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    Gros plan sur "La Yuma" et sa réalisatrice

    Pour ceux qui considèrent que le cinéma est une expérience de vie autant qu’un divertissement, voici notre rencontre avec Florence Jaugey, la réalisatrice de "La Yuma", l'histoire d'une jeune femme qui s'échappe de son quotidien violent grâce à la boxe.

    Vingt ans de guerres civiles et de catastophes naturelles à répétition avaient rendu aphone la cinématographie d’un pays, le Nicaragua, où les difficultés financières assaillent encore aujourd’hui les rêves de chacun. Alors, quand voilà quelques mois La Yuma a mis fin à ce lancinant silence, le film a comblé des attentes presque oubliées, et animé avec passion une société qui n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Résultat ? Six semaines en tête du box-office, envoyant au tapis les habituels blockbusters US (Iron Man 2 en tête) exceptionnellement dépassés par cet engouement populaire frénétique.

    Florence Jaugey relève le gant

    Quand Florence Jaugey, alors simple comédienne en tournage, découvre en 1983 l’implacable réalité d’un pays blessé à vif, brusquement s’effrite son "petit univers, complétement bouleversé". C’est le début de la Révolution, et elle est marquée par cette lutte vitale et sanglante, au nom d’idéaux dont elle ne connaissait jusqu’alors que les concepts.

    D’emblée, elle se sent investie et y retourne assez vite, « pour des cours de théâtre, des stages, accompagner des documentaires…» Vient la rencontre d’un « beau caméraman, histoire classique ! » et une famille se forme. Deux enfants voient le jour, ainsi qu’une maison de production, Camila Films, qu’elle fonde avec son mari dans la capitale Managua.

    Assez vite, Florence se rend compte que le métier d’actrice n’en est pas un là-bas, et elle se tourne vers la réalisation pour quelques courts-métrages et de nombreux documentaires. Elle sillonne le pays pendant des années et, animée d’un désir inépuisable de rencontres, s’imprégne au fur et à mesure de la vie qui l’entoure. En 1997, l’une de ses fictions (Cinéma alcazar) remporte un Ours d’argent à Berlin et elle se prend à envisager un premier long-métrage, gageant que cette récompense faciliterait le financement nécessaire. Si La Yuma n’est pas encore écrit définitivement, les ingrédients principaux sont déjà là, depuis toujours. « Je voulais parler de la jeunesse, vous savez que 70% de la population a moins de 30 ans ! Et je voulais faire un film contemporain, sur la réalité d’aujourd’hui et pas sur la guerre dont on m’a toujours parlé. Malgré le sort qui s’acharne, les Nicaraguayens sont d’un optimisme déconcertant, il y a une réelle joie de vivre malgré tout ! C’est ça que je voulais montrer».

    Un combat victorieux

    Mais le montage financier s’enlise, et elle reprend le flambeau de son engagement documentaire. Si elle ne s’en rend pas vraiment compte sur le coup, l’âme de La Yuma se construit là, pendant ces dix ans de situations authentiques de vie qu’elle enregistre. Et aujourd’hui ce constat : « Tout ce qui est raconté dans le film est vrai, je n’ai rien inventé ! ».

    C’est que, au fil des rencontres, une méthode s’est établie. « J’essaie de filmer des moments de vie, de travailler dans le temps». Un dispositif où l’ héritage du théâtre est encore sensible. « La règle des trois unités me suit ! Unité de temps, de lieu et d’action. Je suis avec les personnages et j’y reste.» Dans une prison ou dans un commissariat de la femme, l’essentiel est l’humain : accompagner sur la durée, écouter, avant d’exposer les témoignages de tous ces laissés-pour-compte.

    L’âpre réalité de ces gens qu’elle a depuis si longtemps suivis, elle la vit parfois à ses dépens. « Le film a été piraté tout de suite et c’est environ 40 % du public qu’on a perdu. Et pour nous, le Nicaragua étant le premier marché, ça créé un manque-à-gagner important dans l’optique du deuxième film qui doit suivre… » Mais, là encore, elle ne se résigne pas : « Nous voulons travailler avec les pirates pour essayer de garder la période d’exclusivité au cinéma. On ne peut pas empêcher le piratage mais on doit tenter de leur faire comprendre qu’en s’attaquant à des films comme le nôtre, c’est au fond à eux qu’ils font du tort ».

    De longue haleine

    Cette première expérience de fiction est un aboutissement personnel et collectif. Depuis toujours animée par cette envie de fondre cette réalité à son imaginaire, elle choisit des ingrédients qu’elle sait accessibles. Une femme qui lutte pour ses rêves. Une love story impossible. Et les univers populaires de la boxe et du cirque comme théâtre des péripéties. Car La Yuma (c'est aussi le prénom de l'héroïne) brosse le portrait d'une jeune femme qui, grâce à la boxe, tente de s'extraire de son quartier miné par la violence des gangs. Ici, point de misérabilisme, mais plutôt un enthousiasme, une confiance dans la vie malgré tout. En renvoyant enfin à une société son reflet –fictionnel- Florence Jaugey a créé un phénomène identitaire qu’elle apprécie à sa juste valeur : « Il y avait quelque chose de jouissif à sentir dans les salles toutes ces réactions emballées ».

    Dans les nombreux festivals que le film a parcourus, une révélation a éclaté, l’actrice Alma Blanco. Ses cinq prix d’interprétation traduisent pourtant à peine l’admiration que voue pour elle la réalisatrice, qui sait toute l’importance de sa performance. Ancienne prof de danse de sa fille, le rôle a été écrit pour elle, elle qui par son « investissement, son talent et sa discipline » porte de bout en bout l'histoire.

    Si le film est destiné au public local, la réalisatrice veut croire en une possible carrière à l’étranger. « Il y a quelque chose d’universel je pense, dans l’image d’une jeunesse en difficulté qui a envie de s’en sortir ». Suivez son regard… La Yuma permettra à certains de situer un pays sur la carte et peut-être à d’autres de poser les fondations d’une autre image possible. Bref, lui redonner une existence visuelle. Là-bas, à Managua, on l'en remercie encore.

    Adrien Ribstein-Moreau

    La bande-annonce de La Yuma

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