Le début de ce mois a vu se succéder à un rythme rapide des faits-divers très violents liés à la jeunesse, des attaques et meurtres d’adolescents ou entre adolescents, dans diverses régions de France. Les noms de Shemseddine à Viry-Châtillon et Samara à Montpellier en ont été les plus cités, mais les règlements de compte des dealers, les « crimes d’honneur » entre familles, les rodéos routiers, les fuites imbéciles devant des barrages de police, les bagarres en boîtes de nuit, les harcèlements scolaires, les rixes entre quartiers, jusqu’aux meurtres entre jeunes, tout cela devient une routine. Et pas seulement dans notre pays : cette montée en puissance d’une jeunesse échappant à tout contrôle se retrouve partout sur la planète.

Bien, et alors ? Des faits-divers de ce genre, il y en a eu tout le temps. D’ailleurs, il est possible que cette apparente recrudescence de la criminalité juvénile soit en partie artificielle, et le résultat de l’effet amplificateur de médias à la recherche de faits saignants pleins d’émotion immédiate pour doper leurs audiences. Ces comportements irréfléchis, qui finissent mal, ont de tout temps été caractéristiques de la jeunesse, qui s’essaye à la vie sans mesurer les conséquences de ses actions. Cela justifie-il d’en faire l’éditorial d’un journal politique ? Oui, pour plusieurs raisons.

La première, bien sûr, c’est qu’il n’est pas exclu que nous soyons sortis de la banalité pour entrer dans un épisode nouveau. Là où existaient des garde-fous sociaux, de ces « rétroactions négatives » qui tendent à calmer le jeu, nous nous trouvons maintenant face à une société au fonctionnement inédit, qui a tendance au contraire à amplifier les signaux violents venant de l’extérieur, et favoriser le passage à l’acte. L’emploi immodéré, entre autres facteurs, de réseaux sociaux irresponsables (dans tous les sens terme), en est un exemple parlant. Et l’idéologie ultralibérale n’arrange pas les choses…

Alors, deuxième raison : afin de savoir si tel est le cas, cela vaut la peine de poursuivre la réflexion sur ces sujets et, puisque tout le monde sait que « quand la jeunesse a de la fièvre, c’est que la société est malade », de se poser la question très sérieusement : notre société est-elle malade, les premiers symptômes apparaissant dans sa jeunesse ? Ce n’est évidemment pas un éditorial qui peut répondre à cette question. Mais c’est bien le lieu où la poser et demander qu’on s’y intéresse.

Ce qui requiert un vrai et long travail de réflexion et de recherche. Aïe, voilà le gros mot lancé, puisque la recherche implique des investissements à rentabilité imprévisible, idée à laquelle le gouvernement (suivant en cela les traditions de ses prédécesseurs) s’oppose de toutes ses forces au nom de la sacro-sainte réduction du déficit public. Pourtant, c’est certainement sur ce sujet qu’un tel investissement serait le plus nécessaire. La construction de la personnalité chez un enfant puis un adolescent, et la capacité où il se trouve et se trouvera une fois adulte à dominer ses pulsions, dépendent d’au moins quatre domaines : neurologique, éthologique, psychiatrique et sociologique. Or notre système est en train de soigneusement démolir tout cela : en désinvestissant dans la santé pédiatrique, et un cerveau abîmé ne pourra évidemment pas fonctionner correctement ;  en rendant presque inéluctable l’éclatement des familles, alors que l’on connaît depuis les travaux sur le comportement animal « l’importance de la séparation qui, en privant le petit d’une altérité nécessaire à son développement, provoque de graves troubles du comportemen» [1] ; en réduisant à presque rien les capacités de suivi psychologique et psychiatrique, surtout à l’école, au risque de voir se multiplier les cas de troubles de la personnalité ; en imposant des conditions de vie de plus en plus difficiles : logement, emploi, précarité sociale, qualité de l’enseignement, violence quotidienne dans le quartier, toutes sources de déséquilibres psychologiques.

La troisième — et si ce n’est pas la plus importante, c’est bien celle qui peut faire le plus de dégâts dans l’immédiat —, c’est qu’en période électorale (l’occasion est trop  belle), l’instrumentalisation de ces faits-divers ne pouvait manquer. Au lieu de tenter de comprendre, d’aider à éviter ces drames et d’apaiser un débat qui n’a que trop tendance à glisser de la discussion à l’invective, pendant une quinzaine de jours, les partis impliqués dans les élections européennes s’en sont donné à cœur joie. Nous avons entendu accuser pêle-mêle l’islam radical par le RN, les familles éclatées incapables d’éduquer leurs enfants par Renaissance, le droit du sol par Reconquête !, l’immigration et la non-assimilation par LR,  la pollution et les perturbateurs endocriniens par les écolos, les brutalités  policières par LFI, les baisses de crédit de l’Éducation nationale par le PC, tous ces partis s’accusant mutuellement de jeter de l’huile sur le feu.

Certaines de ces raisons présentent sans doute un fond de vérité, même si elles paraissent un peu trop liées à un pays, une situation, un moment particuliers. Ce sera aux chercheurs de nous le dire. Mais est-ce bien utile de lancer l’anathème ? Et quel espoir, quelles aspirations, quelle vocation politique tout cela peut-il donner à une jeunesse qui voit bien que ses problèmes n’intéressent personne, si ce n’est pour faire monter des sondages dans une compétition électorale ?

François GERLOTTO

1/ Boris Cyrulnik, Quarante voleurs en carence affective. Odile Jacob, 2023.

Editorial du numéro 1277 de « Royaliste » – 22 avril 2024