Une grande victoire de la justice. L’arrêt Grouard contre Fansolo (C. Cass. 6 octobre 2011)

L’arrêt de la première chambre civile de la cour de Cassation rendu ce jour met un terme définitif à un long et éprouvant marathon judiciaire qui opposait, depuis 3 ans, le tout puissant maire d’Orléans et député du Loiret, Serge Grouard, au blogueur Fansolo, alias Antoine Bardet. A ce stade, un petit résumé des faits s’impose, à l’intentions des nouveaux ou des étourdis.  Rappelons donc que, dans le cadre de la campagne pour les élections municipales de 2008, Antoine, candidat sur la liste de Jean Pierre Sueur, avait tenu un blog humoristique intitulé « les amis de Serge Grouard ». Sur ce site assez confidentiel, il brocardait en les parodiant les soutiens par trop enthousiastes du maire sortant, et émaillait ses billets de dizaines de fautes d’orthographe. Les formulations étaient tellement grosses qu’elles ne laissaient guère place au doute sur le caractère rigolard du propos. Au demeurant, le blog n’avait été consulté que par une centaine de personnes, tout au plus et n’avait pas infléchi le moins du monde le résultat des élections, dont Serge Grouard était sorti vainqueur. Pourtant, une fois réinstallé dans son fauteuil de maire, celui-ci avait jugé utile de poursuivre Antoine de son courroux en le trainant devant un tribunal et en exigeant des sommes considérables en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait du blog fatal. Il reconnaissait pourtant, par le canal de son avocat, qu’il n’avait fait l’objet ni d’insulte ni de diffamation de la part de Fansolo, mais simplement de « dénigrement ». Son argumentation, pourtant juridiquement très fragile, avait inexplicablement convaincu par deux fois des juridictions orléanaises, qui avaient lourdement condamné Antoine. C’est cette affaire qui trouve un heureux épilogue aujourd’hui.

Sur le plan juridique, la décision rendue par la cour de cassation constitue un camouflet cinglant à l’égard du premier magistrat de la ville. Non seulement celui-ci est condamné à supporter, seul, l’intégralité des dépens des 3 procès, mais il doit également s’acquitter du versement de 3000 euros de dédommagement à l’égard du blogueur potache. Tel est pris qui croyait prendre. Ce faisant, la plus haute juridiction de France reconnaît le mal fondé des décisions antérieurement prises par les deux tribunaux d’Orléans (le TGI et la cour d’appel) et, a contrario, la justesse des moyens de droit soulevés par les avocats d’Antoine. Selon la cour de cassation, les propos tenus sur le blog « les amis de Serge Grouard » ne relevaient pas du droit commun de la responsabilité, mais du cadre spécifique de la législation sur la presse ( en l’occurrence la grande loi du 29 juillet 1881) encadrant la liberté d’expression. Si M. Grouard s’estimait diffamé par le blog d’Antoine, il pouvait saisir la justice dans un délai de 3 mois après les faits litigieux (ce qu’il s’était, en l’occurrence, abstenu de faire), mais non intenter une action sur le fondement de l’article 1382 qui oblige à la réparation des préjudices subis. L’arrêt du 6 octobre constitue donc une décision très importante, qui rappelle l’assimilation des blogs aux articles de presse et les fait bénéficier, à ce titre, d’une législation protectrice des libertés publiques. En matière de blog, comme en matière de presse, le principe demeure la liberté, et les abus (injures, diffamations) peuvent être poursuivis moyennant une action prescrite au bout de trois mois. Ce régime, hérité des grandes lois républicains de la fin du XIXè siècle, est à la fois équilibré et libéral. Il inscrit la question de la liberté d’expression dans un cadre spécial, soustrait au droit habituel, beaucoup moins protecteur. A cet égard, les décisions rendues par les tribunaux orléanais marquaient un réel recul sur le plan des libertés publiques, en particularisant la loi sur la presse et en en refusant l’application dans le cadre de la blogosphère. Les démocrates ne peuvent donc que se réjouir de l’arrêt de la cour de cassation, qui rappelle utilement les principes de base de notre pacte républicain.

Pour Antoine, la victoire est d’autant plus éclatante qu’elle a un air de déjà vu. La semaine dernière il a en effet remporté un autre procès; celui qui l’opposait, devant le tribunal administratif, à son ex-employeur, l’UMP Michel Grillon. Celui-ci avait jugé bon de le traîner devant une commission disciplinaire afin d’obtenir des sanctions à son encontre, en écho au conflit qui l’opposait à Serge Grouard. Ainsi, après avoir été successivement déconsidéré, sanctionné, condamné, après s’être vu empêché d’occuper un nouvel emploi du fait de ses déboires judiciaires, après avoir dû quitter Orléans, avec femme et enfants, Antoine est pleinement réhabilité dans son honneur et dans son droit. Avec tous les amis qui, au cours de ses épreuves, n’ont jamais cessé de le soutenir, je me réjouis très sincèrement de cette issue heureuse. J’adresse aussi une amicale pensée à toute sa famille qui a douloureusement vécu cette épreuve injuste.

Sur le plan politique, l’arrêt de la cour de cassation est également une bien mauvaise nouvelle pour le maire d’Orléans, qui, dans toute cette affaire est apparu vindicatif et rancunier, loin de l’image moderne qu’il essaye parfois de se donner. L’arrêt d’aujourd’hui sonne bien la victoire du pot de terre contre le pot de fer, tant les forces en présence paraissaient déséquilibrées au départ, entre un simple fonctionnaire territorial et un élu puissant, riche de son réseau et de ses appuis.

Oui, vraiment, dans cette affaire, la justice est passée, et bien passée. Force est restée à la loi.

Citoyens, vous pouvez avoir confiance dans la justice de notre pays!

cour de cassation grouard contre fansolo - orleans

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7 commentaires pour Une grande victoire de la justice. L’arrêt Grouard contre Fansolo (C. Cass. 6 octobre 2011)

  1. Jean du MoDem dit :

    J’ai assisté à la conférence de presse et j’ai pu, moi aussi, interroger Antoine.
    Je lui ai fait remarquer qu’il avait dans son invitation noté deux coïncidences: (jour de la Saint-Serge) et sans la nommer, la place de devant l’Hôtel de Ville.
    Je lui ai demandé s’il avait l’intention de concurrencer l’autrice d’un blog dont l’intitulé est le nom de cette place, c’est à dire de conquérir la mairie d’Orléans et donc de se représenter en 2014.
    Je n’ai pu obtenu de sa part une réponse satisfaisante .

  2. minijack dit :

    Tout cette allégresse fait plaisir à voir, mais on est à côté du vrai problème et je m’étonne que personne n’en fasse état, surtout de la part d’une spécialiste du Droit !

    En effet, Antoine a gagné en Cassation, et je m’en réjouis sincèrement pour lui car ça a pour effet d’annuler toute la procédure et donc de le faire rentrer dans ses frais. Le pauvre en avait bien besoin, encore plus moralement que financièrement sans doute.

    Mais la Cour de Cassation n’a pas jugé sur le fond. Elle dit juste que les avocats de Serge Grouard se sont plantés sur la procédure car ils auraient dû s’appuyer sur la loi sur la Presse de 1881.
    C’est paradoxal, que dis-je, c’est un arrêt de science-fiction ! Car ça revient à dire que les précédents tribunaux auraient dû s’appuyer sur une Jurisprudence qui n’existait pas encore à l’époque puisque… c’est cet arrêt lui-même qui l’établit !
    Or, nulle loi ne peut se prévaloir d’une quelconque rétroactivité !
    Et j’interroge la spécialiste du Droit : N’y aurait-il pas là matière à « casser la Cassation » ?…

    Avant cet arrêt de la Cour de cassation qui date de trois jours, personne — à l’exception des avocats d’Antoine — n’aurait osé mettre dans le même sac les journalistes professionnels et les blogueurs amateurs !
    C’est un évènement que cet arrêt-là, et il aura des conséquences difficiles à prévoir car, du même coup, chaque auteur d’un blog pourrait prétendre à obtenir sa carte de Presse…

    Par ailleurs, l’assimilation des blogs à la Presse professionnelle amène également la question de l’anonymat sur lequel la Cour ne se prononce pas. La Presse, même dans ses plus extrêmes versions humoristes ou polémistes, n’est JAMAIS anonyme.
    Et la protection des sources d’un blogueur devrait désormais être assurée au même titre que celles d’un journaliste… Je suis impatient de voir ce que ça donnera dans le cas de Martine Aubry contre Francis Neri… ;c)

    La Cour de cassation a donc « botté en touche ».
    C’est à mon sens un très mauvais jugement qui va poser plus de problèmes qu’il n’en résout, et cette annulation des procès antérieurs — dont encore une fois je me réjouis pour Antoine — ne résout pas la question principale qui portait sur le procédé beaucoup plus que sur le contenu.
    Ce n’est donc pas la magnifique victoire qu’Antoine espérait, pas plus que la confirmation de sa « confiance en la Justice de son pays »… C’est tout au contraire la preuve de la déliquescence de cette Justice, incapable de trier le bon grain de l’ivraie, et qui a procédé à un jugement de Salomon en tranchant dans le vif sans chercher à dénouer le noeud gordien des circonstances et du procédé.

  3. Ping : Fansolo: un retour en héros à Orléans | centrOscope

  4. Aimedété dit :

    (Allons bon : il semble que mon message d’hier ne soit pas passé. Pas grave : je l’avais sauvegardé par ailleurs !…) :

    « Avoir confiance dans la justice de notre pays » ??? Oui mais… à quel prix ! Sacré marathon que celui-là : trois ans de procédures pour remonter jusque en Cassation quand même, encore faut-il avoir les reins solides… et accessoirement, quelques ressources par derrière : je ne sache pas que les avocats fassent dans la philanthropie.

    J’ajouterai simplement que « sur le plan juridique, la décision rendue par la cour de cassation constitue un camouflet » tout aussi « cinglant à l’égard du »… bâtiment à colonnes sis rue de la Bretonnerie. Or, il semble difficile de faire l’impasse sur le fait que pour les usagers locaux, c’est D’ABORD au sein de ce bâtiment-là qu’elle est censée commencer, « la justice de notre pays ». Quant à « avoir confiance », rien qu’avec cette affaire-là, cela vire effectivement à la blague de potache…

    « Force est restée à la loi » ? Encore une blague ? Parce qu’il faudra songer à insuffler cette « force » aux occupants dudit bâtiment : certains d’entre eux, SANS honneur et SANS DROIT, en ont rudement besoin… Je cite d’ailleurs explicitement -et publiquement- leur identité chez moi depuis plus de trois ans (allons bon : au cas où, le fameux « délai de trois mois » est quelque peu caduc !). On s’est bien essayé à « l’outrage à magistrat »© au cours du printemps 2009, mais on s’y est apparemment cassé les dents : il est vrai que lorsque les faits litigieux émanent du « magistrat » lui-même, cela ne fait pas très sérieux… et n’aide pas beaucoup à « avoir confiance dans la justice de notre pays » !
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    Signé : un autre blogueur orléanais… contre lequel « la justice (?) est passée, et bien passée » (au sens de trépassée, sans doute !…) -attendant TOUJOURS la réparation des préjudices subis au nom de cette pseudo-« justice »- blogueur ayant néanmoins autre chose à penser qu’à engraisser les vautours locaux -ou nationaux- avec ce type de marathon… mais dont la « confiance dans la justice de son pays » a comme qui dirait de substantiels relents de putréfaction… (mais content pour Fansolo quand même… comme pour cet arrêt du 6 octobre qui, finalement, le concerne aussi au premier chef !…)
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    En prime, j’ajouterais bien aujourd’hui [découvrant entre temps -avec bonheur (mais oui !) votre cursus sur votre page « A propos de l’auteur »] une suggestion coquine : si vous proposiez des cours du soir de rattrapage au personnel sis à l’intérieur du bâtiment à colonnes de la rue de la Bretonnerie ? À cet égard, je lancerais bien volontiers quelques intéressantes pistes de réflexion, histoire d’amorcer la pompe :
    – comment éviter de mélanger le Code de la construction et de l’habitation avec le Code civil (notamment l’article 220-1 de ce dernier) : ce qui pourrait avantageusement éviter par ailleurs de transformer (sic) des propriétaires en « locataires »© ; là-dessus aussi, il y a comme une certaine « jurisprudence » rue de la Bretonnerie… bien qu’elle s’apparente plus communément à de la magie (blanche ou noire : je vous laisse le choix de la couleur) qu’à du DROIT
    – comment éviter d’enfreindre soi-même l’article 226 du Code pénal (atteinte au secret des correspondances) lorsqu’on est censé représenter la « force de la loi » dans sa propre ville ? Parce que c’est bien gentil d’avoir déclaré « inadmissible » en son temps (devant une caméra de télévision, de surcroît) l’attitude de Fansolo… mais est-il plus « admissible » d’être soi-même en infraction par rapport à l’article 226 du Code pénal ?
    – comment prononcer du DROIT… et rien que du DROIT : c’est-à-dire, sans se défausser minablement sur des problématiques bidon de « santé »© sitôt qu’un blogueur un rien intempestif interpelle publiquement des agents assermentés de la loi au sujet de leurs propres -et GRAVES- infractions à la dite loi ? (Le site Legifrance -entre autres-, c’est fait pour les chiens ?…) Un certain établissement public, sis à Fleury-lès-Aubrais, a-t-il donc vocation -au regard du DROIT pur- à servir d’annexe à la prison ??? (Avec la différence substantielle qu’on a plutôt tendance à incarcérer des coupables dans une maison d’arrêt conventionnelle…) C’est à croire…. puisque lorsqu’on appelle un « professionnel » -sévèrement en délicatesse avec l’article 226 du Code pénal- afin qu’il œuvre vite fait à votre désincarcération dudit établissement, il se fait « délicieusement » solidaire de l’autre « professionnel » : celui-là ayant été publiquement interpellé sur SES infractions… et autres effractions de domicile. Bref, tout ce petit monde (gravitant autour de la rue de la Bretonnerie, rappelons-le…) est rudement content que vous soyez enfermé là où vous l’êtes… certains ayant TRÈS activement contribué à ce que vous soyez enfermé là où vous l’êtes. C’est d’ailleurs PENDANT que vous êtes enfermé là où vous l’êtes que d’autres essaient simultanément de mettre en œuvre une procédure d' »outrage à magistrat »© ! (Quel « courage » pendant que la bête est à terre, n’est-ce pas ?…) Procédure avortée depuis, rassurons-nous… mais dans le principe, OÙ est le DROIT là-dedans ??? Pour ma part, je l’aurai trouvé davantage à l’hôtel de police du faubourg Saint-Jean que rue de la Bretonnerie : les officiers de police s’y étant avérés plus intelligents que le personnel de l’autre lieu (dans lequel je me loue chaque jour de n’avoir JAMAIS mis les pieds pour ce genre d’affaire)… Mais bon : la Fac de Droit se prête peut-être mieux à des cours de soir que le commissariat, pas vrai ?…

    Eh non : décidément, on n’aime pas les blogueurs franc-tireurs à Orléans. À propos de certains -comme Fansolo-, c’est clair comme de l’eau de roche. Pour d’autres, on n’ose même pas prononcer le mot de « blog » (!) : on gratte méticuleusement tout autour (pour ne pas se salir ?), pourvu qu’ils la ferment une bonne fois pour toutes… sans avoir l’air d’y toucher, bien sûr : donc, « sur d’autres fondements » (puisant notamment dans les Codes énoncés plus haut…). On le lamine partout où on peut le laminer. Parce que c’est désagréable, un blogueur qui dénonce publiquement la monstrueuse ILLÉGALITÉ de gens de loi : avec -au plus bas- une moyenne de 15000 visiteurs par mois (du monde entier), ça fait tout de suite un peu désordre…
    En attendant, souffrez que la « confiance dans la justice de son pays » en ait encore un sérieux coup dans l’aile : d’où les cours du soir…

  5. Ping : Fansolo ou la victoire de la liberté d’expression « Place de la République

  6. michel marion dit :

    Cela fait plaisir de voir que dans notre pays où la Liberté – et les libertés – sont chaque jour remises en cause, il existe un tribunal qui remet les points sur les « i ». C’est une « victoire morale » pour le maire ? et une victoire tout court pour le blogueur ? peut-être. Attendons-nous à une riposte législative, soit avant soit après, et cela – hélas – indépendamment de la couleur de la Chambre. Car, tout un chacun aura pu le constater, dès qu’il y a un mauvais coup à faire au citoyen, les députés sont toujours d’accord.

  7. Michel dit :

    A propos de justice, une émission à ne pas manquer
    « Le Club des Incorruptibles » sur ARTE mardi 1 novembre 2011 à 21:35

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