Les Syndromes des Survivants de la Shoah
Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Bulletin N°12
Edition du 20 décembre 2002

LES SYNDROMES DES SURVIVANTS DE LA SHOAH
De la question des traumas massifs

L'article est augmenté d'une bibliographie
   Mise à jour du 6 novembre 2004
Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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Edition du 20.12.2002
Mise à jour du 06.11.2004 (30ème version)
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Marianne Cohn dite Colin
(ce travail lui est dédié)
jeune femme allemande née à Mannheim le 17.09.22
arrêtée le 31 mai 44 près d'Annemasse avec 28 enfants
torturée et assassinée le 03.07.44 dans la prison
par la Gestapo et la milice de Touvier
Héroïne du réseau La Sixième
Mila Racine
(ce travail lui est dédié)
née le 14.09.21 à Moscou
arrêtée le 21.10.43 près d'Annemasse avec un convoi d'enfants
déportée à Ravensbrück puis vers Mauthausen
assassinée ou tuée au cours d'un bombardement le 30.03.45
Héroïne du réseau La Sixième


Paul Celan
Strette

    IN DEN FLUSSEN nördlich der Zukunft
    werft ich das Netz aus, das du
    zögernd beschwerst
    mit von Steinen geschriebenen
    Schatten.

    DANS LES FLEUVES au nord du futur
    je jette le filet
    qu'indécise tu charges d'ombres, écriture
    de pierres.
   


    DEIN VOM WACHEN stossiger Traum.
    Mit der zwölfmal schrauben-
    förmig in sein
    Horn gekerbten
    Wortspur.
    Der letzte Stoff, den er fuhrt.
    Die in der senk-
    rechten, schmalen
    Tagschlucht nach oben
    stakende Fähre
    sie setzt
    Wundgelesenes über
   


    ON REVE à force de veilles heurtant
    Et selon les douze
    spires de sa corne
    incisé
    l'indice du mot.
    Son dernier heurt.
    Dans l'abrupte,
    l'étroite
    gorge du jour, s'élevant
    à coups de gaffe, le bac:
    il passe
    la plaie lisible.
   
   


Les syndromes des survivants de la Shoah
Réflexions sur le concept d'hypertraumatisme

Dr Ludwig Fineltain
   



    Mots clefs. Syndromes des survivants de la Shoah; syndromes des Enfants Cachés de la Shoah; hypertraumatismes; stratégies thérapeutiques
    Keywords. Holocaust or Shoah survivors. Psychiatric disturbances. Massive psychic trauma. Cohn's poem


    Cas cliniques: cinq vignettes cliniques
    Réflexions psychopathologiques
    Conduite du traitement
    Nosologie et expertise des traumas psychiques
    Sources documentaires
    Bibliographie
    Annexes: Le poème de Marianne Cohn (the last Marianne Cohn's letter before the death) et La chanson du passeur
   


    Ce texte est destiné en priorité aux neuropsychiatres, aux psychiatres, aux psychologues et aux psychanalystes mais aussi à tous ces volontaires généreux qui prodiguent aujourd'hui des soins aux peuples victimes de meurtres de masses aux quatre coins du monde. Pourquoi cette lointaine tragédie est-elle importante pour les psychiatres? Parce qu'elle nous apprend quelque chose à propos des traumatismes psychiques massifs, de leur séméiologie, des traitements et des processus de réparation symbolique.
    L'expérience de la Shoah n'est comparable à rien d'autre. Comparaison n'est pas raison! Nous croyons en effet au caractère exceptionnel de la Shoah. Les critères en ont été fort bien définis. Une nation dotée d'une civilisation raffinée a mis en oeuvre à l'encontre d'une minorité définie à partir non pas d'une religion mais d'une catégorie ethnique abstraite, la race juive, qui ne lui faisait aucune guerre, un processus technologique d'élimination totale sans aucun profit économique, territorial ou militaire pour le vainqueur. Nous ne connaissons guère d'équivalent dans l'histoire de l'humanité. Les juifs ont certainement perdu cette guerre sans la comprendre vraiment. Le degré élevé de la civilisation juive, malchance historique pour les bourreaux, a suscité un douloureux travail de mémoire. Ainsi la communauté humaine civilisée tout entière a compris qu'au dépens des juifs fut essentiellement exterminée une partie de l'espèce humaine. Il n'est malheureusement pas exclu qu'une telle tragédie se reproduise dans un avenir lointain à l'encontre de catégories humaines abstraites que nous ne connaissons pas encore.
    Tout psychiatre recèle un point aveugle dans un recoin de son existence. Nous apprenons au cours des années de formation à analyser nos forces et nos faiblesses. Nous savons même donner des noms précis à ces mouvements psychiques. Mais aussi devons-nous apprendre hélas que notre science est faible devant un drame qui a atteint une dimension surprenante. La Shoah représente pour beaucoup de thérapeutes l'exemple même de ce que j'appelle un point aveugle. J'ai dû, comme un certain nombre de thérapeutes, assumer la prise en charge des malheurs de nos pauvres frères humains qui au cours de leur vie ont rencontré contre leur gré le diable et l'enfer. Des occasions remarquables m'ont été données récemment d'écrire cette étude. Les unes sont imputables au hasard et d'autres à un destin mûrement réfléchi. Il faut beaucoup de détermination pour se plonger dans les études cliniques sur les rescapés de la Shoah. Je me souviens que, jeune psychiatre entrant dans la carrière en 1964, je n'y parvenais pas! J'eusse préféré à cette époque être épaulé par un spécialiste expérimenté. Mais hélas personne n'eût souhaité en ce temps là assumer cette lourde et redoutable responsabilité.
    Vous vous demandez sans doute pourquoi tant de gravité pour introduire cette étude? Le sujet est grave en effet et peu m'importe à cet égard que cette histoire soit désormais enfouie dans un passé banalisé, minimisé voire quasiment oublié de l'immense majorité de la planète. Mais surtout, fait particulièrement grave, nous constatons en France la quasi inexistence des études sur cette immense cohorte de cas cliniques. Ceux qui sont morts en si grand nombre ne doivent pas nous faire oublier l'agonie psychique d'une grande partie des survivants.
    Qui sont les survivants? Le terme de Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, a supplanté Holocauste et génocide qui sont désormais considérés comme inadéquats. Comment décrire avec précision les victimes et les rescapés de la Shoah? Chacun connaît les sources historiques du problème. Les Juifs de toutes les contrées d'Europe avaient été rassemblés dans les abattoirs industriels du nazisme. Les survivants peu nombreux à la fin de la guerre furent pratiquement laissés à l'abandon. C'est peu de dire qu'ils ne furent pas assistés. Ils furent en réalité ignorés pour des raisons extrêmement complexes. Assister individuellement rescapés et survivants n'eût pas suffi. Encore eût-il fallu soigner un peuple tout entier surgi des décombres, meurtri pour longtemps, pour plusieurs siècles à venir. Qui sont-ils exactement? En Europe nous avions coutume de nommer ainsi les déportés des camps de concentration. Aux Etats-Unis, pays qui désormais prend en charge le concept même de "survivors", le terme a acquis une nouvelle acception. Ce pays désigne ainsi toutes les victimes de la Shoah c'est-à-dire en réalité toute la communauté juive qui fut au contact de la bête national-socialiste, de son système de commandement et de ses complices. Les auteurs américains incorporent donc parmi les survivants de la Shoah non seulement les déportés mais aussi les partisans, les clandestins, les expatriés et enfin depuis 1990 les enfants cachés de la guerre partout en Europe. C'est sans doute une définition extensive mais c'est ainsi. Aussi bien adopterons-nous la nouvelle acception du terme.
    La génération des déportés est en train de disparaître sous nos yeux. Nous les recevons dans nos consultations avec cette sorte de crainte et de tremblement et même de fascination comme on ferait devant des personnes ayant traversé l'enfer. J'ai reçu ces dernières années dans ma consultation des gens qui furent déportés à Buchenwald et à Auschwitz à 13 ou 14 ans. Je sais donc que je n'en recevrai plus guère désormais. Par contre des personnes qui ont vécu enfants durant la guerre une vie clandestine, sauvage et primitive sont innombrables. Ceux-ci demeurent nos contemporains et cheminent encore parmi nous. Entre 1991 et 1995, 50 ans après la guerre, ces petites victimes de jadis se sont en somme éveillées à la lumière du monde. Nous avons assisté à la création d'Association d'Enfants Cachés aux Etats-Unis d'abord, à Paris ensuite et puis désormais dans tous les grands pays d'Europe. Cette génération des jeunes victimes s'est donc tue pendant 40 à 50 ans. Leur mutisme n'est pas une légende. Les raisons sont multiples: la révérence vis à vis des victimes directes des camps, le déni de leurs difficultés par l'ensemble de la société civile et parfois par le groupe communautaire lui-même. En tous cas observait-on le déni de leurs difficultés spécifiques par Israël qui avait en ce temps là d'autres soucis et beaucoup d'autres problèmes à résoudre. Les prises en charge, les travaux et les publications ont été cependant très précoces et très nombreux dans ce pays d'accueil.

    PRESENTATION DES CAS CLINIQUES
    Constatons tout d'abord la rareté des troubles massifs nosologiquement définissables. Pourquoi? Une affection quelconque dans les camps, chacun le sait, se traduisait par une mise à mort instantanée. Ceux d'entre eux qui ont survécu étaient certainement doués d'une capacité de survie psychique et physique hors du commun! La mort dans les camps était inéluctable à moyen terme pour tous ceux qui n'avaient pas été éliminés d'emblée comme les enfants, les femmes enceintes et les malades.
    En dehors des camps tous ceux qui vivaient dans la clandestinité en France comme dans la plupart des pays d'Europe le simple fait de tomber malade - comme on dit - était l'annonce de la fin puisque une consultation médicale exposait à une séquence typique d'évènements: dénonciation, arrestation puis déportation. Une maladie physique ou psychique était donc un événement fatal.
    Après guerre, l'Hôtel Lutétia et les Hôpitaux de l'Assistance Publique à Paris ont reçu en France les premières victimes rescapées des camps. Une fois pris en compte les cachexies sévères et les syndromes physiologiques d'épuisement, la première pathologie, par le nombre des cas cliniques dignes de considération est représentée par les syndromes psychiatriques post-traumatiques.
   
    Les rescapés de la Shoah représentent deux populations très différentes. La première est celles des rescapés des enfers des camps de concentrations et des camps de travail dotés d'un programme de décimation systématique et celles issues des ghettos organisés par les Allemands dans les pays d'Europe Centrale. Les troubles psychiatriques sont très différents selon l'âge des victimes piégées dans les lieux d'horreur. On comprend aisément que les rescapés des camps qui avaient moins de 14 ans en 1945 au moment de leur libération présentent des troubles considérables. Il existe encore un cas particulier d'enfants tout petits, libérés des camps sans aucun parent survivant.
    Mais voici une deuxième population très différente de la première, celle dite des enfants cachés. Ces personnes qui se sont cachées pendant la guerre ont subi de nombreux traumatismes.
    Nous nous proposons d'exposer les cas cliniques correspondants aux diverses catégories de survivants. On avait jadis coutume de distinguer légitimement les cas des déportés politiques de celui des déportés raciaux tandis que l'univers des enfants cachés était peu connu. Mais le temps efface déjà certaines différences si évidentes autrefois. La génération des déportés politiques constituée d'hommes et de femmes qui avaient tous plus de 14 ans pendant la guerre va s'amenuisant. Les enfants victimes de persécution pendant la guerre -cela concerne seulement les juifs et les tziganes- seront en somme les derniers représentants contemporains de cette époque tragique. Ils constituent d'ores et déjà les derniers exemples paradigmatiques des syndromes des survivants de la Shoah.
    L'étude clinique oscillera nécessairement entre plusieurs pôles d'attraction que sont le champ de la clinique, le registre médico-légal, celui de la souffrance existentielle, la stratégie thérapeutique et enfin les réparations symboliques.
   
    CINQ VIGNETTES CLINIQUES
    1) Mr G. avait 13 ans et demi quand il fut déporté. Je l'ai reçu plusieurs fois entre 1980 et 2000. Comme il demeurait avec sa compagne aux Etats-Unis il ne venait en France que de temps en temps. Il ressentait périodiquement un besoin de revenir en Europe pour obéir à une sorte de requête intérieure qui lui enjoignait de retrouver les restes d'une famille disparue. Il se pouvait, pensait-il, qu'un oncle en Pologne, un cousin en France et un autre en Australie eussent survécu.
    Né en 1929 en Pologne, interné avec toute sa famille en septembre 1942 près de Czestochowa, il est aussitôt à 14 ans contraint de travailler dans une aciérie. Sa famille disparut presque immédiatement: les parents, les grands parents et dix frères et soeurs. Lors de l'avance des troupes russes il fut poussé vers Buchenwald dans les conditions qu'on devine. Libéré le 11 avril 1945, son séjour dans les camps a donc duré 2 ans et 8 mois. Il vient d'abord en France. La réadaptation est houleuse et tempétueuse. Il présente d'emblée des troubles neuropsychiques: fatigabilité, psychasthénie, angoisses, pantophobies, dépression, instabilité socioprofessionnelle profonde, hyper-émotivité et incapacité de supporter les frustrations. Puis il tente sa chance en émigrant dans diverses contrées du monde puis au Etats-Unis. Il a fait une dizaine de métiers avec des fortunes diverses puis il fonde une famille. Ses graves troubles de caractère ont provoqué une séparation conjugale dans une atmosphère dramatique. Les troubles ne feront que s'amplifier entre 1945 et 1974. Il a eu recours, aux Etats-Unis aux diverses formes de soins psychiatriques: hospitalisation, médicaments et psychothérapie. Les épisodes aigus furent apparemment des crise d'angoisse paroxystiques dont quelques unes ont justifié des hospitalisations. Je l'ai donc vu quelques fois entre ces dates extrêmes.
    Des atteintes cardiaques graves, infarctus du myocarde, apparaissent à partir de 37 ans! Il nécessitait à l'époque une prise en charge mixte, des médicaments sédatifs et antidépresseurs et une psychothérapie. Divers collègues l'ont reçu dans des pays anglophones dans une perspective essentiellement centrée sur la prescription de psychotropes et l'élaboration de certificats d'expertise.
    Comment décrit-il lui-même sa vie? Il doit sans cesse faire effort de reconstituer une famille d'adoption pour réparer la disparition de sa famille réelle. Cette situation a toujours pris chez lui une dimension dramatique. Toute sa vie d'adulte après 1945 fut assiégée par cette quête. Un médecin de Chicago eut tant de peine à percevoir la signification de cette quête désespérée qu'il crut vraiment à l'existence d'une famille proche en Europe que le patient allait visiter! Il ne s'est jamais senti capable à 20 ans comme à 30 de réaliser les projets des autres hommes. Tout lui a toujours coûté tant d'efforts: travailler, faire l'amour, dormir. L'appel aux médicaments, la nervosité et l'angoisse étaient toujours au rendez-vous. Il trouve, il a trouvé la vie très difficile à assumer. Les avatars de la vie affective et professionnelle prennent chez lui des proportions gigantesques. Le désespoir est l'horizon permanent de la vie de ce patient.
    Si je veux résumer en quelque mots la fragilité de la structure psychique de ce patient: les troubles psychiques peuvent chez lui être représentés par huit chapitres fondamentaux.
    1 )La psychasthénie.
    2)Le syndrome anxieux permanent avec des phases paroxystiques.
    3)Le syndrome dépressif chronique avec la permanence de velléités suicidaires sous des formes directes ou déguisées.
    4)Les troubles caractériels.
    5)L'hyperémotivité pathologique.
    6)Les troubles du sommeil
    7)Les troubles sexuels psychogéniques.
    8)Les déterminations psychosomatiques. Les atteintes cardiaques me paraissaient incontestablement aggravées par l'état psychique. Le syndrome psychasthénique me paraissait chez lui le symptôme le plus significatif, le plus spécifique et sans doute le plus incapacitant parmi les séquelles des graves traumatismes qu'il a subis.
    J'ajoute qu'il a développé un processus victimologique proche de la paranoïa sensitive. Toute frustration affective est non seulement dirigée intentionnellement contre lui pour lui nuire mais encore toute frustration risque de déclencher une profonde faillite de la personne. J'ai dû, moi-même, à plusieurs reprises intervenir dans de pareilles circonstances afin de l'aider à faire face à des processus suicidaires. Ces processus permettent de mieux comprendre ses difficultés relationnelles. Il institue les êtres aimés comme des protecteurs vitaux. Ce type de rapport est à la fois dangereux pour le patient et pesant pour les êtres qui l'aiment parce que la nature humaine ne peut répondre à de telles exigences.
   
    2) Mr Z. patient de culture ashkénaze né à Paris dans une famille originaire de Pologne.
    Mr Z, personnage très en vue dans une grande ville de province, est resté caché à Paris avec sa mère sans avoir subjectivement le sentiment de courir un grand danger. Il a mené après guerre une vie flamboyante dans l'univers de la presse et du cinéma. Il fut responsable de nombreuses associations d'utilité publique. Quand il est venu me voir en 1977, à la demande d'un confrère psychiatre et psychanalyste, il exprimait un désarroi de survivant bien qu'objectivement il eût été habilement mis à l'abri pendant la guerre. Avec sa deuxième femme il fit preuve d'autoritarisme et sa conduite de tyranneau domestique a provoqué une nouvelle séparation. Il a beaucoup culpabilisé sa compagne de fautes imaginaires. Sa dépression a suscité l'analyse. Il s'accusait d'avoir survécu à tort. Le trouble caractériel et dépressif était assorti d'un profond sentiment de culpabilité de survivant. Il se demande sans cesse pourquoi il a survécu alors que tant d'autres ont disparu.
    La seconde psychothérapie analytique avait démarré dans ces conditions dramatiques.
   
    3) Mme A., âgée de 46 ans, a été une victime directe de la Shoah. Elle fut déportée alors qu'elle était enfant.
    Elle présente un état dépressif réactionnel inopiné en 70-72. A noter, fait remarquable une sorte d'exigence d'occultation contractuelle de la déportation.
    Cette patiente de 46 ans a depuis des mois l'impression d'être au bord du gouffre, sentiment qui lui paraît de plus en plus fréquent. L'état dépressif est donc assez bien constitué et structuré et c'est pourquoi elle reçoit un traitement depuis octobre 72 (Nozinan et Anafranil). Que me dit-elle? "J'ai eu un choc affectif. C'est quelqu'un que j'aime c'est tout. Pour moi c'était tout", et incidemment, elle m'apostrophe de la façon suivante: "Il paraît qu'il faut que je vous dise que j'ai été déportée" J'aborderai très prudemment -pas assez prudemment- la question de la déportation et elle me précise: "Personne ne sait que je suis une déportée; je n'ai pas voulu traîner ça avec moi".
    Le retour de la déportation fut une poursuite de l'atmosphère tragique. Elle attendit quelqu'un pendant plus d'un an. "J'ai cru, dit-elle, que quelqu'un reviendrait puisque j'en étais bien revenue!". Aborder cette question paraît même au-dessus de ses forces. A son retour de la déportation, à 16 ans, elle a dû non pas ré-apprendre mais tout simplement apprendre les gestes usuels de la vie quotidienne. Elle se marie avec un personne de confession chrétienne, en somme, pour s'en sortir sans bien concevoir le sens du mariage! Elle ressent cependant assez douloureusement des impressions de trahir son milieu que d'autre part elle souhaite fuir.
    Elle a noué plus tard un lien profond avec un homme à qui elle fait sans cesse allusion sans souhaiter en parler. Sans doute cette aventure a-t-elle trop de liens symboliques avec les processus de réparation post-concentrationnaire. Quoi qu'il en soit une séparation brutale s'est produite depuis une semaine assortie d'un chantage au suicide dont on ne sait s'il est de son côté ou de l'autre! La vie ne lui paraît plus envisageable. Son ami était tout pour elle beaucoup plus que son mari. Mais cependant elle savait qu'elle ne s'autorisait pas cette liaison parce qu'elle se sentait en danger de trop s'attacher.
    4) Mr Rz. ou La vie sauvage.
    Mr Rz. en 1977 est accompagné par son épouse qui expose ceci: "Il y a une porte entre nous; il a des limites; il est très renfermé. Et il se trouve bien dans ce comportement". Elle assiste à des scènes dépressives ostentatoires et inquiétantes. Mr Rz. présente en effet une dépression mélancoliforme confirmée par l'habitus, la gestuelle ralentie et appauvrie. Il demande une hospitalisation. La situation clinique contre-indique l'entreprise actuelle d'une thérapie. Il avait cependant déjà entrepris une psychothérapie analytique auprès du Dr B. psychanalyste fort compétent à Paris. Le patient s'est littéralement enfui loin du processus interprétatif.
    Ses troubles commencent à 45 ans: il s'est d'abord mis à boire. Mr Rz. souffre d'autre part d'un angor instable pour lequel il a un traitement régulier. Il pense assez souvent qu'il aurait mieux fait de subir le sort commun. Il estime avoir quitté trop tôt, trop vite et trop jeune la collectivité religieuse qui était la sienne avant guerre. Il était en ce temps là le plus jeune de la bande de copains. Il se trouva d'un seul coup dépourvu de tout, en particulier de métier. J'étais devenu un rien du tout. Avant le maquis il fréquentait donc une école polonaise mais aussi l'école religieuse juive. Le rythme de travail était trop dur. Il avait 11 ans et entre copains ils ont décidé d'entrer dans une Yeshiva pour être plus libre! Le père du patient aimait la dure discipline du travail et l'étude religieuse tandis que la mère était une personne plutôt anxieuse. Les parents s'aimaient profondément et ne pouvaient pas se séparer. C'est sans doute l'une des raisons qui ont contrecarré leur fuite en Russie ou en Israël.
    Ce patient fait allusion aux activités d'un groupe de combat dénommé "Les Vengeurs" à quoi il a participé de 45 à 47, corps franc fort peu connu. (Un texte intitulé The Holocaust Avengers, de Gordon Thomas, a été publié sur ce sujet aux Etats-Unis en septembre 2001). Il se plaint amèrement des Israéliens qui ont dissout le groupe et ont exfiltré les hommes en Israël en leur racontant, dit-il, des bobards. Il estime maintenant encore que l'activité des Vengeurs avait été une mission prioritaire dans sa vie. Il regrette d'en avoir interrompu prématurément le cours. Tant qu'il luttait au sein d'un groupe tout allait bien. Depuis lors il se sent fini.
    Mr R. décrit en fait un classique état dépressif mélancolique. Il se plaint d'être devenu progressivement dépressif dès l'après guerre. Il me demande à ce moment de l'entretien si la cause de sa dépression pourra être réellement découverte ici. Je considère ce moment comme important puisque le patient accède enfin sans doute pour la première fois à un réel processus d'élaboration psychique au cours de ces premiers entretiens.
    La psychasthénie chez ce patient est tout entière dépressive. Il a toujours eu besoin d'un soutien affectif et le groupe de combat lui a fourni une sorte de protection affective. Quand le groupe s'est dissout, la dépression s'est profilée. Ce patient cessa prématurément de venir aux séances. Un ictère s'est malencontreusement déclenché entre-temps sous antidépresseur de structure IMAO. J'ai eu l'occasion de le revoir une ou deux fois par la suite et puis je l'ai définitivement perdu de vue.
    5) Mme S., de culture séfarade, dans une famille d'origine greco-turque a vu sous ses yeux sa famille arrêtée, malmenée et embarquée en 1940.
    La patiente évolue dans un univers comparé à un tunnel. Elle se sent coupable de survivre. Elle a multiplié les actions militantes comme la participation aux activités associatives communautaires. Les blessures narcissiques sont profondes. Le transfert est d'emblée négatif: le thérapeute est perçu comme un bourreau potentiel
    Elle avait toujours été convaincue que le destin de la décimation était tout le temps suspendu au dessus de sa tête. Il y eut donc 10 séances extrêmement difficiles. Elle fut une enfant cachée, rescapée de multiples traumatismes accumulés et qui a perdu sa famille tout entière. Le malaise existentiel profond, permanent et douloureux l'avait conduite à vivre plusieurs expériences thérapeutiques plus ou moins heureuses. Une Gestalt-thérapie, puis ensuite une autre expérience de psychothérapie sans précision doctrinale.
    Les premières séances se produisent sous l'empire de la méfiance. "Il y a, dit-elle, les opprimés et les oppresseurs. Un grand médecin arrivé a dû nécessairement écraser des gens pour parvenir au sommet". Elle décide alors d'interrompre la relation. Elle a éprouvé le besoin de fuir au moment d'aborder les grandes questions de l'autopunition c'est à dire toutes les questions suscitées par les projections transférentielles de la figure du bourreau sur l'analyste. La relation objectale est très ambivalente ou plus précisément pré-ambivalentielle. Le mécanisme est celui du splitting ou d'une forme de clivage de l'objet que Mélanie Klein a bien décrit. L'introjection d'un mauvais objet terrifiant fait projeter sur l'objet cette division en deux parties opposées l'une bonne et l'autre persécutive. La reprise des séances quelques mois plus tard aborde la question des blessures narcissiques et doutes quant à la féminité. Les plaintes sont également centrées sur l'image du corps: elle parle de ses vergetures et de ses défauts physiques apparus avant la cinquantaine. Elle en était désespérée au point de ne plus se considérer comme une femme. Elle consulte beaucoup et un jour elle fut rassurée de constater qu'elle pouvait plaire à l'un des médecins spécialistes qu'elle consultait! Ce fut enfin un endocrinologue qui perçut la souffrance psychique et la persuada d'entreprendre une psychothérapie.

    ETUDE PSYCHOPATHOLOGIQUE

    Une recension des travaux sur le sujet démontre que les premiers articles d'envergure paraissent après 1969 essentiellement aux Etats-Unis! Ce constat lucide représente -je pèse mes mots- une honte pour la collectivité scientifique européenne tout entière!
    Les symptômes et les syndromes
    On peut rapidement isoler quelques cas cliniques psychiatriques remarquables.
    -Un syndrome post-traumatique va se développer et perdurer avec des caractéristiques très particulières.
    -Une catégorie de troubles est de type psychasthénique et dépressif.
    -Parmi les autres cas cliniques psychiatriques quelques troubles psychotiques spécifiques, essentiellement des délires interprétatifs et paranoïaques.
    Chez beaucoup de survivants l'imagerie terrifiante est présente chaque jour de la vie depuis 50 ans. D'autres victimes ont été envahies par cette symptomatologie après un temps de latence considérable, parfois plusieurs années.
    Le syndrome post-traumatique est caractérisé par des réminiscences et des cauchemars figurant les scènes du passé, un deuil interminable, des sentiments de culpabilité d'avoir survécu, de l'irritabilité et des manifestations psychosomatiques, un sentiment de déréliction, des propensions à la suspicion morbide. Le temps s'est définitivement figé, suspendu à l'époque des plus grandes souffrances.

    Nous pouvons reprendre à peu de choses près la classification de Davidson des patients en thérapie qui permet de distinguer quatre entités cliniques:
    Un groupe de survivants souffrant d'un syndrome typique et complet.
    Un groupe asymptomatique dont la souffrance ne s'exprime qu'à l'occasion d'événements très signifiants.
    Un groupe de patients demandeur de thérapie analytique en raison d'une névrose de caractère classique chez qui la problématique de la Shoah est minimisée.
    Un quatrième groupe maintient une demande de traitement psychothérapique à la condition de respecter un accord tacite d'évitement voire de dissimulation entretenue de part et d'autre.

    Réflexions psychanalytiques
    Quelques moments importants du point de vue de la réflexion psychanalytique: les diverses problématiques du survivant
    Les états dépressifs réactionnels aux ruptures dans la vie sentimentale comme dans les rapports amicaux possèdent des qualités particulières. Ils ne parviennent pas à vivre les déceptions et les séparations sans réactiver les terribles émotions des séparations, des destructions et de la déportation qu'ils ont connues pendant la guerre. Il ne saurait plus s'attacher à un être sans se représenter la possibilité de sa décimation brutale.
    Vivre des amours susceptibles d'enrichir le narcissisme est impossible. Les efforts de réadaptation d'après guerre sont généralement superficiels et artificiels.
    Les capacités de fantasmatisation sont exceptionnellement réduites. La reviviscence permanente d'une imagerie terrifiante du passé occupe tout l'espace des représentations.
    Le clivage est chez ces patients un mécanisme de défense important. La permanence de deux attitudes psychiques, de deux réalités simultanées, chacune d'entre elles vécues avec beaucoup d'intensité, tout ceci produit des effets. Ce clivage bien entendu n'est pas une spaltung comme on peut l'observer dans certaines psychoses. Ils ont une impression très intense d'être dédoublés. Dans le même temps ils perçoivent un décalage très sensible entre leurs affects et leurs représentations psychiques.
    Prophétie du malheur
    L'une des patientes a évoqué le fantasme très présent dans ses souvenirs de petite enfant d'une sorte d'accomplissement d'une prophétie du malheur. C'est un thème peu fréquent chez les survivants. Celui-ci serait sans doute plus fréquent dans un monde séfarade ayant transmis la pesanteur historique de l'Inquisition Espagnole. Il est très difficile dans ce cas de faire la part du culturel et du développement affectif.
    Les décharges comportementales
    La même patiente était envahie de symptômes de dysmorphophobie. Les somatisations chez elle occupaient le devant de la scène au dépens de l'élaboration fantasmatique. Dans le même ordre d'idée d'autres formes de décharges psychomotrices sont fréquentes. Les victimes sont envahies par des décharges émotionnelles intempestives et douloureuses, des rages vengeresses avec état dépressif secondaire.
    La dépersonnalisation
    Plusieurs patients ont connu des expériences de dépersonnalisation et de déréalisation. J'ai en effet observé les troubles identitaires comparables à ceux que décrit Feldman. Une de mes patientes cependant exprimait des sentiments opposés. Quelques victimes ont vécu cette sorte de transformation de l'identité et parfois de la religion comme une sorte d'enrichissement. L'une d'entre elle, une psychologue, m'a affirmé en 1970 qu'elle avait été assez longtemps attirée par la vie monastique catholique et qu'elle avait conservé un souvenir nostalgique chaleureux de son changement d'identité.
    La névrose de la Shoah existe-t-elle comme entité? Nous observons beaucoup plus volontiers une très large palette de symptômes et de syndromes fonctionnant autour des souvenirs et des fantasmes d'une sourde crainte de la destruction collective. La névrose post-traumatique possède néanmoins des caractéristiques originales.
    La détention d'un secret
    La plupart des patients fonctionnent comme s'ils étaient détenteurs d'un secret. Les patients détenteurs d'un secret compromettent la conduite d'une psychothérapie. Les analystes connaissent bien les effets de la dissimulation quand il faut analyser des personnages politiques, des chercheurs, des militaires ou bien encore des délinquants qui ne consentent pas à délivrer des données confidentielles voire secrètes. Freud fut confronté au problème du secret. Une seule zone de secret concédé, pensait-il, tous les souvenirs prohibés y trouveraient refuge, un peu comme des proscrits trouvent refuge dans un havre où ne pénètrerait aucune police. Bref je veux parler de tous ceux qui au cours des séances limitent volontairement leurs élaborations psychiques en obviant à leurs représentations.
    Presque tous les survivants fonctionnent en effet conformément à un processus similaire. Ceci est d'une importance considérable. Le passé traumatisant occupe la place d'un lourd secret qu'il faut maintenir.
    Dans les processus psychothérapiques et psychanalytiques classiques on ne requiert pas précisément la révélation des secrets mais on demande au patient pourquoi une telle révélation le gênerait. On dit cela aux patients détenteurs de secrets chez qui l'analyse des symptômes est plus importante que la protection du secret. Nous ne pouvons pas appliquer la même technique de vérité de la cure à nos patients. Dans ces cas particuliers cela n'est absolument pas envisageable.
    L'affaiblissement du Moi, l'insuffisance ou plus précisément le débordement durable du système pare-excitation ou du système de l'enveloppe psychique.
    Dans les névroses traumatiques, le moi des patients est appauvri, diminué et assailli par l'immensité des souvenirs traumatisants qui continuent de fonctionner comme des objets réels. La position psychanalytique traditionnelle est précisément commentée par Otto Fenichel: "Le Moi est trop apeuré lorsque le malade ne peut supporter d'évoquer l'évènement traumatique parce que cela entraînerait une véritable répétition du caractère traumatique de l'expérience. Déterminer le dosage relatif adéquat de catharsis et de ré-assurance est la tache principale de la thérapie." Cet auteur exprime une vérité aussi juste aujourd'hui qu'hier: la plupart de ces névroses traumatiques graves ne sont pas des indications de thérapie analytique formelle. Les analystes qui proposent une telle prise en charge se laissent tout simplement glisser sur la pente naturelle et automatique de leur formation. L'aide destinée à ces patients très particuliers et très vulnérables requiert une formation polyvalente dans le champ de la psychopathologie.
    Le transfert négatif
    Les relations objectales en général et la relation transférentielle en particulier sont colorées par la représentation de l'analyste comme un bourreau possible. Les liens affectueux d'une façon générale oscillent brutalement entre ces deux pôles extrêmes et contrastés: la dépendance affective et la situation de victime. Il n'y a pas d'intermédiation de la relation.

    Le grand problème des erreurs méthodologiques et le danger des doctrines figées
    Quelques uns des patients, à la faveur d'une analyse antérieure chez des psychanalystes expérimentés, n'avaient pas supporté certaines remarques interprétatives quand bien même elles avaient été prudentes et justes. Des patients, dans un véritable mouvement de panique, avaient littéralement fui le scénario interprétatif. Le contre-transfert dans ces cas est mis à rude épreuve. Il est important de savoir se récuser quand on ne se sent pas suffisamment armé pour ces prises en charge. J'en conclus que si le thérapeute doit en effet posséder une formation de psychanalyste il lui faut néanmoins renoncer à la méthodologie interprétative qui lui est cependant si familière. L'erreur consiste à manier de façon dogmatique la technique interprétative et à aborder de façon scolaire la problématique oedipienne classique. Une interprétation juste, chez ces patients, n'est pas une interprétation pertinente! Nous devons donc mieux étudier ce qui nous échappe quand avec ces patients on instrumente une théorisation psychanalytique classique inadaptée. La posture analytique classique permet certes d'éviter la complicité du silence que j'évoquais ci-dessus mais elle a une contrepartie. Elle détermine des décharges anxieuses incontrôlées et elle fait fuir le patient qui a le sentiment de se trouver devant une inquiétante candeur. Il perçoit une intrusion où se mêlent la persécution destructive et une inquiétante candeur.
    C'est encore une façon de prolonger le long silence des victimes. Je me souviens d'avoir compris cette leçon quand, recevant un patient en 1978 à l'occasion d'un simple travail d'expertise, je fis l'effort de maintenir en filigrane une grande partie des faits. Le patient, à 14 ans, fut déporté avec toute sa famille à Buchenwald puis ensuite d'un camp à l'autre. Il "séjourna" dans les camps durant deux ans et demi! Tout l'entretien a soigneusement évité le récit détaillé des souffrances au camp. Et finalement je ne regrette pas cette discrétion mutuellement acceptée que j'avais adoptée à l'époque de façon purement intuitive.
    Une société du silence
    Les victimes ont également été desservies par des considérations héroïques ambiguës de la part des populations les mieux disposées à leur endroit. Pourquoi, murmurait-on, ne se sont-ils pas mieux défendus et pourquoi ne se sont-ils pas enfuis - propos oiseux et insupportables trop souvent entendus-. Les amis des rescapés, dans le jeune état d'Israël, n'ont pas échappé à cette représentation héroïque de l'homme perdu faisant face à un monde cruel. Il se trouve d'ailleurs que des juifs d'Europe s'y exprimaient en yiddish avec une certaine discétion pour ne pas apparaître comme le peuple des vaincus!

    De quelques considérations à propos des capacités d'évoluer
    La question de la durée d'exposition aux traumatismes doit bien entendu être prise en considération. Je ne pense pas qu'il existe beaucoup d'études précises à ce sujet. Les différences peuvent être considérables. Certaines victimes originaires des pays germaniques ont été exposées aux tragédies pendant 12 ans! La plupart des victimes y ont été exposées pendant une période extrêmement longue qui s'étend de 3 ans à 6 ans.
    Les enfants très jeunes dans les camps ou bien dans les différentes formes de clandestinités chaotiques sans aucune famille autour d'eux ont conservé des séquelles psychiques considérables qui vont des caractéropathies aux syndromes borderline. On a pu voir des psychoses de diverses catégories nosologiques dans ce groupe. Mais je ne pense pas que l'occurrence en soit considérable. Les enfants cachés avec leurs familles pendant toute la durée de la guerre ont beaucoup moins souffert de l'accumulation des traumatismes que ceux qui furent confiés à des paysans, à des institutions ou bien à des groupes de résistants et de passeurs.
    L'un de nos grands témoins de moralité, un contemporain célèbre et courageux, a su créer et rassembler autour de lui des associations valeureuses dans la mesure où les tragédies se sont produites sous ses yeux pendant la guerre, à Nice, au sein d'une famille soudée. Sa capacité altruiste en a été préservée malgré le poids délétère de la clandestinité, des destructions et de la mort.

    COMMENT CONDUIRE LES TRAITEMENTS?

    Conditions requises pour la formation des thérapeutes
    Existe-t-il des critères préalables pour prendre en charge ces victimes? J'en suis persuadé. Peu de psychiatres et de psychanalystes en France possèdent les qualités requises pour traiter cette population très fragile et très particulière.
    Nous devons à cet égard dire quelques mots de l'opposition traditionnelle et quasiment insoluble entre cliniciens et scientifiques. Les spécialistes des sciences humaines, sociologues et psychologues, redoutent que les médecins passent à côté de la problématique de la Shoah, à côté de la complexité de cette tragédie. Les psychiatres et les analystes, de leur côté, se targuent de mieux connaître la souffrance humaine.
    Quoi qu'il en soit nous pouvons exposer quelques unes des conditions mises en évidence par les travaux de Davidson (1981) mais surtout de Gampel (1986, 1988, 1992). Le thérapeute doit posséder un sens très particulier de l'empathie et de la solidarité qui peut être résumé en un mot: le devoir d'humanité. Il doit posséder en outre, selon moi, un sens du tragique, en particulier du tragique psychique, sans quoi la souffrance psychique, notamment celle des psychotiques, pour lui, ne représente pas grand chose. Les survivants ne peuvent pas être reçus, compris et soignés par des thérapeutes à qui manque cette disposition fondamentale. S.Davidson insiste à plusieurs reprises sur les vertus du thérapeute. Il fait remarquer ceci à propos du traitement des rescapés et de leur famille: "Le thérapeute doit être préparé à la confrontation avec une situation traumatique dont la vie était l'enjeu permanent, prêt à s'immiscer dans un monde où l'on côtoie la mort et la torture, les décès et les abandons, l'humiliation et l'impuissance. L'expérience est douloureuse aussi bien pour le thérapeute que bien entendu pour le patient qui doit revivre des traumatismes du passé. Le thérapeute, produit d'une certaine société, tente naturellement d'éviter la confrontation avec des affects extrêmes comme le deuil, la colère, la culpabilité et la honte. Le patient tente sans cesse de réprimer ces affects. Il renforce encore le déni et la répression dès lors qu'il perçoit cette disposition à l'évitement chez autrui. Ainsi bien souvent peut-on observer un accord tacite entre rescapé et thérapeute d'occulter l'Holocauste. Cette conspiration du silence était encore plus fréquente en 1948-1960 dans les thérapies d'enfants. L'établissement de la "confiance de base" chez un être dont la confiance en autrui a été systématiquement sapée représente un défi spécial pour le thérapeute."
   
    L'ensemble des processus thérapeutiques comprend le traitement psychiatrique et psychothérapique d'une part et les réparations symboliques d'autre part.
    1) Nous avons appris que la stratégie du récitatif, du debriefing, de l'exposé des faits survenus pendant la période traumatisante est pour ce type de survivant généralement tout à fait impensable et même dangereuse!
    Il convient de réfléchir aux indications et contre-indications de la cure psychanalytique. Quant aux réparations symboliques celles-ci comprennent les actes symboliques majeurs comme les lois allemandes de réparation, les déclarations institutionnelles de repentance, les conduites d'engagement, les activités associatives, les commémorations et les témoignages. Chacune de ces propositions doit être considérées avec la plus grande attention.

    2) Un bref historique des premières propositions thérapeutiques
    Les survivants après leur retour des camps étaient reçus dans différents lieux spécifiques, à la Gare d'Orsay et au Lutétia. L'Hôtel Lutétia fut transformé en une vaste ambulance de guerre. Cet hôtel de triste mémoire était devenu tour à tour un lieu d'accueil, une salle des pas perdus pour favoriser les retrouvailles et un hôpital de campagne pour les rescapés les plus atteints. Les patients plus gravement atteints étaient dirigés vers les hôpitaux de l'Assistance Publique de Paris et surtout vers la Salpetrière. Notons à ce sujet que les rescapés des camps y étaient accueillis par un personnel, médecins et infirmières, parfaitement incrédules! Cette atmosphère a beaucoup contribué à emmurer les rescapés dans leur silence.
    Les dispensaires offrant en 1945 une consultation psychiatrique à l'OSE "Organisation de Secours aux Enfants", à l'Assistance Publique de Paris et au Val de Grâce n'étaient pas nombreux. Les traitements proposés étaient surtout médicamenteux. Les rescapés d'Auschwitz et de Buchenwald accueillis à Paris eussent requis des psychiatres, des psychologues cliniciens et des psychanalystes nombreux, disponibles et bien formés. Les adolescents et les enfants en particulier n'ont pas vraiment rencontré de spécialistes adaptés à leur état. Encore faut-il rappeler que la plupart des adolescents et des enfants provenant de ces camps, en particulier ceux de Buchenwald, ne parlaient pas le français. On mesure ainsi toute la difficulté de la tâche dans la France dévastée de 1945. Les psychiatres étaient en réalité peu nombreux. Ils possédaient généralement une formation limitée, celle de neurologues ou d'aliénistes. Il n'existait pas non plus à cette époque de psychologue ni de psychanalyste en nombre suffisant. La psychiatrie infanto-juvénile n'était pas même réellement née.
    Nous croyons savoir que les maisons d'accueils de l'OSE, en dépit de la bonne volonté des éducateurs, étaient débordées et dépassées par l'immensité de la tâche.
    Pour des raisons fort complexes les spécialistes en 1945 ne disposaient pas des outils intellectuels susceptibles de les aider à perfectionner leur savoir au contact de ces nouveaux patients - contrairement à ce qui se passait dans les Veteran's Hospitals aux Etats-Unis-. Enfin, je le répète, l'infrastructure hospitalière était précaire dans la France dévastée de 1945.
    Je me dois de signaler le point de vue d'un collègue spécialiste de ces questions. Il estime que la carence des études et des soins résulte en France de l'histoire du régime de collaboration de Vichy. La France aurait eu du mal à résoudre ce problème qui l'a longtemps divisée en factions adverses. Je ne peux pas adhérer à ce point de vue. Je crois beaucoup plus aux retards de la pensée psychiatrique et psychanalytique dans la France d'après guerre.
    3) Le rôle des psychanalystes
    Les psychothérapeutes et les psychanalystes quoique peu nombreux furent sans doute les premiers à s'engager. La prise en charge d'un certain nombre de survivants a commencé en France vers 1950. Les psychanalystes ont réellement contribué à mieux comprendre le syndrome des survivants et à améliorer la prise en charge des patients. Ce sont eux qui publieront les premières études dignes de ce nom.
    Processus psychothérapique assoupli
    Je pense comme Davidson que nous observons en psychothérapie quatre sortes de situations différentes. Des survivants anxieux et dépressifs qui sont aidés par des médicaments psychotropes et une psychothérapie empathique. Des patients sans symptôme évident vivant dans une atmosphère de déni, de dissociation et d'hyperactivité; la décompensation sévère est possible quand la personne est privée de son hyperactivité. Des patients présentant des troubles névrotiques classiques mais alors l'analyse est entreprise au prix d'une sorte d'accord tacite requise par le patient de ne pas aborder la question de la Shoah.
    L'analyste avec ces patients restreint volontairement le processus interprétatif puisque ceci est immanquablement perçu comme une violence intrusive. Nulle interprétation ne saurait aider le patient à comprendre la violence du processus transférentiel. La dimension intrusive est un effet comparable aux effets de mirador ou de spot lumineux insupportable et aveuglant comme font les phares des voitures aux animaux sauvages égarés sur la route. Le thérapeute ne saurait devenir un bourreau. La prudence, la bienveillance et une certaine forme d'empathie sont plus utiles que la position thérapeutique académique et dogmatique. La plus grande difficulté réside dans l'évaluation la plus juste possible du jeu du transfert et du contre-transfert. Le contre-transfert oscille entre la distance et le mode de l'empathie bienveillante ou tragique. Il est par définition difficile à maîtriser. Il est en réalité quasiment impossible de trouver une bonne posture. Le transfert oscille entre deux objets contrastés: l'un est idéalisé, celui des parents disparus idéalisés ou bien d'un substitut perçu comme un sauveur, et l'autre est un bourreau à l'instar des persécuteurs de la guerre. Il faut donc se préserver d'interprétations intempestives.
    Analyser le non-représentable
    Ces thérapies d'une façon générale doivent être brèves et suspensives, souples et tolérantes comme cela se passe avec des psychotiques ou bien auprès des adolescents. Il faut savoir accepter les ruptures et les reprises inattendues. Il faut savoir contourner l'inanalysable de la guerre, la représentation des cadavres en série que l'analyste ne sait pas, par essence, regarder en face. Il est, j'en conviens, extrêmement difficile de promouvoir une stratégie thérapeutique satisfaisante au regard du non-représentable et du non-analysable!
   
    La réflexion phénoménologique et téléologique a enrichi les approches psychothérapiques
    Une telle position est susceptible d'enrichir la perception du thérapeute. Le devenir du patient doit être pris en compte dans le processus thérapeutique. Une série d'évènements existentiels forts contribuent à étoffer le moi ou le soi du patient. La dimension téléologique peut s'exprimer ainsi: ce qui doit advenir se présente au thérapeute comme une composante de la panoplie thérapeutique. Il y a un modèle téléologique de la conscience. Il existe une téléologie non thématisée pour la conscience de perdurer et de survivre. Le patient peut trouver des ressources dans un arrimage à des grandeurs culturelles qui tirent leur sens de leur arrangement prospectif.
    Je pense que le psychiatre canadien Viktor E. Frankl a approché cette conception dans son livre sur la "logothérapie".

THEMATIQUES RECONSTRUCTIVES

    Les composantes symboliques de la stratégie thérapeutique
    Les vertus thérapeutiques des institutions cultuelles, culturelles et associatives sont incontestables. Elles contribuent à renforcer le moi des victimes. Plusieurs cliniciens ont pu le vérifier. Ainsi par exemple le travail militant des "Fils et Fille de Tués", emmenés par les époux Klarsfeld, a puissamment contribué à équilibrer psychiquement nombre d'adhérents qui traînaient une existence douloureuse dans les années d'après-guerre. J'ajoute encore, ce n'est pas négligeable, que cette association représente un très haut degré de réflexion morale face aux nations. L'aspect éthique de ce type d'association fascine les représentants des autres minorités. Je formulerais le même jugement positif à l'endroit des "Associations d'Enfants Cachés".
    Est-ce que les vertus thérapeutiques des activités associatives justifient les théories de l'Ecole des Ethnopsychanalystes? Je ne le crois pas. Dans les travaux de Mme Zajde nous trouvons une doctrine de l'optimisme thérapeutique que je regarde avec beaucoup de réserves. J'ai en effet le sentiment qu'un travail de reconstruction culturelle palingnostique donnera des résultats extrêmement discutables.
    Rôle thérapeutique des "Associations"
    Les groupes d'aide mutuelle ont fait leur apparition dans la plupart des pays occidentaux. Ils constituent une alternative thérapeutique irremplaçable et incontestable. Les survivants ont pris conscience, 50 ans après les événements, de la dramatique carence de soins dans les pays où les drames ont été les plus nombreux, à savoir dans les pays de l'Europe de l'Est et en particulier en Pologne mais aussi bien entendu en France. Dans ces deux derniers pays aucun travail psychiatrique, psychologique ou psychanalytique n'a été réalisé. Aucun centre de soins valable n'a été mis en place. Aussi a-t-on observé la naissance d'une prolifération d'associations d'entraide mutuelle, de mémoires comparables aux yizkor (livres de souvenirs du village) - ancienne tradition juive ashkénaze d'ailleurs - dont l'Association des Enfants Cachés est un avatar tardif.
    Je ne saurais assez insister sur l'utilité des associations de victimes non seulement pour faire un travail de mémoire mais aussi pour leurs vertus thérapeutiques éminentes. Les groupes associatifs spécifiques comme par exemple les Amicales des Camps, l'UJRE, les amis du Groupe Manouchian et surtout "l'Association des fils et filles de déportés" animée par le célèbre avocat Serge Klarsfeld ont fait des miracles. Il y a bien d'autres associations, d'apparition récente, notamment l'Association des Enfants Cachés, autour de laquelle gravitent des psychiatres, des psychologues et des assistantes sociales, souvent elles-mêmes anciennes résistantes. Quelques réunions régulières de ces associations sont conduites par des assistantes sociales bien formées voire par des psychologues qui connaissent ces problèmes. Les vertus thérapeutiques psychiatriques de ces groupes ont été très importantes pour ceux qui en éprouvaient le besoin. Ces associations ont donc eu un caractère cathartique et presque psychothérapique. Les Associations d'Enfants Cachés se sont constituées en 1991 soit 50 ans après les dramatiques événements de la guerre. D'abord en France à Paris dans les locaux de l'OSE et aux Etats-Unis puis ensuite dans d'autres pays d'Europe de l'Ouest et enfin beaucoup plus tard dans toutes les capitales de l'Europe de l'Est. Les tours de table et les prises de parole se sont produites sous l'empire de revécus émotionnels intenses. Les réunions prirent toutes d'emblée une tournure cathartique. Ces gens avaient pendant la guerre entre 2 et 15 ans. Leurs origines étaient infiniment plus variées qu'on n'imagine. On s'attendait à y retrouver les juifs originaires de l'Europe Centrale. Mais on y rencontrait aussi bien entendu de nombreux séfarades originaires de Bosnie, de la Turquie, de Salonique ou même d'Afrique du Nord.
   
    Rôle thérapeutique des réparations médico-légales en faveurs des victimes de la Shoah
    Le traitement doit être polyvalent. Mais sans réparation symbolique sur le plan du droit il est difficile de mener à bien une tâche de reconstruction identitaire. La réflexion sur les modalités de la réparation est fondamentale. Les déclarations solennelles des autorités légales, la représentation d'un consensus national, les déclarations de repentance des institutions démissionnaires ou complices durant la guerre et enfin les mesures médico-légales de compensation sont des moments importants du long processus de réparation.
    Le point sur les réparations et les restitutions
    Rappelons en quelques mots le sens de "réparation": il s'agit d'un concept médico-légal que l'on désigne parfois sous le nom de réparation juridique du dommage corporel et psychiatrique. Deux références médico-légales viennent à l'esprit du lecteur comme par exemple les dispositions du Ministère des Anciens Combattants et surtout la loi allemande dite loi Brüg.
    Comme il s'agit d'un chapitre important j'ai exposé dans quelques textes récents une recension de quelques mesures et lois de réparation conçues par les Länder allemand en 1950, par l'état autrichien et enfin récemment par le gouvernement français, à la faveur de la Commission Mattéoli. Pourquoi? Pour les raisons que j'indique ci-dessus. Les personnes suivies dans les consultations psychiatriques ont aussi besoin d'une reconnaissance symbolique. La reconstruction identitaire passe par la reconnaissance symbolique de l'appareil d'état. Les dispositions légales et les réparations juridiques des dommages et des dols ont joué un certain rôle d'étayage. Les victimes se réparent aussi dans ces sortes de processus de revendication légale. L'ensemble des mesures et leur philosophie est reprise de façon synthétique dans l'introduction du rapport de la Commission Mattéoli en 2000. Ce texte rappelait récemment que par ailleurs l'Allemagne fédérale a manifesté sa volonté de réparation par plusieurs mesures et notamment par une loi du 19 juillet 1957, qui répond à un engagement pris lors des accords signés à Paris le 24 octobre 1954, qui marquent son retour à la souveraineté. Ce texte, dit loi Brüg, adoptée en 1957 par le Parlement allemand, prévoit l'indemnisation des victimes des persécutions national-socialistes, raciales ou politiques, qui, du fait de ces mesures, ont subi des atteintes à la liberté et à l'intégrité de leur personne ou, s'ils sont décédés par suite de ces mesures, de leurs ayants droit. Cette mesure a été d'une grande importance en particulier pour les survivants d'origine allemande ou autrichienne.
    D'autres modalités de la reconstruction identitaire après la guerre: la question des Justes
    La procédure de recherche des Justes et la cérémonie de la remise des médailles de Yad Vashem déclenche généralement une très intense catharsis pour l'ensemble des participants. L'émotion collective est tout à fait comparable à la tonalité des tragédies grecques antiques. Cette démarche purement altruiste a paru nécessaire à beaucoup d'enfants cachés. Elle implique un travail de recherche et une mobilisation affective éprouvante d'autant plus que les récipiendaires ne sont pas les Justes eux-mêmes mais leurs descendants. Mais à l'issue des cérémonies beaucoup de rescapés ont éprouvé une sorte de transformation positive.

    Fonctions du témoignage, du récit et de l'écriture
    L'écriture aura-t-elle joué un rôle de thérapie? Quelques survivants ont éprouvé le besoin de résoudre leurs souffrances psychiques en écrivant des textes. Je pense à Paul Celan et à Primo Levi. La vie de Paul Celan fut une longue souffrance qui s'est close en 1970 quand il s'est jeté dans la Seine. L'écriture peut constituer en effet chez certaines personnes un effort d'autoanalyse. Primo Levi a invoqué le besoin d'écrire afin de se libérer dans un but thérapeutique. Ses livres ont répondu à la culpabilité d'avoir survécu: il s'est fait le messager des morts. Les auteurs qui se sont suicidés comme Celan, Levi, Zweig et Bettelheim semblent témoigner d'une sorte d'intransmissibilité d'une histoire hors norme qui mette en péril l'identité d'homme. J'expose cette hypothèse sans aucune certitude. Je crois fermement qu'on ne peut pas s'autoriser de bâtir de belles et incertaines hypothèses sur des parcours aussi cruels. Le doute ici nous envahit et nous tient lieu de fil conducteur. Il est également très difficile ici de saisir le caractère proprement pathologique du suicide.
    Le témoignage en général a-t-il une vertu thérapeutique? Certains témoins ont eu besoin de faire revivre dans leurs récits tout ce qui constitue au fond leur philosophie ou leur idéologie. Ainsi en est-il de David Rousset qui a fait une lecture combattante de l'univers concentrationnaire qu'il a connu, Rajfus une lecture idéologique tandis qu'au contraire Elie Wiesel dans "La Nuit" recherchait l'identité juive. D'une façon générale dans les pays de l'Europe de l'Ouest le public des lecteurs a été avant tout sensible aux textes attestant de l'annihilation des résistants. Les textes se référant à l'extermination du peuple juif comme ceux de Ringelblum ou de Wiesel sont moins connus ou moins bien compris parce qu'ils ne font pas partie d'un certain canon de la mémoire. Nous trouvons entre 1945 et 1990 ce que la société veut envisager en priorité: essentiellement le déni des droits de l'homme et beaucoup moins la destruction des Juifs d'Europe. On peut constater cependant que depuis 1990 la situation s'est totalement inversée. (Il est à cet égard parfaitement désolant que naissent parfois des rapports ambigus entre les diverses communautés de victimes, celle des résistants combattants et celle de la Shoah. Je crois qu'elle est suscitée par le caractère exceptionnel de la tragédie qui a frappé l'ensemble des victimes. La mémoire douloureuse est plus forte que le dialogue).
    Mme Wieviorka, historienne, examine la question des mémoriaux. Elle réfléchit aux refus de témoigner d'un grand nombre de survivants sollicités. Le témoignage, nous dit-elle, a certainement fait beaucoup de bien aux survivants. Encore faut-il distinguer les premières expériences de l'Université de Yale (3000 entretiens en 1995) des enquêtes suivantes. Les enquêteurs de Yale ont su instituer des liens entre les survivants, les enquêteurs et certains voisins de l'Université. Tandis qu'on observe l'inverse à la faveur de l'enquête en cours à l'initiative du cinéaste Spielberg. Certains témoins ont eu en effet le sentiment de demeurer "ouverts". Il manque en effet dans cette récente enquête l'instauration d'un improbable lien affectif.
    Quant aux fictions romanesques, télévisuelles et cinématographiques l'échec est patent. Elle n'ont produit probablement aucun effet bienfaisant sur les survivants. La série télévisée Holocauste, le film de Spielberg, La Liste Schindler etc. produisent un effet contestable et même gênant. Le témoignage en réalité n'a rien à voir avec les récits fictionnels. Quelques exceptions remarquables doivent être signalées comme la bande dessinée "Maus" de Spiegelman. Quant à Shoah, l'œuvre impressionnante de Lanzman, elle ne peut en elle-même produire d'effets bienfaisants. Elle constitue plus volontiers une sorte de monument pour les générations futures. Pourquoi certains récits sonnent-ils vrais et pas d'autres? Comment fonctionne le récit? Les victimes estiment en général que rien ne rendra compte de ce qu'ils ont vécu. Nos générations n'auront à cet égard aucune maîtrise sur les récits. Je comprends pour certains la nécessité du mutisme. Il faut savoir se déprendre des camps et du récit des camps. Auschwitz appartiendra toujours aux générations suivantes.

DISCUSSION PSYCHOPATHOLOGIQUE

REVUE GENERALE DE LA NOSOLOGIE DES TRAUMATISMES PSYCHIQUES
    Les classifications formelles traditionnelles des traumatismes psychiques par les cliniciens et les experts.
    Le point de vue de la psychiatrie classique est bien exposé par le Pr Thérèse Lempérière en 1977. Son tableau de la névrose traumatique comporte:
    Des symptômes post-traumatiques spécifiques centrés par l'effroi, un débordement émotionnel, des accès de tremblements, crises de larmes, parfois agitation motrice désordonnée ou décharges agressives. L'hypersensibilité aux stimuli visuels, cutanés et surtout auditifs est constante (réaction de sursaut). Le blocage des fonctions du Moi peut aller jusqu'à la prostration et la Stupeur (sidération); plus souvent il s'agit d'une apathie avec asthénie, désintérêt affectif et sexuel, des phénomènes de répétition: à l'état de veille dans des ruminations conscientes, des crises de colère, des gestes de défense ou d'attaque ayant l'allure de tics et, dans les rêves, sous forme de cauchemars où le sujet revit sur un mode dramatique l'évènement traumatisant. Ces tentatives répétées pour contrôler la représentation imaginaire et onirique du traumatisme demeurent vaines et le sujet est constamment ramené à l'expérience pathogène qu'il ne peut intégrer et abréagir. Des symptômes non spécifiques s'installent plus ou moins rapidement. Une réorganisation de la personnalité répond à des mécanismes de régression, de somatisation et de projection. Les organisations secondaires ont pour aspects fréquents l'hystérie post-traumatique dont les symptômes déficitaires sont permanents et invalidants et l'enkystement caractériel dans une attitude régressive et revendiquante.
    La psychiatrie classique isole parmi les expériences traumatiques celles qui résultent des opérations militaires, des guérillas et d'autre part des situations extrêmes comme la déportation et les tortures. II peut exister une phase de latence de plusieurs mois entre la fin de la période de stress et l'installation apparente des symptômes. Les réactions de l'entourage et de la société peuvent favoriser l'organisation névrotique post-traumatique.
    Le pronostic est d'autant meilleur que le traitement est plus précoce. Dans les névroses de guerre on a utilisé avec de bons résultats la narco-analyse, la subnarcose amphétaminée, l'hypnose. Dans la prévention des névroses post-traumatiques, le rôle du médecin est essentiel. Il faut obtenir la confiance du patient, le rassurer en lui fournissant des explications suffisantes sur les examens et traitements entrepris. L'expertise quant à elle ne devrait pas intervenir seulement comme un arbitrage judiciaire. Elle devrait s'insérer dans une prise en charge collective du patient axée sur sa réadaptation.

    Le point de vue de l'expertise psychiatrique classique.
    Les répercussions psychiatriques et psychologiques des situations de guerre sont très largement décrites dans les traités psychiatriques en particulier depuis la Première Mondiale. Toute une littérature descriptive et expertale à propos des névroses post-traumatiques a été élaborée et en même temps sont apparus les premiers barèmes de réparation juridique des dommages. Voici comment l'école française de l'expertise médico-légale, ici représentée par le classique traité du Pr Derobert, décrit les névroses post-traumatiques dans un texte élaboré par le Dr Hivert en 1980. Décrites par Oppenheim dès la fin du XIXe siècle, elles ont été étudiées et définies par Freud. La clinique a été étudiée par Schilder (1943). Evrard (1952). Hecaen et Ajuriaguerra (1954). Un colloque sur la névrose invalidante à Paris en 1978 a tenté de rédiger une mise au point.
    Derobert reprend l'exposé de Schilder (1943) suivant quatre modèles.
    Réaction de terreur et d'anxiété (injury neurosis). Il s'agit d'une réaction aiguë qui petit survenir immédiatement après le traumatisme.
    Réaction neurasthénique. Un état d'asthénie physique et psychique peut s'installer progressivement avec un signe marquant, la fatigabilité.
    Réactions phobiques. Les réactions phobiques sont plus fréquentes que la forme obsessionnelle
    Réactions hystériques. Ces réactions sont fréquentes (10% à 15%) et peuvent survenir après le traumatisme même léger.
    La pratique clinique nous met plus souvent en présence d'un tableau atypique, plus complexe et plus polymorphe. Après un temps de latence variable de quelques jours à quelques mois. et consécutif à un choc émotionnel intense, très chargé d'angoisse, s'installe un tableau clinique constitué de symptômes communs aux névroses, de symptômes spécifiques aux névroses post-traumatiques et d'une organisation névrotique de la personnalité sous-jacente.
    Symptômes communs. Ces symptômes sont significatifs des mécanismes de défense propres à la personnalité. Rarement, il s'agit d'une anxiété pure plus souvent elle est travestie en réactions anxiophobiques, peurs morbides des objets ou des situations qui évoquent l'accident. Les réactions hystériques sont en fait moins fréquentes qu'on ne le décrit.
    La pratique nous a amené à observer des formes dépressives mineures, "masquées" ou "camouflées" soit sous la forme asthéno-dépressive où domine la note asthénique soit sous la forme algique polymorphe.
    Une labilité émotionnelle se traduit par de brusques décharges psychomotrices. Elle se révèle par une indifférence à toute excitation, une perte de l'élan vital, une inhibition de la libido sexuelle; des phénomènes "répétitifs" qui expriment la reviviscence réelle ou symbolique de l'événement traumatique vécu dans les gestes, dans les "ruminations" mentales et dans les cauchemars.
    Organisation névrotique de la personnalité. Cette organisation se révèle par une attitude ambiguë faite de dépendance et de revendication. Le terme classique de sinistrose est très ambigu. Brissaud a décrit sous ce vocable une psychose délirante de revendication très exceptionnelle. Mieux vaudrait abandonner ce terme devenu péjoratif.
    Quant à la notion classique de psychoses post-traumatiques, de schizophrénie post-traumatique, décrite jadis par De Morsier puis par Michaux beaucoup plus tard: elle est très controversée. Ces auteurs d'autre part n'ont jamais été confrontés à des traumatismes aussi massifs que ceux que nous décrivons ici. Ils n'ont pas non plus laissé de grand travaux en nosologie psychiatrique.
   
    La névrose non traitée a peu de chance de guérir spontanément. Elle va s'organiser et les symptômes de défense se renforcent progressivement. Elle peut alors devenir gravement invalidante. Seule une thérapeutique active, déclenchée très tôt après le traumatisme, peut être efficace. Elle doit assurer l'abréaction du contenu émotionnel, véritable noyau actif de la névrose. Par la suite. une psychothérapie de soutien conjuguée à une réhabilitation sociale et professionnelle assez précoce acheminera le blessé vers la guérison.
    Dans sa relation clinique, l'expert doit être capable de maîtriser ses attitudes contre-transférentielles de rejet. Derrière le symptôme "revendication", il doit savoir découvrir la névrose pour la réparer.
    Réparation médico-légale
    Comment réparer la névrose? Le problème de l'état antérieur est immédiatement soulevé.
   
    Développements nosographiques ultérieurs. Le point de vue psychiatrique issu des différentes versions du DSM
    En 1980, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III) de l'Association Américaine de Psychiatrie (A.P.A.) décrit le diagnostic de stress post-traumatique (P.T.S.D.) dans une langue commune et formalisée accessible à l'ensemble de la communauté psychiatrique internationale. Les versions ultérieures des DSM différencient: les réactions aiguës au stress apparaissent chez 70% des sujets pendant l'événement traumatique ou durant les trois mois qui le suivent. Les réactions se caractérisent par des troubles psychiatriques variés, de type anxieux, dissociatifs et comportementaux ayant des répercussions importantes sur le fonctionnement et les capacités de l'individu. Durant ces trois mois, seulement 30% des sujets retrouveront un état normal. Le syndrome de stress post-traumatique (P.T.S.D.) définit un ensemble de symptômes persistant dans le temps qui apparaît chez 70% des individus ayant présenté des réactions aiguës au stress et se présente avec une intensité variable (40% de manière légère, 20% modérée et 10% sévère avec aggravation progressive). Les principaux symptômes sont des phénomènes d'intrusion du souvenir de l'événement traumatique et de ce qui le rappelle, des comportements d'évitement de tout stimulus associé au traumatisme, une diminution de l'activité générale et un état permanent d'hypervigilance. Les répercussions sur la vie sociale, familiale et professionnelle sont très marquées étant donné le caractère persistant des symptômes. L'intensité de ceux-ci varie dans le temps: l'hypervigilance et les phénomènes d'intrusion sont les symptômes les plus tenaces et ont tendance à s'aggraver avec l'âge. Pour finir, le P.T.S.D. est un facteur de risque déterminant dans l'apparition d'autres troubles mentaux tels que la dépression, l'abus d'alcool et de drogue, le suicide et les comportements violents domestiques et sociaux. L'abord thérapeutique des réactions aiguës au stress doit être réalisé le plus rapidement possible après l'événement traumatique et vise l'intégration de l'expérience traumatique à travers l'expression des émotions liées à celle-ci. Les moyens utilisés pour arriver à cette sorte d'abréaction comprennent tant des abords de groupe que des approches individuelles. La pharmacothérapie occupe également une place importante dans le traitement. Toutes ces techniques doivent répondre à 5 principes de base que sont: l'immédiateté de l'intervention thérapeutique, sa limitation dans le temps, sa proximité du lieu du traumatisme, la nécessité de viser un recouvrement total du fonctionnement d'avant l'événement et la superficialité de l'abord thérapeutique qui doit éviter une approche trop en profondeur de la personnalité du sujet. Pour le P.T.S.D., l'abord thérapeutique devra être multidimensionnel. En plus d'un soutien initial au patient et à son entourage, il faudra recourir à des approches individuelles, de groupe, de relaxation corporelle ainsi qu'à la pharmacothérapie. Ces thérapeutiques doivent souvent être maintenues pendant longtemps.
    L'étude nationale américaine sur les vétérans du Vietnam reste un modèle épidémiologique incontesté. Elle montre une prévalence du P.T.S.D. de 30% chez les hommes et de 26% pour les femmes. Il existe de plus un taux additionnel de 22% des sujets présentant une forme subclinique de P.T.S.D. (Kulka et al, 1988).
    Les études concernant les survivants des camps de concentration nazis montrent un taux de P.T.S.D. extrêmement élevé (85%) et un taux encore plus haut de symptômes psychiatriques variés (98%) (Frankl, 1959).
   
    L'expérience clinique considérable des "Veteran's Hospitals" aux Etats-Unis, accumulée après la Guerre Mondiale, la guerre de Corée et celle du Vietnam représente un acquis majeur. On notera des similitudes et des divergences avec les études médicales françaises.
    Les observations séméiologiques, en particulier le mutisme des rescapés sont comparables des deux côtés de l'Atlantique. Mais l'expérience américaine a été caractérisée par l'apport d'excellents épidémiologistes et thérapeutes. Ceux-ci ont pu oeuvrer favorablement auprès des patients, sans aucune limite économique. Ici, en France, l'expérience hors norme des camps ne permettait guère à l'honnête psychiatre d'apporter le moindre bienfait. Il suffit pour s'en convaincre de rapporter une anecdote attristante survenue en 1945: "Une jeune fille, à la Salpêtrière, racontait à ses voisines de lit et aux infirmières de la salle des expériences vécues si étranges qu'on lui a demandé de cesser de se répandre en récits mythomaniaques". L'incrédulité du personnel soignant était générale. Le mutisme des survivants a été renforcé par la candide incrédulité du personnel soignant. L'atrocité des récits a rencontré l'incrédulité du public.
    Nous avons été confrontés après la libération à une totale impossibilité du récitatif aussi bien du côté des victimes que des thérapeutes.


DONNEES CLINIQUES DE LA LITTERATURE CONTEMPORAINE
    1- DANS LA LITTERATURE FRANCAISE

    Bulletin des Enfants Cachés N°23 juin 1998 "Les enfants survivants de la Shoah". Ce numéro fait référence à l'article "Echoes of the holocaust" n°5, juillet 1997, du Dr H.Brunswic menée en Israël parmi les 200.000 survivants de la Shoah dont 100.000 étaient des enfants. L'étude a été menée en 1992 (103 personnes ont été étudiées). On a comparé deux cohortes, d'une part ceux qui avaient gardé un parent et ceux d'autre part qui ont perdu les deux parents pendant la guerre
    1) Séméiologie:
    A- Nervosité, insomnies, cauchemars, maux de tête, plaintes psychosomatiques, instabilité émotionnelle, dépression, fatigue, souvenirs récurrents de la Shoah (hypermnésie), culpabilité des survivants, anxiété chronique, difficultés de concentration, anhédonie.
    B- Pas de différence
    2) Adaptation sociale: une différence en défaveur des orphelins
    3) Les souffrances actuelles: les items sont en défaveur des orphelins
    Bulletin des Enfants Cachés N°2 (Numéro spécial de 1999-2000) et surtout "Mémoires d'Enfants" Etude statistique, réalisée par Jo Saville, ingénieur Supelec, entre 1997 et 1999. Edition du 31.01.2000
    Cette population d'enfants juifs, en France, était composée en 1940 de 60% naturalisés français, de 18% français de naissance, de 12% d'étrangers stricto sensu et enfin de 5,1% d'apatrides. Les parents étaient pour 83% d'entre eux des européens de culture ashkénazes et 5,3% des européens de culture séfarades. La nationalité des parents étaient la suivante: 50% d'étrangers et 20 à 21% d'apatrides. Les langues parlées à la maison étaient très variées: le français, les langues d'Europe, le yiddish, le djidio ou le judéo-arabe. Un petite majorité des familles, du point de vue religieux, étaient non-pratiquantes.
    La vie après la guerre. Un tableau (p.130 cote 4.26) analyse le destin des "enfants cachés". La population étudiée est de 430 témoins (260 femmes et 170 hommes). Le nombre de réponses significatives a été de 68. Les orphelins représentent plus des 64.4% de cette population dont 28,4% ont perdu les deux parents. Un très grand nombre d'enfants cachés, les deux-tiers, se découvrent donc orphelins en 1945. Ces chiffres quoique d'une grande gravité indiquent néanmoins en contrepartie la très grande détermination de ces victimes à survivre. On se perd en conjectures à cet égard. Est-ce la chance, le courage ou une formation particulière qui a permis à quelques uns d'entre eux d'affronter et de survivre au milieu de cette immense tragédie? Cette question n'a jamais été réellement étudiée. Quant aux grands parents ils ont pratiquement tous disparu.
    Seize pour cent des enfants de cette étude ont été internés (16%) à un moment ou un autre de leur cheminement.
    Des indices de satisfaction ont fait l'objet d'une estimation. En 1998 ceux qui on atteint 60 ans (23) -bonne: 48% -moyenne: 12.5% -mauvaise: 37.5%. Ceux, plus jeunes, entre 58 et 58 ans, qui avaient donc entre 2 et 7 ans pendant la guerre donnent des réponses plus contrastées. Il n'y a pas d'intermédiaire! Par contre, dans la tranche d'âge plus élevée, ceux qui en 40 avaient en somme plus de 15 ou 16 ans s'en sortent mieux. Ils indiquent un bon indice de satisfaction. Seuls 25 à 35% d'entre eux trouvent leur situation mauvaise en 1998.
   
    DOCUMENTS CLINIQUES DE FELDMAN
    Cet auteur, éminent psychologue franco-israélien, spécialiste de la "victimologie", étudie le sort des "Enfants Cachés". Il souligne les principaux facteurs qui ont contribué à provoquer et aggraver les souffrances psychiques. Ce sont: - L'âge du placement: les enfants très jeunes ont présenté des phénomènes psychosomatiques comme l'énurésie, l'encoprésie, les vomissements et des maladies psychosomatiques à répétition, des sentiments agressifs et de culpabilité. - La qualité des parents nourriciers a bien entendu joué un rôle important. Les changements fréquents de familles ont pu accroître le traumatisme. - Les institutions ont provoqué chez l'enfant beaucoup moins de perturbations lors de la séparation en 1945. Mr Feldman aborde également la délicate question des institutions religieuses chrétiennes dans lesquelles l'enfant juif fut d'habitude soumis à une forme de prosélytisme. L'auteur y retrouve la problématique marrane, situation de juifs espagnols et portugais convertis au catholicisme conservant cependant en secret une certaine fidélité aux croyances d'antan, avec tout le cortège de la déstabilisation de l'identité.

    DOCUMENT CLINIQUE ZAJDE (SITE DE TOBIE NATHAN)

    Mme Zajde expose l'ensemble des souffrances comme la dépression chronique, les angoisses et les troubles du caractère et elle propose une stratégie thérapeutique. Le thérapeute, dit-elle, doit prendre des responsabilités:
    1ère: Le thérapeute doit connaître parfaitement les événements qui se sont produits et qui ont entraîné le traumatisme.
    2ème: Il doit, au cours de la thérapie, reconstituer en détail avec les traumatisés le déroulement exact des faits.
    3ème: Il doit identifier avec eux la nature des agressions et reconstituer les intentions des différents agresseurs.
    4ème: Etant donné que l'agression portait atteinte à un groupe ethnique la prise en charge devra toujours concerner le groupe de survivants ou bien le groupe familial,
    5ème: Procéder ainsi revient à renforcer le groupe qui justement avait été atteint.
    6ème: Soigner des enfants survivants et descendants de survivants nécessite des connaissances approfondies sur l'histoire des mondes juifs dont ils proviennent, sur leurs logiques thérapeutiques et sur leurs valeurs humaines spécifiques.
    "Soigner les survivants de la Shoah c'est redonner vie au monde juif" est donc une sorte de credo.
    Discussion
    Une critique radicale de cette théorie peut être aisément proposée. Le monde juif européen en réalité ne revivra sans doute plus jamais -je veux parler de sa culture, de sa langue, de ses écrivains et de ses innombrables journaux en yiddish-. La cérémonie du prix Nobel attribué à l'écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer en 1978 représente le chant du cygne du yiddishland. Il est donc assez artificiel d'en tenter la reconstruction symbolique.
   

    DONNEES CLINIQUES DE LA LITTERATURE CLASSIQUE CONCERNANT LES RESCAPES DE LA SHOAH
    DOCUMENT CLINIQUE DAVIDSON
    Ceci est une étude majeure que le professeur Shamai Davidson, Directeur du Centre psychiatrique Shalvata en Israël a publié dans l'Evolution Psychiatrique (1981 46 2 avril-juin) intitulée "Le syndrome des survivants, revue générale". Nous la considérerons comme le travail princeps sur ce sujet difficile. Relevons les thèmes fondamentaux de son étude. L'auteur y étudie les possibilités d'aide psychothérapique par un thérapeute qui tâcherait de "comprendre l'incompréhensible". Le syndrome des survivants des camps de concentration constitue un ensemble de symptômes qui devaient devenir le type même d'un trauma massif causé par les hommes.
    La question de la déshumanisation ne regarde pas seulement la vie mais aussi la mort. Des déportés à Theresienstadt avaient réalisé une oeuvre théâtrale, retrouvée dans les décombres, dans laquelle la mort elle-même était mise en procès. (Nota Bene.- Des révélations fort récentes, au cours des années 2002-2004, apportent un éclairage inoui à propos de cette oeuvre. J'y reviendrai. Il s'agit de l'oeuvre de Viktor Ullmann (1898-1944), "Der Kaiser von Atlantis oder Der Tod dankt ab" (1943) ou "L'Empereur d'Atlantis ou l'Abdication de la Mort", sur un livret de Peter Kien. L'opéra ne put être joué dans le camp de concentration de Theresienstadt puisque tout le monde fut convoyé vers Auschwitz et disparut en 1944. Le manuscrit fut découvert longtemps après. Une toute première présentation était prévue en 2004.
    La symptomatologie des patients de Davidson comprenait: une angoisse fluctuante avec dépression, une compulsion à des associations "photographiques", à des réminiscences de type "flash-back", des rêves ramenant au présent les expériences profondément ancrées de persécution et une détresse sans fin. La prolongation du deuil dont le "travail" ne pouvait être terminé induisait des préoccupations par des images idéalisées des parents décédés et des sentiments de culpabilité d'avoir survécu aux morts. L'irritabilité, les manifestations psychosomatiques étaient fréquentes. Les sentiments de culpabilité et d'irréalité empêchaient beaucoup d'entre eux de se réjouir et de réagir naturellement aux événements heureux de la vie quotidienne. La vie n'avait pas de sens et le sentiment de vide dominait. L'impossibilité de nouer des liens profonds coexistait avec une tendance au renfermement et à la suspicion. Pour certains, le temps s'était arrêté avec l'Holocauste. Le temps était demeuré immobile et figé.
    En 1966, lors d'un symposium de la Société israélienne de Psychanalyse, Davidson a proposé une classification pragmatique en trois entités cliniques.
    Le premier groupe comprenait les rescapés souffrant de syndrome typique décrit ci-dessus. Beaucoup suivirent un traitement pendant des années. La relation thérapeutique reposait malgré tout sur une certaine confiance.
    Le second groupe était asymptomatique. Cependant leur vulnérabilité se révélait par une décompensation sévère si une situation les privait de leur hyperactivité adaptative et défensive.
    Le troisième groupe, plus petit, comprenait ceux qui entreprirent un traitement en raison d'états névrotiques ou de névroses de caractère classiques, en rapport avec leur développement infantile.
    Un nombre surprenant de rescapés entreprirent pourtant un traitement sans citer l'Holocauste. Il apparut qu'il y avait souvent accord tacite entre le thérapeute et le patient visant à éviter la confrontation avec les expériences douloureuses. La vulnérabilité apparaît à l'occasion des dépistages médicaux systématiques.
    L'Holocauste resurgit trente ans plus tard. S'il est possible en thérapie d'aborder les morts de l'Holocauste, un bon résultat thérapeutique peut être attendu. Les rescapés dans leur soixantaine ou plus, qui ont vécu une vie asymptomatique et bien adaptée, réagissent souvent par un effondrement total à la mort du conjoint ou à la cessation de leur activité. Ils présentent alors une dépression psychologique, un état paranoïde et un vieillissement accéléré.
    Les enfants prépubères à l'Holocauste souffrent de sévères distorsions de leur développement psychologique, et ce, tant à cause des traumas que de la déprivation engendrée par la séparation des figures parentales. De sérieux problèmes de personnalité "borderline" voire de psychose ont été souvent remarqués dans ce groupe.
    Ces processus n'ont pas été systématiquement étudiés. Nous devons éviter des formulations psychiatriques de routine fondées sur la psychopathologie académique qui simplifie et déforme la complexité du problème.
    Quelques remarques sur le traitement des rescapés et de leur famille peuvent être faites. Le thérapeute doit être préparé à la confrontation avec une situation traumatique dont la vie était l'enjeu. Il doit être prêt à pénétrer au sein d'un monde où il côtoiera la mort et la torture, les décès et les abandons, l'humiliation et l'impuissance. L'expérience est douloureuse: trauma pour le thérapeute, répétition d'un trauma pour le patient. Souvent le thérapeute, produit d'une certaine société, évite la confrontation avec des affects extrêmes, tels que deuil, colère, culpabilité et honte.
    Le patient, qui est toujours en lutte avec lui-même, pour réprimer ces affects renforce encore son déni et sa répression s'il perçoit un évitement chez l'autre. Et souvent on a pu voir un accord tacite entre rescapé et thérapeute, visant à occulter l'Holocauste. Cette conspiration du silence est (a été!) encore plus fréquente dans les thérapies d'enfants.
    L'établissement de la "confiance de base" chez un être dont la confiance en autrui a été systématiquement sapée représente un défi spécial pour le thérapeute. L'écoute doit être "empathique" et transmettre un sentiment de "solidarité" et d'espoir. Le rescapé doit pouvoir revivre ses traumas avec quelqu'un qui, bien que n'ayant pas son expérience, est prêt à l'accompagner. Par cette relation de confiance, le thérapeute devient un "autre signifiant" qui croit l'incroyable et comprend l'incompréhensible. En recevant une validation et une reconnaissance de sa souffrance, le survivant se sent moins honteux et peut commencer à revoir et à explorer en détail des expériences jusqu'à présent non verbalisables, et à ressentir les affects bloqués de la peur, de la rage, du deuil, de la honte. Certes, la prudence est de rigueur lorsqu'on lève le refoulement, le "déni", l'isolation de ces affects terrifiants. Une dépression submergeante peut apparaître à la place d'un deuil bloqué.
    La peur d'être abandonné par le thérapeute et de le perdre peut empêcher l'établissement de la relation. Un climat de disponibilité et de réassurance quant au maintien d'un lien thérapeutique aussi longtemps que nécessaire est donc essentiel. Il est capital de comprendre la peur du rescapé devant une nouvelle relation qui risque de remettre en question le concept idéalisé de la famille d'avant l'Holocauste, de remettre en question les sentiments d'unicité et d'omnipotence; le rescapé se défend contre une telle réaction, d'où les angoisses, les accusations de "manque de chaleur", de "ne rien comprendre"; elles peuvent être à la source d'une intense agressivité et de projections, allant jusqu'à accuser le thérapeute d'être un bourreau nazi. Le thérapeute incapable d'écouter avec empathie est parfois amené, pour se défendre contre ses propres affects douloureux, à adopter l'attitude du "médecin autorité objective", rôle que de nouveau le patient vivra comme persécutoire. S'il s'identifie par trop au rescapé, il risque d'être idéalisé et fantasmé comme le Sauveur.
    Le maniement de ces affects intenses et effrayants est délicat. Le thérapeute, de plus, a affaire avec sa propre anxiété, culpabilité, etc. fonctions de son milieu, histoire, rapports à l'Holocauste, de significations particulières chez le thérapeute juif. Ecouter l'histoire des atrocités, d'un génocide, crée souvent bien des doutes sur la possibilité à aider; parfois partager l'impuissance du thérapeute avec l'impuissance du rescapé représente un mode particulier de relation empathique.


    DONNEES CLINIQUES DANS LA LITTERATURE ETRANGERE
    DOCUMENTS CLINIQUES D'APRES LES TRAVAUX DE DASBERG
    Voici un extrait significatif de la conférence de Mr Haim Dasberg (conférence Amcha's): "Il existe des problèmes cliniques dans cette classe d'âge (Dasberg, 1992a) telles que dépression, troubles de l'identité et plaintes psychosomatiques. Cette population souffre de décompensations se traduisant parfois par une incapacité de gagner sa vie comme résultante tardive 40-50 ans après des persécutions nazies vécues enfant" (AMCHA The National Israeli Center for Psychosocial Support of Holocaust Survivors and the Second Generation: Raisons d'Etre Haim Dasberg* *Chairman, Professional Steering Committee, AMCHA; Elie Wiesel Professor for Holocaust Studies, Bar Ilan University, Israel
   
    DOCUMENTS DE GAMPEL QUANT AUX DIFFICULTES DU RECUEIL DES DONNEES
    Quelles doit être la compétence des enquêteurs et des cliniciens? Les difficultés du recueil des témoignages sont considérables. Il apparaît, dans le travail de Gampel, que le problème n'est pas l'enquêté mais l'enquêteur! Dans "Interviewers Reactions to Holocaust Survivors - Testimony Aviva Mazor, Yolanda Gampel, Gilit Horwitz Third", l'auteur réfléchit aux trois niveaux des témoignages. Le modèle Laub (1992) se réfère directement aux trois différents niveaux de témoignage et en particulier les capacités de l'enquêteur lui-même d'assumer les redoutables récits qu'il entend et transcrit. Le modèle Springman (1986, 1988) se préoccupe des traits caractéristiques des réponses du bénéficiaire des confidences de la victime. Le grand problème consiste en effet dans les réactions contre-transférentielles de l'interviewer (therapist-induced counter-transference, client-induced counter-transference and combined counter-transference).
    Bien que ce modèle soit tout entier orienté vers le processus thérapeutique il est néanmoins riche en enseignement pour tous les enquêteurs. Or nous savons que dans le monde entier la parole aujourd'hui appartient au enquêteurs sur la Shoah beaucoup plus qu'aux thérapeutes. Le projet du cinéaste Spielberg en est l'exemple le plus connu.
    L'auteur veut clarifier les concepts classiques comme l'écoute empathique, bearing witness ou la transcription d'un témoignage, testimonial interviewer ou le recueil de données et le "vicarious traumatization" ou traumatisme par procuration. Ce dernier concept mériterait d'être approfondi.
    On se pose en réalité la question suivante: quelles sont donc les qualités requises pour faire ces enquêtes? Les enquêteurs s'attendent à d'énormes difficultés parce qu'ils redoutent de blesser le survivant. Ils doivent avoir acquis des connaissances très précises à propos de la dernière guerre - les fameux détails de l'histoire! Toutes les études montrent l'impact énorme de l'entretien sur l'enquêteur lui-même. Ce sont des enquêtes dont on ne sort pas indemne. On peut légitimement élargir le propos. Cette enquête eût été a fortiori encore plus utile pour des psychiatres qui eussent reçu la mission d'examiner et de soigner des survivants!
   
    DOCUMENTS CLINIQUES D'APRES LES TRAVAUX DE KRYSTAL H. (Massive Psychic Trauma. New York 1968), DE LIFTON R.J." The Concept of the Survivor" in Survivors, Victims, and Perpetrators: Essays on the Nazi Holocaust New York, 1980. Beaucoup de conjectures sont nées à propos de ce fameux syndrome des camps. Les études menées après la libération n'ont pas conforté cette hypothèse. Ce sont donc des descriptions cliniques postérieures à 1950-1960 qui ont créé de nouvelles manières d'aborder le diagnostic du point de vue de la psychologie clinique. Ceci servira ultérieurement pour décrire les séquelles psychiques des grandes catastrophes. Voici quelques items fondamentaux: -Quelle fut la durée du traumatisme? La victime était-elle seule ou bien auprès de la famille et des amis? Etait-il dans un camp ou bien était-il caché? Utilisait-il de faux papiers aryanisés? A-t-il été témoin de massacres de masse dans le ghetto ou dans le camp? Qui donc l'aidait à supporter les événements? Quelle était la nature de ses liens sociaux. Quelle était sa Weltanschauung? Les personnes qui ont pu se livrer aux activités de clandestins ou de partisans ont finalement mieux supporté le traumatisme que les autres. Quelles furent les souffrances de la réadaptation: la peur, l'évitement, la culpabilité, la pitié ou l'anxiété. Le long espoir de retrouver un membre survivant de la famille dans les camps de personnes déplacées a-t-il fortifié certaines personnes? Beaucoup d'autres, dans ces camps de transit, y perdirent tout sens d'initiative. L'aide de l'United Nations Relief and Rehabilitation Administration, du Joint Distribution Committee et de l'International Refugee Organization furent utiles et nécessaires mais peu pertinentes.
    Quand vinrent les réparations ouest-allemandes les victimes furent examinées par des spécialistes de médecine interne et des neurologues. Dans la plupart des cas on ne put isoler des affections -entités définissables dans le corpus expertal- directement imputables aux camps. On peut à cet égard formuler deux hypothèses. La première d'entre elles est connue: tous les êtres affaiblis ont été systématiquement éliminés dans les camps. Et pourtant beaucoup de survivants étaient incapables de vivre pleinement la vie et souvent à peine capables d'assumer les tâches de la vie quotidienne. Ils avaient perdu le goût de la vie -the spark- ou l'étincelle de la vie. Des blessures psychiques profondes se sont encore révélées lentement et tardivement. Les cicatrices, 40 ou 50 ans après, sont demeurées très vives.
   
    CONCLUSION
    Quelle conclusion faut-il puiser dans les études sur la pathologie des survivants? La première conclusion paradoxale est celle d'une méconnaissance universelle. La souffrance des victimes n'a pas été reconnue pour ce qu'elle était. Le mystère et l'incommunicabilité sont demeurés très présents de 1945 à nos jours. La célèbre apostrophe, "Vous ne me croirez pas!", a été proférée jusque dans notre cabinet de consultation. La conclusion prend aussi en compte quelques moments forts de l'exposé: la nécessité d'une formation particulière des thérapeutes, notre perception insuffisante, nos doutes et la modestie de notre aide, la très judicieuse exhortation de Davidson qui demande au thérapeute de mobiliser ses capacités d'écoute empathique et de transmettre un sentiment de solidarité et d'espoir, de déployer en somme une sorte de capacité de bienfaisance mais aussi d'accompagnement. Mais bien entendu toutes ces vertus ne se décrètent pas. Sans doute faut-il plus qu'une formation psychiatrique et psychanalytique de qualité. Il faut encore une structure psychique capable de penser l'impensable et une autre capacité plus mystérieuse encore que dans le langage psychiatrique classique nous nommions la maturité affective. A ces qualités exceptionnelles j'y adjoindrais une autre que devraient posséder tous les psychiatres, je veux parler du sens du tragique. Quant au traitement il sera prudent, modeste et plurivalent. Il requiert avant tout de se déprendre des théories toutes faites, des dogmes et des méthodes thérapeutiques scolaires. Une psychothérapie aux modalités très souples doit accepter de coexister avec des stratégies de réparation symbolique.

BIBLIOGRAPHIE
    BIBLIOGRAPHIE GENERALE

    Bettelheim, The Informed Heart. Glencoe, Ill., 1960
    Des Pres T. The Survivor: An Anatomy of Life in the Death Camps. New York, 1976
    Frankl E. Victor, The doctor and the soul. An introduction to logotherapy. New York Knopf 1955 in-8, 280 pp et Un psychiatre déporté témoigne. Ed. du Chalet, s.d. réédité sous ce titre Découvrir un sens à sa vie. Québec, Les Editions de l'Homme, 1988 (Note de l'auteur de cet article: Ce psychiatre qui a survécu durant trois années à Auschwitz a élaboré une sorte de technique de survie qu'il a nommée logothérapie. L'auteur a développé cette idée après guerre au Canada: il parle d'un malaise contemporain issu du vide existentiel, du besoin primordial de donner un sens à la vie etc.). (Nota Bene.- La biographie de Frankl ne m'est pas suffisamment connue. J'apporterai ultérieurement les précisions indispensables.)
    Bulletin des Enfants Cachés (1940-1944) 17 rue Geoffroy-l'Asnier Paris INSEE N°1255-6440
    Bulletin des Enfants Cachés N°2
    Bulletin des Enfants Cachés N°13 déc 1995 sur la structure du Réseau Garel
    Bulletin des Enfants Cachés "Mémothèque" Numéro spécial 1999 éd. N°3 du 31/01/2000
    Dimsdale, J.E.,ed. Survivors, Victims, and Perpetrators: Essays on the Nazi Holocaust. New York, 1980.
    Eitinger, L., Concentration Camp Survivors in Norway and Israel. London, 1964.
    Krystal, H. ed., Massive Psychic Trauma. New York 1968.
    Lifton, R.J."The Concept of the Survivor" in Survivors, Victims, and Perpetrators: Essays on the Nazi Holocaust, edited by J.E. Dimsdale, pp.106-125. New York, 1980.
    ZAJDE, N. 1999 "Shoah et Traumatisme. Ethnopsychiatrie des survivants ashkénazes et de leurs enfants" in Santé Mentale, juin 1999, n°39.
   

BIBLIOGRAPHIE ANCIENNE

    Quelques références anciennes sur le syndrome des rescapés
    Danemark.
    HERMANN K. & THYGESEN, Konzentrationsiager Syndrome, Ugeskr. Laeg, 1954, 116: 825.
    Norvège.
    EITINGER L., Pathology of the concentration camp syndrome, Arch. Gen. Psychiat., 1961, R: 371.
    U.S.A.
    NATHAN J.S., EITINGER L. & WINNIK H.Z., A psychiatry study of survivors of the Nazi Holocaust, Israel Annals of Psychiat., 1964, 2, 42.
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    KESTENBERG J., Psychoanalytic contributions to the problem of children survivors from Nazi Persecution, Israel Annals of Psychiatry and Related Disciplines, 1972, 10: 311-325.
    DAVIDSON S., The treatment of Holocaust survivors. Spheres of psychotherapeutic activity. 0f press Haïfa, pp. 77-87 (Hebrew) (vide 3, 1967). (Note de l'auteur de cet article: les travaux de Davidson sont, dans ce domaine, d'une importance majeure)
    DAVIDSON S., "Le syndrome des survivants, revue générale", L'Evolution Psychiatrique (1981 46 2 avril-juin)
    KLEIN H., Problems in the psychotherapeutic treatment of Israeli survivors of the Holocaust, In: Krystal H. (ed.), Massive Psychic Trauma, Int. Univ. Press, 1968.
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    Davidson, S. (1980). On relating to traumatized/persecuted people. In Israel-Netherland Symposium on the Impact of Persecution, N°2, Dalfsen/Amsterdam. Ministry of Social Welfare, Rijswijk, Holland, 55-62.

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    Kestenberg, J.S. and Gampel, Y. (1983). Growing up in the Holocaust culture. International Journal of Psychiatry and Related Sciences, 20 (1-2), 129-146.
    Mazor, A., Gampel, Y., Enright, R.D., and Orenstein, R. (1990). Holocaust survivors: Coping with post-traumatic memories in childhood and forty years later. Journal of Traumatic Stress, 3 (1).
    Vegh, C. (1979). I Didn't Say Goodbye. England: Caliban Books.

    Bibliographie psychanalytique en langue française et anglaise
    WILGOWICZ, P. -- (1992). Approche psychanalytique des impasses de la mémoire. Retrouvailles de sens et transmission vivante. In Colloque International de Bruxelles. Des crimes et des génocides nazis. Bulletin de la Fondation Auschwitz de Bruxelles, special issue 38-39.
    WILGOWICZ, P. -- (1999) Listening psychoanalytically to the Shoah half a century on (Int. J. Psycho-Anal. (1999) 80, Part 3, downloaded from http://www.ijpa.org). L'auteur se réfère particulièrement à la problématique des identifications. Une forme typique d'identification vampirique est décrite: le vampirisé, ni mort, ni vivant, ni né, se vit sans image dans le miroir, dans un hors-temps/hors espace, dépossédé de lui-même, englobé dans les traumatismes de la génération précédente. Pour l'auteur, l'analyse de tels cas doit s'attaquer aux fantasmes, liés au génocide, d'un complexe vampirique impliquant infanticide et parricide, en deçà des voeux incestueux et parricides du complexe d'Œdipe.
    Voici, plus récents, quelques articles intéressants de psychanalystes, formés à l'Institut de Psychanalyse de Paris, dans la Revue Française de Psychanalyse Vol. LXIV N°1 janvier-mars 2000. Divers articles sont consacrés à ce problème de la Shoah. A noter quelques réflexions à propos des limites, pourtant évidentes selon moi, de l'application des théories psychanalytiques - ceci est très rarement évoqué à l'exception de Crémieux - qui invite à ne pas délivrer des interprétations vécues par le patient comme intrusives et persécutrices. La réflexion portera sur la qualité de la relation transférentielle et contre-transférentielle qui permette au survivant de se sentir accompagné dans son travail de mémoire.
    CHASSEGUET-SMIRGEL J. Trauma et croyance. L'auteur envisage différentes formes de déni de l'expérience concentrationnaire et donne l'exemple de deux séances avec un patient déporté à l'âge de douze ans. Ce patient ponctuait son récit de la phrase: "Vous ne me croyez pas". La procédure technique est commentée et les conséquences sur la mémoire des mécanismes de déni et de clivage sont évoquées (p.39-46)
    CRÉMIEUX R. Stücke or not Stücke. Il aura fallu cinquante ans pour qu'un certain nombre d'entre nous s'autorisent à revenir sur le passé et à transmettre leur expérience concentrationnaire aux générations futures. Dans ce bref article, je m'interroge: le traumatisme était-il indicible? Redoutions-nous de ne pas être entendus? Un consensus s'est-il établi entre les déportés et les "autres"? Psychanalyste, résistante dans le Vercors, déportée à Ravensbrück, j'essaye, à partir de mon expérience personnelle d'en comprendre les raisons, de réfléchir sur l'apport et les limites de l'application des théories psychanalytiques. Il m'a semblé qu'au cours d'une analyse plus que l'interprétation souvent vécue comme intrusive et persécutrice, c'est la qualité de la relation transférentielle et contre-transférentielle qui permettra au déporté de se sentir accompagné dans son travail de mémoire (p.47-51)
    WIEVIORKA A. Quelques réflexions sur la question des restitutions, des indemnisations et des réparations. La sensibilité à tout ce qui touche au génocide des Juifs contraste vivement avec ce qu'elle était dans les années d'après-guerre. Ainsi, la question des restitutions, des indemnisations et des réparations qui semblaient réglées resurgit. Plus de deux générations après les événements, elle pose la question du passage du temps, p.211-219

ANNEXES

    Annexe N°1
    LE POEME DE MARIANNE COHN

    On découvre dans un site internet en 1996 le poème que Marianne Cohn avait écrit avant de mourir. Cette jeune fille allemande née à Mannheim en 1922 a affronté des nations devenues sauvages et primitives avec un courage qui peut nous surprendre. Elle fut arrêtée le 31 mai 1944 alors qu'elle conduisait 28 enfants vers la frontière suisse. Elle fut torturée dans sa prison puis elle fut assassinée par la milice française ou par les soldats allemands. Tous les enfants, âgés d'une dizaine d'années, furent emprisonnés eux aussi dans la prison d'Annemasse comme terroristes. Le maire d'Annemasse, Mr Deffaugt, réussit à négocier avec l'occupant et avec la milice jusqu'à obtenir la survie des enfants. Mr Loinger soutenu par un corps franc de la résistance locale a fait comprendre aux allemands présents à la prison Pax qu'ils seraient exécutés si la vie des enfants n'était pas préservée. J'ai eu l'occasion d'entendre le récit de deux des enfants qui avaient fait partie du groupe. Souvenons-nous de ces deux jeunes femmes d'une vingtaine d'années, Marianne Cohn et Mila Racine, pleines de vie et de flamme, qui aidaient la nuit des groupes d'enfants à franchir la frontière Suisse. Les noms de ces deux héroïnes furent révélés seulement de nombreuses années après leur disparition.
    Marianne Cohn, qui était donc une jeune fille allemande, nous a laissé ce poème écrit en français le dernier jour avant la mort en juillet 1944.
    Je trahirai demain, pas aujourd'hui
    Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles
    Je ne trahirai pas!
    Vous ne savez pas le bout de mon courage.
    Moi, je sais.
    Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
    Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
    Je trahirai demain. Pas aujourd'hui,
    Demain.
    Il me faut la nuit pour me résoudre.
    Il ne me faut pas moins d'une nuit
    Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
    Pour renier mes amis,
    Pour abjurer le pain et le vin,
    Pour trahir la vie,
    Pour mourir.
    Je trahirai demain. pas aujourd'hui
    La lime est sous le carreau,
    La lime n'est pas pour le bourreau,
    La lime n'est pas pour le barreau,
    Le lime est pour mon poignet.
    Aujourd'hui, je n'ai rien à dire.
    Je trahirai demain
The translation of the last Marianne Cohn's paper before the death

I shall betray tomorrow, not today.
Today, pull out my fingernails,
I shall not betray.
You do not know the limits of my courage,
I, I do.
You are five hands, harsh and full of rings,
Wearing hob-nailed boots.
I shall betray tomorrow, not today.
I need the night to make up my mind.
I need at least one night,
To disown, to abjure, to betray.
To disown my friends,
To abjure bread and wine,
To betray life,
To die.
I shall betray tomorrow, not today.
The file is under the window-pane.
The file is not [meant] for the window-bars,
The file is not [meant] for the executioner,
The file is for my own wrists.
Today, I have nothing to say,
I shall betray tomorrow.

    Annexe N°2

    LA CHANSON DU PASSEUR
    Les enfants en fuite ont vécu une sorte d'anabase. Un ami très proche des résistants et passeurs de frontières a laissé un récit de tournure poétique dédié à Léo intitulé:
    "La chanson de Léo le Passeur"
    J'aimais les métiers d'ingénieur et les brocantes. J'aimais le scoutisme. J'aimais les jeux de ballons. Les hasards de la vie m'ont apporté leur lot de surprises. J'ai accueilli mille enfants adorables apeurés. Leurs grands yeux sombres et leurs beaux cheveux noirs m'avaient attendri. Ils parlaient toutes les langues d'Europe y compris le yiddish, le ladino, le polonais, l'allemand et le français. Je me souviens des injonctions des mamans en pleurs, aux petits enfants qu'elles abandonnaient, d'oublier la langue maternelle, de faire semblant ou bien de se taire. Je les entendais chuchoter. Je me suis alors souvenu des cantates de Poulenc: un enfant marchant dans la nuit a murmuré des poèmes étranges et il a chantonné la mélopée mélancolique de la Rapsodie Nègre:

    Honoloulou, poti lama
    Honoloulou, Honoloulou
    Kati moko, masi bolov
    Ratakou sim, polarna
    Watakousi motimasou

    J'ai trouvé un grand bureau à Aix-les-Bains, un terrain de football près d'Annemasse et une tranquille maisonnette à Voiron. J'aimais tant les paysages bucoliques! Je jouais au ballon avec ces adorables enfants voyageurs près des frontières de France. Nous poussions la balle jusque au bord d'un ruisseau, à la lisière de la forêt, en dehors du village. Les paysans étonnés au milieu de leurs champs gelés regardaient passer les enfants sages. La troupe d'enfants raisonnables faisaient dans le paysage un spectacle étrange. Pourquoi ne criaient-ils pas de joie? Pourquoi ne faisaient-ils aucune bêtise comme on fait à cet âge? J'ai mené insensiblement tous les enfants à travers champs. Le ballon devenait bientôt un jouet encombrant. Quand nous fûmes tout près des fils barbelés de la frontière, je leur ai dit: "Nous avons assez joué. Vous resterez silencieux. Vous vous glisserez de l'autre côté du premier barrage. Il y a deux rangées de grillages hauts de 3 mètres que sépare un intervalle de 4 mètres. On a fait des trouées pour vous y glisser. Les soldats suisses sont de l'autre côté. Souvenez-vous qu'on m'appelait Léo. Non! Je ne vous oublierai pas. Allez-y! Soyez braves!". Les mois passent et les années aussi. A la Libération nous nous sommes comptés étonnés d'avoir survécu. Le temps n'a pas effacé mes souvenirs. J'ai retrouvé mes occupations d'antan. Nous retrouvions régulièrement tous nos amis du club de la frontière autour du verre de l'amitié. Nous étions jeunes et enthousiastes. Les femmes y étaient plus nombreuses que les hommes. Elles m'ont dit qu'elles souhaitaient continuer de travailler auprès des services d'aide sociale et faire leur vie auprès d'hommes sur qui on puisse compter. Je n'ai jamais revu les mille enfants du voyage. Leur souvenir me hante aujourd'hui encore. Souvenez-vous, enfants de jadis, souvenez-vous que j'étais un joueur de ballon et qu'on m'appelait Léo.
   
   
   
   
   


Dr Ludwig Fineltain
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Directeur du Bulletin de psychiatrie
   fineltainl@yahoo.fr



Dr Ludwig Fineltain