Source
: Iconographie de l'Art Chrétien de Louis REAU (tome II) - édition
Presses Universitaires de France, 1956
LES ANGES
Le Dieu triple et un des Chrétiens ne réside pas seul dans son
Paradis. Comme un monarque au milieu de sa Cour, il a autour
de lui des gardes du corps et des milices, des ministres qui
lui servent d'intermédiaires avec les hommes et leur transmettent
ses instructions : ce sont les anges.
Les esprits du Mal contre lesquels il doit lutter se recrutent
parmi les anges rebelles : ce sont les démons. (...) Les fonctions
des anges sont multiples et d'une extrême diversité. On peut
dire d'une façon générale qu'ils sont les instruments de la
volonté divine. De même que l'outil est le prolongement de la
main humaine, ils prolongent et finissent par remplacer dans
l'iconographie la Main de Dieu (Manus Domini). (...)
FONCTIONS DES ANGES
Les anges au service de Dieu
D'après le sens étymologique de leur nom, les anges sont essentiellement
les messagers de Dieu. Ils ont dans la religion judéo-chrétienne
les mêmes attributions et aussi les mêmes attributs que le dieu
grec Hermès, le Mercure des Romains. Ce rôle est surtout dévolu
à l'archange Gabriel qui vient annoncer à la Vierge Marie qu'elle
a été élue entre toutes les femmes pour être la mère du Sauveur.
(...)
Les anges ne se bornent pas à porter les messages de Dieu :
c'est parmi eux que se recrutent la Cour, la milice et le tribunal
célestes. Il y a des anges courtisans, guerriers et justiciers.
(...) A l'occasion, les pages se transforment en chevaliers.
Ils sont les défenseurs de la cité céleste.
Sous le commandement de l'archange Michel, général en chef (archistratège)
des milices célestes, ils rompent des lances contre les ennemis
de leur suzerain et précipitent les rebelles dans l'abîme.
Enfin, ils sont les exécuteurs de la justice divine. Armé d'une
épée flamboyante, un ange expulse Adam et Eve du Paradis et
leur en interdit l'entrée.
Les anges au service des hommes
Les hommes qui ont droit à l'assistance des anges sont avant
tout les prophètes, les martyrs, et les saints. Elie au désert,
Daniel dans la fosse aux lions sont ravitaillés grâce à eux.
Non seulement les anges protègent pendant leur vie les martyrs
contre les embûches et les tentations du démon, mais, au moment
où ils vont expirer, ils apparaissent dans le ciel pour recueillir
leur âme et leur apporter la couronne des Elus. (...)
La protection des anges s'étend aux simples pécheurs. Chacun
d'eux a son ange gardien, semblable au mystérieux compagnon
du jeune Tobie, qui le réconforte à l'heure de la mort et emportera,
s'il en est digne, son âme au Paradis pour la déposer dans le
sein d'Abraham. (...)
ICONOGRAPHIE DES ANGES EN GENERAL
Le sexe des anges
Les anges-éphèbes représentent le type le plus ancien. La Bible
les dépeint dans leurs missions terrestres comme de beaux adolescents
capables d'exciter les désirs coupables des Sodomites qui insistent
pour se les faire livrer par Lot. Virilité et jeunesse : telle
est l'image que l'on s'en fait. (...)
Les anges-femmes, inspirés sans doute par le rêve d'une beauté
encore plus parfaite que celle des éphèbes ou peut-être parce
que la longue tunique blanche dont ils sont habituellement revêtus
évoquait l'idée d'une robe féminine, n'apparaissent qu'au XVe
siècle. (...)
Quant aux anges-enfants, leur origine remonte plus loin. Peut-être
sont-ils nés, comme les trois écoliers de la légende de saint
Nicolas, d'une fausse interprétation des images où, suivant
les règles de la hiérarchie spirituelle, ils étaient figurés
tout petits à côté d'un Dieu gigantesque. (...)
Les ailes et le problème du vol
La caractéristique essentielle des anges, se sont les ailes,
attribut du messager céleste qu'ils partagent avec leur confrère
olympien, le dieu grec Hermès, courrier et fourrier de Zeus.
Contrairement à ce qu'on serait tenté de supposer, les anges
n'ont pas toujours porté des ailes. L'Ancien Testament n'en
fait pas mention. Dans le Songe de Jacob, les anges ont besoin
d'une échelle pour descendre du ciel et y remonter : c'est donc
qu'ils n'ont pas d'ailes pour voler. (...)
Malgré l'unité foncière de l'art chrétien, surtout au Moyen-âge,
on peut se demander si les différents pays, les différentes
Ecoles n'ont pas imprimé une marque particulière à ce thème
panchrétien.
En Italie, après le mysticisme de Fra Angelico dont les
anges spiritualisés n'ont pour ainsi dire pas de corps, on voit
prévaloir dès le Quattrocento un type d'anges charnels, de caractère
ingénument ou cyniquement païen. (...)
L'art des Pays-Bas est plus respectueux. Les anges de
Van Eyck et de Memling officient avec gravité dans leur costume
liturgique de diacres.
En Allemagne, on observe, notamment dans les gravures
de l'Apocalypse de Dürer, une recherche d'expression aux dépens
de la beauté formelle.
Les anges tiennent une grande place dans la sculpture anglaise
du Moyen-âge qui a eu pour eux une véritable passion, on seulement
parce que leurs ailes éployées meublent à merveille les écoinçons
triangulaires des arcades, mais parce que, suivant un jeu de
mots très populaire, l'Angleterre se flattait d'être le pays
des angles (Engel-land), c'est-à-dire des anges.
Quant aux anges français, sont les plus exquis sont ceux
du portail de Senlis, l'Ange au sourire de Reims et les anges
irisés du triptyque de Moulins, ils se distinguent entre tous
par leur grâce souriante.
LES NEUF CHOEURS DES ANGES
Les anges ne sont pas tous égaux : ils sont non seulement spécialisés,
mais aussi hiérarchisés comme les serviteurs des monarques orientaux.
(...) Il est admis dès lors par les théologiens et les artistes
que les Anges sont divisés en neuf Choeurs qui, groupés, forment
trois Ordres.
Le premier Ordre comprend les Séraphins, les Chérubins,
les Trônes ;
le second les Dominations, les Vertus, les Puissances ;
le troisième les Principautés, les Archanges et les Anges.
D'après la litanie de Lorette, la Vierge est la reine des neuf
Choeurs des Anges. Ce thème d'origine byzantine, qui décore
notamment la trapeza du monastère de Chilandarie au Mont Athos,
devient assez fréquent dans l'art d'Occident à partir du XIIe
siècle. Il figure deux fois à Chartres dans les voussures du
porche méridional autour du Christ du Jugement dernier et dans
la partie supérieure du vitrail de S. Apollinaire. On le retrouve
au XIVe siècle à la Sainte Chapelle de Vincennes, au XVe siècle
à la cathédrale de Cahors.
SERAPHINS ET CHERUBINS
Les Chérubins et les Séraphins sont les deux classes d'anges
les plus élevées dans la hiérarchie céleste. Ce ne sont pas
à proprement parler des anges dans le sens étymologique de messagers
: car ils se tiennent toujours autour du trône de Dieu à moins
qu'ils ne veillent sur son symbole, l'Arche d'Alliance. Ce sont
des génies empruntés à la mythologie babylonienne qui personnifient
la lueur aveuglante des éclairs dans un ciel d'orage. De même
que les nuages cachent la demeure de la divinité, leurs ailes
repliées formaient le couvercle protecteur de l'Arche sainte.
Séraphins et Chérubins se différencient par le nombre des ailes.
Les Séraphins sont caractérisés par six ailes ocellées (ils
sont hexaptéryges) tandis que les Chérubins n'en ont que quatre.
(...)
Les Séraphins décorent très souvent en Orient les éventails
liturgiques qui portent précisément en grec le nom d'hexaptériga.
Un des plus beaux exemples est le flabellum du trésor de Stuma
(XIVe siècle) au musée d'Istanbul. Ces deux classes d'anges
se distinguent en outre par leur couleur : les Séraphins sont
rouges, comme le feu, les Chérubins bleus, comme le ciel.
En Occident, ils jouent un rôle dans la décoration des églises
romanes : voussures d'archivolte à Saint-Révérien (Nièvre),
tympans de Perrecy-les-Forges et de Notre-Dame-du-Port à Clermont.
Au XIIIe siècle, ils meublent à la cathédrale de Bourges une
des voussures de la Porte du Jugement dernier. Le tympan de
Semur-en-Brionnais où le Christ apparaît entre les quatre animaux
du Tétramorphe et deux Séraphins offre un amalgame des visions
d'Ezéchiel et d'Isaïe. (...)
TRONES, DOMINATIONS, VERTUS, PUISSANCES ET PRINCIPAUTES
Les Trônes sont les roues du char de Dieu. D'après le Guide
de la Peinture, ils ont la forme des roues embrasées et ailées,
parsemées d'yeux. Les attributs des autres Choeurs angéliques
sont plus vagues et plus variables.
Les Dominations portent le sceptre et la couronne, à moins qu'elles
ne soient casquées et ne tiennent à la main une épée.
Les Vertus tiennent un livre.
Les Principautés sont vêtues tantôt en guerriers, tantôt en
diacres et portent une branche de lys.
Les Archanges luttent contre les démons ;
les Anges, simples soldats de l'armée céleste, portent des flambeaux
ou des encensoirs.
LES ARCHANGES INDIVIDUELS
Les Archanges forment une classe à part dans la hiérarchie céleste
: car parmi les cohortes innombrables des anges, ce sont les
seuls qui ne soient pas anonymes. Ils sont par là même les plus
importants au point de vue iconographique.
Mais il ne faut pas croire pour cela, comme leur nom d'archanges
pourrait le faire supposer, qu'ils occupent le sommet de la
hiérarchie. En réalité, ils sont seulement à l'avant-dernier
échelon de l'Ordre inférieur.
Les théologiens en comptent généralement sept : nombre sacré.
Michel et Gabriel sont connus par le Livre de Daniel, Raphaël
par le Livre de Tobie, Uriel par le Livre apocryphe d'Hénoch
et le Quatrième Livre d'Esdras.
Le nom des trois autres varie suivant les sources : Barachiel
se transforme parfois en Malthiel, Jehudiel en Jophiel, Sealtiel
en Zeadkiel. On leur adjoint ou on leur substitue dans certains
textes Peliel et Raziel. Tous leurs noms finissent en el qui
signifie Dieu. Ce sont des noms " théophores ".
Fonctions et attributs
Les clercs du Moyen-âge se sont ingéniés à les distinguer par
leurs actions et des emblèmes appropriés. (...)
Ainsi Michel est le chef de la Milice céleste, Gabriel
le messager envoyé à la Vierge, Raphaël le médecin qui
guérit le vieux Tobie aveugle. Uriel aurait été le précepteur
d'Esdras et Jehoudiel celui de Sem. C'est Raziel
qui aurait expulsé Adam du Paradis, Sealtiel qui arrêta
le sacrifice d'Isaac, Peliel qui lutta avec Jacob, Malthiel
qui précédait Moïse et les Israélites en fuite avec une colonne
de feu.
A cette répartition des fonctions correspondent des attributs
caractéristiques. Michel, victorieux du dragon, brandit l'épée
ou la lance ; Gabriel, le messager, tient une lanterne allumée
et un miroir de jaspe vert sur lequel s'inscrivent les ordres
de Dieu ; Raphaël, le guérisseur, porte un vase d'onguent et
donne la main droite au jeune Tobie chargé d'un poisson miraculeux.
Uriel, dont le nom est interprété dans le sens de lumière ou
de flamme de Dieu (Lux vel Ignis Dei), et qu'on a identifié
pour cette raison avec l'ange brandissant une épée flamboyante
à l'entrée du Paradis, se reconnaît à son épée et à des flammes
qui jaillissent sous ses pieds. Jéhuriel, le " remunerator ",
celui qui récompense et qui punit, porte une couronne d'or et
un fouet à trois lanières ; Sealtiel, l'intercesseur, a les
mains jointes dans l'attitude de la prière ; Barachiel (Bénédiction
de Dieu) découvre des roses blanches dans un pan de son manteau.
Groupes ou synaxes de sept, quatre ou trois archanges
1) Il est rare, du moins dans l'art d'Occident, de rencontrer
le cycle complet des sept Archanges : car l'Eglise romaine,
considérant le Livre d'Hénoch comme apocryphe, exclut Uriel.
En 746, le Concile de Latran limite le culte des Archanges aux
trois premiers : Michel, Gabriel et Raphaël. (...)
2) Le quatuor des quatre grands Archanges est fréquent dans
l'art byzantin : car le Livre d'Hénoch jouissait en Orient d'une
autorité égale à celle des Canoniques et Uriel y était placé
sur le même plan que Michel, Gabriel et Raphaël. Mis en relation
avec les quatre Points cardinaux, les quatre Archanges se prêtaient
à merveille à la décoration des pendentifs de coupoles ou ils
semblent, comme les quatre Evangélistes, monter la garde autour
du Pantocrator. Ce thème, spécifiquement byzantin, est ou était
illustré par plusieurs monuments appartenant à l'art copte,
slave et sicilien.
3) Le groupe des trois premiers Archanges : Michel, Gabriel
et Raphaël est au contraire commun à l'art de l'Orient et à
celui de l'Occident. Dans l'Eglise orthodoxe, ce thème est connu
sous le nom de Synaxe des Archanges. Les trois Archanges portent
l'image du Christ ailé dans une auréole formée par l'intersection
de plusieurs triangles. (...)
Le nom des Archanges est figuré par la première lettre de leur
nom inscrite au sommet du nimbe. Raphaël vêtu en prêtre
occupe la place d'honneur : il est au milieu entre Michel
le guerrier et Gabriel le pacifique.
Ils symbolisent les pouvoirs religieux, militaire et civil.
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