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6 août 2011 6 06 /08 /août /2011 03:07

 

 

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 Rokudenashi, Yoshishige Yoshida, 1960

 

 

Je me sens très rokudenashi aujourd’hui. C'est-à-dire « bon-à-rien » en japonais. Cela convoie une image de ratage avant d’avoir essayé, ou faute d’avoir essayé. Et puis une idée de jeunesse gâchée aussi. Dépensée par poignées quand il fallait la retenir, la conserver précieusement, comme la flamme dans le temple.

Rokudensashi, un film de Yoshida. Un film de 1960 sur la jeunesse figée, décadente, parasite.  Yoshida avait 25 ans, quand Shochiku, le Warner Bros japonais[1], lui commanda un film qui traite « de la jeunesse ». Il a tenu à écrire le scénario lui-même. Ils sont précoces, les réalisateurs japonais ; Ozu avait 24 ans pour son premier film. Rokudensashi, ce sont trois jeunes japonais qui mènent cette existence de bons-à-rien. C'est-à-dire que l’un d’entre eux dépend de son riche papa et que les deux autres jouent les sangsues. Jun, le bon larron, se déteste au fond d’être une sangsue, Morishita, le mauvais larron, use et abuse. Tous trois cyniques et lucides.

Encore, les sangsues font quelque chose, elles profitent. Mais le fils à papa, Akiyama, est l’indolence la plus parfaite : même lorsqu’il est à la plage, il ne va pas se baigner, mais préfère végéter dans un transat. Il conduit une Cadillac, il porte des petits costumes en lin blanc et des petites cravates impeccables. Il loue une grande maison à Hayama pour l’été, qui ouvre sur la Baie de Sagami. Comme c’est beau la Baie de Sagami, la plage immense est faite pour être filmée en noir et blanc.  

Les pauvres sangsues rêvent d’Amérique et envient le riche fils à papa qui pourrait y partir, s’il voulait. S’il voulait… Mais c’est bien ça le problème : il ne veut rien. En même temps, il sait que cette oisiveté de jeunesse va devoir prendre fin et que ce sera la fin de sa jeunesse, justement. La secrétaire du riche papa, Ikuko, campe la fille sérieuse et méritante qui travaille. Elle est déjà intégrée au corps immense de ces Japonais dociles qui, en ce début des années 1960, font la prospérité du pays. A-t-elle jamais été jeune au fait?

La sangsue pénitente, Jun, semble s’y attacher. Ikuko veut pour Jun la même chose que ce qu’elle a voulu pour elle-même : un travail stable, un moyen honorable de gagner sa vie, une vie rangée, convenable, conforme. Mais à quoi bon ? Ikuko est tellement sage, suit tellement bien les règles, qu’elle n’est toujours pas mariée… Elle s’est ménagé cet espace de liberté personnelle, elle fait ce qu’on veut d’elle, mais elle ne se perpétuera pas. Est-ce Jun qu’elle tente de ramener dans le droit chemin ? On ne met pas aussi facilement la main sur un rokudenashi. Déception, amertume, flétrissure.

« -You've also become a common woman.

-I've always been a common woman. Relatively intelligent, relatively stupid, relatively good-for-nothing... A woman with whom everything is relative. »[2]

Enfin, ce n’est pas une histoire convenue, cela ne finit pas bien. C’est une histoire un peu irréelle, un peu flottante, le genre de sentiment qu’on éprouve en lisant les pages de l’Etranger, où, pour on ne sait trop quelle raison, l’inaction ambiante se condense sous l’effet du soleil et donne un coup de feu. Je me sens très rokudenashi aujourd’hui.



[1] Fondée par deux frères en 1895, donc avant la Warner américaine, cette société de production japonaise avait pour vocation de produire des pièces de théâtre traditionnel, kabuki, avant de produire des films. Elle eut un rôle important dans le développement du cinéma nuberu bagu, « nouvelle vague », au Japon. Oshima y fit notamment son début de carrière avant de devenir indépendant.  

[2] Sous-titrage anglais du film. Dialogue entre Ikuko et un collègue de travail.

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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 00:13

 

 

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Lumaluma, Homme serpent mythique, Australie 1963, Musée du Quai Branly

 

 

 

Avril à Paris, non loin de la tour Eiffel. Un groupe de jeunes Américains monte dans le train. Des lycéens avec leur professeur. Toutes les filles portent un mini-short en jeans. Le mini-short d’uniforme sans doute. Voyage de fin d’année en France. Je repense à mon propre voyage aux Etats-Unis. Petit groupe bruyant, excité, agité. Il faut comprendre : de si bon matin, avec tant de choses à voir, tant de choses à faire encore... Et puis on est à Paris tout de même ! La plupart d’entre eux n’ont probablement jamais quitté les Etats-Unis et ne reviendront jamais en France. J’entends l’une des filles dire en montant : « we’re the weirdos on the train »[1]. Une obsession ça : ne pas être « the weirdo », ne pas déparer, ne pas être ridicule en somme. Sauf qu’on est tous le « weirdo » de quelqu’un. L’apprendra-t-elle un jour ? Faut-il le lui souhaiter ? Aura-t-elle un jour à assumer sa « weirditude »? Se placer quelque part entre la négritude de Senghor et la bravitude de Mme Royal, sans doute. Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir qu’elle est parfaitement accordée à toutes ses copines. Je souris pour moi-même.

 

Le professeur, une dame d’un certain âge, qui a du accompagner plusieurs générations d’étudiants, explique savamment que, dans le train français, le tarif augmente au fur et à mesure qu’on change de zone. A cet instant, je me demande si le prix du mini-short augmente au fur et à mesure qu’on le raccourci. Mais oui, comme le gruyère : « plus de trous, plus de goût » ; esthétique du vide. Tous le même accent, la même voix, les mêmes expressions, le même mini-short, les mêmes jambes nues à la peau très blanche... Leur vacarme matinal ne m’irrite pas, mais je n’arrive pas non plus à les trouver sympathiques. Je comprends tout ce qu’ils disent, je sais à quoi ressemble la vie qu’ils mènent chez eux, de l’autre côté de l’Atlantique, et pourtant... C’est comme deux mondes séparés, chacun dans une bulle parfaitement transparente, mais bien étanche. Cela me fait le même effet que de toucher la peau d’un lézard : c’est bien de la peau, mais elle est froide. Mais c’est peut-être moi le lézard en fait ? Oui, c'est ça, un lézard aborigène échappé du Quai Branly. J'assume ma « weirditude ».




[1] « C’est nous les gogols du train ! » Littéralement, « weirdo », nom dérivé de l’adjectif « weird », «désigne une personne « étrange », « bizarre », « qui dépare ». Je traduis comme je le fais parce que je remarque que l’anglais américain utilise le terme comme le français utilise les mots « débile », « gogol », « mongol » ou « triso ».

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16 avril 2011 6 16 /04 /avril /2011 23:42

 

 

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Gustav Klimt, Femme avec chapeau et boa de plumes, vers 1910


 

Une grande librairie parisienne, un soir d'hiver. Je flâne dans les rayons au sortir d’une journée chargée. J’appelle cela mon plaisir de cartographe : corriger sans cesse la grande mappemonde de la littérature que je constitue au fil de mes explorations. « Tiens, ce volume n’était pas ici la semaine dernière, et cet autre a disparu… Trop de succès, pas assez peut-être ? » Il y a des rayonnages qui sont, pour moi, terra incognita, d’autres, où rien ne me surprend plus guère... Je navigue à vue.


J’arrive à la littérature française. Une femme se trouve là, qui discute avec un tout jeune libraire. Elancée, fine, elle a de la grâce. Peau très blanche, pommettes hautes, nez bien droit, yeux pâles. Une Scandinave, j’en mettrais ma main à couper. Elle porte un manteau-cape gris-bleu, des bottes élégantes... Et cette magnifique chevelure argentée, qui retombe souplement sur ses épaules… « Silverräv », voila le mot qui me vient, « renard d’argent » en suédois. Suédoise ? C’est probable. Elle a environ quarante ans. Elle m’évoque un peu ma mère.


Je lui souris, elle me rend mon sourire, gracieusement. Je l’entends parler au jeune libraire. Un français impeccable, trop impeccable et qui ne coule pas comme on s'y attend. Elle est donc bien étrangère. Elle dit au garçon qu’elle veut « lire en français ». Elle veut des classiques, de la belle littérature. Il lui propose un Maupassant, il la conduit vers deux ou trois grands auteurs, un Zola… Je repense à Une Vie, que j’ai lu dans un train et qui m’a fait passer trois jours de la plus noire dépression. Toutes les nouvelles de Maupassant  m'ont fait cet effet. Je les ai  pourtant bues comme le héros de Road Dahl boit son thé, bien qu'il ait un arrière-goût d’amande amère[1]. C’est si bien écrit, il me faut lire la suite, mais comme je le paie cher après! Quel soulagement quand j’ai eu fini le dernier roman et la dernière nouvelle ! Plus de Maupassant dont je ne puisse plus détacher les yeux jusuqu'à la dernière ligne...


J’attends que le garçon la quitte pour m’adresser à elle :


« Excusez-moi, j'entends que vous cherchez des livres, peut-être pourrais-je vous aider ? »


« C’est très aimable à vous. Je cherche à lire en français… »


« Et on vous a conseillé Maupassant et Zola… Ce sont de grands auteurs... Mais, cest un peu triste. »


« Je me doute bien. Ce garçon est gentil, mais je vous ferais plus confiance. pour choisir.. Une femme, vous comprenez... »


Elle me fait confiance. Elle fait confiance à une femme. Première fois de ma vie sans doute que je ne me sens pas insultée de ce genre de remarque. Je l'amène vers Le Rouge et le noir, parce que je me souviens comment, à quinze ans, je sortais transformée de cette lecture. Stendhal me donnait envie de parler le plus beau français qui soit. Je ne lui dis pas cela. Elle retourne le livre et sur la quatrième de couverture, elle lit : « sans doute le meilleur roman de la littérature française ».


« Vous avez très bon goût, semble-t-il… »


« Votre français est remarquable. Vraiment. »


Elle sourit, elle proteste. Je poursuis :


« Mycket bättre än min svenska, tro mig. »[2]


Surprise. Surprise sur le beau visage du renard d’argent qui répond :


« Hur kunde du veta? Där har du lärt dig mitt språk? »[3]


Je parle sa langue ? Oh non... Non. Je fais comme pour tout : dilettantisme. Les films de Bergman, une vieille grammaire où j’ai posé les yeux, beaucoup d’allemand et un peu d’intuition. Mais voila ma récompense : échanger deux mots d’une langue que je ne connais pas avec un renard d'argent par une froide soirée d'hiver à Paris.




[1] Une nouvelle de Road Dahl, intitulée "The Landlady", parue dans le New Yorker en 1959 et qui se trouve être la première œuvre que j’aie lue - qu’on m’ait lu- en anglais. La logeuse sert à ses locataires un thé délicatement parfumé au cyanure, d'où cet arrière-goût d'amande amère ("tasted faintly of bitter almonds").

[2] "Bien meilleur que mon suédois, croyez-moi" [littéralement "crois-moi", car le vous ne s'emploie plus en suédois] 

[3] "Comment avez-vous su ? Où avez-vous appris ma langue ?"

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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 02:06

 

 

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Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth somnambule, 1784

 

 

 


Toujours en lisant le journal de cette chère duchesse de Dino[1], je tombe sur un passage qui m’intrigue :


« Londres, 10 septembre 1831 - On me parle d’émeutes féminines ; il y a eu quinze cents de ces horribles créatures qui ont fait du train. La garde nationale, à cause de leur sexe, n’a pas voulu user de force ; heureusement que la pluie en a fait justice. »


« Emeutes féminines », cela veut tout dire. Il y a plus qu’un mépris de classe sous la plume de Dorothée. Elle qui se trouve bien au chaud dans son petit salon londonien, à user de ses petits doigts au clavecin sans doute... Mais de quoi s’agit-il ? Londres. Je pense aux suffragettes, tout en sachant pertinemment que ce n’est pas cela : encore quelques soixante dix ans avant que Mme Banks puisse agiter ses jupons... « Horribles créatures », je vois la Lady Macbeth de Füssli brandir sa torche, les yeux exorbités : « En avant ! ». En avant qui ? Personne. Lady Macbeth n’est pas une Marianne guidant le peuple, elle a déjà bien assez de mal à se guider elle-même. Et les « horribles créatures » dont parle Dorothée ne sont pas des châtelaines, ce sont sans doute des « travailleuses ». La duchesse de Dino écrit de Londres, mais ce sont des nouvelles qu’on lui rapporte de Paris. Elle écrit le 10, les émeutes doivent dater de début septembre, voire de fin août. Je recherche donc une émeute datant de l’automne 1831, impliquant des femmes, et, vu l’époque, concernant soit le prix du pain, soit la condition ouvrière.


Je découvre, mentionnée dans un article historique[2], l’« émeute de la rue du Cadran » de septembre 1831. Voila donc mon affaire. Les découpeuses[3] de châles du Sentier manifestent contre les machines que l’on amène de Lyon et qui font en un seul jour l’ouvrage de plusieurs ouvrières. La révolte des Canuts avant l’heure[4]. Cinq jours d'émeute. On proteste contre la mécanique, contre le prix du pain, on s’échauffe, mais on est en septembre déjà, la pluie et le vent viennent refroidir tout cela. Le Paris révolutionnaire, c’est le Paris des mois d’été.


L’ « émeute des découpeuses », cela sonne vraiment bien tout de même. On comprendrait presque que Dorothée évoques ces « horribles créatures ». Seulement, ne lui en déplaise, un mois après l’émeute, la Gazette des Tribunaux rapporte :


« Jeunes et jolies pour la plupart, elles tenaient leurs yeux timidement baissés, se justifiaient en balbutiant et aucune d’elles ne nous présentait ces traits mâles et marqués, cette voix forte et enrouée, enfin cet ensemble de gestes, d’organes, de figure et de mouvements qui nous semblent devoir être le type constitutif de la femme-émeute. »[5]


Il y a donc un type de la  « femme-émeute ». La « femme-émeute » n’est pas une douce créature qui se mue en furie, c’est un genre poissonnière à la voix rauque, bien reconnaissable hors même ses transports militants. Une virago, comme on disait alors. Aujourd’hui, on associerait plus volontiers  cette description à l’argot américain « dyke », le type de la lesbienne camionneuse. Intéressant. Mais ce serait bien plus intéressant si, justement, les douces créatures n’étaient pas si douces que cela.

 

« Emeute en jupons, république en cornettes », résume la Gazette des Tribunaux. Sous la plume de Barthélémy, poète satirique, qui a rédigé une chronique en vers toute l'année 1831, on trouve même une ode à l’« L’Emeute du Cadran » :

 

« L’émeute ! encor ! hydre des carrefours,

Que le galop disperse et qui renaît toujours !

Cette fois elle abdique une mâle origine,

Ses cris sont plus aigus, c’est l’émeute androgyne ;

Aussi pour sa bannière elle déploie un schall[6] :

Soudain Périer[7] suivi du nouveau maréchal[8],

Appelle auprès de lui, pour faire la campagne,

Tourton, le fournisseur de la guerre d’Espagne ;

Et le noble trio, tout radieux d’orgueil,

A terrassé le monstre au quartier Montorgueil.

Ce n’étaient plus ici des bandes aveuglées :

Ils avaient tous affaire à des troupes réglées ;

Et ce n’est point aisé, dans ce péril pressant,

D’arrêter à tout pris l’effusion du sang.

Il ne fallait rien moins que ce ministre équestre

Pour refouler d’un mot cette émeute au séquestre

Elle a fui ; ses longs cris n’éclatent plus dans l’air,

Et pour se réchauffer elle attend cet hiver. »[9]

 

Le quartier de Montorgueuil, voila où l’on doit trouver cette fameuse rue du Cadran. La Bourse, les Halles, cela me rappelle mon père. Il me manque, mon père. Mais je m’égare. Les vers de Barthélémy ne sont pas ceux d’Hugo certes, mais c’est tout de même très honorable. Et Hugo ? Il se trouve qu’il a lui aussi quelque chose à dire sur le sujet. Il y a, comme toujours sous sa plume, ces mots merveilleux :

 

« Rien n'est plus extraordinaire que le premier fourmillement d'une émeute. Tout éclate partout à la fois. Etait-ce prévu? Oui. Etait-ce préparé? Non. D'où cela sort-il? Des pavés. D'où cela tombe-t-il? Des nues. Ici l'insurrection a le caractère d'un complot; là d'une improvisation. Le premier venu s'empare d'un courant de la foule et le mène où il veut. Début plein d'épouvante où se mêle une sorte de gaîté formidable. Ce sont d'abord des clameurs, les magasins se ferment, les étalages des marchands disparaissent; puis des coups de feu isolés; des gens s'enfuient; des coups de crosse heurtent les portes cochères; on entend les servantes rire dans les cours des maisons et dire: Il va y avoir du train! »[10]

 

« Il va y avoir du train », la même expression que celle de Dorothée, « Faire du train ». Un passage par mon petit Littré s’impose. Je ne trouve pas tout de suite d’ailleurs : il n’y a pas moins de vingt-et-une entrées pour le mot train. « Faire du train, faire le train, gronder, se fâcher », ce n’est guère que la quinzième. Nous avons conservé en français contemporain le « train de vie » et « mener grand train », mais nous avons oublié « faire du train ». Dommage. Continuons la lecture d’Hugo :

 

« Rue Saint-Pierre-Montmartre, des hommes aux bras nus promenaient un drapeau noir où on lisait ces mots en lettres blanches: République ou la mort. Rue des Jeûneurs, rue du Cadran, rue Montorgueil, rue Mandar, apparaissaient des groupes agitant des drapeaux sur lesquels on distinguait des lettres d'or, le mot section avec un numéro. Un de ces drapeaux était rouge et bleu avec un imperceptible entre-deux blanc. »[11]

 

Rue des Jeûneurs, près de la Bourse, rue Mandar, plus au sud, perpendiculaire à la rue de Montorgueil qui descend vers les Halles. Je vois. En revanche, la rue du Cadran n’apparait sur aucun plan. C'est très important la rue du Cadran! Cela le devient ce soir où je devrais être en train de faire autre chose, bien entendu.

 

Je cherche donc une rue entre la Bourse et les Halles. Une rue renommée sans doute, ou effacée, fusionnée avec une autre. Il ne me reste plus qu'à explorer, dans la liste des rues du 2ème arrondissement, celles qui ne pouvaient porter leur nom actuel en 1831. Rue du Quatre-Septembre ? Bonne candidate, cela nous amène au 4 septembre 1870. Sauf qu’elle s'appelait auparavant « rue du Dix-Décembre », jour de l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la Présidence de la République. Evidemment, j’aurais du y penser... Très méchant pour Louis-Napoléon, d’ailleurs. La République avait été proclamée au lendemain de Sedan, il a fallu en plus qu’on débaptisât sa rue. Quid du café du Cadran ? Le café où officiait le serveur Papillon, à qui l’on doit notre « minute Papillon !» Je le trouve à l’angle des rues Danou et Louis-le-Grand, mais de rue du Cadran, point de trace.

 

Je reprends le texte d’Hugo. Rue des Jeûneurs, je m'imagine des pénitents. Tiens, une grande procession comme celle de la Semaine Sainte à Séville. Nous sommes en Carême après tout... Les « Jeûneurs » sont fort joyeux d’ailleurs : je vois au passage qu’il s'agit d'une altération des « Jeux-Neufs », les jeux de boules auxquels s’essayait le XVIIème siècle sur l'ancien chemin de ronde de l’enceinte Louis XIII. Comme les apparences sont trompeuses parfois... Et Montorgueil ? « Orgueil », les lecteurs d’Hugo le savent, c'est l’ancien nom du « cric » dont se servent les ouvriers. Cet orgueil -ci doit être une conscience de classe qui s’élève...

 

Je trouverai! Mais pourquoi est-ce que je cherche au juste? Laissons cette question en suspens. Cadran, il y avait sûrement un cadran solaire... Le plus simple évidemment serait de chercher dans un dictionnaire des rues de l’époque. Pourquoi ne l’ai-je pas fait plus tôt ? Parce que c’est trop simple et que quitte à perdre du temps... Enfin, je veux ma réponse et je la trouve tout de suite. Il suffisait de chercher au bon endroit.  La rue du Cadran a d’abord été la ruelle des Aigouts, puis  la rue du Bout-du-Monde, cela ne s’invente pas. « En 1807, les propriétaires  riverains demandèrent le changement de nom de Bout-du-Monde en celui du Cadran, parce qu'il existait un grand cadran dans cette rue. »[12]


Le dictionnaire, de 1844, ne me dit pas quel est le nouveau nom de cette rue, mais il me laisse quelques indices. « Commence aux rues de Montorgueuil, n°77, et des Petits-Carreaux, n°1; finit à la rue Montmartre, n°88 bis et 90. 3e arrondissement, quartier Montmartre. » Ce doit être la rue Léopold Bellan. Et apparemment, il s’agit du nom d’un conseiller municipal qui aurait été adopté en 1937. Pourquoi, après 130 ans de cadran, a-t-il a fallu que cette rue change de nom ? Qui sait, j’aurais peut-être la réponse un jour ? Il y a quelque temps, alors que mon train s’arrêtait à la station Henri-Martin[13], un jeune homme a signalé à son voisin, le plus naturellement du monde, qu’Henri Martin était son aïeul.


En voila une rue bien extraordinaire : elle commence ruelle, avec un nom d’égout, elle est ensuite rue du bout du monde, pour finir avec le nom d’un illustre inconnu. La rue la plus banale de tout Paris sans doute. Tout cela à cause des émeutières de 1831, les découpeuses du Bout du monde, les suffragettes des Aigouts, les pénitentes du Cadran... Si Dorothée avait su que trois lignes de sa main feraient couler autant d’encre... Elle aurait été atterrée, sans doute.

 

Atterrée, comme Elisabeth qui m’observe depuis un moment. « Mais qu’est-ce que tu fais ? », ce qui sous-entend : « je croyais que tu devais travailler ». Evidement, elle me voit avec tous ces vieux livres : Les Misérables, Le Littré, un plan de Paris, les Mémoires de la Duchesse de Dino... Elle sait bien que je ne suis pas en train de travailler. Moi aussi, je croyais que je devais travailler, ma chère. La rue du Cadran en a décidé autrement... L’heure tourne.



[1] La Duchesse de Dino, née Dorothée de Courlande, est la nièce par alliance de Talleyrand. Elle fut très au fait des affaires européennes, rencontrant et correspondant le plus naturellement du monde avec tous les intellectuels et toutes les têtes couronnées. In Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Volume I : 1831-1835, Plon, Paris, 1840

[2] Michelle Perrot, « Femmes et machines au XIXème siècle » in Romantisme, 1983, Vol. 13, No. 41, p. 15-18

[3] « On nomme, chez les Gaziers et les Fabricants de châles, Découpeuse, Celle qui coupe les fils remplissant les intervalles qui se forment entre les fleurs en fabriquant. » Article « Découpeuse » in Nouveau Dictionnaire François, composé sur le Dictionnaire de l'Académie Françoise, enrichi de grand nombre de mots adoptés dans notre langue depuis quelques années, et dans lequel on a refondu tous les suppléments qui ont paru jusqu'à présent, Volume 2 , Jean-Baptiste Delamollière, 1836

[4] N’est-il pas significatif que la révolte des Canuts ait justement eu lieu en novembre 1831, soit deux mois après l’émeute de la rue du Cadran ?

[5] Gazette des Tribunaux, 12 octobre 1831 cité in Michelle Perrot, « Femmes et machines au XIXème siècle » in Romantisme, 1983, Vol. 13, No. 41, p. 15-18

[6] Orthographe particulière du mot « châle » que l’on retrouve dans plusieurs écrits des années 1830-1840. Après tout le mot est d’origine persane...

[7] Casimir Périer, Président du Conseil à partir de mars 1831 jusqu’à sa mort des suites du choléra en 1832. Il était d’ailleurs en correspondance avec la duchesse de Dino.

[8] Le maréchal Soult, qui succéda à Périer en 1832. Enfin, je me demande quand même, parce que ce maréchal d’Empire n’a rien de « nouveau ».

[9] Auguste Marseille Barthélémy, Némésis, Volume I, 4eme édition, Perrotin éditeur, 1835, p.331-332

[10] Les Misérables, X, Quatrième partie - L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, 1832

[11] Ibidem

[12] Félix Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844

[13] Historien et maire du XVIème arrondissement.

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 00:53

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Wilhelm Kempff

Portrait au crayon gris

(2007)


 

 

Chaude soirée du mois de juillet, je suis à mon bureau. J'écoute distraitement quelques pianistes interpréter le même morceau. La Sonate au clair de lune, premier mouvement, adagio sostenuto. Probablement la pièce pour piano que j’ai le plus souvent entendue. Distraitement. L’interprète change. J’entraperçois un pianiste derrière son Steinway, encore. Je vaque à mes occupations. Premières mesures. Ah ! Mais c’est que ces premières mesures ont quelque chose de très particulier. Celui-ci n’est pas comme les autres. Je prête l’oreille, cela sonne... comment dire ? Très juste ? C’est exactement ça. C’est cela que j’attendais depuis des années. Comment, quatre ou cinq mesures de cette pièce que j’ai entendue tant de fois et je sais ? A peine quelques minutes à l’écouter jouer et je comprends ?


Le pianiste n’est autre que Wilhelm Kempff, que j’avais ignoré jusqu’ici. J’aime les personnalités exceptionnelles, les interprètes remarquables, les Cziffra, Gould, Lipatti et autres Michelangeli... Qu’on les aime ou qu’on les déteste, ils ne passent pas inaperçus. Entendre Cziffra jouer les Rhapsodies hongroises est un éblouissement. Seulement là, c’est autre chose. Kempff, j’aurais voulu l’avoir pour ami. Ce soir là, il m’a tendu la main. Qu’il est beau et qu’il est doux d’avoir un ami... Le mot le plus juste, est celui de Sibelius qui disait qu’il jouait non pas comme un pianiste, mais comme un être humain. Quelle profonde sympathie et quelle profonde humanité dans cette musique! Ce soir là, comme j’avais un crayon gris à portée de main, j’ai commencé à dessiner...

 


 

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 10:04

 

 

On n’a jamais dit tant d’horreurs que durant ces cinq petites années, de 1789 à 1794. D’ailleurs, il n’est pas une horreur totalitaire par la suite que l’on n’y puisse faire remonter. Le principe de l’extermination en masse d’une population, de son organisation et de sa supervision par un Etat tout puissant est déjà fixé. J’exagèrerais en disant qu’on n’a jamais vu tant de violence ou de barbarie en France. Les jacqueries et leur répression, peut-être aussi les dragonnades, étaient d’une barbarie comparable. Mais, a-t-on jamais vu l’horreur si proprement et joliment théorisée ? On n’a jamais vu l’excitation de la foule doublée du couperet froid de la guillotine. Civilisée, la guillotine. C’est un médecin qui l’a inventée, pour éviter les inutiles souffrances infligées aux condamnés par des bourreaux maladroits. Et il est vrai que les exécutions sont beaucoup plus propres. Seulement, on a aussi inventé une machine à tuer. La lame idéale pour pratiquer, à l’échelle industrielle, la grande saignée nécessaire à l’instauration d’un ordre nouveau. Ce principe a été repris par toutes les « ordres nouveaux » depuis lors qui n’ont eu de cesse d’optimiser la mort, de la rendre efficace, rapide, économique.

Mais revenons à l’année 1793. Les condamnés vont en procession, les suicidés sont légion, l’horizon est noir et rouge, ce ne sont pas encore les gallons de l’Empire, c’est un catafalque de sang. C’est la fin d’un monde, la raison fout le camp, comme lorsqu’on croyait que la terre était plate, et qu’il y avait cette zone incertaine : le bord du monde, où nécessairement tout était emporté vers un gouffre vide. Ce n’est pas tant que la barbarie se justifie, s’invente des décrets, des lois, une constitution. C’est que les idéaux se barbarisent. Les jolis petits pois d’Emile ont germé d’une bien étrange manière[1]. Les forces en présence sont immenses, les élites sont décimées, il y a mille partis et factions qui se perdent dans des tourbillons d’intérêts, de peur et d’idées, on se déchire de partout et pourtant… Il y a toujours un général pour répondre à l’appel de la République, il y a toujours des hommes pour la levée en masse. On dirait que la France sait où elle va. Voila la musique que j’entends et la toile que j’ai sous les yeux quand je pense à l’année terrible… Cette impression si vive, je dois bien la devoir à quelque chose ? J’ai donc repensé à quelques évènements…

1793. Première question : où est Talleyrand ? C’est un réflexe, Révolution, République, Consulat, Empire,  Restauration, je me demande toujours : « Que fait Talleyrand ? » Et bien, il ne fait rien, justement. C’est donc qu’il n’y a plus rien à faire. Il est à Kensington et y serait bien resté si George III ne l’en avait chassé. Et que fait Fouché ? Il vote la mort de Louis XVI à Paris, puis il invente les exécutions collectives à Lyon, où il fait tirer au canon sur des groupes de condamnés enchaînés. « L'explosion de la mine et l'activité dévorante de la flamme peuvent seules exprimer la toute puissance du peuple », écrit-il à la Convention. Comme il aurait été heureux, sans doute, avec du zyklon B !  Talleyrand, juste ce qu’il faut et juste à temps, Fouché, tout ce qu’il peut et même un peu plus. Même Robespierre, l’Incorruptible, en est un peu choqué. Comme les mamans reprochent à leurs enfants d’avoir écrasé des coccinelles : « Mais enfin, pourquoi as-tu écrasé tous ces petits insectes ? » Les coccinelles, au fond, la maman s’en moque, c’est pour le principe : « tout de même, avait-il besoin d’écraser toutes ces coccinelles ? »

Le 21 janvier, on guillotine Louis XVI, ou plutôt, le citoyen Capet. Ironiquement, c’est le meilleur roi que la France ait eu, le meilleur des Bourbons sans doute. S’il avait fallu en exécuter un pour les guerres, les dépenses ou la licence des mœurs, ce n’était pas lui ! Avant de partir à l’échafaud, il fait jurer à son fils de ne jamais le venger. C’est ce qui s’appelle être confiant en l’avenir... Mais cela prouve aussi qu’il n’avait décidément rien compris. Comme si Louis XVII avait eu la moindre chance de monter sur le trône. Conjonction d’un homme trop bon, pas fait pour gouverner, d’un monde en transition et de beaucoup d’intrigants, qui n’ont pas vu qu’à force de tirer à eux des petits morceaux de la peau de chagrin, ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis.

Le 6 février, Goldoni meurt à Paris. Fini de rire.  

Le 10 mars, est crée le Tribunal Révolutionnaire. Fouquier-Tinville devient accusateur public : une ombre entre en scène. Marat est à moitié fou, mais pas Fouquier. Il fait juste très bien son travail.  Comment finit Fouquier? Mais parce que son nom figure un jour en tête d’une liste, parmi tant d’autres. Il est si persuadé de son bon droit, qu’il se laisse prendre comme un enfant.  Au fait, à quoi ressemble la lettre de cachet du Nouveau Régime, ce morceau de papier qui vous envoie si directement à la mort ?

« L’Exécuteur des Jugements Criminels ne fera faute de se rendre *** à la maison de Justice de la Conciergerie, pour y mettre à exécution de Jugement qui condamne *** à la peine de mort. L’exécution aura lieu sur la place de *** de cette ville. L’ACCUSATEUR PUBLIC. ***. Fait au Tribunal, le *** l’an Second de la République Française.»

C’est juste cela : un formulaire pré-rempli. « ACCUSATEUR PUBLIC » en majuscules, s’il vous plaît. Mais « Exécuteur des Jugements Criminels » en minuscules. Un exécutant reste un exécutant.

Le 13 avril, Marat est arrêté à l’instigation des Girondins. La logique voudrait que j’écrive ensuite quelque chose comme « 17 avril, Marat guillotiné ». Mais non. Je dois écrire : « 24 avril, Marat acquitté », par ce même Fouquier-Tinville, rien que cela.Marat a la vie dure. Une femme la lui a donnée, une femme la lui reprendra. Le 13 juillet, Charlotte Corday le poignarde dans son bain. Que dois-je écrire ? « 17 avril, Charlotte acquittée » ? Et non. Le 17, elle monte à la guillotine. Une femme jalouse ou une maîtresse trahie ? Pas du tout. Une Judith des temps modernes plutôt. Chénier, qui ne lui survivra que d’un an, lui dédie un poème. « Toi qui crus par ta mort ressusciter la France. » Voila donc que la pucelle de Caen quitte sa province et se rend dans une ville inconnue pour tuer un inconnu, dont elle ne sait même pas où il habite. Drôle d’époque.

Début septembre, complot de l’œillet, la reine a failli s’enfuir de la Conciergerie. Failli. Comme toujours. On peut dire qu’elle aura beaucoup reçu, beaucoup comploté, celle qui, des années durant, ne daignait se mêler de politique. L’armoire de fer révèle sa correspondance avec Barnave, Mirabeau et beaucoup d’autres. Cette femme épuisée tente encore de fuir. Et son fils dans tout ça ? Je me demande à quel moment l’espoir est complètement mort en elle, car c’est ce jour là qu’elle est véritablement montée sur l’échafaud...

Le 5 septembre, c’est la Terreur. Voila qui a le mérite d’être clair. Un couvre-feu qui proclame : « on va tous vous massacrer ». On ? Qui est-ce ? Le peuple. C’est un cancer.

17 septembre 1793, la loi des suspects, la pire loi possible. Qui ne prouve pas qu’il est innocent est coupable et doit être tué. Ceux qui, à compter du 1er juillet 1789, ont respiré le même air qu’un suspect, seront suspects. Mais le plus dangereux avec toute loi, c’est son exécution. Par qui la loi des suspects est-elle exécutée ? Par les plus pires zélotes qui soient : les Comités de surveillance. La Commune de Paris se montre à la hauteur de sa réputation : « Ceux qui n'ayant rien fait contre la liberté, n'ont aussi rien fait pour elle ».

Le 25 septembre, le Chevalier de Saint Georges, le Mozart noir, est arrêté. On le soupçonne de sympathies royalistes, comme on suspecte tous les officiers après la trahison de Dumouriez. Chance dans ce monde absurde, il n’est pas victime d’un procès expéditif, il est juste oublié en prison. Il est relâché un an plus tard, quand le climat de terreur s’adoucit.

Le 16 octobre, Marie-Antoinette monte sur la guillotine. Avec légèreté sans doute, car elle est déjà partie depuis un moment déjà. Je retiens deux choses qui ont du lui coûter plus que de perdre un époux, un royaume, une couronne, la beauté, la santé, et même la vie. La première : de sa prison du Temple[2] elle entendait les comptines révolutionnaires que l’on faisait chanter à son fils. La voix de son fils de sept ans qui chante la carmagnole, voila ce qu’elle emporte à l’échafaud. La seconde : le Tribunal Révolutionnaire osa convoquer contre elle ce même fils au motif d’attouchements qu’elle aurait pratiqué sur lui. Si en plus elle avait su qu’on laisserait cet enfant seul dans une pièce sans fenêtre à pourrir avec ses excréments... On se prend à désirer ardemment qu’il y ait une « Notre Dame » quelque part à la quelle on puisse joindre son infinie tristesse.

Le 31 octobre, les Girondins passent à la guillotine. C’est la revanche de Marat qui intervient la veille du jour des morts. Le procès dure six jours, le Tribunal Révolutionnaire se repose le septième : vingt hommes à l’échafaud. Vingt, parce qu’un de ces députés, Vallazé, a jugé bon de se suicider en pleine audience. Il s’enfonce un stylet dans le cœur à la lecture du verdict. « Eh bien quoi, tu trembles ? », lui demande Brissot. « Non, je meurs. », répond-t-il fort logiquement. Normal. Les Montagnards, Marat et autres Robespierre ont donc provisoirement gagné.

Le 3 novembre, Olympe de Gouges est guillotinée pour ses sympathies girondines et pour avoir eu, en toutes circonstances, le courage de ses opinions. Elle réclamait le droit de monter à la tribune, parce qu’elle se savait le droit de monter à l’échafaud. Elle aura exercé les deux. Magistralement. Il faut lui reconnaître ce grand mérite d’avoir eu les mots justes : « le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les Révolutions ».

Le 8 novembre, Mme Roland, grande amie et inspiratrice des Girondins, est guillotinée. Son procès s’était ouvert le matin même, elle a du assurer elle-même sa défense. Le contraire eût été étonnant. D’ailleurs, à la fin, on lui ôte même le droit de se défendre : c’était encore trop. En tant que fille de Philipon, il est normal quelque part qu’elle finisse sur une caricature de procès. « O liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » 1793 est l’année de la formule... Mme Roland, Manon de son prénom, est un personnage intéressant : outre qu’elle exerça sur son mari le Président Roland une influence considérable, elle incarne la haine du bourgeois. Loin d’être une rude tricoteuse, elle a connu Versailles, dont elle garde le souvenir du mépris des grands. Marie-Antoinette a-t-elle jamais personnellement humilié ou méprisé Mme Roland ? Certainement pas. Mais c’est à cause de beaucoup de mépris que les Mme Roland détestent l’aristocratie. Il n’est pas étonnant qu’elle s’entendait avec Robespierre.

Le mois de novembre voit quelques décrets intéressants. Le vouvoiement est interdit en France. Cela a du faire drôle. L’Angleterre était en avance, une fois de plus[3]. Je souris toujours quand, dans une assemblée quelconque, on me dit : « le vouvoiement est interdit ici, tout le monde se tutoie ». Je sens comme une brise passer sur ma nuque… On adopte aussi le calendrier républicain, avec ses noms évocateurs « ventôse », « pluviôse », « fructidor », « frimaire » « nivôse »... Il y a une logique dans ce calendrier, tout de même. Sur le papier, tout est très logique en 1793. Les mois d’hiver se finissent en « –aire », comme frigidaire, les mois de printemps se finissent en « –al », comme banal, les mois d’été en « –or », c’est la couleur des champs de blé mûr, et les mois d’automne en « –ôse », comme névrose, ou comme ose, c’est selon. Bonaparte n’a pas fait son coup d’état un mois qui « ôse », mais un 18 brumaire, c’est probablement pour cette raison qu’il a failli échouer. Et le 9 thermidor, les petites termites de Fouché sont venues à bout de l’Incorruptible Robespierre. Ce qui est très drôle, c’est que les jours de l’année portent tous un nom différent, de préférence un nom de fruit, de légume ou d’instrument agraire. Cela remplace « avantageusement » les prénoms des saints qui y sont traditionnellement associés. J’aurais pu naître un jour charmant comme primevère de germinal (21 mars), mais, bien-sûr, il a fallu que je naisse plantoir de ventôse (20 mars). Probablement le jour le plus laid de l’année, à moins que ce ne soit la pulmonaire de pluviose (7 février). On doit fêter sainte Phtisie ce jour-là…

Le 11 novembre, bacchante de brumaire, Bailly est guillotiné. Feuillantisme, voila ce que cela coûte d’être un modéré. Le jour de sa mort est jour férié aujourd’hui, je suppose que c’est une grande consolation pour lui.

Le 29 novembre, au tour de Barnave. Il n’a que trente deux ans... « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur ? » C’est lui-même qui l’a dit. Barnave est coupable. Il a trahi. Il est entré en pourparlers avec les Tuileries, comme Mirabeau. La petite armoire de fer, qu’on découvre après la fuite de Varenne, renferme bien des correspondances. Les ardents défenseurs de la Révolution, tous compromis ? Est-ce de l’opportunisme, un reste d’attachement à la Monarchie, l’idée que les choses doivent être reprises en main, l’influence de Marie-Antoinette qui, sortie de son grand sommeil politique, n’eut de cesse de sauver sa couronne ? Cette compromission, qui coûta la vie à Barnave, aurait aussi emporté Mirabeau s’il n’avait eu le bon goût de mourir avant. Elle lui coûta tout de même l’immortalité : premier à entrer aux Invalides, temple de la Patrie reconnaissante, premier à en sortir. Grosse humiliation pour la République, presque comme la trahison de Dumouriez, héros de Valmy qui passe à l’ennemi…

Le 8 décembre, on traîne la Du Barry à l’échafaud. Son amie, Mme Vigée-Lebrun, souligne que c’est la seule femme à n’avoir pas supporté la vision de la guillotine. « Ne dites jamais de mal de vous, vos amis en diront toujours assez »[4]. Il me semble à moi qu’on la tire d’un autre siècle. Louis XV, c’est si vieux déjà ! Elle avait vingt-cinq ans à l’époque, elle en a cinquante en 1793. Comme on est injuste avec elle ! Marie-Antoinette, Dumas, la postérité... La Du Barry n’était pas une vulgaire, elle était belle voila tout. A elle aussi, on fait une cruauté particulière. Elle reçoit par la fenêtre la tête de celui avec lequel elle coulait des jours paisibles à Louveciennes. Elle reçoit par la fenêtre la tête de son amant. C’est ça qui est extraordinaire, il n’y a pas qu’à la guillotine qu’on coupe les têtes, la foule, dès qu’elle peut, les promène au bout d’une pique et voila qu’elle les balance par les fenêtres. « La France, ton café f** le camp ! »[5], s’il n’y avait que le café…

Le 10 décembre, Chaumette organise un Culte de la Raison à Notre-Dame de Paris. Voici donc la raison au milieu de tout ce chaos, elle doit se demander ce qu’elle fait là. Elle est patiente, elle supporte beaucoup de bêtise, elle entend dire tout et son contraire. Elle a l’habitude. Mais là, tout de même, elle a du être secouée d’un rire énorme. Quand la raison rit... la folie guette.

Le 23 décembre, les Vendéens sont exterminés à Savenay sous la botte de Westermann. Cadeau de Noël qu’il envoi au Comité de Salut public :

« Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. [...] J’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes [...] et n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé. »

Quel dévouement à la Cause, n’est-ce pas ? Et bien, même Westermann a été brièvement arrêté en mai, suite au passage à l’ennemi de Dumouriez, dont il avait été le lieutenant.   

Voila pourquoi je la trouve extraordinaire et fascinante cette année 1793. Fascinante comme les choses très laides ont le don d’attirer l’œil. C’est une année bien pauvre et sèche en matière littéraire et artistique. Elle est froide comme cette toile que David peint alors : La Mort de Marat. Elle me fait penser à la teinte du cadavre qui se vide dans la baignoire. Mais Hugo l’immortalise dans cette œuvre monumentale, Quatre-vingt Treize. Trois mots terribles. Un vieillard borgne qui boite avec une canne, on entend son pas hargneux. Tac-tac-tac… En quatre-vingt treize, on entend la foule, tantôt clameur lointaine qui court les rues, tantôt mer déchaînée, qui hurle de joie parce que les têtes vont tomber. On entend des voix, posées ou mal placées, graves ou hautes-perchées, fermes ou mal assurées, qui tentent de couvrir tout le reste.  C’est le temps de l’éloquence. On n’a jamais tant parlé. On parle, mais on ne discute pas. Discuter, causer, c’est Ancien Régime. On tonne, on hurle, on a de l’audace, comme Mirabeau. On s’écoute parler, et surtout on s’écoute applaudir… Et si l’on tend l’oreille, on s’entend aussi maudire, on ne sait plus… Et quand on sait, c’est qu’on entend déjà le couperet. Presque rien au début, glissement rapide et qui finit sa course par un bruit sourd qui coupe et puis qui claque. Confutatis maledictis, flammis acribus addictis[6]… A bien des lieues de Paris, cette année-là, on donne le Requiem de Mozart.



[1] Rousseau décrit une fleur de pois dans les Ecrits sur la botanique.

[2] Elle a été transférée à la Conciergerie avant son procès.

[3] Il n’y a pas de vous en anglais… Enfin, c’est vite dit, parce qu’il y a quatre « tu » en anglais moyen, qui permettent d’apporter quelques nuances. « Thou » et « thee », au singulier, « ye » et « you », au pluriel. Les lecteurs de Sonnets de Shakespeare l’ont appris d’une bien tendre manière : « Shall I compare thee to a summer’s day... » (XVIII)

[4] Disait ce cher Talleyrand qui avait beaucoup d’amis.

[5] On prête ces mots à Mme du Barry qui appelait familièrement Louis XV « La France ».

[6]« Quand les damnés parviennent au Jugement et qu’ils voués aux flammes. »

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 02:42

 

 

 

guitry maladie

Manuscrit autographe

 

 

 


Il vous ferait avaler n’importe quoi, parce que justement, il ne dit pas n’importe quoi. Et lorsqu’il parle des femmes ? « Parler des femmes, c’est en dire du mal quelque bien qu’on en pense »  [1] . Il en va des femmes comme du reste – et après les femmes, que reste-t-il ?- : ce qu’il pense réellement ? La nuance ? Cela casserait le style ; il faut exagérer.

 

La plupart du temps, il joue le même rôle. Charmeur, affable, extravagant, envahissant. Il ressemble à Frederick Lemaître dans Les Enfants du Paradis. Il a cette même façon qu’a Pierre Brasseur de dire : « oh non ! », d’une préciosité presque féminine. Et cette façon de s’assoir aussi, l’assise du causeur… Au fond, il est toujours égal à lui-même, très semblable à son rôle. Il joue le Guitry. « Ach ! Der Guitry ! », se serait exclamé Goering en le croisant à un dîner mondain [2]. C’est cela : c’est Le Guitry. Il n’est pas transparent.

 

Certains interprètes extraordinaires jouent les caméléons. Ils s’imprègnent de leur rôle et deviennent méconnaissables. Guitry imprègne son rôle, nuance. C’est Talleyrand qui se glisse dans ses souliers. Du reste, quand Guitry joue les Talleyrand, cela ne rend pas aussi bien : ses petites manœuvres politico-diplomatiques sous Vichy lui ont valu deux mois de prison à la Libération. « La Libération ? On peut dire que j’en ai été le premier prévenu. » Il fait partie des « arrêtés de la première heure », comme d’autres furent « Résistants de la dernière heure ». « Avec tout ce que j’ai fait pour la France, ils n’oseront pas », aurait-il dit à Arletty. Erreur d’évaluation qu’aurait désavouée le prince immobile. Ils osent tout, les mesquins et autres revanchards. Pour prouver la pureté d’une eau pas trop claire, il faut bien puiser quelque part une eau plus sale encore.

 

Mais, à l’écran, quel admirable Talleyrand ! Comme il faut à chaque instant que l’on sache combien il est grand ! L’apparence, le maintien empreint de grâce virile, celle de sa main d’homme qui balance un cigare. Son Talleyrand souffre la vie, c’est à dire qu’il la supporte bien qu’elle ne soit pas toujours aussi spirituelle que lui. Le teint poudré, blanc, impeccable. Il se sublime dans ce rôle. L’agréable baron, qu’il a l’habitude d’incarner, cesse de régenter sa maisonnée pour régenter l’Europe. Talleyrand rencontre sa future femme [3] :

 

« D’où êtes-vous Madame ? »

« Je suis d’Inde »

« En quel sens l’entendez-vous Madame ? »

 

Une pointe d’intérêt amusé, il jouit de sa question. « Ah... Je ne croyais pas m’amuser si tôt », voila ce qu’on entend dans la pointe d’accent affecté qu’il prend. Evidemment, l’ingénue ne peut pas comprendre. C’est entre lui et nous. C’est entre lui et lui. Une merveille que de savoir se divertir ainsi soi-même.

 

Si l’on n’avait pas compris quel relief un acteur donne – peut donner – à un texte, il faudrait le voir jouer. Il parle tout le temps, il y a un débit, un ton Guitry, qui va avec le texte Guitry, court, ternaire, ponctué, mais sans emphase. L’emphase, c’est le comédien qui la donne.

 

Molière est furieux que l’on édite, que l’on fige son texte, ce canevas sur lequel brodent les comédiens. Guitry ne toucherait pas une virgule du sien. Il met en scène, il se met en scène, il prévoit tout, absolument tout. Un peu, peut-être, comme Hitchcock procédait avec ses fameux croquis. Paradoxalement, le cancre a un côté bon élève. Il est à son petit bureau, avec ses petites lunettes rondes et ses cheveux gominés, sérieux, appliqué. Certes, il ajoute le talent à cette application, mais, tout de même, il lit ses notes. « Entendez comme j’ai bien écrit. » Et en effet, c’est très bien écrit. 

 

Il parle tout le temps. A croire que, pour lui, courtiser une femme, c’est l’étourdir. Lui ôter le temps de penser, sans doute. Il se targue de savoir conter n’importe quelle histoire... pourvu qu’il en ait écrit le texte. Il ne déclamerait pas n’importe quoi. J’ai vu un jour ce grand acteur Shakespearien, Ian McKellen, lire « à la Shakespeare » une notice pour changer les pneus. On aurait dit une scène du Roi Lear. Je crois que Guitry, lui, réécrirait la notice. Il profiterait de l’occasion pour nous conter l’histoire de l’hévéa. La récolte du caoutchouc s’appelle une « saignée », cette idée lui plairait sans doute. Il y trouverait je ne sais quelle nostalgie romantique. Il nous parlerait des naturalistes français, au fin fond de l’Amazonie, qui découvrent « l’arbre qui pleure ». Il ne manquerait pas d’ajouter comment l’un d’eux tombe amoureux d’une indigène, l’épouse, lui fait un enfant, la quitte... Le caoutchouc rend imperméable. Il parlerait des Montgolfier qui se servaient de caoutchouc pour étanchéifier leur ballon... Histoire de France, toujours. C’est là sa manière d’être patriote : la France et c’est tout. Il a fait interdire que ses pièces soient jouées en Allemagne. Il n’aime pas Shakespeare. En fait de globe, il ne connaît que la montgolfière [4]. Anti-européen, l’ami Sacha.

 

Une chose remarquable : il n’est jamais vulgaire. Libertin sur les bords, suggestif, il l’est souvent, à mots couverts. Il sait qu’il y a bien plus de plaisir dans le dévoilement que dans le nu complet. Nous sommes ainsi, nous offrons nos présents bien emballés, nous différons, nous aimons dîner aux chandelles et boire dans des verres en cristal... Il sait parler de tout, mais avec grâce et naturel. Je dis « mais », car la plupart des gens sont un peu trop naturels justement, c’est à dire qu’ils sont juste crus. Or, le cru, on le trouve partout, c’est vulgaire. On aurait presque envie de leur donner des complexes, de leur dire : « ne soyez pas trop naturels. » D’autres sont trop affectés. Les prudes ont toujours l’air de redouter les mots ou les idées honteuses à chaque coin de phrase. Ils ne sont donc pas si différents au fond des frénétiques de l’allusion permanente. Et tout cela est lassant. Alors voila, le Louis XV de Guitry – ajouter un titre à un roi de France !- a l’œil lubrique, mais il n’est pas vulgaire. Je doute d’ailleurs que le véritable Louis XV, grand consommateur devant l’Eternel, ait eu ces façons.

 

Guitry a des airs d’habile joueur de billard français. Raffiné, fin, élégant, son parler est un calcul précis qui a des allures désinvoltes. Un mot rebondit plusieurs fois sur la bande, en touche un autre et arrive enfin à sa place. Tout était prévu, depuis le début. On admire le coup.

 

« Il l’aime encore. Et quand on dit qu’on aime encore, c’est qu’on aime un peu moins déjà. Il lui est très attaché. Or sentir n’est-ce pas qu’on est très attaché, c’est en somme s’apercevoir qu’on n’est pas libre. Et la cinquantaine est là, solliciteuse, impatiente. »

 

En bon joueur de billard, il se fait fort de pouvoir se tirer de n’importe quelle configuration. Il a toujours l’air de dire : « Vous croyez que je ne ferai rien de ce petit fait ridicule ? Et bien vous allez voir : je vais prendre la main sur toute la distance ». C’est un introducteur de génie. « Et puisque nous en sommes là... », voila le « il était une fois » de Guitry. Oui, il a l’art d’introduire, de conclure aussi, le reste est un fleuve porté par la musique de ses phrases sans silence. Il aime à raconter l’histoire de « celui qui passait par là », la petite histoire de la grande Histoire. L’histoire telle qu’il eut aimé qu’elle lui fût contée sans doute. C’est ainsi qu’il conte Paris, Versailles, les Champs-Elysées.

 

« Direction qui semble aller vers le bonheur et vers l’infini. ‘Remontons les Champs-Elysées !’ C’est le contraire d’une adresse, c’est un détour en ligne droite et c’est l’aveu d’un sentiment. Remonter les Champs-Elysées avec celle qu’on aime ou que l’on croit aimer, n’est-ce pas également aller vers l’inconnu ? » [5]

 

Ah ! Monsieur Guitry, à qui le dites-vous ! Descendre les Champs, lentement, à pied. S’asseoir sur un banc. Prendre le demi-soleil du mois de mai. Echanger des vœux devant un petit carrousel. Salir un peu ses beaux souliers dans la poussière des contre-allées. Et puis, rentrer au Faubourg Saint-Germain. Sans aucun regret, sans nostalgie. Sourire parce qu’on se promène au bras d’un avant-hier qui a des allures de demain... Guitry habitait avenue Elisée Reclus. Cela ne s’invente pas. Pas sur les Champs qu’il aimant tant, mais à l’« Elysée » tout de même. Pas reclus, au calme sans doute.

 

« Je ne veux plus voir personne et vous êtes tous logé à la même enseigne. Ce qu’il y a d’écrit sur cette enseigne ? Ah non, Comtesse, non ! Un très gros mot ! » [6]

 


[1] Conférence « Les femmes et l’amour », 1934

[2] La rencontre avec Goering est pour le coup franchement anecdotique. Goering le connaissait d’avoir vu ses films, mais Guitry avait, par patriotisme, interdit bien avant la guerre que ses pièces fussent jouées en Allemagne. S’il a continué ses mondanités sous l’Occupation, il a également sauvé, par son intervention auprès des autorités allemandes, un certain nombre de personnes, dont Tristan Bernard et sa femme. Pour ce qui est de l’attitude de Guitry sous l’Occupation, se référer à cette émission des archives de l’INA : http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/audio/PHY05073252/sacha-guitry-talleyrand-des-annees-40.fr.html

[3] Le Diable boiteux, 1948

[4] La montgolfière était appelée le « globe » en raison de sa forme avant de prendre le nom de ses inventeurs, comme, dans un autre registre, le théâtre de Shakespeare s’appelait le Globe.

[5] Remontons les Champs-Elysées, 1938

[6] Tu m’as sauvé la vie, 1949

 

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 08:06

 

Porte_du_couvent_des_Feuillants_JB_Lallemand.jpgPorte du couvent des Feuillants

Jean-Baptiste Lallemand

 

 

 

 

On trouve à Paris, entre la place Vendôme et la rue de Rivoli, un restaurant qu’on appelle le Carré des Feuillants. Nous avons l’habitude de nous y retrouver, Elisabeth, Charles et moi. Cela date de l’époque où ce cher oncle Erich nous y emmenait déjeuner. Nous étions au collège alors et c’était presque l’été. Nos déjeuners sentaient bon la fin de l’année.

 

A quelques pas, à quelques siècles près, rue Saint Honoré, siégeait le club des Feuillants, le club des modérés, des aristocrates, des constitutionnels, les Bailly, et autres La Fayette. Le maire de Paris, le capitaine de la garde nationale, des Jacobins prudents qui, au lendemain de la fuite de Varennes, ont compris qu’il fallait calmer la folle mécanique. Ah, si Louis XVI avait vu cette période comme une horloge détraquée ou comme une serrure grippée, lui, l’artisan passionné... Mais, même les Feuillants prudents ont mal fini. C’était dans l’air du temps, il faisait trop chaud voila tout. Dieu vomit les tièdes, la Révolution vomit les modérés. Il faut dire qu’on avait le prétexte fort léger à cette époque, léger comme le couperet se faisait lourd. 

 

Rivoli, Louvre, Tuileries...  Le quartier respire la chaleur étouffante qui rayonne des pavés au mois de juillet. A peine un peu d’ombre sous les arcades. Un peu d’ordre sous les arcades ? Le Paris révolutionnaire gronde, les enfiévrés sortent du Jeu de Paume, possédés par l’immense culot de Mirabeau. Vive le Roi ! Vive la Constitution ! Louis XVI porte la cocarde, le citoyen Capet, la tête au panier. Mort à l’Autrichienne ! Perdre la tête pour une affaire de collier, quelle ironie! Toutes ces petites têtes qui pensent et qui s’échauffent si fort... Et la tête de la duchesse de Lamballe qui danse au bout d’une pique, décidément, ces aristocrates n’y comprennent rien ! Du pain ! Du pain ! Le peuple a faim ! Faim de quoi au juste ? Du sang, du sang et des pavés, il faudra s’en rassasier : c’est la Terreur. Tuez-les tous, la Révolution reconnaîtra les siens... Ils sont tous morts, la Révolution a renié les siens. Et Talleyrand qui boîte son chemin à travers tout cela...

 

Elisabeth, Charles et moi sommes donc aux Feuillants. Nous attendons Anna depuis un bon quart d’heure. Anna est russe. Anna est toujours en retard. Anna ne s’excuse jamais. Mais, cette fois-ci, surprise : un coup de fil d’Anna : « le chaffior[1] ne connaît pas les Quatre Feuillants ! »

Les Quatre Feuillants ? Voila ce que cette chère Anna fait du Carré des Feuillants : quatre Feuillants qui se battent en duel. C’est ce qui s’appelle pratiquer une coupe claire dans les effectifs, une coupe Robespierre même. Mais il est vrai que le paysage culturel d’Anna ressemble aux dits effectifs après coupe claire. Probablement que sa fréquentation assidue des Trois quartiers n’a rien arrangé. Culture mercantile. La culture est un privilège au pays d’Anna. Je fais ma dernière remarque tout haut :

 

Elisabeth : « Si la pauvreté intellectuelle est un privilège, c’est une grande privilégiée. »

Charles : « Le privilège des jolies femmes, c’est d’avoir de l’esprit. »

Moi : « Une grande consolation pour Mlle de Scudéry[2], mais je ne crois pas que nous soyons en train d’écrire la Carte du tendre... »

Elisabeth : « Sors-donc voir si son chaffior trouve les Feuillants qui restent, Charles-Clélie[3]. »


[1] C’est ainsi qu’on prononce en russe le mot « chauffeur » emprunté au français.

[2] Dont on disait qu’elle avait autant d’esprit qu’elle était laide.

[3] Clélie est l’héroïne de Mlle de Scudéry.

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17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 21:22

 

 

Odin_hrafnar.jpg

 

 

 

Huginn ok Muninn fliúga hverian dag

iörmungrund yfir;

óomk ek of Huginn, at hann aptr ne komit,

þó siámk meirr um Muninn.

 

Chaque jour Pensée et Mémoire survolent

La vaste terre du Mithgarth ;

Et je crains toujours que Pensée ne revienne pas

Mais plus grand encore est mon soucis de Mémoire.

 

Edda poétique, Grímnismál

XIIIème siècle

 


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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 01:19

 

 

le-bal-des-ardents3.jpg

Le Bal des ardents. 1393

(in Jean Froissart, Chroniques, XVème siècle)

 

 

 

 

La Duchesse de Dino, dont l’oncle par alliance n’était autre que Talleyrand, rapporte une anecdote qui m’a bien fait rire :

 

« Paris, 28 janvier 1836. – Nous dinions hier chez le maréchal Maison. [...] On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s’y rendaient effectivement ; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix : ‘j’ai un moyen parfait, que j’ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j’ai donnés : je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d’elle, et je lui dis : ‘Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule’. »[1]

 

Les convives sont des haricots qu’on jette en ridicule. Bonne idée. Il y a un côté Hansel et Gretel à compter les gens avec des haricots. Qu’on les jette tous dans une grande poêle et qu’on les cuisine un peu ! On les fait bien danser, pourquoi ne pas les faire frire aussi? On l’a fait d’ailleurs, au bal des ardents[2]. La Maréchale dit cela avec tout le sérieux du monde, elle rapporte fidèlement les instructions données à la femme de chambre, « Mariette », puisqu’elle nous gratifie même de son prénom. Lorsqu’elles veulent se donner de l’importance, les « grandes dames » aiment montrer comment elles dirigent leurs gens. Elles aiment rapporter au mot pour mot les ordres qu’elles leur donnent avec ce ton supérieur, empreint d’une condescendance compatissante, car « vous comprenez, la pauvre est un peu sotte »... Le mot « ridicule » dans la bouche de la très sérieuse Maréchale n’a rien de sarcastique, on se doute que c’est ainsi qu’elle désigne un genre de sac-à-mains. D’ailleurs, la princesse Radziwill, qui a annoté l'édition,de 1840, n’a pas jugé bon de préciser quoi que ce soit à cet endroit : le mot devait être d’usage suffisamment courant à l’époque. Ce « ridicule » est en fait d’une déformation du mot « réticule », qui désigne un petit filet[3] et par extension, les petits sacs que portaient les dames. Mais si le « ridicule » est un petit sac, les propos de la Maréchale deviennent plus comiques encore : la femme de chambre va délicatement « prendre un haricot du grand sac », pour ensuite le « jeter » dans son ridicule, qui, suivant l’importance du bal, doit finir par être bien rempli. Mariette et le haricot magique.

 

Le Littré cite les Souvenirs de la marquise de Créquy :

 

 « Je vous ai déjà dit que les femmes avaient repris l'usage des sacs à ouvrage que les antiquaires appellent ‘réticules’, attendu que ceux des dames romaines étaient formés en filet de réseau ; mais les bourgeoises qui les portent disent toujours des ‘ridicules’. »[4]

 

Ah, ces bourgeoises, toujours à copier les mœurs des grands, mais jamais à la hauteur ! Un thème récurrent dans ce genre de correspondance. Toujours d’après le Littré, le terme « ridicule », employé au sens de « sac », aurait été d’usage sous le Directoire, à la toute fin du XVIIIème donc. Et bien, force est de constater qu’on avait toujours ses « ridicules » au milieu du XIXème... Et peut-être même qu’aujourd’hui encore, le terme serait bienvenu. Il faudrait  d'ailleurs indiquer à la jeune personne qui a traité un jour Madonna de « vieux sac ridicule » qu'entre « sac  » et « ridicule », il faut choisir. Le « vieux », en revanche, reste... Mais c'est bien là le propre du vieux.



[1] Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Volume II : 1836-1840, Plon, Paris, 1840

[2] Le 28 janvier 1393, aux petites heures du matin, les convives de Charles VI, qui s’étaient enduits de poix pour « jouer les sauvages » lors d’un charivari, se transforment en torches humaines. Le frère du roi avait voulu voir de trop près qui se cachait derrière les plumes et les poils d’étoupe agglutiné et il avait approché sa torche. On se souvient de cet évènement comme du « bal des ardents ».

[3] Les « rets » sont, en vieux français, les filets de pêche, du latin rete.

[4] Decourchamps, Souvenirs de la marquise de Créquy, t. IX, ch. V (in Littré, article « ridicule »)

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L'orange Maltaise

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  • : « Il pourrait se trouver, parmi [mes lecteurs] quelqu’un de plus ingénieux ou de plus indulgent, qui prendra en me lisant ma défense contre moi-même. C’est à ce lecteur bienveillant, inconnu et peut-être introuvable, que j’offre le travail que je vais entreprendre. Je lui confie ma cause ; je le remercie d’avance de se charger de la défendre ; elle pourra paraître mauvaise à bien du monde ! » (Mémoires de la Duchesse de Dino, 1831)
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