Taxi Driver-Analyse d'un personnage

Publié le par sandra walger

Travis est un homme seul. Ancien combattant du Vietnam, une guerre en laquelle il a cru, il commence une nouvelle vie sociale à New York. De par son insomnie et sa solitude, il devient chauffeur de taxi nocturne. Dans son cab, il déambule dans la jungle urbaine de New York, « un égout à ciel ouvert », comme il la surnomme. Un dégoût qui réveille en lui une haine et une volonté de purification, autant de son âme que de la ville. Dans sa quête de pureté, il rencontre un ange, Betsy, secrétaire du candidat à la présidentielle Palantine. Hélas, c’est un échec affectif inévitable de par leur différence sociale et une maladresse sociale qui caractérise le personnage de Travis. Son malaise intérieur ne fait qu’empirer lorsqu’il rencontre un mari trompé aux intentions meurtrières. Travis est enfin prêt, il s’arme, s’entraîne, se met en forme comme pour une prochaine guerre. Sa victime malgré elle est le candidat Palantine, son échec avec Betsy ne pouvant rester sans responsable. Nouvel échec, Travis sauvera enfin Easy, alias Iris, une jeune prostituée de douze ans, des mains d’un proxénète et junky, Sport. Dans son suicide exterminateur , il emporte également le gérant de l’hôtel de passe et le client anonyme d’Iris. Il tente de se suicider s’en y parvenir ; un acte qu’il mimera à l’arrivée des policiers sur le lieu du carnage. Alors qu’il se remet de ses blessures, la presse et les heureux parents d’Iris définissent son acte d’héroïque. Travis a sa victoire, une reconnaissance sociale et affective.  

 

 

 

 

                                I.      TRAVIS ET LA SOLITUDE URBAINE :

 

 

1.      La ville :

 

 

Alors qu’il exprime une certaine répulsion pour la ville, Travis décide volontairement de se plonger dans ces artères fumantes afin de nourrir sa haine, ses envies, ses phobies. Il dit à l’employeur qu’il a l’âme pure, autre façon d’affirmer qu’il va sur le champ pour « nettoyer ». Le personnage de Travis va entretenir un lien étroit avec la ville. En témoignent les panoramiques ; lorsque Travis entre au dépôt pour la première fois, la caméra le suit traversant la fumée des moteurs, marchant à travers les taxis jaunes. Egalement dans le premier plan du film servant au générique, un gros plan des yeux de Travis scrutant la ville et ses lumières rouges pose d’emblée ce rapport avec l’environnement. Le film est porté par le point de vue : c’est le regard du personnage et le regard sur le personnage qui ne font que s’alterner en fonction des situations. L’autre environnement clos qui compose la ville est l’appartement de Travis. Lieu clos, unité même de sa solitude, sa chambre ressemble davantage à celle du bon soldat ( lit de camp, couverture militaire...), qu’à l’appartement d’un trentenaire new-yorkais. Filmé en plongée, notamment lors de ses incessantes insomnies, la caméra surplombe l’espace et accentue le terrassement psychique du personnage. Dans ce lieu, Travis écrit, seule occupation et expression qu’il maîtrise.

 

 

2.      La nuit :

 

 

Travis vit de nuit, il l’a choisi. La ville vit aussi la nuit, « l’enfer » selon lui, où le vice est partout. Pour revenir sur le premier plan du film, le ralenti du regard spectateur et vide de Travis donne cette impression d’être réveillé mais pas tout à fait, un rêve éveillé, un état droggy ; état du personnage insomniaque. Travis ne fait plus de distinction entre le jour et la nuit jusqu’il travaille la nuit et passe la plupart de ses journées dans les salles obscures d’un cinéma. Il n’en fait, d’ailleurs plus non plus entre ce qu’il voit sur les trottoirs nocturnes et sur les écrans de ses salles à caractères sexuels, ce qui lui vaudra la fuite imprévue de Betsy lors de leur unique rendez-vous. La nuit new-yorkaise crée un monde artificiel aux couleurs de feu : néons, enseignes, feux de circulation ; les inserts sont nombreux. Ce rouge infernal combat sans cesse contre le jaune (du taxi, du crayon de Betsy, de la blouse du disquaire, de l’écusson sur la veste de Travis), symbole de l’optimisme américain. La figure emblématique du jaune, et donc de l’optimisme reste bien sûr le taxi, point de rencontre des univers extérieurs et intérieurs.

 

 

 

 

3.      Le taxi :

 

 

Pour le personnage, le taxi est une issue de secours. D’abord de son insomnie, ensuite de sa solitude relationnelle, et finalement des dangers de la ville. Il sera le chauffeur des pécheurs, sorte de confessionnal mouvant. Le véhicule est le point central du film, il entoure de plus près le personnage, et pourtant c’est également la fenêtre sur le monde, forme moderne de l’obstacle.C’est le place d’où on voit et on est vu. Travis invite à pénétrer son univers pour échapper à « l’enfer ». On remarquera son positionnement au volant : le coude à l’extérieur de la voiture mais la main à l’intérieur, gestuelle faussement décontractée ; il se protège. Dans la première séquence au dépôt, la caméra suit d’un travelling latéral le personnage, son parcours entre fumées et véhicules souligne que son cheminement vers son but ne sera pas évident. Le taxi va lui permettre de se déplacer loin de sa triste et stérilisante réalité. C’est un microcosme dans lequel Travis va se fondre progressivement. En effet, son passage à l’acte est intimement lié aux discours psychotiques de l’homme trompé . Le taxi est filmé d’un point de vue unique par des inserts de rétroviseur, travelling latéral sur l’arrière gauche puis sur le capot. Le taxi est associée étroitement à la ville dans un montage rythmé lors de la découverte du véhicule par le spectateur. De façon rapide, s’alternent inserts du taximètre, des néons flamboyants, puis retour au compteur, et enfin feux de circulation. Taxi et ville , deux univers, l’un clos et sain, l’autre ouvert et corrompu, mais qui évoluent ensemble dans la nuit.

 

 

 

 

                             II.      TRAVIS ET L’OBSESSION AFFECTIVE :

 

 

 

 

1.   Incapacité à communiquer :

                                                  

De retour de guerre, Travis est un homme perdu, sans attache, sans contact social, sans famille, sans communication. Tout le travail sur le personnage participe à ce malaise intérieur que communique Robert de Niro. Ses gestes sont hésitants, il cherche ses mots, il bouge d’une façon nerveuse. Dans la séquence où il aborde Betsy pour la première fois, la caméra se place derrière Betsy. Figée, la caméra participe à augmenter la tension qui le submerge et souligne son manque d’assurance. Une tension que l’on retrouve à la sortie du cinéma, Travis est rejeté du taxi qui démarre, preuve irréfutable que Betsy lui refuse l’intimité qu’il rêvait. Avec Iris, il doit convaincre, c’est elle qui échoue sur lui mais elle lui est immédiatement retirée. Elle s’offre à lui mais il ne veut que la protéger. Pourtant, même gestes maladroits au café ; Iris, plus espiègle que lui, lui fait remarquer l’impulsivité de ses mouvements. Autre marque d’absence de communication : le journal. Le journal, traduit cinématographiquement soit par la voix « off », soit par inserts de mots écrits, s’inscrit dans l’évolution psychologique du personnage. Dans sa chambre, le journal est le seul mode d’expression maîtrisé. Dans son récit de sa vision angélique de Betsy, un travelling latéral suit au ralenti le mouvement de droite à gauche de la femme, puis gros plan sur l’œil de l’observateur et enfin, rencontre en surimpression avec un travelling rapide de gauche à droite cette fois, qui laisse lire les mots : « not to touch her », ce qui signale au spectateur que leur rencontre est devenu inévitable pour Travis. Son journal participe à tuer l’ennui et le silence car, de toute façon aucun bruit ne lui est destiné. Il n’en n’aura plus besoin lorsque la parole se libèrera du silence, ayant trouvé le seul interlocuteur possible, à savoir le miroir.  

 

 

2.      Betsy : « l’ange sorti de l’enfer »

 

 

Betsy représente le rêve, l’illusion, la fascination de Travis, son désir d’intégration. Il parle d’elle d’une voix douce, l’impression de ralenti participant à son aspect pure mais insolite ; scène miroir de celle où Travis vêtu d’un costume en velours, marche vers son rendez-vous, le ralenti donnant l’impression qu’il flotte. Face à elle, Travis est impulsif : lorsqu’elle sort enfin du bureau pour la pause café qu’il a obtenu, la caméra se précipite sur eux par un rapide zoom avant. Mais l’échec est inévitable, Travis étant plus « souillé » qu’elle, elle devient inapprochable socialement. Dans la deuxième partie du film, elle devient alors sa frustration. Ses pensées, exprimées en voix « off », errent parmis le travelling de bouquets de fleurs qu’elle lui renvoie systématiquement. Sa déception le pousse à la vengeance sur Palantine mais, comme pour Betsy, la proie est trop grosse.  Travis suit un système particulier avec ses deux relations féminines : la rencontre avec Betsy est finalement plus facile que celle avec Iris, la pause-café est aussi enfantin avec l’une et l’autre, le sexe est mis au premier plan par la séquence au cinéma avec Betsy et dans la chambre de passe avec Iris. La libération conclut ses rapports : l’une est sauvée physiquement et l’autre accepte enfin un rapport de séduction.

 

 

3.      Iris : la fleur du mal

 

 

Le comportement de Travis avec les deux femmes du film sont similaires ; pourtant elles représentent des sentiments différents, ce qui prouve que l’objectif de Travis n’est pas sexuel mais plus protecteur. Il veut se sentir utile, il est volontaire et serviable. Par rapport à leur situation individuelle, Iris et Travis se ressemblent. Ils servent les autres par leur service, ils sont « souillés » par les déchets de leurs mouvements nocturnes, ils appartiennent au même monde. Néanmoins, le contact avec elle va s’avérer aussi compliqué, voir davantage, qu’avec Betsy. Elle est extirpée du taxi par Sport, puis tirée par le bras lorsque Travis, l’ayant reconnue, la suit de son taxi. Betsy, si angélique devient « comme les autres, froides », en dira Travis, alors qu’Iris, si corrompu garde une innocence qui donne à Travis le rôle qu’il souhaitait tant. Son devoir est de la sauver de l’enfer, de la convaincre, d’être actif, enfin. La séquence dans la chambre avec Iris se conclut par un panoramique allant d’elle à lui, puis de Travis vers la porte, pour enfin revenir sur Iris ; système de suivi annonçant son retour imminent pour la sauver ; sa mission est désormais lancée. Travis et Iris ont tout en commun : l’espoir, l’innocence, mais aussi la corruption. Alors qu’Iris n’a plus d’espoir, Travis en est rempli. L’innocence d’Iris sur la gravité de sa situation est la même que celle de Travis à croire qu’il peut changer le monde. Ils sont enfin « souillés », leur univers intime étant violé par l’extérieur, Iris par son corps et Travis par le taxi.

 

 

 

 

                           III.      TRAVIS ET LA JUSTICE UNIVERSELLE :

 

 

1.   Une mission messianique :

 

 

Le personnage de Travis est marqué par la guerre. Il observe du coin de l’œil, toujours dissimulé ou par des intermédiaires comme le rétroviseur, il est passif et méfiant. Lorsque le collègue de Betsy vient à la rencontre du taxi, il fuit tel un animal. La guerre l’a rendu paranoïaque, insatisfait, et réactif. Il décide volontairement de travailler de nuit et dans les pires quartiers de New York : « Pour moi ça change rien ». Cette décision a pour but de nourrir sa solitude, sa haine à l’égard des gens qui viennent violé son intérieur, et devenir progressivement la cible de son intolérance. Il se donne alors une mission titanesque : sauver le monde, le rendre « vierge, comme ma conscience », déclare-t-il à son futur employeur. Travis est l’image de l’Amérique. Dans Scorsese par Scorsese de David Thompson et Ian Christie, le réalisateur parle de l’impulsivité et de l’immaturité de l’Amérique où toute action se tourne vers l’extérieur. En effet, Travis essaie constamment d’éviter de se suicider. Il préfère tuer avant, il extériorise son mal-être. Lorsqu’il essaie les armes à feu qu’on lui propose, il cherche une cible humaine, lorsqu’il parle au miroir, c’est lui qu’il vise. Les frustrations passées se transforment  en agressions à la fin du film.

 

 

2.      L’explosion :

 

 

Le passage à l’acte est engendré par deux séquences consécutives qui se complètent. Le déclenchement physique a lieu grâce au discours meurtrier de l’homme trompé. Travis observe par le rétroviseur cet homme qui parle à l’impératif, un homme désespéré, qui extériorise ses pensées. Cette séquence crée une rupture entre le monde réel et le monde extérieur. La violence des mots prononcés renvoie Travis à sa haine refoulée. La position de l’homme, située derrière l’épaule, en retrait, agit sur Travis comme s’il écoutait enfin sa conscience. Le deuxième élément déterminant se situe dans la séquence suivante à la Bellmore Cafétéria. Travis fixe son verre dans lequel il fait se dissoudre un médicament effervescent. Le zoom sur le verre laisse penser que Travis va boire les paroles de l’homme trompé, comme une pastille, sa voix se diffuse dans son esprit. Il accepte finalement ses sentiments et est prêt à les transformer en actes. La tuerie commence par Sport : les dialogues et les gestes de piétinement des deux hommes créent  un moment de pression / compression / explosion. La suite au ralenti dans l’hôtel prouve irréelle symbolique de la situation ; Travis agit par le fruit de ses frustrations. Le ralenti de son suicide mimé montre bien qu’il se trouve dans une réalité secondaire ; c’est ce qu’il a essayer de faire depuis toujours.

 

 

3.      Le rédemption :

 

 

Travis n’agit pas sans raison, chacun de ses actes a toujours un but précis ; celui d’être reconnu, accepter, aimer, respecter. Il obtient la rédemption de ses péchés meurtriers par le panoramique en plongée verticale qui flotte au dessus de la scène de crime. Encore un regard, celui de Dieu cette fois, se déplace dans la chambre, au dessus des policiers jusque dans la rue où la foule s’amasse. Travis a changé le monde ? Ces actes ont-ils un sens ? Il sauve Iris mais il n’est pas conscient que le monde qu’il veut changer est en fait le sien, c’est à dire sa relation à l’égard d’autrui et de lui-même. Par son suicide, d’abord avorté puis mimé, il se tourne vers Dieu et demande pardon. C’est ce que l’article de presse laisse croire. Travis vit dans un monde où seul la notoriété peut redonner de la fierté à un soldat de guerre insatisfait.  

 

 

 

 

   CONCLUSION :

 

 

Travis est un homme déçu par la perte de la guerre. Socialement rejeté, il cherche la compagnie des hommes et la reconnaissance de sa personne. Dans son taxi, il observe, il rêve, il fantasme, il témoigne de toute la corruption du monde. Il décide alors de le changer, mais si toutefois il y gagne la sympathie et la compagnie des autres. Mission délicate de par son handicap social, il va d’échec en échec. Betsy ne changera pas le monde, Travis va d’illusion en déception, de déception en frustration. Iris, aussi « sale » que lui, est la clé de son désir obsessionnel de pureté, il va la sauver  et se sauver de l’anonymat. Son parcours est alors tracé, il tue au lieu de se tuer. Le monde n’a pas changé mais le sien connaît un nouveau départ. Néanmoins, Travis reste une bombe prête à exploser pour mieux recommencer à vivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

 

 

 

Martin Scorsese de Michel Cieutat, Ed. Rivages/ Cinéma, 1986.

Martin Scorsese de Roberto Lasagna, Ed. Gremese, 2001.

Scorsese parSscorsese de David Thompson et Ian Christie, Ed. Cahiers du Cinéma, 1989
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