Promenades dans Rome – I

Entourant le Colloque, il y avait deux journées pour se promener dans Rome : le jour de l’arrivée, où l’avion atterrissait vers dix heures du matin, mais il fallait bien deux heures pour rejoindre l’ancien monastère où nous nous réunissions – d’abord le train jusqu’à Termini, puis la ligne B, jusqu’au terminus de Laurentina – et  celui du départ, où là, le dimanche, l’avion décollait tard dans l’après-midi – mais encore fallait-il prévoir suffisamment de temps pour pouvoir franchir sans trop de hâte les désormais inévitables barrages de toutes sortes qui vous séparent de l’embarquement.

(via dei Giubbonari)

Ce ne fut pas difficile de trouver à remplir ces journées. Il suffit dans Rome de se poser quelque part et d’avancer pour que la machine à évocations se mette à fonctionner. Mes pas me poussèrent vers la petite place de la Minerva, où se dresse l’église Santa Maria sopra Minerva. Sopra Minerva… comme s’il fallait pour tous les siècles à venir rappeler qu’on a ici supplanté la Minerva, c’est-à-dire le temple païen dont il reste quelques traces, afin d’ériger sans doute l’une des plus intéressantes églises à visiter dans Rome. Il y a peu de temps, j’évoquais, au travers de l’art classique himalayen, la figure de Fra Lippi dont je comparais les visages de vierge ciselés avec les masques de tara blanche des temples ladakhis. Coïncidence : ici, une chapelle entière est recouverte de fresques de Filippino Lippi, son fils, et quelle chapelle… « Saint Thomas d’Aquin triomphant des hérétiques ».

Averroes gît aux pieds du saint homme et au premier plan se pressent dans la confusion quelques hérétiques dont on a jeté les livres au sol : étrange représentation de l’éternel combat des idées. Dans Sopra Minerva, on trouve encore la tombe de Fra Angelico qui voisine celle de Catherine de Sienne.

Et bien sûr aussi des tombeaux de papes, sculptés par Michel Ange, qui ne sont pas parmi les œuvres les plus réussies du grand maître toscan. A propos de papes, avez-vous vu Habemus Papam ? Impossible en se promenant dans Rome de ne pas se souvenir désormais des passages les plus drôles de ce film où Piccoli, courant en habits laïcs dans les rues commerçantes, les magasins, les boutiques, se perd finalement dans les miroirs et les vitrines et parvient de la sorte à échapper à la surveillance des sbires. Ce film est bien sûr un hymne à la liberté, avant même que d’être une satire ou une critique de la papauté. Rome est encore de ces endroits où l’on peut avoir ce sentiment de pouvoir se libérer si ce n’est de l’espace au moins du temps. Amoncellement d’objets bizarres autant que de monuments qui relient les mailles du temps en des points, des nœuds serrés que seul le regard du voyageur délie. Ainsi une rue de Rome s’appelle la rue du Pied de marbre. Elle doit son nom vraisemblablement à un authentique pied en marbre qu’on a dû trouver là à une époque lointaine et dont on ne sait à quel géant il faut le raccorder. Sopra Minerva se trouve à deux pas du Pantheon, immensément connu, ce reste fulgurant du règne d’Agrippa. Sa place tient lieu désormais d’agora. Même si l’on peut facilement s’évader vers des temps anciens, le contemporain est toujours là, qui nous rattrape au coin de la rue.

Autre trace, bien vivante, et même vitale, du temps contemporain, c’est, près du Campo dei Fiori, dans la rue des Giubbonari, ce bureau de vote à destination des expatriés français, pour les primaires socialistes. Juste à l’extérieur du local du « Parti Démocrate », dont le mur de façade nous livre lui aussi une portion de mémoire. Les gens qui viendront dimanche seront, je l’espère, nombreux. Si cette urne est si visible, on ne peut s’empêcher de croire que c’est parce que de telles élections concernent d’autres que nous, bien au-delà de nos frontières. Imaginons l’espoir que cela représentera, pour ce côté-ci des Alpes, comme pour des pays plus lointains, de faire tomber une présidence et un gouvernement de droite, quel craquement dans l’édifice euro-libéral, annonciateur peut-être enfin d’une gouvernance plus « sérieuse » (« normale » ?), en tout cas plus respectueuse des hommes et des femmes qui travaillent, et qui votent.


Au retour, aïe, à la station « Colosseo », toutes les grilles sont fermées. La ligne B est bloquée. Le taxi foncera à toute allure sur la Christopho Colombo…

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8 commentaires pour Promenades dans Rome – I

  1. Rome était aussi à Paris, il nous manque un Nanni Morett hic et nunc !

    Les déambulations dans la capitale italienne, qui enverra aussi paître Berlusconi un de ces quatre comme notre élyséen roitelet®, sont inépuisables. La fontaine n’est pas seulement à Trevise.

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  2. lignes bleues dit :

    Veinard, Alain !
    mais, Dieux du ciel et Panthéon réunis, prenons gare aux augures :
    « Rome dépassait SPARTE,*
    déjà Napoléon perçait sous Bonaparte »
    … comme disait le Vieux, Victor-qui-faisait-tourner-les-tables…

    * Sparte pourrait sans doute être citée ici, pas seulement pour la(f)rime, mais comme figure allégorique de Paris. Mais… qui est Napoléon ?

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  3. JEA dit :

    Toujours pas saturé de Fellini Roma ni du Choeur des esclaves (Va pensiero), et désireux de vous remercier pour ces proms qui tiennent leurs promesses…

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  4. Oui, c’est vraiment cela, arpenter Rome. Entrelacs des siècles, mélange des genres…Il faut reconnaître que nous aimons les choses plus classifiées, plus ordonnées, en France! La faute à Descartes?

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  5. Jean-Marie dit :

    Inépuisable Rome, même quand on rentre épuisé après 10 heures entre Panthéon, Villa Médicis et le Janicule…
    http://jmph.blog.lemonde.fr/2011/05/26/sculptures-romaines/
    http://jmph.blog.lemonde.fr/2011/06/09/pierres-romaines/

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