clous ?"

"Oui... ils ont fait très attention à ne pas y toucher."

Xena acquiesça. "Bien." C’est une bonne chose que Gabrielle ne soit plus là. Elle ne voulait pas qu’elle voit ce qu’elle avait fait fabriquer. Des missiles enduits de poison, calculés pour exploser à l'impact et envoyer des éclats de métal dans tous les corps à proximité. "Les fosses sont couvertes ?"

"Oui."

"Bien." Xena parcourut des yeux ses plans. "Je pense qu'ils se tiendront hors de portée des arbalètes... puis qu’ils nous donneront un ultimatum." Elle croisa les bras. "Ensuite, ils nous bombarderont avec tout ce qu'ils ont... Je pense à des bombes incendiaires, mais cet endroit ne brûle pas, alors la prochaine chose qu'ils feront sera de lancer une force contre les murs... pour voir si nous sommes résistants."

Bennu acquiesça, avant de se gratter la mâchoire. "Et après ça, on polluera l'eau jusqu'à eux ?"

"Oui." Xena plia ses documents et les rangea dans une pochette qu'elle attacha autour de sa taille. "Viens, Arès." Elle lui tapota la jambe et le loup recroquevillé sur sa paillasse sauta volontiers pour la rejoindre. "Ils veulent la guerre." Elle fléchit les mains. "Ils l'auront."

Un autre coup léger frappa le rabat de la tente. "Oui ?"

A la vue de la visiteuse, Xena fronça légèrement les sourcils. "Hécuba." dit-elle pour saluer sa belle-mère. Elle se retourna vers son lieutenant. "Bennu, je te rejoindrai dans quelques minutes."

Le soldat partit en faisant un bref signe de tête à Hécuba, laissant les deux femmes seules. "Je peux faire quelque chose pour toi ?"

La mère de Gabrielle croisa les mains devant elle. Elle portait un tablier de lin grossier taché de sang et revenait visiblement de la zone où l’on s’occupait des blessés. Elle semblait plus âgée que dans ses souvenirs. "On m’a dit que tu avais envoyé Gabrielle en sécurité ?"

Xena réfléchit attentivement avant de répondre. "Je l'ai envoyée vers la vallée, oui". Dit-elle finalement. "Tu aurais pu aller avec eux, Hécuba... Personne ne s'attend à ce que tu restes ici."

"Je sais." répondit Hécuba. "Mais j'ai tellement de mal à comprendre ma fille, Xena... Faire ça, faire ce que je fais maintenant, me permet de comprendre un peu ce qu'elle a vécu." Elle marqua une pause. "Mais je suis heureuse qu'elle ne fasse pas partie de ce qui va se passer ici."

Xena n'avait aucune réponse à donner à ces paroles, alors elle n'en donna pas.

"Je suppose qu'elle n’était pas contente de partir, n’est ce pas ?"

La guerrière laissa passer un moment de silence avant de répondre. "Je ne pense pas qu'elle soit heureuse d'avoir quitté... cet endroit. Nous." Elle marqua une pause. "Moi." Xena réalisa enfin ce que cela avait dû signifier pour la barde et elle resta silencieuse quelques secondes, avant de reprendre le fil de ses pensées. "Mais je ne pense pas qu'elle regrette d'être en dehors des batailles... Elle se bat parce qu'elle le doit, pas parce qu'elle le veut."

Hécuba acquiesça. "Je n’ai jamais apprécié qu’elle soit devenue une guerrière. Mais j'ai fini par réaliser que dans le monde horrible où nous vivons, tu lui as au moins donné une chance de survivre." La femme plus âgée souffla. "C'est plus que ce que la plupart des gens obtiennent."

Xena contourna la table et s’approcha de l'endroit où se tenait Hécuba. Elle regarda la mère de son âme sœur d'un air sombre. "Peut-être que si nous avons de la chance, nos enfants n'auront pas à savoir se battre."

Après un moment de silence, Hécuba sourit, une expression ironique et narquoise qui, l'espace d'un instant, lui rappela sa fille. "Xena... d'une façon ou d'une autre, vos enfants seront toujours des guerriers."

Eh. Xena laissa un sourire revenir sur ses lèvres. "Il est temps pour toi de te mettre à l'abri. Ils ont tout ce qu'il faut dans la tente des guérisseurs ?"

"Je n'en ai aucune idée." répondit Hécuba honnêtement. "Mais nous ferons de notre mieux."

"J'en suis sûre." Xena passa devant elle pour sortir de la tente, mais elle s'arrêta lorsque la femme plus âgée lui attrapa le bras. Elle haussa un sourcil, perplexe.

Il y avait manifestement une lutte derrière les yeux noisette presque incolores qui se trouvaient en face d'elle. "Bonne chance, Xena."

"Merci." murmura la guerrière.

"Sois prudente, s'il te plaît. S'il t'arrivait quelque chose, je sais que Gabrielle serait dévastée." poursuivit Hécuba, très sérieusement. "Et je pense vraiment qu'elle aura besoin de ton aide avec la petite Doriana. C'est une enfant très active." Elle prit une inspiration puis continua. "Alors, s'il te plaît. Fais attention." Très raide, Hécuba s'avança, prit une nouvelle inspiration puis elle mit courageusement ses bras autour de son intimidante belle-fille et la serra dans ses bras.

Xena eut envie de rire devant l'absurdité de la situation, mais elle se retint de sourire et lui rendit son étreinte, prenant soin de ne pas presser trop fort la forme mince d'Hécuba contre son armure.

L'une des zones d’ombres qu'elles avaient laissées en suspens avaient maintenant disparu.

C'était agréable.

Sans parler, elles se séparèrent et sortirent côte à côte de la tente,  avant de prendre des directions différentes lorsqu'elles atteignirent l'arbre solitaire et noueux, enraciné dans la boue du campement.

*********************

"Je n'ai que des chevaux à ma disposition." Le soldat jeta un regard d'excuse à Gabrielle. "Je peux voir que tu as mal."

"Cela fait partie du travail." Gabrielle serra les dents et se hissa sur la selle. "C'est loin ? "Elle retint son souffle, attendant que les décharges de douleur et les points blancs de sa vision disparaissent alors qu'elle s'installait sur la selle. "Quel est ton nom, d'ailleurs ?"

Il se rapprocha. "Justin." Il inclina la tête. "Actuellement capitaine de la garde de Cirron... tu sais, j'ai tellement entendu parler de toi, Gabrielle... c'est incroyable."

"Mmm." La barde souffla et acquiesça. "Allons-y... vous savez que vous avez tout piétiné à l'ouest d'ici... Je pensais que nous devions garder ça secret."

"Tu crois que c'est facile de garder autant d'hommes... et de femmes... et... enfin, bref." Justin s'engagea dans un sentier taillé dans le sous-bois. "Et ces Amazones sont vraiment difficiles !"

Un regard vert se tourna vers lui. "Vraiment ?"

"Ouais !" Le jeune soldat se rapprocha. "Il faut que leurs tentes soient parfaites, que l'eau le soit aussi... si tu mets trop de sel dans le ragoût, on te le jette à la figure... Incroyable." Il secoua la tête. "Et ça n’a pas de sens que ces femmes veuillent se battre tout le temps... ce n'est pas naturel."

Gabrielle haussa ses sourcils si haut qu’ils touchèrent presque la racine des ses cheveux. "Comment expliques-tu Xena, alors ?"

"Oh." L'homme aux cheveux noirs sourit. "Ce n'est pas une femme, c'est une guerrière."

"Ah." Gabrielle s'appuya contre le pommeau de sa selle. "Est-ce que tu l’as déjà rencontrée ? Je ne me souviens pas de toi pendant cette bataille."

"Non... Je n'étais pas dans la garde à l'époque." répondit Justin. "Mon père tenait un magasin de laine à la périphérie de la ville... Je me suis engagé après la guerre... mais j'ai entendu toutes les histoires... Est-ce que c’est vrai que tu t’étais assise sur les remparts du château et que tu as écrit un poème pendant les pires moments de la bataille ?"

"Non." Gabrielle baissa la tête lorsque des branches séchées par l'hiver la frôlèrent. "J’étais assise sur les remparts et je me faisais un sang d'encre." Les chevaux s'engagèrent sur un étroit sentier, marchant avec précaution tandis que le feuillage devenait de plus en plus dense. "Par les Dieux."

"Chut... nous essayons de garder ça secret." répliqua Justin placidement, avant de dégainer son épée et de trancher les branches, la couvrant de brindilles et d'un nid d'oiseau desséché. "Oups... désolé."

"Uck... Je ne..." Gabrielle sentit le cheval se dérober sous elle et elle s'agrippa à son encolure alors que le chemin plongeait soudain dans une pente raide, passant près d'un épais mur de granit qui exsudait une humidité froide. " Je suppose que c'est.... Oh."

Elle se tenait sur un plateau de granit qui surplombait un gouffre profondément creusé par un lac naturel et qui était entouré de parois rocheuses recouvertes de mousse.

Des troupes campaient de part et d'autre de l'eau, s'étendant sur plusieurs centaines de mètres. La barde découvrit des groupes d'Amazones, des régiments d'hommes bien ordonnés, et de l'autre côté de l'eau, une mer de fourrure dans des tons allant du sable au noir.

"Combien sont-ils ?" demanda Gabrielle en se retournant, tandis que Justin guidait sa monture jusqu'aux troupes.

"Un peu plus de mille cinq cents, en tout" répondit l'homme en faisant un signe de la main alors qu'ils étaient repérés et que plusieurs personnes pointaient Gabrielle du doigt.

"Wahhooo !" Une silhouette rousse se détacha d'un petit groupe près de l'eau et bondit vers eux.

Gabrielle se mit à sourire par pure réaction et elle glissa prudemment du dos de son cheval, touchant le sol juste à temps pour accueillir la charge qui arrivait. Elle se retrouva enveloppée d'un mur de Jessan chaud, poilu et excité. "Attention..." l’avertit-elle doucement, tandis que l’Être de la Forêt la serrait dans ses bras. "J'ai reçu un mauvais coup."

"Par Ares, je suis tellement content de te voir." chantonna Jessan. "Tu n'as pas idée... hm ? Qu'est-ce qui s'est passé ?" L’Être de la Forêt recula et l'étudia avec anxiété.

"Qu'est-ce qui ne s'est pas passé, tu veux dire ?" La barde soupira, ayant l'impression que cela faisait des années qu'elle n'avait pas vu son ami, au lieu de quelques mois en réalité. "J’ai... hum... été touchée dans le dos... c'est plus douloureux qu'autre chose, mais..." Elle se força à sourire. "C'était une bonne excuse pour partir et venir jusqu’ici... Xena et moi commencions à penser que nous allions devoir simuler un combat l'une contre l'autre."

"Ugh."

"Oui." grimaça Gabrielle. "Je n'attendais pas ça avec impatience... mais je ne suis pas sûre d'aimer l'alternative non plus." admit-elle. "Maintenant, je dois réfléchir à comment me faire pardonner auprès de Dori et Cyrène pour être partie avec le premier beau soldat que j'ai trouvé en chemin."

"Aw." Jessan la serra à nouveau dans ses bras. "Allez... on a une belle tente, chaude, sécurisée, pour les gens importants, là-bas, avec du thé chaud et des humains particulièrement sarcastiques. Tu seras comme chez toi."

Gabrielle rit doucement dans sa fourrure. "C'est agréable de ne pas avoir à être l'une des deux seules personnes dans tout le camp à connaître la vérité." dit-elle. "Xena prend un tel risque."

"C'est un bon risque." Jessan entoura ses épaules d'un bras long et puissant et la conduisit prudemment sur le chemin. "Ils sont toujours deux fois plus nombreux, mais si ça marche…"

"Je sais." acquiesça la barde. "Je n'ai pas dit que je n'étais pas d'accord... mais je suis inquiète... J'ai l'impression qu'on mise tout sur un coup."

Ils passèrent entre des rangs de soldats installés devant leurs tentes, qui leur jetèrent un coup d'œil à leur passage, et certains levèrent la main en signe de reconnaissance évidente. Gabrielle leur sourit. "Cirron a envoyé beaucoup de troupes... Hectator est là ?"

"Comme s'il allait manquer ça." gloussa Jessan. "Et... ne pense pas que c'est que c’est un pari sur un coup, Gabrielle... l'une des grandes forces de Xena est sa compréhension de la nature humaine." Il se racla la gorge. "Quelque chose pour lequel mon peuple est en admiration, sans retenue d’ailleurs, à chaque fois qu’elle en joue, laisse-moi te le dire."

"Mm... c'est vrai." admit la barde. "Elle comprend tout le monde sauf elle-même, parfois."

Jessan se gratta la mâchoire. "C'est intéressant... Quoi qu'il en soit, cette histoire d'esprit est la partie importante de la guerre. Tout le monde pense que c'est une question de force ou de nombre de flèches... ce n'est pas vrai du tout. Pour battre quelqu'un, il faut faire capituler son esprit... une fois que c'est fait, rien d'autre n'a d'importance."

Gabrielle y réfléchit tout en baissant la tête pour entrer dans la tente de commandement, qui lui envoya une chaleur bienvenue. Il y avait un réchaud à l'intérieur de la grande structure et elle avait été adaptée pour accueillir la grande taille des Êtres de la Forêt ainsi que leurs alliés. Une table solide longeait un mur et était couverte de cartes et de parchemin, comme celles du camp de Xena. Le sol était recouvert de tapis tissés et des canapés bien construits étaient disposés le long des autres murs pour permettre aux gens de s'asseoir. L'endroit sentait la cannelle et le laiton des armures, et Gabrielle avait juste envie de se blottir dans un coin, de s'y enfoncer et de ne plus bouger pendant un long moment.

"Salutations, petite sœur". Lestan se retourna lorsqu'elle entra, ses yeux acajou scintillant à la lumière du feu. "Je suis heureux de te voir... cela signifie que nous aurons peut-être des choses à faire d'ici peu."

"Assied-toi." Jessan la guida vers un canapé. "Elle est blessée." Il jeta un coup d'œil à son père. "Où est...ah."

Le rabat de la tente s'ouvrit et Hectator entra, avant de s'écarter pour permettre à Aslanta d'entrer derrière lui. "Ah !" Le prince de Cirron sourit. "Nous avons une visiteuse bienvenue, je vois."

"Reine Gabrielle... c'est bon de te voir." Le visage d'Aslanta se plissa en un sourire ironique. "L'attente devenait un peu..."

"… longue." termina Hectator. "J'ai dû animer une compétition de boxe entre nous, les Amazones, et les Êtres de la Forêt."

"Aw." Jessan s'assit à côté de Gabrielle et étendit ses longues jambes le long du sol. Il était vêtu d'un manteau de combat, une armure superposée qui protégeait son corps, mais laissait ses bras et ses jambes nus. Il fléchit les orteils et regarda les morceaux de boue tomber de ses griffes.

"Dans un sens, je suis contente d'être ici aussi." répliqua Gabrielle avant de soupirer. "Parce que ça veut dire que toute cette histoire va commencer à se terminer." Elle reposa son poids sur ses mains et ignora les douleurs lancinantes qui lui parcouraient le dos. "L'armée d'Andreas est en vue du camp principal. Xena pense qu'il commencera à la tester avec des petites attaques dès ce soir, mais qu'il ne s'attaquera pas vraiment à nous avant l'aube de demain."

"Ça me semble bien." gronda Lestan de sa voix forte. "Nous pouvons commencer à avancer bientôt, alors, et dégager la gorge." Il leva les yeux vers Hectator et Aslanta. "Il était temps, hein ?"

Tous deux rirent ironiquement. "Ils vont bientôt servir le repas... nous commencerons à empaqueter tout ça après avoir mangé." Commenta Aslanta. "Reine Gabrielle, tu te joins à nous pour le déjeuner ?"

L'estomac de Gabrielle ne valida pas sa proposition. Elle prit une petite inspiration et déglutit difficilement. "Non... merci." réussit-elle à dire. "Je crois que je vais rester tranquillement ici... venez me chercher quand nous serons prêts à partir, d'accord ?" Elle sentit les mains de Jessan sur elle alors qu'elle commençait à tanguer, la douleur dépassant soudainement ses défenses.

"Gabrielle... doucement." L’Être de la Forêt mit un genou à terre et l'aida à s'allonger. "Wow... Je crois que tu devrais aller chercher un guérisseur, papa... J'aurais aimé qu'Elaini vienne avec elle." Il retira sa cape et l'installa sur le corps de la barde, tandis qu'Aslanta se précipitait vers elle et que Lestan se dirigeait vers l'ouverture de la tente et hurlait un ordre à l'extérieur. Les yeux de Gabrielle semblaient dans le vague et son visage était crispé par la douleur alors que ses doigts étaient serrés fortement sur le bord du canapé. "Gabrielle ? Tu es brulante. "

C'est drôle. Elle avait plutôt froid. Gabrielle frissonna un peu, sous la cape. "Fièvre". Réalisa-t-elle en murmurant. "Xena s'inquiétait de ça…" Ses yeux se fermèrent. "Je ferais mieux de me reposer un peu."

Jessan mordilla la fourrure de sa lèvre inférieure et jeta un regard inquiet à l'Amazone. " Bon sang... c'est une chose sur laquelle nous n'avions pas compté... " murmura-t-il. "Elle est la clé de toute cette histoire."

"A plus d'un titre." acquiesça Aslanta sérieusement.

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La suite au chapitre 24

23 janvier 2024

Encore du noir !

mar

La Noirceur du matin, chapitre 22, merci à Emma toujours fidèle au poste pour la traduction

Bonne lecture !

Kaktus

23 janvier 2024

La noirceur du matin chapitre 22

La noirceur du matin – Tome 14  – Melissa Good

 

Xena et Gabrielle se sont installées à Amphipolis et profitent de leur nouvelle fille, Doriana.

Mais est-ce bien le cas ? La vie est, comme Gabrielle le sait bien, une série de compromis. Pour obtenir une chose, il faut souvent renoncer à une autre.

 

Chapitre 22

"Par là !" cria Gillen, en repérant un espace ouvert. "Il y a un chemin là."

Les chevaux à moitié paniqués se dirigèrent dans cette direction, heureux de s'éloigner des flammes qui approchaient. Xena fit avancer Argo en prenant un peu d’avance, puis elle se mit debout sur ses étriers, étudiant le terrain malgré le rugissement qui se rapprochait derrière elle. "Attendez !" cria-t-elle soudainement. "Arrêtez-vous ! Stop !"

Ils eurent du mal à obéir, Xena en avait conscience. Tous leurs instincts leur hurlaient de fuir, mais la note dans sa voix les fit se reprendre et regarder dans sa direction, tout en essayant frénétiquement de calmer leurs montures effrayées. "C'est un piège !" déclara la guerrière en pointant la direction du doigt. "Ils nous attendent dans la clairière.... on ne peut y aller qu'en file indienne. Ils nous abattront comme des canards assis."

Tout le monde regarda l'ouverture avant de se retourner vers elle. "Comment tu peux le savoir ?" cria Gillen. "Ça a l'air dégagé !"

"Parce que c'est ce que je ferais." Répondit Xena calmement. "Tout le monde descend de cheval.... dirigez-vous dans ce petit ruisseau... MAINTENANT !" Elle glissa de sa selle et atterrit brusquement au sol, envoyant un minuscule jet de terre dans les airs. Le vent soufflait autour d'eux, apportant avec lui un avertissement, une odeur de fumée. "Tout le monde mouille ses vêtements.... Allez dans l’eau et mouillez-vous autant que vous le pouvez."

"Elle est folle." Marmonna Gillen, mais elle obtempéra et entra dans le ruisseau avant de se laisser tomber à genoux dans l'eau glacée.

"Mettez les chevaux là-dedans aussi." Xena fit avancer Argo, jusqu'à ce qu'elle ait de l'eau jusqu'aux genoux, puis elle tapota l'épaule de la jument et la fit descendre jusqu'à ce qu'elle soit couchée dans le canal en aval. Cela provoqua un reflux dans l'eau. "Amène Iolaus par ici, Gabrielle." Elle pressa l'étalon à s'installer à côté de sa mère, mais il renâcla, visiblement peu disposé. "Allez, bonhomme…".

"Qu'est-ce qu'on fait ?" demanda nerveusement Gabrielle, en gardant sa voix bien basse alors qu'elle observait les regards méfiants dirigés vers sa compagne.

"Détends-toi et va dans l'eau." Répondit Xena en réussissant finalement à mettre Iolaus à genoux. Elle enleva sa cape, la mouilla, puis elle l'essora, tout en gardant un œil sur les flammes qui s'approchaient et qui consumaient les arbres à une vitesse effrayante. Elle drapa la cape sur la tête des deux chevaux, puis elle se retourna. " Descendez... " Elle désigna la mare d'eau qui se répandait maintenant rapidement sur le sol, endiguée par deux gros animaux. " Faites descendre vos chevaux si vous le pouvez. Si vous n’y arrivez pas, laissez-les partir. Gardez vos capes sur vos têtes. Nous allons laisser le feu nous dépasser."

Gillen jeta un coup d'œil au bassin, puis à la petite dépression dans laquelle elles se trouvaient avant de lever la tête vers Xena, une lueur de profond respect brillant dans ses yeux. "D'accord."

"J'espère que ça va marcher." Gabrielle grimaça lorsque l'eau froide toucha ses jambes, un contrepoint étrange à la chaleur croissante de la tempête de feu qui approchait. Un vent chaud souffla sur elle, et en un instant, sa mémoire revint à l'odeur nauséabonde des flammes qui avaient léché son corps, la faisant pousser un petit gémissement alors qu'elle se figeait sur place.

"Gabrielle !" La main de Xena sur son épaule lui fit relever la tête et elle croisa le regard de la guerrière. "Qu'est-ce qui ne va pas ?"

Elle déplaça son regard vers les flammes, puis elle revint au visage de sa compagne. "Je...ne...je ne pense pas que je...puisse le faire". Balbutia-t-elle doucement, en commençant à se lever pour courir. "Non...non, Xena, je..."

Xena regarda le feu avec perplexité, puis elle tendit instinctivement la main pour la maintenir en place. "Gabrielle... calme-toi... tu ne peux pas aller n'importe où."

"Non !" La chaleur déclencha une crise de panique et Gabrielle se tordit dans tous les sens pour lui faire lâcher prise, alors que ses poumons se remplissaient de l'odeur de choses brûlées. Elle savait seulement qu'elle devait s'en éloigner et elle lutta alors férocement contre les mains qui la tenaient, frappant des deux poings, alors qu’elle se laissait submerger par une peur aveugle si intense qu'elle eut du mal à respirer.

Elle sentait que quelque chose de plus fort qu'elle la tirait vers le bas, encore une fois, et elle gémit doucement. "Non... non... s'il vous plaît.... pas encore."

Puis la chaleur disparut, ainsi que l'odeur de brûlé, remplacées par le froid de l'eau et l'odeur familière de Xena qui l'entoura complètement alors que la guerrière se pressait contre elle, enroulant le manteau humide de Gabrielle autour d'elles.

Elle cessa de se débattre et emmêla ses doigts dans les lacets de l'armure de Xena, incapable de voir autre chose que la silhouette floue de sa compagne. Le grondement à l'extérieur s'amplifia et elle frissonna, mais une voix grave la rassura doucement.

"Tout va bien. Je te tiens."

"Je suis..." Gabrielle se lécha les lèvres, alors que le grondement se transformait en craquements sonores. "J'ai peur."

"Je sais. Tout va bien." Les lèvres de Xena étaient tout près de son oreille et la chaleur du souffle de la guerrière coupait le froid de l'eau. "Fais-moi confiance." lui dit-elle dans un souffle. "Fais-moi confiance, Gabrielle. Je ne laisserai rien t'arriver, je te le promets."

Autrefois, elle aurait douté de ces mots sans réfléchir une seconde.

Elle s'était juré de ne plus jamais faire confiance aussi pleinement.

 

Aujourd’hui, elle prit conscience que la boucle était enfin bouclée, alors qu'elle enfouissait son visage dans l'odeur du cuir, de la sueur et des épices. Elle libérait enfin sa peur, réalisant que son cœur et son âme faisait de nouveau pleinement confiance à Xena et que cette croyance occultait tout le reste.

Elle sentit les battements de son cœur se calmer et ralentir, tandis que Xena pressait une joue chaude contre la sienne. Gabrielle resta immobile et silencieuse, ignorant le tonnerre et les crépitements qui se faisaient entendre au-dessus de sa tête. Elle sentit sa compagne sursauter lorsque quelque chose la frappa dans le dos, puis elle sentit ses muscles se contracter alors que la guerrière rejetait la chose loin d'elles.

Argo poussa un petit hennissement inquiet et la voix de Xena retentit à nouveau : " Doucement, ma fille... c'est presque fini. "

Et c'est ce qui se passa. Xena se leva alors rapidement et entraîna Gabrielle avec elle, alors que la limite du feu les dépassait et se dirigeait vers l'orée du bois, les laissant debout dans de l'eau couverte de cendres jusqu'aux genoux. L'air était encore épais de fumée et de chaleur, mais les flammes avalaient avec avidité les feuilles fragiles situées en hauteur, poussées par le vent loin d'elles.

"Tu vas bien ?"

Gabrielle releva la tête et la regarda d'un air sombre. "Oui." Elle esquissa un léger sourire. "Merci."

Xena pencha la tête sur le côté, l'air un peu perplexe. "Quand tu veux". Elle tapota l'épaule de la barde, puis elle s’adressa au reste du groupe. "Très bien... allons-y. Ce n'est pas fini." En dehors d’Argo et Iolaus, huit des chevaux avaient pu être retenus, les autres s'étaient enfuis. "Nous allons par là. "Elle pointa la direction du doigt. "Nous tournerons autour d'eux, nous les dépasserons, puis nous nous dirigerons vers les avant-postes."

"Et s'ils nous suivent ?" demanda Gillen en secouant sa tête grise pour en déloger les cendres.

"Alors nous les combattrons." répondit la guerrière. "Tout le monde va bien ?"

De faibles murmures répondirent. Il y avait eu quelques brûlures mineures et une coupure là où une branche était tombée sur l'un des soldats, mais sinon ils s'en étaient sortis indemnes. Ils aidèrent les chevaux à se mettre debout et se mirent en route, suivant la grande forme de Xena à travers les arbres fumants.

Ils s'arrêtèrent à l'orée du bois lorsque Xena leva la main et attendirent silencieusement alors que la guerrière s’avançait doucement, se faufilant à travers le feuillage enfumé et brûlé à pas prudents. Au bout d'un moment, ses yeux confirmèrent ce que ses oreilles et son nez lui avaient déjà dit et elle souffla doucement. "Ils brûlent l'herbe." Elle se retourna et pointa du doigt une ligne de feu qui traversait la plaine.

"Ils brûlent notre retraite." corrigea Gillen en s'approchant d'elle. La Reine Amazones avait des marques de brûlures sur une joue et était couverte de traces de cendres et de terre. "Ils exposeront les fosses de cette façon."

"Mm." Xena passa en revue le groupe de soldats ennemis qui allumaient les feux, puis elle se retourna et monta sur Argo. "Je pense qu'il faut les décourager." Elle jeta un coup d'œil aux chevaux. "Ceux d'entre vous qui ont une monture, suivez-moi. Les autres, restez ici."

"Peut-être que la Reine Gabrielle devrait rester ici aussi." s’empressa de répondre Gillen, qui faisait partie de ceux qui avaient perdu leurs chevaux. "Tu as l'air encore un peu bouleversée." dit-elle en s'adressant directement à Gabrielle.

"Non." répliqua Xena avant même que la barde n'ait eu le temps de prendre de l'air dans ses poumons pour répondre. "Je la veux avec moi." dit-elle en balayant le sujet. Puis, elle rassembla les rênes d'Argo dans une main et passa l’autre dans son dos pour replacer l’épée dans son fourreau. "Allons-y."

Gabrielle se hissa sur Iolaus et vérifia son bâton, prise à mi-chemin entre un plaisir coupable face à la décision de sa compagne et une légère irritation de ne pas avoir participé à la décision elle-même. Non pas que son choix aurait été différent, et Xena le savait parfaitement, mais...

C’est toujours mieux quand on nous demande notre avis.

Un doigt attrapa le bord de sa cape et elle rapprocha Iolaus d'Argo. " Tu veux venir, n'est-ce pas ? " chuchota Xena.

"Ce n'est pas une question sérieuse, n'est-ce pas ?"

"Je vérifiais, c'est tout".

Gabrielle se rassit, son ego pleinement satisfait à présent. "Qu'allons-nous faire ?"

Xena se dirigea vers l'orée du bois et remit ses bottes dans ses étriers avec précaution, avant de se lever partiellement de sa selle pour regarder la troupe ennemie. Le groupe qui brûlait était petit. Ils touchaient les herbes avec des torches tandis que plusieurs attendaient sur le côté en tenant leurs montures. Même leur petit groupe, pensa-t-elle, pouvait facilement les vaincre et sa paume la démangeait, pressée de sentir la pression de la garde de son épée contre elle. Elle se laissa aller à ce frisson séduisant, puis elle reprit son souffle pour leur donner l'ordre d'avancer.

"Xena ?"

Elle tourna la tête. Gabrielle regardait au-delà de son épaule droite, se cachant les yeux d'une main. "Quoi ?"

"Ces lapins courent vers le feu." déclara la barde en les pointant du doigt. "Pourquoi ?"

La guerrière tourna rapidement la tête dans la direction indiquée. "Tout le monde recule." Elle ordonna silencieusement à Argo de faire marche arrière. Quelques instants plus tard, elle entendit le doux tonnerre des sabots, puis un groupe de soldats, d’au moins cinquante hommes, contourna la lisière de la forêt brûlée et se dirigea vers l'arrière des herbes en feu, en direction du col par lequel l'armée devait passer.

Ils étaient presque à l'abri, quand l'un des derniers cavaliers tourna la tête et les aperçut.

"Oh oh." Xena serra les jambes. "Tenez-vous prêts.... Nous allons les tenir à distance, pendant que le reste d'entre vous traverse les bois pour sortir de l'autre côté."

"Xena, ne sois pas folle." répliqua Gillen en chargeant son arbalète. "Nous pouvons très bien nous battre à pied. Nous le faisons depuis des centaines d'années."

Un cri retentit et le groupe changea de direction, se dirigeant maintenant droit sur eux. "Pas le temps de discuter." maugréa Xena en dégainant son épée. "Allez !" Elle fit retentir son cri de guerre et serra les jambes pour lancer Argo au galop.

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Ce n'étaient pas des soldats ordinaires, réalisa Xena, alors qu'elle rencontrait le premier d'entre eux et qu'elle fut presque déséquilibrée. L'homme accrocha un bras au sien et tira, et seules ses jambes puissantes la maintinrent sur la selle d'Argo tandis qu'elle se cramponnait avant de pousser la jument à s'élancer sur le côté pour se dégager de son emprise.

Son adversaire avait une masse légère et il l'utilisait à bon escient, ses yeux alertes et intelligents la scrutant et visant les coups vers son côté opposé, loin de la déviation de son épée.

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle change de main et c'est ce qu'elle fit, rencontrant la masse avec sa lame dans un mouvement brut avant de tourner autour de lui pour trouver son point faible.

Autour d'elle, Xena était consciente que ses troupes rencontraient les cavaliers, et qu'un désordre de chevaux, de boue et de flèches s’emmêlait, confondant autant l'ami que l'ennemi. Elle absorba le coup suivant, puis elle déplaça son poids et libéra une jambe d'un étrier avant de se déplacer sur le côté et de lui asséner un coup de pied vicieux sur le côté. 

Cela le surprit, suffisamment pour le faire tomber de sa selle et l'envoyer dans la boue, et Xena en profita pour faire fuir le cheval de son adversaire, droit dans sa trajectoire pour qu’il le piétine au passage.

Elle se dirigea vers le cavalier suivant, qui s'acharnait sur une Amazone, et leva son épée pour l'abattre sur sa tête et la fendre en deux comme une noix de coco, avant de l'éjecter de sa selle à son tour. "Attention !" cria-t-elle en direction de Gabrielle. 

La barde tournait autour d’elle. Elle venait de terminer son combat avec un homme grand et costaud sur un gros hongre gris. Elle acquiesça, puis elle esquiva son coup de hache et fit pivoter son corps, avant de le frapper dans les côtes avec son bâton. L'impact lui donna le rebond suffisant pour enchaîner rapidement sur son revers qu'il évita de justesse en levant un bras pour se protéger la tête. 

Xena fit avancer Argo d'une pression de genou et se retrouva au milieu de trois soldats ennemis, attirant leur attaque et s'éloignant ainsi un peu de la mêlée du centre de la plaine. Elle stoppa un coup d'épée sur son brassard, le métal sonnant sourdement alors qu'elle balayait sa propre lame sous son bras levé et coupait dans l'armure de l'homme, avant de ramener son bras en arrière rapidement pour plonger la pointe de son épée à travers son plastron de cuir et dans son cœur. 

Cela occupa ses deux mains pendant une minute, et elle sentit que quelque chose approchait derrière elle. Elle dégagea son épée juste à temps pour se retourner et rencontrer un corps en plein galop, qui la percuta et les envoya tous les deux tomber dans la boue.

Xena roula une fois puis elle se releva et envoya un coup de pied circulaire dans la mâchoire de son adversaire, esquivant par instinct lorsqu'une masse passa en sifflant près de sa tête de la part du troisième combattant, toujours à cheval.  Il ne la manqua pas la seconde fois, et elle para le coup légèrement en s’élançant en arrière mais il réussit à la frapper sur le côté de la tête alors qu'elle plongeait dans un saut périlleux. Elle réussit à atterrir néanmoins sur ses pieds et secoua la tête pour faire disparaître les étoiles douloureuses de ses yeux.

L'homme la chargea et elle attendit, reprenant son équilibre alors qu'il se rapprochait et levait son arme pour l'abattre en profitant de sa faiblesse momentanée.

Le monde devint un peu flou pendant une seconde. Xena s'apprêtait à plonger pour s'écarter, mais il réalisa son intention et se déplaça pour la rejoindre, un air triomphant sur le visage alors qu'il levait son épée pour la frapper. Xena entendit des bruits de sabots s'approcher et elle sentit une présence, puis tout à coup, son ennemi....

Disparut. 

Il disparut de son cheval après un bruit semblable à celui d'un melon qui se fend. 

La guerrière se redressa, jeta un coup d'œil autour d'elle, puis elle fixa ses yeux sur l'arrière-train tendu de Iolaus, alors que l'étalon semblait s’être arrêté brusquement et faisait maintenant demi-tour.

Gabrielle se tenait en équilibre sur ses étriers, son bâton couché entre son flanc et son bras, et dont l'extrémité vacillait juste après la tête de son cheval. "Tu vas bien ?" cria la barde. 

"Oui". Siffla Xena, avant de se hisser sur Argo alors que la jument passait en trombe à côté d’elle. Elle vérifia son épée et découvrit son adversaire, qui gisait sur le sol, en boule recroquevillée. "Qu'est-ce que tu lui as fait ?" 

"Oh." Gabrielle sourit d'un air sadique et changea sa prise sur le bâton. "Tu savais que cela faisait un excellent bélier ?"

 La guerrière jeta un coup d'œil à l’extrémité du bâton, puis regarda le soldat. Elle leva son sourcil, mais elle n'eut pas le temps de réfléchir à la question car une foule de combattants leur fonça dessus. "Merci !" Elle salua la barde de la pointe de son épée dégainée puis elle dirigea Argo droit sur eux, en poussant un hurlement tonitruant lorsqu'elle rencontra la première vague, avant de les dépasser en les tailladant de toutes ses forces. 

"De rien." marmonna Gabrielle en la suivant, heureuse des sangles qui la maintenaient fermement sur sa selle. Elle poursuivit la queue maculée de boue d'Argo et percuta un autre cavalier, puis elle se redressa et raffermit sa prise, en utilisant son bâton pour frapper un arbalétrier sur le côté, lui faisant perdre sa visée, manquant de peu une Amazone qui en profitait pour s'esquiver. 

Xena venait de lui faire une peur bleue. Elle tremblait encore de l'intérieur, à cause de sa course effrénée pour intercepter l'attaque contre sa compagne. Elle était arrivée à temps.

Elle laissa son instinct prendre le dessus momentanément, parant l'épée d'un soldat tout en gardant un œil sur sa compagne, qui était occupée à croiser le fer avec un homme d'au moins une tête de plus qu’elle et deux fois plus lourd. 

La guerrière ne semblait pas mal en point, et elle pouvait voir le sourire commencer à se dessiner sur le visage maculé de boue de Xena alors qu'elle se battait, la moitié de son corps se soulevant de la selle d'Argo alors qu'elle se tordait dans un puissant balayage, sa lame et celle de son adversaire s'écrasant dans un rapide échange de coups. 

Puis elle ne vit plus Xena et elle sentit son cœur s'accélérer, tandis qu'elle s'éloignait de la foule de chevaux qui se trouvait soudain devant elle. Ils l'encerclaient par derrière également et elle fit tourner Iolaus pour essayer de les contourner. L’espace entre elle et Xena s’élargit au fur et à mesure qu'elle avançait et Gabrielle réalisa avec un choc glacial qu'elle était délibérément poussée dans ses retranchements. 

Puis elle vit le filet. "Fils de BACCHAE !!!" cria-t-elle, avant de plaquer ses deux mains autour de l’encolure de Iolaus et de ranger son bâton sous son bras. "Fonce !" Elle tourna la tête de l'étalon et lui donna un gros coup de talon, le faisant foncer loin de la foule, les oreilles plaquées en arrière sur sa tête dorée. 

Un hurlement, puis un tonnerre de sabots retentit après elle, et elle sut qu'elle avait des ennuis. Son instinct lui dit de se baisser, et elle le fit, juste à temps alors qu'une flèche sifflait au-dessus de son épaule, atterrissant dans la terre à gauche de l’endroit où Iolaus passait rapidement.

"Oh là là". Elle se baissa le plus possible sur le dos de l'étalon et le poussa à aller encore plus vite, s'éloignant des attaquants en se dirigeant vers les bois où se trouvaient leurs avant-postes. Elle avait deux avantages : d'une part, Iolaus était jeune et rapide, et d'autre part, elle était bien plus légère que la plupart de ses adversaires. 

L’étalon filait dans l'herbe, les oreilles en arrière, la tête baissée, percevant l'urgence de Gabrielle qui tenait les rênes proches de son encolure et essayait de se déplacer avec lui comme Xena le lui avait appris. Elle jeta un coup d'œil à sa droite et vit un soldat se rapprocher d'elle, éperonnant son cheval sans ménagement, à tel point qu’elle vit le sang couler des flancs du gros animal. 

Il avait le filet et quelque chose d'autre qui ressemblait à un tube de soufflage. Elle réfléchit rapidement, essayant de trouver quelque chose alors qu'il arrivait à sa portée et se préparait. 

Son bâton était de ce côté, mais elle n'avait aucun moyen de l’utiliser. Pourtant.... La barde tourna la tête et estima désespérément les angles, puis elle enroula les rênes autour d'une main et se redressa brusquement, tirant Iolaus jusqu’à l'arrêt en serrant son bâton d'une poigne serrée comme la mort. 

Il n'avait aucun moyen de s'arrêter, même s'il essayait. Elle réussit à frapper le soldat à la gorge et l'impact de son bâton la fit presque basculer sur la tête d'Iolaus, alors que le cheval de l’attaquant s'écrasait sur l'étalon, qui trébucha sur le côté et hennit de colère. 

Gabrielle n'attendit pas de voir ce qui allait se passer. Elle fit avancer Iolaus d'un coup de talon et reprit son galop, les yeux fixés vers son objectif alors que son imagination s'obstinait à peindre un autre groupe de chevaux arrivant droit sur elle. 

Un corps lourd l'attrapa par derrière et elle perdit sa prise sur son bâton. Elle s'agrippa frénétiquement au pommeau de sa selle alors qu'un soldat l'entourait de ses bras et tentait de la faire descendre de son cheval, sans se rendre compte qu'elle était attachée. Il la fit basculer sur un côté et l'entraîna avec lui, tirant également Iolaus, et ils tombèrent par terre, impuissants, Gabrielle à moitié coincée sous sa monture effrayée. 

"Putain de salope !" rugit l'homme en sortant un couteau de sa ceinture avant de s'approcher d'elle. "Je me fiche de ce que ce salaud a dit, je vais t'arracher le cœur pour ça ! Il se posa sur elle et leva la lame."

Gabrielle pouvait à peine bouger, et en levant les yeux vers lui, elle vit sa mort qui attendait patiemment à côté. Elle croisa le regard du soldat avec calme, sans afficher sa peur, et elle leva un peu le menton en écoutant, espérant entendre le son d'une aide qui lui parviendrait. 

Elle entendit des cris et un doux bruit de tambour, mais son instinct lui disait que ce ne serait pas assez rapide, même avec la légère hésitation que son regard courageux lui avait valu de la part de son agresseur. 

Elle savait que ça allait faire mal, alors que la lame du couteau commençait à descendre dans un mouvement étrange, presque au ralenti. Mais peut-être pas pour longtemps. Elle ferma les yeux et se concentra sur quelque chose de plus important, rassemblant tout l'amour qu'elle ressentait et le projetant vers son âme sœur.

Puis l'air se brisa sur elle, et le coup qui aurait dû être vif et douloureux ne fut qu'un bruit sourd sur sa poitrine, répandant quelque chose de chaud et de cuivré sur son visage.  Elle ouvrit les yeux et découvrit le soldat effondré sur elle, sa main se terminant par un moignon sanglant et giclant sur sa poitrine, alors que les manches de deux couteaux émergeaient de son corps sans vie. 

La mort haussa les épaules et s'éloigna, la laissant respirer profondément alors qu'elle se retrouvait entourée de visages amicaux et effrayés et que des mains familières se posaient sur son visage. 

"Ne bouge pas." La voix de Xena était rauque et si tendue que Gabrielle faillit ne pas la reconnaître. 

"Je ne pense pas pouvoir le faire." répondit-elle doucement. 

"Ils ont battu en retraite... Ils ont vu les Amazones arriver." lui dit Xena, tandis que des mains soulevaient le soldat mort de son corps. La guerrière coupa les sangles qui la retenaient à Iolaus et fit avancer le cheval, tandis que les Amazones arrivaient en trombe, les encerclant pour les protéger. 

Gabrielle poussa un soupir de soulagement et ferma les yeux tandis que les mains de Xena palpaient son corps avec anxiété, à la recherche de blessures. "Je crois que j'étais juste pressée de rentrer au camp. " dit-elle à sa compagne, en bougeant prudemment ses mains et ses orteils. 

Tout près, elle entendit le bruit des flammes qui brûlaient l'herbe et elle tourna la tête pour regarder. "Nous ferions mieux de partir d'ici." Elle commença à s'asseoir, mais Xena l'en empêcha, la prenant dans ses bras et avant de se redresser de sa position agenouillée.

"Xena, pose-moi." murmura-t-elle, un peu gênée par tous ces regards. 

"Non". La guerrière refusa obstinément. "On retourne tous à l'avant-poste." Elle se dirigea vers Argo qui attendait patiemment. 

"Xena... chérie, c'est bon. Pose-moi." tenta de la persuader la barde doucement. "Je peux monter... ça n'a pas de sens..."

"Non." Un mot dur et précis. 

Gabrielle posa une main sur la poitrine de la guerrière en prenant une grande inspiration avant de continuer la discussion, mais elle s'arrêta brusquement lorsqu'elle sentit les battements frénétiques du cœur sous sa main. Elle leva les yeux et elle vit que le visage de sa compagne était particulièrement pâle, d’un blanc fantomatique sous sa couche de boue, et une seconde plus tard, elle entendit les respirations rapides et courtes qui secouaient le corps de Xena à chaque pas.

D'une façon ou d'une autre, les dernières foulées vers la jument s’allongèrent et elle sentit le corps de Xena s'enrouler sous ses mains, puis se relâcher, alors qu’un souffle d'air passait sur elle. Un mouvement dans l’air et elles se retrouvèrent quelques instants plus tard toutes les deux sur le dos d'Argo, les jambes de la guerrière se resserrant sur les flancs de la jument alors qu'elle équilibrait le double poids. 

Gabrielle passa ses bras autour du cou de Xena et posa sa tête sur l'épaule de la guerrière, sentant la poigne de cette dernière se resserrer convulsivement. "C'est bon." chuchota-t-elle, souhaitant que le rythme rapide sous son oreille ralentisse. "Ça va aller, Xena." 

La guerrière déglutit plusieurs fois alors qu'elles se mettaient en route, les Amazones sans chevaux ayant capturé certaines des montures de leurs ennemis morts. Trois de leurs compagnons de raid n'en auraient pas besoin, cependant, puisqu'ils étaient tombés sous les coups de l'ennemi. Leurs corps étaient ramenés au camp, un rappel silencieux, enveloppé de tissu, de possibilités obsédantes. 
"Et le feu ? Demanda Gillen en le pointant du doigt, alors que le vent tournait et fouettait les flammes à travers l'herbe. 

En guise de réponse, Xena leva le menton vers le ciel où des nuages sombres s'amoncelaient. Un doux roulement de tonnerre résonna sinistrement comme une réponse, alors qu'ils se mettaient en route. 

"Tu vas bien, Xena ?" Demanda Eponine qui s'était approchée doucement, la seule à oser aborder la guerrière silencieuse. 

Pendant un très long moment, il n'y eut aucune réponse. Puis Xena tourna légèrement la tête. "Très bien, merci." répondit-elle doucement. "Vous avez fait du bon travail." 

"Nous avons eu un exemple remarquable à suivre." répondit Eponine en jetant un coup d'œil à Gabrielle. "Deux exemples, en fait." 

Xena acquiesça et serra la barde un peu plus fort. 

"Ces derniers combattants étaient plutôt bons." continua la maîtresse d’armes. 

"Des pillards à cheval... engagés." répondit Xena brièvement. "Si nous avons de la chance, il n'y en aura pas beaucoup. Sinon, ça risque d'être compliqué." 

Gabrielle sentit le corps rigide sous elle commencer à se détendre, tandis que le cœur de Xena ralentissait et que sa respiration devenait plus profonde et plus régulière. Elle libéra une main du cou de sa compagne et la fit glisser le long du ventre de Xena, la caressant doucement à travers l'armure de cuir solide. Enfin, le visage anguleux s'inclina et des yeux bleus hantés rencontrèrent les siens. "C'était trop près." lui dit Xena, très sérieusement.

 La barde se contenta de hocher la tête. "Pour nous deux."   

Ce fut au tour de Xena d'acquiescer. 

Gabrielle attendit encore quelques minutes. "Tu veux bien me laisser au moins monter devant toi ?"

A contrecœur, la poigne de Xena se desserra et elle aida Gabrielle à passer une jambe par-dessus l’encolure d'Argo avant qu’elle ne s'installe sur la selle. "Désolée... J'ai juste... " 

Gabrielle prit les mains désormais relâchées qui reposaient sur ses cuisses et les attira autour d'elle, les serrant contre son corps. "Je sais." murmura-t-elle. 

Elles avancèrent en silence, tandis que les premières gouttes de pluie perlaient autour d'elles, apportant l'odeur de la terre humide et rafraîchissant l’air.

"Xena ?"

"Mm ?" 

"Allons-nous retourner à la rivière ce soir ?" 

Xena réfléchit en silence un moment. " Je vais donner des ordres aux groupes de l'avant-poste. Et après oui, nous retournons à la rivière. " 

Gabrielle cligna des yeux à cause de la pluie. "Pouvons-nous aller voir Dori ?"  Le vent se leva, poussant l'herbe contre leurs jambes.

Xena regarda un oiseau qui essayait désespérément de progresser contre le vent, avant d’abandonner et commencer à voler dans l'autre direction. "Bien sûr." Elle posa son menton sur l'épaule de la barde et prit une grande respiration, laissant le nœud serré de son âme se desserrer un tant soit peu. 

La pluie transforma le feu derrière eux en un tourbillon de fumée et aplatit les feuilles des arbres voisins alors qu'ils rentraient chez eux.

*****************

Gabrielle se dirigea vers la tente de ravitaillement en tirant sa capuche autour de sa tête pour essayer de se protéger de la pluie persistante. Elle était fatiguée, et très grincheuse, tout lui faisait mal, et elle en avait ras-le-bol de cette...

"Gabrielle ?

Patience, Patience, Patience....prend une profonde inspiration. Détends-toi et tourne-toi. "Oui ?" Gabrielle marqua une pause et adressa un sourire à Gillen. "Que puis-je faire pour toi ?"

L'Amazone plus âgée se racla la gorge, semblant légèrement embarrassée. "En fait... y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ? Tout a été réglé de notre côté et des coureurs sont partis vérifier les avant-postes... Je sais que la journée a été difficile."

Il doit commencer à neiger au Tartare. "Euh... merci, Gillen... J'apprécie vraiment l'offre. J’allais juste me laver avant de rejoindre Xena. Elle a une liste de choses qu'elle a dit vouloir passer en revue." Sa compagne était devenue de plus en plus silencieuse sur le chemin du retour, jusqu’à s’enfermer dans une humeur taciturne et silencieuse qui excluait même son âme sœur. "Nous n'avons pas beaucoup de temps... elle pense que les éclaireurs seront dans notre secteur dans la matinée."

"Je sais." Gillen passa ses doigts dans ses cheveux poivre et sel. "Écoute... si tu veux, je peux aller chercher cette liste... je sais que je me mêle de tout, Gabrielle, mais vous avez toutes les deux l'air d'avoir besoin d'un peu de temps pour vous reposer."

Par les Dieux, ça se voit à ce point ? Gabrielle aspira une bouffée d'air. "Tu pourrais essayer oui". murmura-t-elle. "Merci."

Gillen lui tapota le bras et passa devant elle pour se diriger vers la tente de commandement. Gabrielle esquissa un petit sourire avant de poursuivre son chemin, passant sous le rabat de la tente de ravitaillement avant de s'arrêter en entendant une voix très familière. "Maman ?"

Cyrène se tenait là, emmitouflée dans sa lourde cape, les mains sur les hanches. "Hé, ma belle, j'ai une connaissance commune qui voulait vraiment vous voir."

"Maman !!!!" Le cri fût si joyeux qu'il en était douloureux. Gabrielle se dirigea vers sa fille et la souleva alors que la petite affichait un sourire ravi. Elle serra le bébé contre elle et respira son odeur, tandis que Dori se tortillait de bonheur, lui tirant les cheveux et lui donnant des baisers de bébé.

"Bonjour, ma chérie."

"Maman" gazouilla Dori. "Maman... maman... bien !"

"C'est bon de te voir aussi." Gabrielle lui caressa la tête, puis la berça contre elle. "Oh mon Dieu... quelle jolie tenue... où l'as-tu trouvée ?"

"Ta mère l'a faite pour elle". Expliqua Cyrène doucement. "A nous deux, nous avons réussi à ne pas la laisser tout saccager."

"Oh." Gabrielle passa un doigt sur la délicate broderie. "Wow."

Cyrène fit signe à l'homme à qui elle parlait de sortir, les laissant seules. La femme plus âgée s'approcha de la plus jeune et posa une main sur son bras. "Ça va, ma belle ?"

Gabrielle se contenta de la regarder. "J'ai eu une sale journée." avoua-t-elle en regardant Dori tirer avec application sur le fermoir de son armure. "Nous avons perdu des personnes... et nous avons dû nous battre... beaucoup... Et la jambe de Xena est loin d’être guérie..."

Cyrène l'entoura d'un bras. "Je me suis dit qu'on approchait des choses sérieuses." dit-elle à la barde. "J'ai pris la décision d'amener ici tous les habitants de la ville qui ne sont pas déjà allés dans les grottes." Elle fit une pause. "Ta mère est ici."

Gabrielle cligna des yeux, surprise.

"Lila et le bébé sont allés dans les grottes... Lennat est avec le groupe de ravitaillement." Cyrène lui frotta le dos. "Mais Hécuba a décidé de venir avec nous... de faire ce qu'elle pouvait pour nous aider."

"Il faudra que je la remercie." murmura la barde. "Je suis venue chercher quelque chose à manger... Xena n'a rien mangé de la journée, et ça n'aide pas." Elle berça Dori qui la regardait en gazouillant. "Mais vous voir ça va aider aussi... nous avions prévu de venir vous voir ce soir."

"Maman ?" Les petits yeux verts la regardaient avec adoration alors que Dori souriait.

"Ma chérie, je connais quelqu'un qui sera ravi de te voir." lui chuchota Gabrielle. "Devine qui c'est ?"

Dori suça son pouce, puis la pointa du doigt. "Boo !" Annonça-t-elle. "Veux Boo !"

"C'est ça ma puce." Un sourire las se dessina sur ses lèvres. "Tu t'es bien comportée avec grand-mère ?"

"Hum." gloussa Cyrène, tout en fouillant dans les bacs de rangement. "Elle s'est plutôt bien comportée... pour elle." Elle jeta un œil sur le bébé qui se tortillait. "Elle est sensible... elle sait que quelque chose ne va pas, je crois, et vous lui manquez terriblement. Je .." L'aubergiste hésita. "Je l'ai trouvée hier en train de pleurer en serrant dans ses bras la petite poupée que Xena lui avait donnée."

Gabrielle étudia sérieusement le petit visage, traçant son contour avec des doigts doux. "Je suis contente que tu l'aies amenée." répondit-elle. "Ma petite chipie m'a manqué aussi." La barde releva la tête. "Laisse-moi l'emmener dans notre tente... C’est peut-être mieux que de la nourriture à ce stade."

Cyrène lui jeta un regard inquiet. "Tiens... prends ça aussi. Je vais voir ce que je peux faire ici... et je reviendrai plus tard vous voir."

"Gabu, maman... rentre maison". Lui conseilla Dori sérieusement, en fronçant les sourcils.

"Absolument, ma chérie." La rassura sa mère, en lui donnant un baiser sur la tête. "Allez, on y va." Elle serra Cyrène dans ses bras, puis elle prit le panier que la femme lui tendit et sortit de la tente, sentant la moitié du poids qui pesait sur ses épaules s’enlever alors qu'elle se dirigeait sur le sol trempé vers leur foyer temporaire.

Leur tente était silencieuse lorsqu'elle y arriva, et elle fit une pause avant de passer la tête sous le rabat pour adresser un bref sourire à la sentinelle qui se trouvait à l'extérieur. À l'intérieur, elle laissa ses yeux s'ajuster pendant une minute avant de jeter un coup d'œil vers le brasero, où une forme sombre était affalée, immobile, sur une chaise à proximité. "Hé."

Pendant un long moment, il n'y eut aucune réaction.

"Boo ! S’exclama Dori dès qu’elle la repéra.

La tête sombre tressaillit et Xena se retourna brusquement, regardant à travers la lumière vacillante, surprise. "Dori ?"

Gabrielle sourit à ce premier signe de vie depuis le matin. "Maman est là." Elle se dirigea vers sa compagne, essayant de retenir la petite qui gigotait fortement dans ses bras. "Dori... tu vas tomber... maintenant arrête ça... argh." Elle réussit à mettre le bébé dans les mains de Xena avant qu'elle ne perde sa prise et elle observa, avec une satisfaction tranquille, la lumière et la vie revenir sur le visage de sa compagne.

Xena, qui s'était déshabillée et ne portait plus que ses cuirs, serra le bébé contre elle. "Salut gamine..."

"Boobooboobooboobooboo" Couina Dori, faisant grimacer sa mère à cause du volume sonore. Elle grimpa sur la guerrière et jeta ses bras autour du cou de Xena, l'embrassant avec enthousiasme. "Bien !"

Gabrielle se percha sur l’accoudoir du fauteuil, posa sa main sur l'épaule de la guerrière et se contenta d'observer. Le comportement taciturne de Xena se détendait doucement, laissant maintenant apparaître la lassitude sous le contrôle qu'elle avait maintenu fermement. "J'étais vraiment contente de la voir."

"Maman ?" Dori leva la tête, curieuse. "Cookie ?"

Les deux parents écarquillèrent les yeux en même temps et la barde parvint à émettre un rire à moitié étranglé. "Oh... non.…".

Un petit rire s'échappa également de sa compagne. "Merci Maman." marmonna Xena doucement, avant de laisser échapper un souffle et d’appuyer sa tête contre la hanche de Gabrielle, cherchant sans rien dire du réconfort. Elle le reçut sous la forme d'un bras qui s’enroula autour de ses épaules et d'une caresse dans ses cheveux.

"C'est une petite faiseuse de miracles." murmura la barde en désignant leur enfant qui explorait la tenue de la guerrière avec curiosité. "Elle a réussi à te faire parler, au moins."

Xena leva les yeux vers elle et leurs regards se croisèrent. "Je me suis battue avec moi-même toute la journée, Gabrielle... Je ne sais pas si je peux aller jusqu'au bout."

La barde sentit le choc la traverser. "Mais..." Elle regarda autour d'elle par pur réflexe. "Xena..."

La guerrière soupira alors qu’une expression abattue, rarement vue chez elle, se peignait sur son visage. "J'ai réalisé quelque chose sur moi-même aujourd'hui." Elle regarda Dori, qui essayait de détacher ses cuirs, une expression sérieuse sur son petit visage. "J'ai peur de mourir." Elle leva les yeux vers sa compagne. "J'ai peur que tu meures."

Gabrielle cligna des yeux. "Xena... c'est la guerre... tout le monde a peur de ça." chuchota-t-elle. "Ça  a toujours été mon cas et ça le sera toujours."

La guerrière secoua lentement la tête. "Ça n’a jamais été mon cas." répondit Xena. "C'est comme ça que je fais ce que je fais... c'est comme ça que je me donne à fond. Je ne me suis jamais souciée des conséquences." Elle marqua une pause. " Maintenant... j'ai tellement peur... j'ai du mal à penser à ce qui va se passer demain. "Elle secoua à nouveau la tête. "Je ne sais pas si je peux le faire."

Gabrielle ne l’avait jamais vue dans cet état et ne savait vraiment pas quoi faire. Elle réfléchit en silence un moment puis elle s'assit tranquillement et continua de caresser doucement le cuir chevelu de sa compagne, plongée dans ses pensées. "Tu m’as dit un jour." Elle tâtonna prudemment. "Que la peur était une bonne chose... qu'elle te permettait de rester concentrée." Elle observa le profil acéré de la guerrière. "Tu veux dire que ça ne t'a jamais affecté avant ?"

"Pas comme ça." Xena souffla. "Pas en me figeant sur place et en te coûtant presque la vie comme aujourd'hui."

Gabrielle étouffa un frisson. "Mais ce n'est pas le cas. Tu es arrivée à temps."

"J'ai presque failli ne pas y arriver."

"Le presque ne compte jamais". Récita la barde. "Soit tu le fais, soit tu ne le fais pas." Elle plaça une main sous le menton de Xena et lui fit relever le visage. "Quelqu'un m'a dit ça aussi un jour."

Xena se frotta les yeux avant de soupirer à nouveau. "Il n'y a pas de bons choix, Gabrielle... Je pourrais te demander de rester ici, mais quelque chose pourrait arriver. Je pourrais te laisser te battre à mes côtés, mais quelque chose pourrait aussi arriver." Elle leva la main, impuissante. "Je ne sais pas quoi faire."

Gabrielle ne savait pas non plus quoi dire. Elle doutait que même Artémis ait des suggestions utiles dans ce cas, car le problème était en grande partie lié à l'esprit de Xena et à leur histoire. Finalement, elle soupira. "Xena ?"

La guerrière avait continué de jouer paresseusement avec leur fille. Elle leva la tête. "Mmm ?"

"Nous devons le faire." dit-elle à sa compagne. "Les vies et les destins de toutes ces personnes ici présentes comptent là-dessus... et il n'y a rien qui puisse changer cela à ce stade." Gabrielle joignit ses doigts à ceux de Xena. "Quoi qu'il arrive, .... Toi et moi, nous nous en sortirons ensemble, d'une façon ou d'une autre."

"Gabrielle..."

"Nous trouverons un moyen." l'interrompit la barde, avec force. "Il n'y a pas d'autre solution." Elle regarda Xena détourner le regard, une expression de confusion douloureuse sur le visage. "Xena." Gabrielle adoucit sa voix et saisit la mâchoire de la guerrière, qui lui rendit son regard malgré sa réticence. "Peut-être que la raison pour laquelle tu n'avais pas peur de mourir avant était que tu n'avais pas vraiment de raison de vivre ?"

Xena resta immobile un moment puis elle pencha légèrement sa tête sur le côté alors qu'elle absorbait l'idée. Elle finit par écarquiller les yeux après plusieurs instants de silence, avant de recroiser le regard de la barde. "Maintenant, j’en ai une." murmura-t-elle, presque dans un souffle.

"Maintenant, tu en as une." confirma Gabrielle. "Laisse cela te servir, Xena... Prends-en de la force, au lieu de penser que c'est une faiblesse." Elle pouvait voir l'idée faire son chemin dans une vague fascinante de subtils changements corporels et de muscles tendus qui débouchèrent par un sourire sur les lèvres et des yeux bleus qui brillèrent à nouveau de leur éclat tranquille en la regardant.

"Cela vaut la peine d'essayer." Mais il y avait de la paix dans cette voix. "C'est une chose à laquelle il faut penser, en tout cas."

"Boo !" Dori, fatiguée d'écouter ce drame, décida de concentrer l'attention de ses parents sur elle-même. "Gogogogogo." Ses deux petites mains s'étaient enroulées autour des lanières de cuir de Xena et les tiraient férocement, seules les coutures résistantes de la matière solide retenaient les vêtements de la guerrière.

"Hé." Xena se détendit et saisit les mains du bébé. "Où est-ce que tu veux aller, gamine ?"

Dori gloussa, puis elle sauta sur les cuisses de la guerrière. "Boo !"

La guerrière grimaça. "Oof."

"Dori... doucement chérie." Gabrielle attrapa sa fille et la souleva. "Boo a un aïe là... Allez, lâche-là." Elle arracha les petits doigts des cuirs. "Désolée, Xena."

"C'est bon." Xena attrapa l'un des pieds de Dori et le tint, examinant la petite bottine qui recouvrait les orteils de sa fille. "Où a-t-elle trouvé ça ?"

"Ma mère".

Elle leva un sourcil. "Joli."

Cette petite conversation détendit la boule qui s’était formée dans l’estomac de la barde et elle expira doucement, luttant avec difficulté contre une vague d'épuisement. Xena lui avait dit un jour que gérer ses émotions était bien plus fatigant que de se battre toute la journée, et en ce moment, elle pouvait facilement le croire. "Et si on s'asseyait tous sur le tapis et qu'on déjeunait un peu... ça te dit ?"

Xena se leva de sa chaise et boita jusqu'au brasero, puis elle s'installa sur le tapis en peau d'ours avec un soupir fatigué. Elle prit Dori des mains de Gabrielle et l'assit entre ses jambes tendues, repoussant ses doutes et laissant son esprit s'éclaircir pour le moment.

"Tu veux que je change ça ?" La barde toucha le bandage autour de la cuisse de sa compagne, tout en posant le panier à côté d'elles.

"Après le déjeuner." marmonna Xena, en laissant Dori tenir ses deux pouces alors qu’elle la balançait d'avant en arrière. "C'est supportable pour l'instant."

"Ohh." Dori repéra le panier et se mit à trottiner vers lui avant de s'agripper aux anses, manquant de se déséquilibrer et de se retrouver la tête la première à l'intérieur. "Mm." Elle pointa quelque chose du doigt. "Cookie !" Elle se pencha et attrapa un paquet.

"Ah ah ah !" l'avertit Gabrielle. "Ce n'est pas un cookie... c'est du pain de noix, et tu devras te battre avec moi pour l'avoir." Elle lui retira des mains et le brandit au-dessus de sa tête.

Dori fit la moue, en la regardant avec indignation. "Maman !" Elle contourna le panier et commença à grimper sur la jambe de la barde, tendant la main vers le paquet. "Ma...ma..... ma..."

"Allez, Dori... Je parie que tu as déjà déjeuné." protesta sa mère. "C'est mon déjeuner... et j'ai eu une dure journée !"

Dori s'assit brusquement et montra sa lèvre inférieure avec tristesse.

"Dori !"

Un petit soupir lui répondit.

Gabrielle abaissa le paquet et cassa un coin du pain. "Oh, d'accord." Elle lui tendit le morceau et regarda la petite l'enfourner dans sa bouche avec allégresse. "Bon sang !" Elle leva les yeux vers sa compagne silencieuse. "Qu'est-ce qui te fait sourire ?"

Xena avait les mains croisées sur ses genoux et observait la scène en silence. "Moi ?" Répondit la guerrière. "Je ne souris pas."

"Uh huh."

"Je prends des notes."

Gabrielle la regarda, perplexe, et elle découvrit alors une version plus grande et plus sexy de la moue de Dori. "Oh par les Dieux". Gémit la barde. "Je n'aurai jamais de pain de noix à ce rythme." Elle lança un morceau à sa compagne, qui l'attrapa entre ses dents blanches. "Personne ne veut de tranches de chevreuil ?"

Xena gloussa et accepta un sandwich au pain de mie, puis elle s'adossa au poteau central de la tente et grignota tranquillement pendant que Gabrielle partageait son déjeuner avec leur progéniture affamée. Le mal de tête qui l'avait assaillie toute la journée s'estompait lentement à mesure qu'elle se détendait, et elle se contenta de prendre le moment tel qu'il était, profitant de la présence de sa famille et du goût épicé et distinctif de la venaison de sa mère.

Dori décida d'essayer une autre victime et quitta sa mère, laissant une série de miettes de pain sur les fourrures pour s’approcher de l'endroit où Xena était assise. Elle s'étira et saisit le bord du cuir de la guerrière à l'endroit où il se courbait sur ses seins pour essayer de se hisser de cette façon.

Gabrielle manqua de grogner.

"Aucun doute de savoir de QUI elle est la fille." fit remarquer sèchement Xena. "Tiens, gamine." Elle proposa à Dori un peu de viande.

"Mm."

"Tu aimes ça, hein ?"

"Bien." Dori reprit sa tentative d'escalade. "Bck."

Xena se pencha un peu en arrière, rendant la pente beaucoup plus facile, et regarda avec amusement et une pointe d’ironie le bébé s'étaler sur elle et grogner joyeusement. "Non, pas du tout. Je n'ai aucun doute". Elle passa un bras sur Dori et souffla doucement. "Elle grogne même comme toi".

"Hum." Gabrielle avait rangé le panier et se rapprochait maintenant d’elle avec sa trousse de guérisseuse. "Quel beau trait maternel je lui ai donné." Elle s'assit et commença son travail avec précaution, coupant le bandage sale et taché de sang. "Dori.... Tu serres ta Boo très fort maintenant, d'accord ? Pour qu'elle se sente mieux."

"Booo." répéta Dori.

Xena détourna le regard, acceptant la douleur et la laissant passer tandis qu'elle écoutait la pluie tomber rapidement sur le toit de la tente. Cela jouerait en leur faveur, puisque cela rendrait difficile le déplacement de l'armée d'Andreas. Et cela lui donnerait, par la même occasion, une chance de se reposer et de guérir un peu avant la bataille qui s'annonçait. Demain, vers le coucher du soleil, Andreas devrait être à portée de tir. Qu'il décide de frapper et de commencer le combat, ou qu'il décide d’attendre l'aube....

Rien ne servait de s'en préoccuper. Le camp était aussi prêt qu'il pouvait l'être, les groupes d'assaut étaient sortis, les fosses étaient creusées, le ravitaillement était assuré... Bennu avait fait du bon travail pendant leur absence et il ne restait plus qu'à...

Attendre, écouter la pluie et apprécier la sensation des petits battements de cœur de Dori contre sa paume. Tourner la tête et admirer le profil sérieux de Gabrielle, tracer les lignes nettes et régulières, encore et encore, tandis que la barde travaillait dans la pénombre.

Gabrielle avait raison, reconnut-elle silencieusement. Il n'y avait plus d'options. Elle enroula son autre bras autour de la taille de la barde et fut récompensée par un rapide éclair d’un regard vert réconfortant avant qu’il disparaisse à nouveau tandis que Gabrielle reprenait son travail.

Des raisons de vivre. Xena baissa les yeux lorsque Dori rota avant que ses yeux ne se ferment doucement, ce qui fit sourire la guerrière.

Une chose à laquelle penser.

****************************

C'était très calme, en cette période d'attente avant l'aube. Un léger brouillard se répandait dans le camp, humidifiant les tissus au passage et étouffant tous les bruits, à l'exception des plus aigus. Sur les remparts, les gardes étaient accroupis en silence, enveloppés dans de lourds manteaux cirés pour se protéger du vent froid, et les groupes de tentes abritant les troupes étaient paisibles, les corps fatigués s'abreuvant du repos qu'ils pouvaient prendre avant la journée qui s'annonçait difficile.

À travers la brume, une silhouette sombre marchait. Le pas lent et puissant faisait rouler des vagues de brouillard de part et d'autre d’elle, bien qu’on l'apercevait à peine dans la lumière vacillante des torches qui bordaient les chemins à l'intérieur du camp. La garde près du pont de la rivière remarqua la présence qui avançait dans le camp et se mit au garde-à-vous, levant le poing en guise de salut, ce à quoi elle répondit par un signe de la main.

Le brouillard obscurcissait le pont de bois, mais le bruit de lourdes bottes résonna sur les planches alors que la silhouette traversait la rivière, disparaissant à mi-chemin de la vue du guet alors qu'elle s'éloignait du camp.

Xena traversa le pont et posa le pied sur le sol des terres autour d'Amphipolis. Elle fit une pause, regardant autour d'elle, puis elle continua sur la route silencieuse. Elle atteignit l'embranchement qui, d'une part, menait à sa ville natale et, d'autre part, descendait le long de la rivière vers un endroit qui avait été autrefois Potadeia, à un jour et demi de marche.

Elle marchait seule, enveloppée dans sa cape et ses souvenirs, lorsque les portes de la ville apparurent, fermées et silencieuses. Elle s'approcha et en poussa une, se glissant à l'intérieur avant de la refermer derrière elle, puis elle s'y adossa en étudiant les ombres à peine éclairées par la lune qui entouraient les bâtiments familiers.

Sa maison.

Xena prit une grande inspiration puis elle avança lentement, les graviers et les pierres crissant sous ses pieds au contact de ses bottes. Elle monta les marches de l'auberge et entra, son regard parcourant l'intérieur silencieux, chaque table vide, les chaises bien rangées contre les murs. Elle continua jusqu'à la cuisine, maintenant dépourvue de tout ce qui pouvait être utile, et dont les feux étaient éteints et froids.

Elle poussa la porte arrière de la cuisine, écoutant le grincement de ses gonds en fer martelé, puis elle traversa le petit jardin que sa mère gardait jalousement, maintenant gris et vide, ses plates-bandes déterrées et récoltées dans leur intégralité pour être utilisées ces prochains jours.

Xena soupira, puis elle continua son chemin, passant devant des bâtiments plus vieux qu'elle, et d'autres si récents qu'elle avait aidé à les construire. Elle passa devant le puits et la grange, puis elle s'arrêta et revint en arrière, passant la tête dans la grande structure et elle esquissa un sourire nostalgique pour son intérieur robuste. Ses yeux se portèrent un instant sur les chevrons. Elle n'avait pas besoin de lumière pour voir les noms gravés sur l'un d'eux. Elle referma la porte et continua sa route, ses pieds trouvant le chemin de sa propre maison sans qu'elle ait besoin d’y réfléchir.

Elle n'y passa pas beaucoup de temps, juste un moment, absorbant l'odeur et la vue de la petite pièce pour les graver dans sa mémoire. Puis elle sortit du chalet, refermant la porte derrière elle avant d'emprunter un petit chemin bordé de pierres, en direction de son véritable objectif.

Ce n'était pas grand. Juste une ouverture en pierre taillée dans la courbe d'une colline en pente, avec un portail en fer qu'elle déverrouilla et ouvrit. Un escalier de pierre menait vers le bas et elle l'emprunta, passant le bout de ses doigts le long du mur et ressentant le froid hivernal qui y régnait. Elle s'arrêta au bas des marches et alluma la torche qui se trouvait dans l'applique à l'intérieur.

L'odeur de l'huile se mêla à celle du renfermé et de l'humidité de la crypte tandis qu'elle s'avançait pour poser ses mains sur le sépulcre de pierre qui abritait les ossements de son frère Lyceus.

"Et bien..." La voix de Xena sonnait étrangement, même à ses propres oreilles, et elle résonnait légèrement sur les murs de la crypte. "Nous revoilà, Ly... là où tout a commencé." Elle se redressa et tourna le dos au cercueil, parcourant la chambre pour toucher les niches destinées aux futurs occupants. "J'ai presque faillit te rejoindre ici, Ly." Elle posa sa main à plat sur la pierre. "Je me demande si maman m'aurait laissée m'allonger ici quand je suis revenue la première fois, si Gabrielle ne m'avait pas suivie.... Tu crois ?"

Xena s'assit sur la dalle. "Je ne pense pas qu'elle l'aurait fait, Ly. Je pense qu'ils m'auraient simplement laissée dans les bois... pour que les loups aient autre chose à se mettre sous la dent que l'un des veaux." Elle posa ses coudes sur ses genoux. "Maintenant, ils me demandent de les diriger à nouveau. C'est bizarre comme le temps peut changer les choses, non ?" Elle étudia ses mains jointes fermement devant elle. "Je suis heureuse que tu n'aies pas vécu assez longtemps pour voir ce que je suis devenue."

Elle se leva et s'approcha du cercueil, avant de contempler la surface gravée. "Mais j'aimerais que tu sois là aujourd’hui."

Xena resta silencieuse un moment, s'appuyant sur la pierre pour réfléchir un moment. "Souhaite-moi bonne chance, Ly." finit-elle par murmurer, avant de se pencher et de presser ses lèvres sur la pierre. Puis elle se redressa et sortit lentement de la crypte, éteignant la torche avant de grimper et de refermer la porte de fer.

L'aube se rapprochait, réalisa Xena en s'appuyant sur le métal froid alors qu’elle regardait le ciel légèrement grisonnant. Avec un soupir, elle se dégagea de la porte et se dirigea vers le sentier désormais rocailleux, marchant entre d'épais arbres centenaires couverts de mousse. Le brouillard s'éparpillait devant ses bottes et le vent faisait bruisser les feuilles fraîches et sèches au-dessus de sa tête, laissant tomber les plus étranges sur ses épaules. Sa jambe était douloureuse, mais elle ne voulait pas y penser et elle refusait de boiter. Alors elle s’appuya normalement sur le membre pour qu'il prenne toute la part de son poids, comme elle savait qu'il devrait le faire dans la bataille qui s'annonçait très, très proche.

Le chemin montait et elle se pencha en avant, resserrant sa cape autour d'elle à mesure que la rosée s'y déposait, l'alourdissant d'humidité.

Enfin, elle déboucha sur un plateau familier où la forêt s'éclaircissait et s'inclinait jusqu'à une source rocheuse, avec sa minuscule chute d'eau. "Eh bien..." Elle détacha sa cape et la plia soigneusement, avant de la mettre de côté pour ne garder qu'une tunique légère en lin et ses bottes. Elle avait toujours eu un rituel personnel avant les grandes batailles, et ce n'était pas le moment de changer cela. Prendre un bain chauffé n'était pas envisageable, pas ce matin, pas alors que tout le monde se démenait pour s'organiser, mais ici, elle avait une belle et grande baignoire.

Malheureusement, il faisait un froid glacial, mais... Xena leva une botte et commença à la délacer. Elle la retira, ainsi que sa chaussette, puis elle fit de même avec l'autre avant de se lever et de desserrer la ceinture de sa tunique. Elle la retira avant d’enlever sa tunique et d’exposer sa peau à l'air humide et froid.

Elle inspira alors profondément, puis elle fit un pas en avant et plongea dans la source, tout son corps tressaillant en réaction à la température glaciale. Elle remonta à la surface en haletant et aspira l'air à pleins poumons, alors que des frissons la parcouraient et que son corps tentait de s'adapter à son nouvel environnement.

Une longue expérience la poussa à se mettre en mouvement, nageant d'avant en arrière à travers la source avec des mouvements puissants jusqu'à ce que son cœur commence à pomper du sang chaud à travers elle, et que le froid mordant recule, passant d'insupportable à simplement inconfortable au bout de quelques minutes.

D'accord. Xena retourna à l'endroit où elle était entrée dans la source et elle récupéra le savon, puis elle commença à se frotter de tous les côtés.

Un rituel.

Ce penchant étrange qu'elle avait d’entrer dans une bataille parfaitement propre, son corps débarrassé de la saleté et de la sueur qui recouvrirait sûrement chaque centimètre d'elle alors que le combat n'en serait qu’à ses débuts. Xena se nettoya soigneusement les mains, puis elle frotta la peau de ses avant-bras et de ses épaules, faisant mousser le savon parfumé aux herbes. Elle continua en se lavant la nuque et le visage, puis elle se pencha pour rincer le savon de ses yeux.

Elle fit ensuite mousser le savon sur ses longs cheveux noirs, puis elle nettoya le reste de son corps avant de se soulever hors de l'eau pour couper le bandage autour de sa jambe et laisser l'eau rincer la vilaine blessure qu'elle nettoya ensuite soigneusement.

Ow. Xena soupira en replongeant sa jambe dans l'eau et en regardant l'entaille qui venait de se remettre à saigner tacher le liquide clair. La peau autour de la coupure était gonflée et douloureuse au toucher, mais la douleur s'atténua un peu lorsque l'eau froide ondula sur elle.

Elle se nettoya encore un peu, puis elle se dirigea vers la petite cascade, un solide ruissellement qui remplissait la source. Elle se plaça sous la cascade et laissa l'eau claire la rincer.

Malgré la fraîcheur, elle se sentait merveilleusement bien. La douce pression de l'eau vibrait contre ses épaules, l'imprégnant de son parfum propre et vif. Elle ouvrit la bouche et en but un peu, goûtant la combinaison unique des minéraux qui remplissaient également l'eau de leur puits et qui résonnaient en elle comme une partie de son foyer, comme cette source qu'elle connaissait depuis l'enfance.

Xena appuya sa tête contre le rocher et se plongea dans ses souvenirs. Elle se rappela avoir appris à Lyceus à nager ici, tenant son petit corps alors qu'il donnait des coups de pied et crachait, n'ayant jamais été aussi à l'aise dans l'eau qu'elle l'avait été.

Et Dori, qui avait appris à nager dans cette même piscine naturelle, à la chaleur de l'été. Sa petite tête frôlant la surface tandis qu'elle barbotait avec détermination, se maintenant à la surface avec ses petits bras et ses petites jambes.

Xena sourit, but une autre gorgée, puis elle ouvrit les yeux et regarda la surface de granit, sculptée au fil des ans en pentes douces et en courbes arrondies par la poussée incessante de l'eau.

Elle passa son pouce sur le rocher, s'émerveillant de voir comment sa dureté impénétrable pouvait être façonnée par quelque chose d'aussi doux et malléable que la source, pour lui donner l'image dont celle-ci avait besoin pour achever sa course. Le rocher n'avait jamais eu la moindre chance, songea-t-elle. L'eau était aux commandes, changeant le granit et le modelant à sa guise.

Comme la vie nous façonne, parfois.

La lumière de l’aube filtrait à travers les feuilles, captant les reflets de l'eau. Xena baissa lentement les yeux vers la zone de paillettes fracturées à la surface qui contenait son image dans un millier d'ondulations différentes. Elle recula d'un pas et se tourna vers une partie plus calme de la source pour étudier la forme qui se reflétait dans la lumière du matin.

Une grande silhouette sauvage la regardait, nue et mouillée, sa crinière de cheveux sombres s'enroulant autour d'un visage sévère et encadrant des yeux bleus froids et distants. Le corps était long et mince, les muscles fermes et évidents, avec des jambes puissantes et des épaules larges et tendues qui descendaient jusqu'à des poignets épais et des mains fortes.

Des cicatrices éparses, en forme de traces d'araignée se dessinaient sur la peau bronzée, et un seul petit bout de couleur chaude ressortait, son nouveau tatouage qui ornait la douce pente de son sein gauche.

Pour quoi la vie t'a-t-elle façonnée, Xena ? Les lèvres du reflet tressaillirent. Un poète ? Un marchand ? Xena rit silencieusement d'elle-même en écartant les bras dans la lumière grandissante de l'aube. Non.

Accepte ce que tu vois. Elle rencontra les yeux bleus dans le reflet. Accepte ce que tu es.

Sois la guerrière dont cette armée a besoin pour la mener à la victoire.

Xena laissa les premiers rayons de soleil la réchauffer et elle tourna son visage vers la brise de l'aube, sans bouger, à moitié immergée dans la source. Elle inspira profondément, puis elle relâcha son souffle avant de marcher jusqu'au bord de la source et de se hisser hors de l'eau, secouant vigoureusement son corps, avant d'enfiler sa tunique de lin et de la ceinturer. Un instant de plus pour enfiler ses chaussettes et ses bottes, et elle redescendit le sentier vers la rivière, d'une marche qui se transforma en une longue foulée, puis en une véritable course alors que le soleil se levait et peignait le ciel d'une nouvelle aurore.

****************

"Maman". Dori plongea ses deux mains dans la bassine d'eau, ce qui aspergea la barde.

"Mm..." Gabrielle essuya l'eau de ses yeux et de ses cheveux. "Merci, chérie... maintenant, ne bouge pas."

"Non." Dori se tortilla dans tous les sens, essayant tant bien que mal de nager dans le bac. "Bck !" Elle éclaboussa à nouveau Gabrielle, riant furieusement lorsque sa mère glapit.

"Allez, ma chérie... J'ai déjà pris mon bain." reprit la barde en essayant de la calmer. "Tu as intérêt à être sage ou je le dis à Boo." l'avertit-elle en plaisantant, ce qui fit soudainement écarquiller les yeux de la petite avant qu’elle ne s’assoit et ne se tienne immobile en la regardant. "Boo ne t'emmènera pas voler si tu n'es pas sage... tu te souviens ?"

"Boo". Dori ramassa un de ses jouets qui flottait dans l'eau et le mordilla, restant cependant docilement immobile pour sa maman pendant que celle-ci la lavait.

"Voilà, c’est très bien Dori !" Gabrielle se pencha vers elle et lui embrassa la tête.

"Bck". Dori tendit la main et attrapa une mèche de cheveux blonds à proximité, avant de tirer dessus d'un air déterminé. "Bien !"

"Aïe." Gabrielle dégagea les petits doigts. "Chérie, ça fait mal." Elle repoussa ses cheveux derrière ses oreilles et finit de frotter sa fille. "Comment fais-tu pour te salir autant ? Tu es comme Boo, tu le sais ? Tu attires la boue comme un chien attire les puces".

"Growf." Les oreilles d'Arès se dressèrent. Il était arrivé quelques minutes plus tôt, causant du grabuge lorsque Dori l'avait repéré et s'était précipitée hors de son berceau pour aller attraper et saluer son compagnon de jeu à fourrure.

"Boobooboobooboo..." répondit Dori en chantonnant, sautant un peu dans l'eau et l'envoyant éclabousser les parois de son petit bassin. "Boo !" Une main minuscule pointa impérieusement le bout de son nez.

"Oh... laisse-moi deviner." Gabrielle avait déjà senti la présence derrière elle. "Ça ne peut pas être ta Boo, n'est-ce pas ?"

"C'est possible." Répondit la voix grave de Xena, tandis que la guerrière s'approchait en détachant sa cape. Elle trempa un doigt dans l'eau du bain et éclaboussa un peu son âme sœur.

Gabrielle se renfrogna. "Maintenant je sais d'où elle tient ça." Elle leva les yeux, puis elle se retourna et regarda sa compagne pendant un long moment. "Tu es toute mouillée." finit-elle par murmurer, en prenant connaissance de l'énergie nerveuse qu'elle pouvait presque sentir se dégager du corps de Xena, qui se déplaçait avec agitation.

"Je me suis lavée." répondit Xena, en se tournant vers leur caisse de fournitures avant de retirer sa cape, puis sa tunique humide.

Gabrielle regarda la forme nue d'un air pensif. "Tu sais, chérie... Je suis sûre qu'ils t'auraient apporté de l'eau chaude si tu l'avais demandé." commenta-t-elle avant de retourner à sa tâche. "Il devait faire froid dans la rivière."

"Je ne suis pas allée à la rivière." répondit la guerrière en retirant les pièces de son armure et en les posant soigneusement. "Je suis allée à notre source."

"Ugh." Gabrielle grimaça. "C'est pire... c'est glacial même en été." Elle sortit Dori de l'eau et l'installa dans un grand morceau de lin doux, avant de sécher la petite qui riait et qui se tortillait dans tous les sens. "Hé... arrête ça, Dori... tu vas tomber."

"Ce n'était pas trop embêtant." Xena passa par-dessus sa tête le sous-vêtement rembourré qu'elle portait sous ses cuirs. "Je voulais juste réfléchir quelques minutes... Je me suis promenée en ville." Elle se retourna enfin et croisa le regard interrogateur de Gabrielle. "J'ai rendu visite à Lyceus."

Les lèvres de la barde se serrèrent en signe de compréhension, tandis qu'elle enfilait à Dori l'une de ses tuniques les plus chaudes. Elle posa la petite et la regarda s'approcher du corps d'Arès. "Dori... sois gentille."

"Urgle". Dori atteignit son objectif et s'écroula sur le loup paniqué. "Ruff !"

Arès gémit et jeta un regard pathétique à Gabrielle alors que la petite lui tirait les oreilles.

"Désolé, Arès." gloussa la barde. " Hé... " Elle reporta son attention sur sa compagne. "Laisse-moi te refaire un bandage." Elle s'approcha et posa un genou à terre avant d’attraper la trousse posée près de la boîte. "Mmm... ça a l'air d'aller beaucoup mieux, chérie."

Xena jeta un coup d'œil surpris vers le bas et cligna des yeux devant la plaie maintenant presque refermée. L'enflure avait disparu et la peau avait retrouvé sa couleur normale. "Oui..."

Gabrielle lui tapota la jambe. "Il a juste fallu un peu plus de temps pour que la magie fasse son effet, je suppose." Elle étala un peu de pommade sur la partie encore ouverte de la plaie, puis elle l'entoura d'un bandage soigné avant de se pencher en avant et d'embrasser légèrement la peau, avec un sentiment de soulagement. "Tu dois te sentir mieux... par les Dieux, ça a dû te rendre folle."

Xena regarda la blessure en silence. "C'est vrai." répondit-elle finalement d'une voix pensive. "Peut-être plus que je ne le pensais." Ses doigts touchèrent légèrement la peau au-dessus du bandage blanc.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda la barde en se levant et en posant une main hésitante sur le ventre de sa compagne. Elle étudia le visage anguleux de cette dernière et tenta de cerner la différence qu'elle pouvait ressentir, à la fois étrange et très familière.

Xena se retourna, ramassa ses cuirs noirs, puis les enfila et les remonta sur son corps, avant d’ajuster la coupe et les bretelles. "J'ai compris que je ne pourrais jamais combattre Andreas si je n'arrêtais pas d'abord de me combattre moi-même."

Gabrielle ajusta la pièce arrière du cuir et attacha la boucle latérale tout en réfléchissant à ses prochains mots. "Je sais que ça te travaille." Elle fit le tour de l'autre côté et ferma l’autre boucle. "Et que tu as quelques doutes."

"Mm."Xena fixa ses protections de cuisses à ses cuirs avant de les attacher, puis elle mit en place son armure de jambe sur ses genoux et ses bottes. "Mais je ne peux pas avoir ni l'un ni l'autre si je veux réussir, Gabrielle." Elle se retourna et attrapa une des protections de ses avant-bras, avant de faire face à sa compagne. "Cela signifie que je dois faire la paix avec cette partie très sombre de moi avec laquelle je lutte depuis le mois dernier."

La barde commença à lacer la protection. "L'accepter, tu veux dire."

Xena acquiesça.

Gabrielle croisa le regard de sa compagne, où brûlait un feu désormais familier. "Et tu l'as fait."

La guerrière hocha la tête à nouveau. "J'en ai besoin, Gabrielle. C'est ce qui fait de moi ce que je suis."

Gabrielle sourit, juste un peu, et tapota la surface recouverte de cuir devant elle. "Xena... je le sais. Je l'ai toujours su." Elle fit une pause avant de reprendre "Parfois, je pense que tu essaies de prétendre le contraire, parce que tu crois que cette partie de toi nous éloignera l'une de l'autre."

"N'est-ce pas le cas ?"

"Non." La voix de la barde devint très sérieuse. "Les mensonges et la peur nous ont séparées." répondit-elle dans souffle. "Et l'amour et la foi en l'autre nous ont réunies."

Xena finit d’ajuster son brassard puis elle attrapa son armure de cuivre, la souleva au-dessus de sa tête et l'installa sur ses épaules. Elle mit ensuite en place les protections supplémentaires au niveau de ses poignets puis elle leva un coude pour que Gabrielle puisse accéder à la boucle de l’autre côté. "Je suppose que c'est vrai." reconnut-elle doucement. "Même dans les pires moments."

Gabrielle acquiesça. "Surtout dans les pires moments." Elle tapota Xena sur le côté. "Je vais aller nous chercher un petit-déjeuner, puis je m'équiperai... tu veux bien garder un œil sur Dori pendantce temps, s’il te plaît ?"

"Bien sûr." répondit la guerrière avec une légère pointe d'ironie. "Donne-moi les choses difficiles à faire." Elle ébouriffa les cheveux de Gabrielle. "Apporte-moi un double de ce qu'ils ont... Je meurs de faim." Elle regarda Gabrielle s'esquiver à l'extérieur de la tente, puis elle souleva son épée dans son fourreau et l'attacha aux pinces le long de son dos.

"Boo !" Dori renonça à jouer avec Arès sur le sol en terre battue et elle s'approcha en trottinant, attrapant le bord de l'armure de la jambe de Xena avant de se hisser sur la botte de la guerrière. "Va voler !"

"Voler, hein." Xena se mit à genoux et prit les mains du bébé, les détachant de ses plaques d'armure. "Pas pour l'instant, gamine... J'ai trop d'accessoires sur moi."

Dori fronça les sourcils, puis elle tendit la main vers l'armure d'épaule de Xena et tira dessus avec un petit grognement. "Mauvais."

"Non." Xena la souleva et la prit dans ses bras, surprise de constater que Dori tenait à peine sur la longueur de son bras. "Tu deviens grande, hein ?" Elle chatouilla le pied de l'enfant, qui lui donna un coup de pied en retour alors que Dori se renfrognait. "Mon armure n'est pas mauvaise, Dori... elle m'empêche de me faire mal."

"Bck". Dori suça un doigt. "Va voler !" dit-elle en regardant Xena avec espoir.

Oh là là. "Je vais te dire." La guerrière négocia sérieusement. "Quand maman sera revenue avec le petit déjeuner, tu pourras venir dehors avec moi, et nous verrons alors, d'accord ?"

La petit afficha un air renfrogné. "Maintenant !"

"Dori." Xena baissa le ton. "Sois sage."

La petite fit la moue, puis elle trouva une attache intéressante sur l'armure métallique de Xena et commença à essayer de la détacher, fascinée par l'objet brillant.... La guerrière l'observa avec indulgence, puis elle se dirigea vers son étui à armes et en retira son chakram, qu'elle rangea dans son clip de ceinture avant d'y ajouter trois dagues supplémentaires.

Elle s'assit ensuite sur le lit et posa Dori sur ses genoux, avant d’étudier attentivement sa fille. "A quoi la vie va-t-elle te former, Dori ?" Songea-t-elle, tandis que la petite rebondissait un peu sur sa jambe. "Tu seras une conteuse d'histoires, comme ta maman ?"

"Maman". Dori saisit fermement le cuir devant elle. "Gumph !"

"Tu devras d'abord apprendre un peu plus de mots, je suppose.... Mais je parie que tu seras douée pour ça." lui dit Xena. "Ou tu pourrais tenir une auberge, comme le fait ta grand-mère. Ça te plairait ?"

"Fug." Dori saisit un morceau de l'armure de cuir de Xena et commença à tirer dessus. "Gogogogogogo" Elle enfonça ses talons dans la jambe de la guerrière comme si elle était un poney.

"D'accord... peut-être une dresseuse de chevaux alors." gloussa la guerrière. "Tu aimes les chevaux, n'est-ce pas ?"

Les yeux de Dori s'illuminèrent. "Encore !"

Xena se mit à rire, ressentant un sentiment de paix intérieure qui lui avait manqué depuis que les problèmes avec Andreas avaient commencé. Elle fléchit sa jambe, faisant rebondir Dori de haut en bas, la faisant crier de plaisir. "Comme ça, hein ?" dit-elle en souriant à sa fille.

"Boo !" Dori se mit debout et se tortilla le long de la poitrine de Xena, se servant de son armure pour escalader tandis que la guerrière se penchait en arrière, incapable de s'arrêter de rire. Elles se retrouvèrent nez à nez, les yeux vifs et alertes de la petite regardant attentivement ceux, plus profonds et grands, de Xena.

"Qu'est-ce que vous faites toutes les deux ?" retentit la voix de Gabrielle.

Dori tourna la tête. "Maman !" Elle pointa sa victime du doigt. "Boo !"

La barde regarda la guerrière et sourit, tout en posant un paquet emballé. "C'est sûr, chérie... maintenant viens." Elle prit sa fille dans ses bras. "Les avant-postes ont été attaqués cette nuit, Xena."

La guerrière se leva, tout d’un coup très sérieuse. "Quand l'ont-ils découvert ?" demanda-t-elle alors qu’elle attrapait sa cape.

"A l'instant... mais ça va. Elles les ont repoussés... deux Amazones ont été blessées, mais elles sont surtout un peu secouées." Gabrielle déposa Dori et attrapa le bras de sa compagne. "Alors... attends une minute, et mets quelque chose dans ton organisme pendant que je me change... ensuite nous pourrons déposer Dori chez maman, et aller voir ce qui se passe, d'accord ?"

Xena hésita. "Change-toi vite. Nous mangerons en chemin." dit-elle finalement en faisant un compromis. "Je veux connaître les détails tant qu'ils sont frais." Elle sentit son esprit se mettre en marche et un frisson sombre parcourut sa peau. "Je veux lancer une contre-attaque. Plus elle sera sanglante, mieux ce sera."

Gabrielle vit l’ambiance dans la tente changer et se refroidir alors même que les paroles de Xena devenaient plus abruptes et contrôlées. L'indécision qu'elle avait constatée hier avait disparu, remplacée par une détermination sans faille qui faisait résonner des souvenirs de batailles dans son esprit. "Très bien." Elle se retourna et se dirigea vers son armure bien rangée. "Pourquoi ne ferais-tu pas un tour pendant que je fais ça ?" Elle retira sa tunique et enfila son surcot matelassé, attachant rapidement les boucles, avant de placer l'armure autour d’elle et de l’ajuster. "Xena ?".

"Oui ?" Le mot résonna presque à son oreille et Gabrielle sursauta, puis elle se retourna lorsqu'une main se posa sur son épaule.

"Tu sais que je déteste quand tu fais ça." répondit-elle en lançant un regard à sa compagne.

Xena se contenta de sourire et ajusta l'armure, la remettant correctement sur les épaules de la barde avant de boucler la ceinture devant. "Voilà." Elle coupa sa pâtisserie en deux et en offrit une partie à Gabrielle, qui la prit entre ses dents tout en enfilant ses bottes. "C'était tous les avant-postes ?"

"Deux d'entre eux." Marmonna Gabrielle la bouche pleine tout en finissant de lacer une botte avant de commencer l'autre. "Les deux plus éloignés... mais ils étaient si proches qu'il était presque trop tard quand l'alerte a été donnée." Elle avala sa bouchée, puis elle se pencha et prit Dori dans ses bras. "Allez, chérie... c'est l'heure d'aller jouer avec grand-mère."

Dori se renfrogna et pointa Xena du doigt. "Boo ! Voler !"

"Pas maintenant." Xena lui tapota la joue. " Boo doit aller travailler, chérie. "

Le visage du bébé se décomposa de façon presque comique, et elle fit la moue, recroquevillant un poing près de son menton avant de s'appuyer contre le corps chaud de Gabrielle. "Tu lui as promis ?" demanda la barde à sa compagne.

"Gabrielle." Xena finissait de préparer un sandwich. " J'allais le faire, oui, mais c'était avant que tu ne reviennes. Je n'ai pas le temps pour ça maintenant." La guerrière leva les yeux pour découvrir deux paires d'yeux verts qui la fixaient sérieusement. "Au cas où tu l'aurais oublié, nous sommes en guerre." Elle attrapa sa cape. "Allez, viens."

La barde soupira. "Je sais... Je sais... Allez Dori. On jouera avec toi plus tard... d'accord ?" Elle caressa le dos de la petite pour la calmer un peu et suivit son âme sœur hors de la tente.

Dehors, l'atmosphère était électrique et elle le sentait. Elle regarda Xena se redresser et passer sa cape autour de ses épaules, le tissu épais faisant ressortir son corps en armure. Cyrène s'approcha en trottinant et tendit les bras.

"Voilà... Je m'occupe d'elle, Gabrielle... Je sais que vous avez toutes les deux beaucoup de travail à faire."

Dori s'accrocha à elle, en se mettant à pleurer. "Hé... hé... c'est juste grand-mère." Gabrielle la regarda avec anxiété. "Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Maman". Les mains de Dori s'agrippèrent à elle. "Pars pas."

"Chut." La barde embrassa sa tête et caressa son petit visage. "Chérie... nous reviendrons te chercher dans un petit moment... tout va bien." Les yeux verts larmoyants la regardèrent avec incertitude. "Je te le promets... et Boo volera avec toi, d'accord ?"

Dori renifla. "Maman."

Xena se retourna, alors qu’elle avait déjà commencé à avancer. "Gabrielle... " l’appela-t-elle, impatiente. "Qu’est.. " La barde la rejoignit brusquement. "Qu'est-ce qui se passe..."

"Bouge." répliqua Gabrielle en la bousculant, faisant sursauter son âme sœur. "Allez... tu as dit que tu étais pressée, alors bouge."

"Gabrielle..." Xena reprit son équilibre et leva les deux mains. "Whoa." Elle jeta un coup d'œil sur la silhouette de sa mère qui disparaissait avec la petite. "D'accord, attends... quel est le problème ?"

Gabrielle la dépassa, ses bottes heurtant le sol boueux. "Je n'ai aucun problème, Xena. Je comprends que nous soyons en guerre. Je comprends l'importance de tout ce que nous faisons. Je comprends tout ça." Elle s'arrêta et se retourna, la colère facilement lisible sur son visage. "Mais elle ne le comprend pas. Ce n'est qu'un bébé et les bébés ne comprennent pas la guerre." Elle tourna les talons et continua à marcher.

Xena la suivit en trottinant et la rattrapa sans trop de difficultés. "Écoute, Gabrielle..."

"Ne commence pas." répliqua la barde furieusement. " Par les Dieux, je sais que c'est ridicule. Je suis parfaitement consciente de la stupidité de la situation. Du fait que je sois en colère parce que mon bébé est contrarié. Mais je ne peux pas m'en empêcher, Xena... je suis comme ça. J'ai de la compassion pour les gens. Je compatis pour toi, pour les soldats, pour les animaux, et pour ma petite fille, qui est anxieuse, effrayée, et qui ne sait pas ce qui se passe. Merde.".

Elles marchèrent dans un silence inconfortable, Xena étudiant ses bottes qui s'enfonçaient dans la boue à moitié séchée. Elle ne savait pas quoi dire, mais après quelques pas, elle cassa son sandwich en deux et en offrit une partie à la barde renfrognée. Gabrielle le regarda, puis elle leva les yeux vers elle. Xena garda une expression ouverte et leva un tout petit peu les sourcils dans l’expectative.

Après un long moment de tension, la barde tendit la main et prit l'offrande, la tension de son corps disparaissant progressivement alors qu'elle examinait la viande et le pain. Finalement, elle en grignota un coin, puis elle jeta un coup d'œil à la guerrière qui attendait tranquillement. "Je ne sais pas vraiment d'où ça venait."

Xena prit une bouchée de son propre petit déjeuner. "Tu prends toujours la défense des opprimés, Gabrielle... surtout de ceux qui ne peuvent pas parler pour eux-mêmes." commenta-t-elle doucement. "Je me rattraperai auprès d'elle. Je le promets."

Gabrielle souffla puis elle se rapprocha un peu plus de sa compagne. "Je n'aurais pas dû m'en prendre à toi comme ça. Je suis désolée, Xena." La guerrière passa un bras autour de ses épaules. "Ce n'est pas une bonne façon de commencer la journée." Elle leva les yeux pour voir deux hommes courir vers elles, puis elle entendit des cris qui commençaient à s'élever des remparts.

Le vent lui apporta l’odeur du sang.

Gabrielle prit une profonde inspiration. Ce n'est pas du tout une bonne façon de commencer la journée.

**********

Elles arrivèrent aux hauts remparts et Xena bondit sur les plates-formes en forme de marches construites à l'arrière, atteignant rapidement le niveau supérieur avant de jeter un coup d'œil par-dessus la barricade. Un petit groupe de cavalières Amazones se dirigeait vers les barricades, poursuivi par une formation plus importante de soldats à cheval qui tiraient à l'arbalète. "Premier groupe, en selle !" cria la guerrière. "Préparez-vous à ouvrir les portes."

Les combattants se préparèrent rapidement, ajustant leurs armes tout en dirigeant les chevaux rapidement préparés près des portes. Un groupe de vingt personnes se forma et attendit, les mains crispées sur les rênes et sur leurs armes, attentifs au prochain signal de Xena.

Elle évalua la distance, observant attentivement l'espace qui se réduisait lentement entre les deux groupes alors que les chevaux des Amazones se fatiguaient. Deux d'entre elles chevauchaient sur le même cheval et elle pouvait voir que les autres Amazones portaient des marques de combat, les taches de sang devenant évidentes à cette distance. "Tenez-vous prêts…" Elle leva la main vers les quatre grands hommes qui se trouvaient de part et d'autre des portes, les mains enroulées autour d'épaisses cordes.

Encore un peu... "Allez... allez... " murmura Xena. Puis lorsque les poursuivants franchirent une ligne imaginaire que ses yeux avaient tracée, elle laissa tomber son bras.

"Allez !"

Les portes s'ouvrirent, pivotant sur des charnières en fer récupérées lors d'un raid lointain et stockées dans la vallée avec le reste de ses affaires de Seigneur de Guerre. Les troupes s'élancèrent vers l'avant, passant rapidement au galop après avoir franchi les portes, et descendirent la pente aménagée dans les défenses. Elles contournèrent une butte et foncèrent droit sur les assaillants, qui ne les virent pas pendant de longues secondes, avant de tenter de se ressaisir.

Pas à temps. Les troupes de Xena passèrent à côté des Amazones fatiguées et attaquèrent, les épées tranchant les défenses ennemies alors qu'elles tentaient de faire demi-tour.

Xena sourit, puis elle sauta sur le haut du mur pour regarder les attaquants se faire découper alors qu’ils étaient maintenant en infériorité numérique. Deux d'entre eux réussirent à se dégager et tentèrent de fuir, entraînant leurs chevaux dans un galop soutenu. Xena se retourna et tendit la main à l'archer le plus proche. "Donne-moi ça."

"Ils sont trop loin, Genr'l !" mais l'homme lui tendit quand même l'arme.

Xena choisit une longue flèche dans son carquois puis elle souleva l’arc et l’arma tandis qu'elle ramenait la longue corde en boyau jusqu'à son oreille. Pendant un moment, elle resta totalement immobile, puis ses doigts libérèrent la flèche.

Le cavalier de tête sursauta et tomba en avant sur l’encolure de son cheval.

Xena choisit paresseusement une deuxième flèche et prit son temps pour viser, observant le deuxième cavalier paniqué, qui essayait de se cacher le plus bas possible sur son cheval. Elle évalua le vent, puis elle choisit un point sur lui et elle lâcha la flèche, s'imaginant presque entendre le son de l'impact lorsque la fine tige pénétra le côté de son armure et entra dans sa poitrine. Il s'affaissa sur le côté, puis il fut abattu par l'un des soldats qui l’avait rattrapé.

Xenarendit l'arc au soldat stupéfait, puis elle sauta du mur et se dirigea vers la plate-forme suivante, observant les Amazones trotter d'un pas las à l'intérieur des portes et être accueillies par certaines de leurs sœurs, ainsi que quelques membres de la milice. "Que s'est-il passé ?"

La première jeta un coup d'œil autour d’elle, puis se redressa en réalisant qui avait posé la question. "Après ce qui s'est passé la nuit dernière, Gillen ne voulait prendre aucun risque. Ce groupe nous a surpris de l'autre côté de cette bande de forêt... pas de chance, je crois que nous avons contourné un côté et qu'ils ont contourné l'autre en même temps."

La guerrière acquiesça. "D'accord." Puis elle la regarda plus attentivement. "Va te faire soigner." Xena laissa échapper un sifflement, puis elle sauta au sol alors qu'Argo arrivait au trot sans sa selle. Elle sauta alors rapidement sur le dos de la jument et enroula ses longues jambes autour de ses flancs avant de la pousser à travers la porte vers l'endroit où ses troupes s'affairaient.
Gabrielle prit une grande inspiration, les tripes encore retournées par ce qui venait de se passer, puis elle s'approcha de l'endroit où les Amazones étaient en train de descendre de cheval et récupéra deux paires de rênes pour tenir les chevaux. "Quelqu'un est blessé ?"

"Juste des égratignures." grogna la chef du groupe. "Et Tereme, ici... elle a reçu une flèche dans le dos." L'Amazone était penchée sur l’encolure de son cheval, le visage crispé par la douleur. "Josa, aide-moi à la descendre."

Gabrielle s'avança. "Je vais le faire." Elle aida l'Amazone blessée à descendre de son cheval et la retint lorsque ses jambes se dérobèrent, alors qu’une giclée de sang chaud, à l'odeur cuivrée, recouvrait les mains de la barde qui essayait de la stabiliser. "J'ai besoin d'une civière !"

"Je m'en occupe." L'un des villageois accourut et Gabrielle fit s'allonger la blessée sur le ventre sur l'engin rudimentaire, puis elle regarda les villageois l'emmener vers l'endroit où les guérisseurs avaient installé un hospice.

"Gabrielle..." Ephiny s'approcha. "Je pense que nous devrions envoyer des renforts aux avant-postes... On dirait qu'elles sont en train de se faire battre."

Gabrielle réfléchit. "Peut-être, mais laisse-moi en parler à Xena. Il est possible qu'ils attaquent ces sites juste pour essayer de nous attirer." Elle jeta un coup d'œil vers les portes ouvertes, observant les troupes revenir au galop, ramenant avec elles les chevaux capturés. "Je reviendrai vers toi rapidement à ce sujet."

"D'accord, mais c'est un peu dur que nous soyons les seules à subir des pertes." lui rappela Ephiny. "Il y a surtout des Amazones dans ces avant-postes."

La barde la regarda. "Ephiny, tu connais le plan de bataille. Elles sont là parce que Xena les utilise comme troupes d'attaque et de fuite rapides. Et les Reines ont convenu que c'était la meilleure façon d’utiliser les forces de la Nation." Elle reprit son souffle. "Ne t'inquiète pas... tout le monde ici aura l'occasion d'être en danger." Gabrielle se retourna lorsque Xena arriva à cheval. "Tout le monde va bien ?"

La guerrière acquiesça. "Très bien." Elle se redressa. "Ephiny, personne ne sort en groupe de moins d'une douzaine de personnes. Je ne veux pas d'autres cibles faciles."

La Régente acquiesça. "D'accord."

"Gabrielle... dis aux non-combattants de retourner à l'abri près du gué. Il y a une protection là-bas s'ils commencent à lancer des boules de feu sur nous."

"D'accord." acquiesça la barde sur un ton impassible. "Penses-tu qu'ils seront là aujourd'hui ?"

Xena fit tourner Argo proprement et regarda fixement les portes. "Ce soir." répondit-elle "Mais il y aura des problèmes avant." Elle montra du doigt une brume à l'horizon. "Ils brûlent notre couverture."

Ephiny pencha la tête. "Devrions-nous prévenir les avant-postes ?"

Des yeux bleus et glacés la regardèrent. "Non. Ils ont leurs instructions." déclara Xena d’une voix froide, avant de donner un coup de talon dans les flancs d'Argo et de la diriger vers la zone de cantonnement des chevaux où son matériel attendait, laissant Ephiny et Gabrielle derrière elle.

La barde prit une profonde inspiration, puis la relâcha. "Je savais que ça allait arriver." Elle hésita. "Mais je n'étais pas encore prête." Elle sentit la main d'Ephiny se poser sur son épaule. "J'avais oublié ce qu'était ce côté d'elle."

La Régente lui jeta un regard compatissant. "La situation l'exige."

"Je sais." Gabrielle releva la tête. "Mais cela ne veut pas dire que je dois aimer ça." Elle remit son armure en place. "Je vais aller chercher mes affaires et dire à Cyrène de mettre tout le monde à l’abri... puis nous pourrons commencer à acheminer les armes vers le mur depuis la zone de ravitaillement." Elle se retourna et se dirigea vers la tente de commandement, retournant les salutations pressées en se faufilant entre les soldats qui couraient, avant de se glisser sous le tissu et d’entrer dans leur tente sombre et silencieuse.

Elle resta debout pendant une minute pour laisser ses nerfs se calmer un peu. "D'accord, Gabrielle." Elle secoua la tête. "Il faut que ça arrive, alors souviens-toi que ça ne durera pas éternellement et qu'elle ne sera pas toujours comme ça." Elle prit une grande inspiration, puis elle relâcha son souffle, mais elle ne put empêcher l'écho du chagrin qu'elle avait ressenti de résonner en elle, lui rappelant la période douloureuse où elles s'étaient éloignées l’une de l’autre. "Oh, par les Dieux."

C'était une période tellement horrible. Elle se couvrit le visage des deux mains et se coupa du monde, concentrée sur les pensées effrayantes qui l’avaient traversée, sachant qu'elles ne servaient à rien d'autre qu'à lui faire du mal. "Ça va aller... " se murmura-t-elle à elle-même. "Sois forte, Gabrielle... tu ne peux pas perdre la tête maintenant." Elle sentit la panique se dissiper lentement, très lentement. Ses épaules se détendirent, puis elle laissa retomber ses mains et se redressa. Elle attrapa son bâton et se tourna pour quitter la tente.

Une forme grande et silencieuse lui barrait le chemin, l'obligeant à s'arrêter et à regarder fixement la silhouette devant elle. Les mots se bloquèrent dans sa gorge lorsqu'elle rencontra les yeux bleus de sa compagne. "Urk".

"Hé." dit la guerrière d'une voix rauque. Elle leva une main et serra doucement le cou de Gabrielle, avant de frotter son pouce sur la joue douce de la barde. "Je suis toujours là."

Gabrielle se mordit l'intérieur de la lèvre jusqu'à sentir le goût du sang, puis elle leva les yeux vers une paire d’yeux qui lui étaient maintenant chaleureusement familière. "Je le savais." chuchota-t-elle. "C'était juste un tel... c'est arrivé si vite, je..." Elle détourna le regard, alors que ses doigts se resserraient sur le bois de son bâton. "Je n'ai pas eu le temps de m'adapter."

Xena l'attira plus près d'elle et l'entoura de ses deux bras, l'embrassant tendrement sur la tête. "Nous avons traversé trop d'épreuves, Gabrielle... Toi et moi savons à quel point ce que nous avons est fragile." Elle releva le menton de la barde et l'étudia sérieusement, sentant le corps de Gabrielle se détendre lentement et son expression tendue s'éclaircir. "Il m'est difficile de trouver un équilibre entre ce que je sais devoir faire et l'impression que cela donne aux gens que j'aime vraiment, vraiment beaucoup, mais je vais faire de mon mieux pour essayer de ne pas te blesser."

Pourquoi n'avons-nous pas pu parler comme ça la dernière fois ? Gabrielle soupira intérieurement. "Je t'aime." répondit-elle simplement. "Merci de m’avoir dit ça." Elle pose sa main sur le ventre de Xena, sentant sa chaleur sous le cuir. "Je ne sais pas pourquoi j'ai été si secouée... Je t'ai dit plusieurs fois qu'il était bon d'utiliser tous les avantages que nous avons contre Andreas... et lorsque tu le fais,  je m'effondre. Ça n'a pas beaucoup de sens."

Xena lui embrassa à nouveau la tête. "Tu peux le comprendre, Gabrielle, mais cela ne veut pas dire que tu aimes ça."

La barde réussit à émettre un léger gloussement. "Tu me connais."

"Je te connais."

Le monde se redressa. "Ephiny s'inquiète pour les avant-postes... elle voulait que j'envoie des renforts là-bas."

Xena resta silencieuse pendant quelques instants. "Qu’est ce que tu lui as dit ?" demanda-t-elle d’une voix prudente.

"Que je t'en parlerais... qu'Andreas les attaque peut-être parce qu'il veut nous attirer dehors et que cela mettrait plus de gens en danger."

"Bonne fille... bonne réponse." Xena lui lança un regard fier. "Même si tu n'as pas aimé la donner."

Gabrielle soupira. "Xena, je suis mon cœur, la plupart du temps. Tu le sais bien."

"Mm."

"Mais au fil des ans, tu m'as appris que parfois, il faut écouter ça..." Elle se tapota le front. "Plutôt que ça." Elle toucha sa poitrine. "Pour le bien de tous."

Xena passa un bras sur ses épaules et la conduisit à l'extérieur. Elles pouvaient voir le nuage de fumée s'approcher des nuages et un changement de vent leur apporta une odeur âcre de brûlé. "C'est vrai, Gabrielle." répondit-elle finalement, alors qu'elles passaient les portes et se dirigeaient vers la tente de commandement, où les chefs de bataille se rassemblaient déjà à l'extérieur. "Tu sais, parfois, suivre son cœur s'avère être la bonne décision à la fin, même si ça n'avait pas beaucoup de sens sur le moment."

Elles se regardèrent en silence un moment. "Parfois, ton cœur connaît la vérité, même si ton esprit te dit le contraire." Gabrielle sourit.

Xena ne la relâcha pas lorsqu'elles se rapprochèrent du groupe qui attendait. "Je vais te dire... utilisons mon esprit et ton cœur... et je pense que nous trouverons la solution." Elle fit une pause avant de s’adresser aux soldats qui attendaient à proximité. . "J'ai besoin que l'on sorte les filets. Étendez-les devant les baraquements, à la hauteur de la taille."

"Des filets ?" demanda Bennu, perplexe.

"Des filets" confirma Xena. "Dépêchez-vous... Je veux qu'ils soient en place avant la fin d’une demi-bougie." Elle désigna les chefs de bataille. "Allons à l'intérieur. Nous avons du travail."

Au loin, ramené par le vent, ils entendirent le crépitement du feu.

*******

"Allez." Gabrielle ramassa une nouvelle brassée de flèches et se dirigea vers les remparts. Deux villageois et trois miliciens lui emboîtèrent le pas et ils se dirigèrent vers l'avant des murailles, empilant les armes près de la plateforme inférieure.

Les solides défenses étaient larges à la base et se rétrécissaient jusqu'au sommet, penchant légèrement vers l'extérieur comme si elles étaient prêtes à basculer. À l'arrière, des marches semblables à des plates-formes permettaient aux archers de se tenir debout et des espaces étaient aménagés en quinconce pour permettre aux flèches d’être tirées. Construits en bois et en pierre, remplies de pierres de rivière rondes et de boue, elles constituaient un blocus considérable pour abriter les forces de Xena. Les deux immenses portes du camp étaient inclinées vers l'extérieur, de sorte qu'une fois fermées, elles formaient un bec qui, lorsqu'on le poussait, ne faisait que refermer les portes de plus en plus hermétiquement.

Les remparts s'étendaient d'un coude à l'autre de la rivière, de sorte que l'eau elle-même apportait sa propre protection. Derrière les murs se trouvaient les troupes, les chevaux, les zones de ravitaillement, ainsi que les deux sections critiques de la rivière, le gué et le pont.

Gabrielle travaillait avec son groupe depuis environ une bougie maintenant. Ils avaient déplacé la plupart des flèches, des lances et diverses petites épées et couteaux vers les zones de stockage situées sous les plates-formes les plus basses. Autour d'eux, les épées étaient aiguisées, les arcs tendus et les armures ajustées, tandis que l'armée se préparait à la tempête qui s'annonçait. C'était bruyant et électrique, et la barde sentait sa gorge s'assécher à mesure que les messages étaient relayés depuis les avant-postes.

"J'ai besoin de cent cavaliers à cheval." hurla Xena, depuis l'endroit où elle donnait des instructions à deux des capitaines des remparts. "Ils enverront d'abord des attaques test pour voir ce que nous avons. Gardez les portes ouvertes."

"Xena, les filets sont en place." hurla Toris depuis l'espace ouvert. "Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?"

Xena sauta sur la plate-forme supérieure et regarda par-dessus. A travers l'immense plaine, une fumée sombre se propageait mais ses yeux aiguisés pouvaient détecter le bord de la zone en feu, se détachant en rouge orange sur l'herbe de la rivière, couleur blé pâle. "Laissez-les." Elle sauta à terre. "Josc... les hommes de terrain sont-ils là ?"

Le préfet fit une pause et hocha la tête. "Oui... à l'arrière, ils empilent les provisions."

"Qu'ils prennent leurs faux et aillent à la porte." ordonna Xena, puis elle se retourna. "Toris, appelle un régiment et demande-leur d'apporter tous les seaux des réserves jusqu'ici."

Gabrielle jeta un coup d'œil par l'ouverture et étudia le sol. "Tu veux aller couper l'herbe et mouiller la terre ?" devina-t-elle en regardant son âme sœur.

"Exactement" Xena lui tapota le dos gentiment. "Cavalerie, sortez et mettez-vous en place après ce bosquet d'arbres." Elle siffla Argo et sauta sur la jument, puis elle baissa les yeux quand Gabrielle tira sur son armure. "Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Tiens." La barde lui tendit un rouleau de viande. "Tu as à peine déjeuné." Elle prit une grande inspiration puis elle frotta ses mains l'une contre l'autre dans le vent froid. "Qu'est-ce qu'il y a à faire ensuite ?"

"Toutes les gourdes sont remplies ?"

"Oui." acquiesça Gabrielle. "Et j'ai fait emballer des rations sèches et je les ai envoyées aux murs - elles sont stockées dans ces boîtes attachées sous les plates-formes." Elle marqua une pause. "La zone des guérisseurs est prête... nous avons fait bouillir et mis de côté tous les tissus supplémentaires. Le groupe chargé de trouver de la nourriture vient d'arriver par la rivière avec autant d'herbes que nous avons pu trouver, et j'ai demandé à une escouade d'Amazones de se rendre au mur ouest juste pour voir si tout était calme. C'est le cas".

Xena posa ses mains sur le pommeau de la selle d'Argo. "Bon travail, Gabrielle... merci." Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, puis elle tripota les rênes. "Encore une chose."

Gabrielle s'approcha et leva les yeux. "Qu'est-ce que c'est ?"

"Je veux que tu demandes aux guérisseurs... quand ils auront des corps... de les mettre dans la rivière et de laisser le courant les emporter. Nous n'avons pas assez de place ici pour les garder et ils répandraient la maladie."

La barde prit une inspiration et déglutit difficilement avant de répondre. "Je leur ai déjà dit ça." répondit-elle calmement. "Mais je leur ai aussi dit de noter les noms autant que possible... pour que nous sachions qui nous perdons."

Xena relâcha ses rênes et posa une main douce sur sa joue. "Je vais diriger les troupes de première ligne, m'assurer que nous repoussons leurs premiers raids. Tu veux rester ici ou venir avec moi ?"

"Je vais chercher mon équipement." Gabrielle se retourna et se dirigea en trottinant vers le corral des chevaux, attrapant son bâton qu'elle avait laissé appuyé contre une caisse de bœuf séché, puis elle récupéra les rênes de Iolaus. Elle monta sur l'étalon qui hennit bruyamment pendant qu’elle s’installait le plus confortablement possible sur la selle, puis elle le dirigea vers la grande silhouette qui attendait patiemment près de la porte.

Elles sortirent ensemble dans l'herbe, dépassant le groupe qui se rassemblait avec des faux et des seaux. "Il nous faudra dégager au moins 5kms." Xena pointa la distance du doigt. "Puis arroser le sol avec de l'eau... mettre en place une ligne de seaux jusqu'à la rivière et tout mouiller." Elle poussa Argo à passer devant les travailleurs affairés et se dirigea vers l'endroit où les troupes étaient rassemblées, tempérant leurs montures rétives en dessinant des cercles serrés.

"Hé Xena ?" Gabrielle guida prudemment Iolaus autour d'une ligne de filet. "C'est pour quoi faire ?

Xena jeta un coup d'œil derrière elle. "Ce feu continuera d'avancer… et tout ce qui se trouve devant aussi." Elle fit un signe de tête vers la ligne de feu au loin. "Autant en profiter." Elle fit claquer sa langue et Argo partit au galop. "Très bien... nous allons jusqu'au dernier blocs d'arbres là-bas… et on verra ce qu’on y trouvera."

Gabrielle boucla précautionneusement ce qu'elle appelait ses ceintures de sécurité, tandis qu'elle poussait Iolaus à trotter à la suite de sa mère. La cavalerie se forma autour de Xena, en deux grands carrés serrés, et ils se mirent en route à travers la prairie. Elle rangea son bâton dans ses anneaux de fixation et resserra ses mains sur ses rênes, sentant le cuir contre ses paumes.

C'était vraiment calme. La plupart des soldats se taisaient et à part le bruit des sabots des chevaux sur le sol et les sifflements du vent, rien ne bougeait. Gabrielle se pencha un peu en avant et poussa Iolaus à côté d'Argo, s'installant dans un galop agréable, genou à genou avec sa compagne. Xena mâchait le rouleau de viande qu'elle lui avait donné, alors que la tête de la grande guerrière pivotait de droite à gauche pour observer les environs.

C'était presque excitant, Gabrielle devait l'admettre. Être là, au centre d'une centaine de guerriers, les armures s'entrechoquant légèrement, les visages sérieux. Quelques Amazones, les plus grandes d'entre elles, qui préféraient se battre en armure lourde et porter les longues épées qu'elle pouvait à peine soulever, étaient mélangées aux combattants de Bennu, et à ceux de Palaemon, des soldats vétérans aux visages couverts de cicatrices, qui les suivaient sans difficulté, leur posture sur leurs selles témoignant d'années d'expérience à cheval.

Et au milieu d'eux, Xena, assise sur sa selle, détendue comme toujours, se déplaçant au rythme des foulées d'Argo avec une aisance souple qui témoignait de sa propre expérience de l'équitation. La guerrière avait replié sa cape derrière elle et, sous le regard de la barde, elle se tenait en équilibre sur ses étriers, ses sens en éveil captant tout ce qui se passait.

Ils contournèrent la courbe où les collines s'inclinaient, puis ils se dirigèrent vers la parcelle de forêt indiquée par Xena, se rapprochant de plus en plus de la tache à l'horizon qui était la zone en feu. Gabrielle imaginait que le vent, qui tournait de façon imprévisible, lui apportait l'odeur du feu.

Une bougie passa et ils s’approchèrent de la longue ligne de forêt qui courait sur leur droite et qui abritait les avant-postes.

Un cri résonna bizarrement et Xena releva la tête. Elle poussa Argo vers l'avant des troupes et leva son corps, tendant l'oreille pour capter le moindre bruit. Un autre cri retentit, puis un bruit de métal frappant un autre métal leur parvint. Xena leva alors une main, puis elle pointa du doigt la dernière parcelle de forêt près de la fin de l'endroit où se trouvaient les avant-postes. "On y va !"

Ils se rassemblèrent rapidement et se mirent en formation, une double pointe de flèche avec Xena à une extrémité et Bennu à l'autre, et laissèrent leurs chevaux prendre de la vitesse à mesure qu'ils s’approchaient de l'extrémité des arbres. "De ce côté !" ordonna la guerrière. "Regardez bien ! S'ils sont plus nombreux que nous, séparez-vous et lancez une attaque croisée !"

"D'accord, Genérale... et si ce n'est pas le cas ?" cria Bennu.

Xena inspira et laissa la puissante vague d'excitation et de noirceur l'emporter. "Si ce n’est pas le cas, alors... tuez-les tous !"

Les troupes poussèrent des cris de guerre et sortirent leurs armes, avant d’enfoncer plus fermement leurs bottes dans leurs étriers et de se pencher sur le côté tandis que leurs chevaux contournaient les derniers arbres, leur permettant d'apercevoir la clairière au-delà.

Xena poussa un cri sauvage et envoya Argo au grand galop, les foulées de la jument s'allongeant au fur et à mesure qu'elle apercevait le carnage devant elle. Les attaquants les repérèrent et tournoyèrent pour se diriger dans leur direction, délaissant les Amazones dispersées de l’avant-poste, qui avaient construit à la hâte une palissade en bois pour se défendre.

Leur nombre était égal, réalisa Xena, avant de sortir son épée de son fourreau pour toucher sa première cible. Un autre cri jaillit de sa gorge, puis les deux camps s'entrechoquèrent et elle se retrouva dans la mêlée, enfonçant son arme dans la poitrine du cavalier de tête, le tuant sur le coup.

Elle pivota par instinct et trancha dans l'autre sens, interceptant la hache d'un soldat bien bâti qui tentait de l’atteindre de l’autre côté. Elle coupa son bras d'un coup négligent, puis elle dégaina sa dague et lui trancha la gorge, avant de pousser Argo à le dépasser et à pénétrer dans un groupe d'ennemis plus important.

Le feu montait en elle, et elle le laissa faire, accueillant la force féroce qu'il apportait et qui décuplait ses coups. Elle envoya son épée trancher les os et les muscles comme s'ils n'étaient que du papier et du tissu. "Eyah !" Elle tournoya sur sa selle, frappant de sa garde la tête d'un soldat ennemi, puis elle dégagea sa botte d'un étrier et fit tomber le combattant de son cheval.

Gabrielle se battait pour rester à proximité, utilisant son bâton pour repousser les cavaliers ennemis qui fonçaient à toute allure, s'obstinant à s'interposer entre Xena et celui qui était le plus proche d'elle. Elle envoya le bout de son bâton dans la poitrine d'un homme qui bascula en arrière, surpris, puis elle esquiva le coup suivant qui s'approchait de sa poitrine en brandissant une masse. Elle parvint à rabattre son bâton et à la dévier, puis elle le repoussa vers l'avant et donna un coup de talons dans les flancs d'Iolaus, ce qui le fit bondir sur le côté et ajouta de la puissance et du poids à son mouvement. L'homme tomba sur le côté, mais il s'emmêla dans ses étriers et ne parvint pas à se dégager. Sa tête pendit sur un côté et avant que Gabrielle ne puisse bouger, Bennu passa et l'enleva d'un coup d'épée.

Pas le temps de réfléchir. Gabrielle fit tournoyer sa monture et fonça sur Xena, qui était maintenant aux prises avec trois soldats ennemis, dont deux qui l'avaient coincée entre eux et le troisième qui s’apprêtait à lui assener un coup d'épée. La guerrière esquiva un coup, puis elle donna un coup de poignard dans les côtes de l'homme derrière elle et, sous le regard de Gabrielle, se leva pour se mettre debout sur sa selle, avant de sauter sur le soldat qui arrivait avec un cri de guerre sauvage, son poids et son impact l'envoyant, lui et son cheval, au sol.

"Meurs !" Xena roula sur lui puis attrapa son casque, avant de lui donner un coup de genou sauvage au visage. Il s’étala au sol et elle se mit à califourchon sur lui, avant de lever sa dague très haut et de l'abaisser pour la planter dans sa poitrine. Puis elle se leva d'un bond et dégagea le couteau, seulement pour l'envoyer en travers du visage d'un autre homme, le frappant à la gorge alors qu'il était sur le point d'étriper l'un de ses soldats.

La tigresse était sortie maintenant. Xena se rendit à peine compte du nombre d'ennemis qu'il y avait, ou des chances qu'il y avait. Elle laissa simplement le feu l'envahir avec un sentiment de soulagement, abandonnant ses questions et les doutes qui la tourmentaient, et elle utilisa son épée et ses dagues, ses mains et son corps pour se frayer un chemin à travers les troupes sans se soucier de sa propre sécurité.

Elle sauta sur Argo et s’installa rapidement sur la selle, puis elle envoya la jument vers un groupe d'ennemis qui combattaient ses troupes. Elle tint solidement son épée à deux mains et se fraya simplement un chemin dans le groupe, en distribuant des coups sauvages et puissants qui coupèrent la chair et les os autour d’elle, faisaient voler le sang sur plusieurs mètres.

Elle décapita l'un d'entre eux, puis elle enfourcha un autre sur son épée, l'enfonçant profondément dans son corps, avant de lui donner un coup de pied dans le ventre pour dégager sa lame. Elle fit rapidement tournoyer son épée dans sa main et se jeta en arrière pour attraper le cavalier qui avait sauté sur son dos. Il glissa avec un grognement, et elle se mit à rire.

Gabrielleresta avec elle, se concentrant sur Xena, et Xena seulement, tandis qu'elle guidait Iolaus dans la mêlée, sa petite taille et ses mouvements rapides la protégeant des soldats qui la chargeaient, et qui en apercevant son visage hésitaient juste un instant, assez longtemps pour qu'elle les élimine d'un coup solide de son bâton, ou qu'elle les frôle, bien décidée à ne pas laisser sa compagne hors de sa vue.

Une main lui saisit la jambe et elle renversa son bâton, l'abattant sur la tête de son assaillant. Il réussit à maintenir sa prise sur sa jambe et à sortir un couteau de sa ceinture avant de lui donner un coup vers le haut, mais la pointe se planta dans le cuir de sa selle. Elle le frappa à nouveau et cette fois, il lâcha prise et glissa vers le bas.

Un autre homme bondit alors vers elle et elle se retourna brusquement, mais il atterrit à moitié sur l’encolure d'Iolaus et jeta ses bras autour d'elle avant qu'elle ne puisse l'arrêter. Elle se débattit férocement, mais elle se rendit compte qu'il avait tiré le col de son armure vers le bas, l'entraînant avec lui, et qu'il s'approchait de sa gorge avec un petit couteau aiguisé.

La panique lui donna de la force et elle se redressa avec sa seule volonté, s'éloignant de la lame et soulevant à moitié son corps de l'encolure du cheval. Il s'agrippait à elle, mais elle donna un signal à Iolaus et l'étalon se cabra, le faisant s'arquer sur le côté et le délogeant de l'encolure du cheval. Il tomba au sol et Iolaus hennit avant s'abattre sur lui à coups de sabots acérés.

Puis un autre corps se dirigea vers elle et elle tournoya, la colère envoyant le bâton dans un arc vicieux qui attrapa le soldat juste entre les deux yeux et lui fracassa le crâne dans un craquement écœurant.

Un cri retentit.

L'ennemi s'efforçait de battre en retraite, tandis qu'une corne de bélier retentissait, traversant les arbres alors que les troupes de Xena se lançaient à leur poursuite pour les écraser.

Puis, pendant un instant, le silence régna. Gabrielle laissa le martèlement de ses oreilles s'estomper et elle se retourna sur sa selle, ses yeux inquiets découvrant la silhouette calme et immobile de Xena, assise sur le dos d'Argo, au centre d'un champ de bataille maculé de sang et de cadavres. Aucune émotion, sauf peut-être de la satisfaction, ne se lisait sur son visage alors qu'elle passait en revue le champ de bataille, où trois cents soldats ennemis gisaient maintenant, blessés ou mourants, dont quelques-uns des leurs.

Gabrielle prit une respiration tremblante et poussa Iolaus vers elle, regardant les yeux bleus et froids balayer la zone, puis lentement, avec une légèreté de papillon, se poser sur son visage.

"Tu vas bien ?" demanda Xena d’une voix basse.

Gabrielle acquiesça. "Toi ?"

Un sourire lui répondit. Xena fléchit les mains et s'étira comme un chat. "Je n'ai jamais été aussi bien."

La barde se rapprocha, sentant le tourbillon d'énergie noire autour de sa compagne, qui menaçait de l'engloutir. "Je suppose que nous avons gagné cette manche." Elle essaya de ne pas penser au carnage au milieu duquel elle se trouvait, ayant vraiment vu pire dans sa courte vie.

"Oh oui." Xena se retourna et vit les Amazones de l'avant-poste se frayer un chemin vers l'avant, Gillen en tête. La Reine Amazone avait une coupure sanglante au-dessus d'un œil, mais elle affichait un air fièrement triomphant. "Bon travail."

"Ils pensaient nous écraser, Xena." lui dit Gillen en posant une main tachée de sang sur l'encolure d'Argo. "Ils m'ont donné un foutu ultimatum... ils ont dit que si nous nous rendions, ils nous laisseraient partir." Elle cracha par terre. "Il n'y a rien que je déteste plus qu'un cul de cheval coincé qui me prend pour une idiote." Elle regarda la guerrière avec une admiration non dissimulée. "Mais je vais te dire, je n'ai jamais vu quelque chose comme toi, Xena. On dit que tu es l’Élue d'Arès." Ses yeux rencontrèrent ceux de la guerrière. "Je le crois."

Xena sourit doucement, absorbant l'admiration et les regards de ses troupes qui se rassemblaient autour d'elle. "J'espère que cette réputation vaudra bientôt quelque chose." Elle se redressa. "Très bien... nettoyons cet endroit... allumons un feu et soignons les blessés. Ensuite, nous irons vérifier le nord."

Gabrielle regarda sa compagne se débarrasser d'un éclat d'os sur son avant-bras, avant de se retourner vers elle. La tigresse apparaissait clairement aux yeux de la barde, mais... derrière la sauvagerie, il y avait aussi quelque chose de familier, et une sensation de chaleur lui parvint à travers la connexion qu'elles partageaient.

Le feu et la glace.

Le soleil et l’obscurité.

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La suite dans le chapitre 23

17 décembre 2023

Noir, noir, noir !

mar

La Noirceur du matin, chapitre 21. Les choses s'accélèrent, le danger se rapproche ...

Bonne lecture !

Kaktus

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