Le projet de société de la ville de Ouahigouya au Burkina Faso

Agent retraité de l’Education nationale et maître d’oeuvre dans ces dernières années de service d’un programme d’éducation soutenu par la Banque mondiale, Issa Joseph Diallo est devenu depuis 2001, maire de Ouahigouya, troisième ville du Burkina Faso avec 65 000 habitants, porté par les couleurs du Congrès pour la Démocratie et le Progrès.




Issa Joseph Diallo s’exprime en politique avec des termes qui évoquent beaucoup plus l’idée d’une action qui se construit progressivement dans le temps à partir des réalités et des exigences locales, qu’une décision figée qui se décrète au nom des autres et pour les autres. La preuve en est lors de notre entretien, puisqu’il n’a jamais parlé de SON projet politique, mais de ce qui lui semblait définir l’état des mentalités et des dynamiques socio-économiques de son terroir communal.


Qu’y a-t-il d’original à Ouahigouya, cette ville située au nord du Burkina Faso ?
C’est certainement la façon qu’a cette cité d’entrer en projet et d’expérimenter localement les nouvelles données de la décentralisation, dans un continent où la sphère politique est en crise de légitimité et fortement influencée par l’aide internationale.
Le projet de la ville de Ouahigouya constitue en effet « un vaste chantier, opposé à des réalités locales caractérisées par une pauvreté généralisée, une insuffisance de moyens humains, matériels et financiers, une pléthore d’initiatives rendues inefficaces par l’absence totale de cohérence et de complémentarité ». Un contraste difficile que la ville a tenté de convertir en opportunité puisque, dans le sillage du redéploiement des compétences communales découlant de la décentralisation, la commune s’est lancée dans l’élaboration d’un projet de société pour la période 2002-2005.

Du point de vue méthodologique, la définition de ce projet s’est effectuée en deux étapes :

- la première : réalisation d’un diagnostic participatif mettant en exergue les contraintes, les atouts et les opportunités de la commune,

- la seconde : définition des principaux axes de développement et des actions majeures à mener.

En outre, il est intéressant de voir qu’une grille d’analyse, correspondant aux domaines de compétences communales, a été utilisée pour la phase de diagnostic et en partie pour l’écriture du plan de développement. Cette grille comprend les onze entrées suivantes : le domaine foncier, l’aménagement du territoire, l’environnement et l’assainissement, le développement économique, la santé et l’hygiène, l’éducation et la formation, la culture, le sport et les loisirs, la protection civile et l’assistance secours, les cimetières et les pompes funèbres, l’eau et l’électricité. Comme le précisent les rédacteurs du projet final, cette grille ne s’est en réalité pas avérée suffisante pour rendre compte des perceptions et des attentes de la population. Elle aura permis néanmoins d’établir un compromis satisfaisant en ramenant la « résolution des problèmes à traiter dans le domaine de la faisabilité juridique et en faisant l’économie des questions de droits conférées à telle ou telle action communale ».

Chacun des 14 secteurs urbains, par l’intermédiaire de réunions publiques, d’enquêtes et d’entretiens directifs animés par les conseillers municipaux et par une équipe de consultants spécialisés a fait émerger un grand nombre d’attentes et de suggestions mais aussi et surtout, d’après Issa Joseph Diallo, des problématiques communes. Citons en quelques unes parmi celles énoncées par le maire de la ville :

- le constats des faiblesses des ressources économiques locales et la nécessité d’améliorer les infrastructures marchandes et la finance locale,

- la dynamisation des initiatives et notamment celles des jeunes (la part des jeunes dans la population est de 55%),

- la poursuite et l’amélioration des relations avec les partenaires de l’aide internationale,

- la perception que les habitants ont de la conduite de leur destin et de leur emprise sur la vie sociale et la nécessaire promotion d’une citoyenneté et des moyens pour la mettre en oeuvre,

- l’amélioration du cadre de vie et de l’assainissement,

- la valorisation de la ville dans l’espace régional.


« Un des constats que nous avons fait ici est de que la population n’a pas confiance dans la gestion publique et n’a pas conscience qu’elle peut orienter son propre avenir » explique le maire. « En entrant dans mon mandat, je me suis aperçu de l’incivisme fiscal qui régnait ici quand une décision publique n’était pas suffisamment fondée et justifiée. Notre projet de société nous fait avancer vers davantage de légitimité, de confiance et vers la participation accrue de la population à la recherche de solutions ».

Autre stratégie innovante de la ville de Ouahigouya : la mise sur pied avec le concours de la ville de Chambéry en France, de comités de développement pour chaque secteur urbain. Animés par trois conseillers municipaux et un bureau de 11 membres, ils comportent des acteurs économiques et sociaux, sont ouverts à tous les habitants des secteurs de la ville lors des séances publiques et permettent d’organiser le dialogue entre l’équipe communale et la population. Ces comités seront prochainement suivis de centre de promotion et de gestion des secteurs ayant une vocation plus opérationnelle.

Les moyens de la ville sont somme toute modestes pour un projet si ambitieux : « notre budget annuel est de 300 millions de Francs CFA (environ 50 milles euro) ce qui est loin de suffire à nos besoins en particulier à nos investissements en matière d’infrastructures. L’Etat nous reverse simplement la Taxe Unique sur les Produits Pétroliers (soit un montant de 14 millions de francs CFA dans notre budget annuel) et nos infrastructures sont financées aujourd’hui à cent pour cent par la coopération internationale. Nous faisons une évaluation annuelle de notre plan de développement poursuit le Maire ». Nous n’aurons malheureusement par assez de temps en compagnie du maire pour en savoir davantage sur le suivi du projet.

« Concernant mes échanges avec l’extérieur, je suis conseiller technique du Président de l’association des maires du Burkina Faso, Simon Compaoré (l’actuel maire de Ouagadougou) et j’ai participé également au Congrès fondateur de Cités et Gouvernements locaux unis de mai 2004 à Paris. Nous avons réellement besoin d’échanger nos points de vue entre villes de même échelle et confrontées aux mêmes genres de question. C’est ce que nous faisons avec l’association des maires burkinabe. Cela est plus difficile avec la démarche Cités et gouvernements locaux unis car j’ai l’impression qu’il s’agit plutôt d’un club de villes nanties non représentatives des villes ayant notre profil. J’aurais aimé qu’il y ait une structuration de ce réseau en région et sous-région de manière à pouvoir nous retrouver entre homologue. Et puis enfin, la cerise sur le gâteau : j’ai la chance de participer à la préparation d’un évènement important pour novembre 2004 : le Sommet des maires francophones à Ouagadougou !



La ville de Ouahigouya est jumelée avec trois villes du Burkina Faso, Vence (France) et collabore avec la ville de Chambéry (France) et la coopération suisse.



Quelques compléments :

- Le compte-rendu du congrès fondateur de « Cités et gouvernements locaux unis » - mai 2004 - Paris (format PDF - 400 Ko) -> télécharger
- Dossier de fiches d’expériences sur le thème « Renouveau du politique » (format PDF - 500 Ko) -> télécharger

- fiches d’expériences de la banque Dialogues pour le Progrès de l’Humanité

  • Qui impulsera ou freinera la décentralisation réelle du système d’aide (Afrique de l’Ouest) ? -> consulter
  • Comment maîtriser par le bas un système construit de l’extérieur et par le haut (Afrique de l’Ouest)
    Le point de vue d’un évaluateur des méthodes de l’aide

    -> consulter
  • Mondialisation/métropolisation : intérêt d’une gestion démocratique de la cité -> consulter
  • La centralisation contre la décentralisation
    Les tentatives de sabotage des politiques de décentralisation par les autorités déconcentrées : l’exemple du service public de l’état civil de Salikégné
    -> consulter
  • Décentraliser pour sauvegarder l’unité et l’intégrité du territoire national
    L’expérience de la rebellion du Nord Mali
    -> consulter




    Ouahigouya - Burkina Faso, le 1 août 2004





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