Daman et la main de l’espoir pour la paix en Casamance

« Ce qu’un être humain peut bien faire, il faut toujours le faire à plusieurs. C’est pourquoi il nous faut : une main, des centaines de mains, des mains d’enfants, des mains d’adultes, des mains de toutes les couleurs, des mains de toutes les cultures, des mains colombes, des mains visages, des mains paysages, car chaque main a son histoire...

... chaque empreinte devient une histoire, ces mains se font symboles, langage universel, elles racontent l’humanité, dénoncent l’intolérance, se font écho des différences ».


C’est ainsi que Daman Cissokho préface le projet éducatif La Main de l’espoir .


Objectif du projet : contribuer à construire la paix et la citoyenneté en Casamance en permettant aux jeunes lycéens d’extérioriser leur ressenti sur le conflit et d’en faire un support pour interpeller les populations. Une main, cinq doigts, symbolisant cinq lycées réunis autour d’un objectif commun. Les cinq lycées des deux académies de la région de Ziguinchor, soit plus de 500 lycéens et lycéennes, sont impliqués activement au travers des activités artistiques (peinture, théâtre, poésie) développées dans le projet. L’initiative qui avait d’abord été lancée dans le lycée Djignabo en 2000, a ensuite été étendue deux ans plus tard sous l’impulsion de Daman. Elle est financée par le Programme d’Appui aux Activités Socio-économiques de la Région de Ziguinchor (PAARZ - GTZ), devenu aujourd’hui le Programme Casamance (PROCAS). Un nouveau projet a été déposé par le lycée Djignabo et vise cette fois-ci à mobiliser les 26 établissements (7 lycées, 19 collèges) des deux académies de la région.




Daman, tu t’investis beaucoup dans le projet La Main de l’espoir. Comment vis-tu ton métier d’enseignant aujourd’hui au lycée Djignabo ?

Mon métier d’enseignant est un métier difficile à cause des conditions de travail. Les effectifs de classe sont importants. J’ai 4 classes de 60 élèves. Cela a une incidence sur l’enseignement car on ne peut pas s’occuper de tout : le travail en groupe qui demande de l’organisation et le suivi individuel qui demande de la disponibilité, sont difficiles à mettre en oeuvre. Si bien que l’apprentissage n’est plus centré sur l’apprenant. La communication, je veux dire le dialogue interactif entre nous enseignant et les élèves, est ardue ainsi que le dialogue entre les élèves eux-mêmes.


Pourquoi le dialogue est-il difficile à ce point ?


Les élèves ne maîtrisent pas bien la langue française si bien qu’il y a réellement un malaise dans les cours. Il faudrait que le français soit enseigné comme une langue étrangère. Je crois que la manière de l’enseigner n’est pas bonne. L’accent est mis sur la mémorisation des règles de grammaire et non sur l’expression et l’usage de la langue. L’accent est mis sur l’écrit au détriment de l’expression orale. C’est un obstacle aujourd’hui. Lorsque je pose des questions, mes élèves ne comprennent pas forcément et j’ai du mal à percevoir s’ils comprennent vraiment. Par conséquent, je crois qu’il faut revoir l’équilibre entre l’expression écrite et l’expression orale. Faire en sorte que l’apprentissage du français devienne plus actif. On a trop endoctriné le français avec une approche grammaticale au déficit de l’appropriation et de la pratique de la langue. Certains jeunes ne savent pas poser des questions, faire une facture, rédiger un mandat-fax, écrire un CV, une lettre de demande d’emploi, construire un argumentaire.


Cela demande un changement des méthodes et des outils d’enseignement ?

Oui, il faut revoir les outils et les approches pour que cette matière soit réhabilitée par rapport à son usage en société. C’est globalement un enjeu de l’enseignement : retisser des liens entre les savoirs et la vie sociale.
Je propose que l’on organise les cours en fonction du niveau réel des élèves à partir de tests réalisés au démarrage de l’année scolaire. On mélangerait les niveaux : des terminales avec des premières et des secondes. Au lieu des livres de grammaire, il nous faudrait des manuels contenant des documents authentiques. Il faudrait modifier le système à partir de la base, c’est à dire à partir de l’école maternelle.

Beaucoup d’élèves arrivent à l’université qui est surchargée. La formation professionnelle a été mal suivie par l’Etat. Et l’éducation est très importante dans le développement.

La volonté politique de changement de l’éducation n’existe pas au Sénégal. La volonté est plutôt de conserver la place de ceux qui sont au pouvoir actuellement. Il y a eu des Etats généraux de l’Education nationale en 1985-1986 mais les conclusions n’ont pas été appliquées et ne sont pas applicables, de toute façon, par l’Etat. Les enseignants avaient fait des propositions de changements, nous n’avons pas vu de suites. Je pense que les cadres au pouvoir n’osent pas appliquer les changements par peur de manquer de maîtrise et d’être déstabilisés. L’Etat investit beaucoup mais je me demande s’il évalue les retombées des investissements et l’impact sur le développement. Les moyens manquent : en 11 ans d’enseignement, je n’ai jamais eu la visite d’un inspecteur. La mission d’inspection est quasiment absente.


Quel rôle donnes-tu à l’éducation ?

L’éducation pour moi est le moteur du développement. Dans tous les pays développés du monde, l’éducation a joué un rôle fondamental en étant un levier du développement. Elle permet aux citoyens de s’épanouir et de se forger une personnalité autour de valeurs qui sont porteuses de progrès.
Concernant les relations écoles-société, il n’y a pas de sous-métiers. On ne valorise pas assez les formations professionnelles. Les gens pensent que les métiers manuels n’ont aucune considération. Les parents sont responsables de cette appréciation et l’Etat également. Dans la tête des gens, les études aboutissent sur une fonction, sur le métier de fonctionnaire. Les jeunes qui arrêtent l’école ne comprennent pas que l’éducation leur apporte de l’épanouissement et de la compréhension du monde. Il faudrait créer des structures qui récupèrent les élèves qui échouent dans la formation classique pour cultiver leurs potentialités et valoriser les filières professionnelles. Il faut changer l’idée générale que seuls ceux qui ont réussi les études peuvent changer le pays. Tout le monde peut le faire progresser à partir de sa citoyenneté et de son implication sociale.


Quels enjeux vois-tu dans l’éducation à la paix et à la citoyenneté ?

La paix est une condition du développement et du vivre ensemble. Le retard des pays africain est lié à une instabilité des systèmes politiques. Je crois qu’il y a 150 conflits actuellement en Afrique. L’éducation a donc un rôle central pour promouvoir une culture de paix et proposer une éducation à la paix. En même temps, il nous faudrait former de réels citoyens qui seront capables de se gérer, de comprendre leur environnement, leur droits et devoirs et de participer à la vie démocratique. Développer la responsabilité pour s’impliquer dans le jeu démocratique et à la construction de la société et de sa communauté.

Il faut éduquer à la responsabilité, cela me paraît indispensable et le corollaire c’est de développer la conscience citoyenne. Dans notre société, les gens savent à peu près revendiquer leur droit, mais pas vraiment leur devoir. Commençons par l’école en développant des parlements d’école, en associant tous les acteurs de l’école, en apprenant à poser des revendications et des propositions, à élire des représentants et fixer les relations de coopération. La gestion des ressources de l’établissement devrait être co-gérée et vérifiée par les acteurs. Il s’agit en fait de reproduire le modèle démocratique au sein de l’école. Dans ce schéma, on formera des gens qui seront capables eux-mêmes de former leur communauté à ce fonctionnement. Dans le domaine informel, j’estime qu’il faudrait encourager l’association car c’est au niveau de la conscience collective que l’on pourra agir sur les individus. Ces associations seraient en relation avec l’école car elles pourraient être le terrain d’expression et de vérification des connaissances. Et il y a un dynamisme associatif très varié qui regroupent des gens autour d’un intérêt commun qui peut être économique, social (la pauvreté, l’exode rural), culturel (les communautés, les traditions)... On pourrait s’appuyer la-dessus. Par exemple, lorsque je donnais des cours du soir à l’Alliance franco-sénégalaise, j’avais réalisé un petit guide pédagogique structuré pour savoir exprimer une question, une revendication, une proposition, rapporter un discours, organiser un débat à l’oral.


Qu’est-ce qui te pousse intérieurement à faire cela ?

Ce que je poursuis, c’est un monde plus juste et libre. Ce monde est possible si on l’invente à plusieurs. Il faut que le monde matériel soit relativisé, il faut valoriser les croyances et les socio-cultures, faire de la différence une source d’unité et de richesse, un peu à l’image de la Main de l’espoir, développer les principes de tolérance, de compréhension, de respect mutuel, avoir la force de regarder l’autre dans une relation d’échange et non de domination.

J’ai décidé de vivre ici seul loin de ma famille, en étant très solidaire avec mes élèves. Une fille a pleuré une fois dans mon cours et elle ne voulait pas s’expliquer. J’ai voulu l’envoyer vers une soeur. J’ai fait un questionnaire pour qu’elle s’exprime par écrit. Elle souffrait parce que ses parents s’étaient séparés et qu’elle ne connaissait pas son père. Elle refusait en fait de vivre en se sentant persécutée. Je l’ai incité à se reconsidérer elle-même, à changer l’image d’elle-même. Mes élèves sont attachés à moi à cause de cela. Je les aide à comprendre leur relation avec eux-mêmes et avec leur famille. Tout le monde peut être heureux, il suffit d’être en accord avec soi et de trouver le bonheur en soi-même.

Je voudrais que toutes ces idées d’un autre monde se concrétisent, que mes vingt ans d’exploration au cours desquels j’ai construit ces convictions, se concrétisent. Il faut rêver d’un ailleurs pour vouloir un changement et accepter de croire dans ses rêves. J’aimerais partager ces rêves avec d’autres en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud. L’homme pour moi doit être aujourd’hui au centre de nos préoccupations car il est la merveille et le centre de l’univers. Il pense le monde, il lui donne un sens. Le rationnel de la science a détourné et apprivoisé les finalités humaines. Il faudrait que l’homme puisse trouver sa place et se réconcilier avec lui-même pour ensuite se réconcilier avec les autres. Cela demande de l’introspection et l’acceptation du regard de l’autre dans un rapport d’échange et d’enrichissement.

La solidarité est une valeur universelle. Le dialogue des cultures est indispensable pour la construction des sociétés. La culture m’a interpellé à partir de 40-50 ans car elle m’a construit dans le fond et j’ai eu besoin d’y voir plus clair.

J’aimerais être en relation avec des personnes et des réseaux pour contribuer à construire une alternative, participer à des échanges, des rencontres. A chaque fois que j’ai participé à ces rencontres, j’ai pu me remettre en question, m’enrichir d’autres expériences. Je ne suis pas un romancier qui invente son autre monde tout seul : en étant artisan d’un autre monde, je ne peux le faire qu’en lien avec les autres. Depuis l’université, je cherche à rencontrer les autres, à faire le lien, à tisser des relations.



Daman a 41 ans, il est marié et a deux enfants. Il est professeur de lettres au lycée Djignabo de Ziguinchor. Il a travaillé sur l’élaboration des programmes de l’université populaire de Bignona, à la rédaction du plan quinquennal du programme de développement économique de Bignona. Il est coordinateur des clubs Unesco du lycée Djignabo et concepteur de l’opération La Main de l’espoir qui rassemble les 5 lycées des académies de la région Casamance.



Quelques compléments :
- le cahier de propositions Education élaboré dans le cadre de l’Alliance pour un monde responsable pluriel et solidaire (format PDF - 170 Ko) -> télécharger
- la Charte des responsabilités humaines (format PDF - 80Ko) -> télécharger
- le site web de l’Observatoire international des réformes universitaires
- une sélection de fiches d’expériences sur l’éducation à la paix dans le monde sur la base de données DPH -> consulter





Abdoulaye Sidibe et Daman Cissokho écrivent à Traversées...



Un jour comme les autres... C’était le 02 du mois de Juin de l’année 2004, nos chemin se sont croisés. Ils s’appellent François et William et nous Daman et Abdoulaye. Eux faisaient le tour du monde sous le label Traversées et nous dans notre établissement parce que enseignant - éducateurs de profession travaillions sur un projet « La main de l’espoir » pour une éducation à la paix et à la citoyenneté.


Un premier contact comme tant d’autres : des discussions, sorte d’échanges d’expériences vécues ou de projets futurs à réaliser et voilà nouée une relation partie d’un simple regard, d’une écoute...

La « Traversées » fit escale et de cette rencontre naquit une collaboration spontanée.

Cette grande rencontre nous a permis de découvrir un autre nous-même, à partir de ce moment le rêve et la réalité se sont fondues.

Pour « Traversées » que de repaires, d’ouvertures et d’opportunités.
La main tendue de l’espoir a trouvé celle du partage et de l’amitié.
Une nouvelle expérience vient de voir le jour et les frontières de notre horizon viennent d’être repousées.

Dans cette dynamique naquit l’idée de la création d’une association dénommée « CAIRO » - Collectif d’Actions et d’Initiatives pour la Recherche de la paix Dans l’Ouest Africain - avec pour première action, l’organisation d’une Caravane de la paix dans la sous - région pour contribuer à la reconstruction de la paix par le biais de l’expression artistique et culturelle.

Que vive la collaboration et l’échange entre les hommes pour un monde de fraternité et de paix.


Abdoulaye SIDIBE
le 30 juin 2004







Traversons, oh courage traversons !
Réunissons-nous sans haine ni rancoeur
Amis du monde, armés de passions et de rêves
Vivons ensemble main dans la main
Et faisons de nos différences une source de richesse !
Réhabillons-nous de pardon
Sans haine, ni rancoeur
Ensemble, bâtissons un monde de paix
Et toujours en avant, oh courage
Soulevons les barrières et unissons nous.




Daman Cissokho
Ziguinchor - Sénégal, le 30 juin 2004







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