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26 août 2009 3 26 /08 /août /2009 23:34






Dans la série le Chapelier prend le train, voici l’Angleterre. Très prévisible l’Angleterre, certes. Mais il se trouve que Le Chapelier en a une expérience relativement approfondie. Le Chapelier vous aurait bien promené sur la côte d’Azur britannique, entre Brighton et Portsmouth, mais cela a un petit côté désuet. Il ne voudrait pas vous donner de son pays l’image de stations balnéaires désertes traversées de personnes du troisième âge en villégiature[1]. Il s’est dit que vous préféreriez peut-être entendre parler des trains londoniens, ceux qui conduisent les futures personnes du troisième âge des banlieues chics au cœur financier[2] du pays, la City.

 

 

L’Angleterre est réputée pour ses trains. N’oubliez pas en effet qu’il s’agit du marché le plus libéralisé au monde en la matière. Comme chacun sait, la libre concurrence jouant, le marché s’autorégule et la qualité de service augmente. Ainsi les diverses compagnies qui opèrent dans la région de Londres le font-elle avec sérieux et compétence. Non contentes de proposer des trains fiables et à l’heure, elles mettent l’accent sur la diffusion de l’information  et le confort de l’usager. Le Chapelier peut en témoigner.

 

Vous apprécieriez sûrement par exemple un train qui change de quai à quatre heures du matin en passant quai numéro deux alors que le tableau des départs indiquait clairement le quai numéro un ? Vous aimeriez encore plus si j’ajoutais qu’il y a une jolie passerelle à dix mètres du sol qui relie les deux quais et à laquelle on accède par des escaliers bien raides La plus courte distance entre deux points étant encore la ligne droite, on épargne ainsi un trajet inutile aux voyageurs. Cette passerelle est en métal peint, par temps froid, elle est entièrement verglacée. Le glissement en est grandement facilité. Vous n’imaginez pas le temps gagné, surtout à la descente. La compagnie qui opère les trains pour St Pancras gagnerait à indiquer que ses trains font un arrêt à Saint Potin[3].

 

Il est donc quatre heures du matin, et vous vous interrogez : un train vient de rentrer en gare quai numéro deux, c'est-à-dire le quai réservé aux trains pour l’aéroport de Luton en direction du nord. Mais, il n’y a pas de train prévu pour Luton avant une demi-heure. De plus, il est exactement l’heure de votre train pour St Pancras en direction du sud. Vous concluez qu’il s’agit soit d’un train pour Luton à la mauvaise heure, soit d’un train pour St Pancras sur le mauvais quai. Si vous montez dans le train de Luton, vous vous embarquez pour une heure de voyage. D’un autre côté, les trains sont ponctuels à cette heure et si le train pour St Pancras n’est pas quai numéro un maintenant, il n’y a guère de chance qu’il y soit plus tard. Le train roule-t-il à contresens ? Se pourrait-il, que le train magique d’Harry Potter parte vers Luton, au nord, mais arrive quand même à St Pancras au sud ?

 

Rappelons qu’il n’y a qu’un train toutes les demi-heures et que si vous ratez celui-ci, vous raterez votre Eurostar, et par conséquent toute votre journée à Paris. Vous avez très exactement soixante secondes pour franchir la passerelle et courir sur le quai d’en face avec vos valises, de préférence. Mais, on ne vous en voudra pas trop si vous les abandonnez. Avec un peu de chance, on déclenchera une alerte au colis piégé qui bloquera le trafic pour quelques heures. Ceci n’augmentera vos chances d’avoir votre Eurostar, mais vous aurez la satisfaction de savoir que d’autres personnes auront également raté leur train et tout cela grâce à vous[4].

 

Evidemment, vous êtes quelqu’un de raisonnable, mais, le Chapelier fou ne l’est pas. Il trouva tout naturel que le train change de quai à quatre heures du matin sans que le changement ne soit annoncé. Il se demanda même pourquoi il ne s’arrêtait pas quai numéro 1 ½, le quai qui n’existe pas[5]. Cela aurait tellement simplifié les choses. Il trouva tout à fait faisable de courir en soixante secondes la passerelle verglacée avec ses bagages. Le Chapelier monta dans le train sur le quai de Luton, aéroport excentré, et se retrouva à St Pancras, gare ferroviaire du cœur de Londres. En plus, il n’avait même pas eu à se fatiguer. Comme c’était la période des fêtes de fin d’année, « l’esprit de Noël »[6] avait porté ses bagages dans les escaliers. La compagnie gagnerait à préciser qu’elle met à disposition des employés pour aider les voyageurs. D’ailleurs une autre fois, alors que le Chapelier se rendait à l’aéroport de Luton pour gagner l’Irlande et qu’il se trouvait une fois encore dans l’obligation de courir dans les escaliers verglacés, ce sont les Leprechauns qui ont porté ses bagages[7].

 

Le Chapelier pourrait aussi vous raconter cette plaisante soirée où il a eu la bonne idée de s’endormir dans le train censé le conduire de la City à Hampstead, banlieue chic du nord de Londres. Rater la magnifique gare de West Hampstead et ses 4 voies en plein air signifiait se retrouver à la prochaine station, à une cinquantaine de kilomètres, dans le Hertfordshire. Rien de tel qu’un peu de tourisme après une bonne journée de labeur à la City. Du reste, le Chapelier était toujours tenté de rester dans le train. En particulier le matin, lorsqu’il lui fallait descendre à City Thames Link au lieu de continuer jusqu’à Brighton pour aller s’aérer l’esprit en se promenant face à la Manche agitée d'une légère brise marine. Mais il résista vaillamment.

 

Peut-être voudriez-vous savoir à quoi ressemblent les gens qui prennent ces trains qui conduisent de la banlieue de Londres à la City ? Au risque de vous décevoir, on voit surtout des quotidiens gratuits grands ouverts et des mains plus ou moins boudinées s’y accrochant comme à une feuille de paie. Sauf que vous pouvez parier que les feuilles de paie ne finissent pas abandonnées sur un siège aussitôt qu’elles ont été lues. Preuve s’il en est que les passagers du First Capital Connect estiment à leur juste valeur les faits de qualité douteuse dont ils se repaissent.

 

Si le Chapelier ne salissait pas ses gants avec les quotidiens gratuits, il se livrait néanmoins à un jeu fort amusant : saisir le sens d’un article à partir de brides lues sur les journaux de ses voisins. C’est très mal de regarder par-dessus l’épaule de son voisin me direz-vous. Bien évidemment, mais quand tout le monde est debout dans le wagon, il faut bien que quelqu’un se sacrifie et laisse les autres ouvrir leur journal. Quel sens civique, Chapelier, quel dévouement !

 

Grâce aux quotidiens gratuits déployés par les autres voyageurs, le Chapelier a un peu rattrapé sa totale inculture. Il connaît désormais Amy Winehouse et un certain nombre de personnalités à scandale britanniques. Lundi matin : Amy Winehouse dans une épicerie. Mardi matin : Amy  dans une épicerie achetant une boite de petits pois. Amy anorexique ! Mercredi matin, Amy dans une autre épicerie achetant des fraises. Amy enceinte ! Jeudi matin, Amy achetant deux boites de corn flakes. Amy boulimique ! Vendredi matin, Amy en boîte sur l’étagère de l’épicerie. Vous hallucinez, c’est normal en fin de semaine. Vous feriez mieux de faire comme Amy et d’entrer en cure de réhab. Certes, en français correct, on devrait dire "cure de désintoxication". Mais cure de "réhab", dérivé de l'anglais "rehabilitation", sonne tellement mieux.

 

Mais il y a bien sûr tant d’autres informations intéressantes. dans les quotidiens gratuits  - notez au passage que les quotidiens payants sont en général du même acabit -. Les adieux du Prince Harry à sa petite amie, petite amie effondrée. Le Prince Harry en Afghanistan, pauvre petite amie esseulée. Le Prince Harry rentre d’Afghanistan, petite amie ravie. Le Prince Harry retrouve sa petite amie, petit couple heureux. Le futur mariage du Prince Harry avec une autre petite amie Et, bien sûr, les crimes en tout genre. Non pas que les deux soient liés. A vrai dire, ils sont, comme qui dirait négativement corrélés. Lorsque ni le Prince Harry, ni la princesse Amy ne font parler d’eux, c'est-à-dire quand il passent une journée sans bouger, sans parler, ni même sans respirer, il ne reste plus que les crimes pour faire une jolie une. Et là, on a l’embarras du choix : opteriez-vous pour le tueur de l’arrêt de bus, pour le mari qui violente sa femme, pour la femme qui violente son mari, pour la femme qui empoisonne son mari à petit feu, pour la femme qui maltraite ses enfants, ou pour la femme qui exploite les enfants que lui confient les services sociaux ? Mais peut-être préféreriez vous le jeu collectif. Dans ce cas, vous aurez encore les faux-taxis violeurs de femmes sans défense, les gangs armés de gamins de moins douze ans et les gangs armés de gamins de plus de douze ans.

 

Après avoir élevé son âme par ces saintes lectures, le Chapelier se plongeait dans les rapports de la SBB, de la SNCF, de la Deutsche Bahn, de Trenitalia, de la NSB et de tant d’autres compagnies européennes qui seraient bien heureuses de jouir de l’excellente réputation des compagnies anglaises. En effet, le Chapelier aime tellement les trains que même confortablement installé dans son bureau de la City, il s’occupait encore d’un projet d’investissement dans le matériel ferroviaire en Europe. Il a donc supporté les rapports techniques sur le confort des voyageurs, mais aussi le confort du fret, car il est très important que le fret se sente à son aise. Un projet tellement européen. Exécuté pour le compte d’une grande banque japonaise. Très londonien en somme.



Amicalement vôtre,
Le Chapelier.

A suivre...


[1] Le Chapelier fut traumatisé par la réaction d’un enfant français entendue dans la rue à Brighton :

- « Maman, pourquoi  il y  tous ces vieux en fauteuils roulants ici ? »

- « Mais enfin ma chérie, tu ne voudrais tout de même pas qu’ils restent chez eux ? »

- « Si ».

Il faut préciser que les fauteuils roulants et autre déambulateurs sont monnaie courante Outre-manche, ce qui favorise dans une certaine mesure l’autonomie des personnes âgées, ou comme on dit « autonomy of the elderly with disabilities ».

[2] Que l’on aime ou non le style très particulier du Chapelier,  il faut lui reconnaître un certain sens de l’oxymore.

[3] Tout comme Saint Pancras, Saint Potin, évêque de Lyon, martyrisé. Il fut  précipité du haut des marches de la cathédrale. Déjà fort avancé en âge, il mourut suite aux mauvais traitements dont il fut victime.

[4] Le Chapelier s’adresse à des Français, c'est-à-dire à des gens qui acceptent que le sort leur soit défavorable, pourvu qu’il le soit également à d’autres, quitte à l’aider un peu. Il faut pardonner au Chapelier ce genre d’opinions tranchées et arbitraires. Il a peu le sens de la nuance.

[5] Laisser pour une fois le Chapelier sacrifier à la mode et indiquer qu’il est fort possible que ce « quai numéro 1 ½ » soit inspiré du quai 9 ¾ de J.K. Rowling. Après tout, c’est en partie aux trains britanniques que l’on doit les aventures d’Harry Potter.

[6] « Christmas spirit », l’ « esprit de noël », si chère à nos amis anglo-saxons, n’est bien sûr pas un « esprit » qui aurait pu aider le Chapelier à faire quoi que ce soit, mais désigne simplement l’ambiance de noël. Le Chapelier vous affirmera le contraire. Peut-être a-t-il trop lu Charles Dickens étant enfant.

[7] Les Leprechauns sont les lutins traditionnels du folklore irlandais.

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commentaires

T
Très bien résumé! :-D
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T
Chapeau bas mon ami chapelier... Je n'aurais pas mieux dit. <br /> (Surtout sur l'esprit français.)
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L
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire tk. La langue et la littérature françaises sont tellement belles, il faut bien qu’il y ait des compensations…<br /> <br /> <br /> Connais-tu cette plaisanterie sur l’esprit français justement :<br /> <br /> <br /> Un Américain et un Français regardent un cocotier. Ils voient quelqu’un entrain d’arriver au sommet pour aller chercher des noix de coco. L’Américain dit : « je vais m’y mettre dès<br /> maintenant et faire comme lui ! ». Le Français lui répond : « Non, inutile de se fatiguer. Tu vas voir. » et il scie le cocotier.<br /> <br /> <br /> <br />

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