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Écrire une histoire de cul n’est pas donné à tout le monde

18 Déc

Si j’écrivais une histoire, elle débuterait par un couple qui baise dans une voiture, sur le siège avant du passager. À l’arrière, le fils de la femme adultère feindrait de dormir. La description serait décevante, le narrateur ayant échoué son cours de description à l’école de narration. Il parlerait d’une grosse Chrysler brune des années 1950 sans être certain du modèle exact, ni de la couleur, ni de l’année. Se réclamant d’intertextualité, il reprendrait mot à mot les clichés rencontrés dans ses lectures érotiques : petits cris étouffés de la femme, râles rauques de l’homme, ongles affutés et dos lacéré, orgasme soupiré, grincements du banc, buée dans les fenêtres. Le narrateur prétexterait d’ailleurs cette buée pour justifier son compte rendu approximatif de la scène, déguisant son inaptitude en stratégie narrative. Ironiquement, il se désintéresserait de son récit pour cette même raison : son ambition de raconter une histoire de cul serait empêchée par sa propre incapacité. Du reste, il ne saurait que faire du couple et de l’enfant après le coït. Le mari l’apprendrait, et cela deviendrait une histoire de divorce violent ? L’enfant grandirait traumatisé, et il se retrouverait prostitué dans un pet-shop ? Le couple adultère se lancerait en affaires en investissant dans un club d’échangistes ? À moins qu’il ne complote contre le cocu pour le tuer et hériter de sa fortune ? Une bâtarde naîtrait de leurs ébats ; la grossesse et la naissance seraient ignorées de tous ; l’enfant serait envoyée dans un orphelinat et, des années plus tard, elle tomberait amoureuse de son demi-frère insoupçonné ? Ou, encore, elle servirait d’instrument de vengeance par ce demi-frère qui en aurait appris l’existence et qui ferait chanter sa mère ? Le narrateur serait bien embêté devant le vertige des possibilités de cette histoire qu’il ne voulait que sexuelle. Le sexe, c’est trop compliqué, se dirait-il finalement ; mieux vaut laisser tout ça à l’imagination – ou à la pratique réelle.

Voilà pourquoi je n’écris pas d’histoires ; j’ai le narrateur incompétent.

 
3 Commentaires

Publié par le 18 décembre, 2008 dans prose

 

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3 réponses à “Écrire une histoire de cul n’est pas donné à tout le monde

  1. Annie

    18 décembre, 2008 at 11:41

    Flatte-le dans le sens du poil, ton narrateur.

     
  2. Ge

    18 décembre, 2008 at 3:24

    Pour cette non-histoire tout à fait méta, je serais tentée d’écrire un non-commentaire. Si j’avais à en écrire un, il se lirait donc comme suit : Vous avez le narrateur sur-compétent selon moi, ou hyperconscient, du moins. Bravo, narrateur.

     
  3. Quentin

    26 novembre, 2012 at 5:03

    Baise le ton narrateur ^_^

     

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