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La chasse à l’âme – Roberte Hamayon

màj le 01/05/2010 – publié le 31/01/2010

La chasse à l’âme – Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien – par Roberte Hamayon, Société d’ethnologie, 1990

Probablement la meilleure étude, et la plus complète à ce jour, sur le chamanisme. J’ai mis personnellement plus d’un an à lire ce livre de 880 pages. Mais le voyage en vaut la peine, car il s’agit d’une véritable excursion auquelle nous convie l’auteur. Voyage au confins de la sibérie, de l’imaginaire et de l’humanité. C’est tout un univers de pensées et de représentations, ceux des chasseurs et des éleveurs de la Taïga, qui s’offre au lecteur, avec ses rituels et ses modes de vie.  Un bond vers l’altérité qui transformera certainement le lecteur.

Roberte Hamayon est docteur en linguistique et docteur ès Lettres et Sciences Humaines. D’abord chercheur au CNRS rattachée au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative de Paris-X, elle a été directeur d’études à l’EPHE – Ecole Pratique des Hautes Etudes (section des Sciences religieuses) de 1974 à 2007, membre du GSRL – Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (EPHE, CNRS) depuis 2002.

« Quel phénomène déroutant que le chamanisme ! Religieux certes, mais sans dogme ni clergé ni liturgie, et variant avec chaque chamane. Archaïque, mais en perpétuelle résurgence et et adaptable autant que vulnérable aux influences. Une plongée dans la forêt sibérienne permet de mettre au jour son lien avec la chasse, en tant que mode vie dépendant directement des ressources de la nature : nul n’a accès à ces ressources sans entretenir de relations avec les esprits qui les animent, les êtres surnaturels. Ces relations sont marquées du sceau de l’alliance et de l’échange, chaque monde étant le gibier de l’autre. De cette alliance, de ces échanges, le chamane est l’artisan. Il se marie symboliquement dans la surnature pour pouvoir y prélever de la force vitale, y «chasser à l’âme» – d’où l’allure ensauvagée de son comportement rituel. Il doit aussi assurer le retour d’une contrepartie, par la maladie et la mort des humains. Il est donc autant redouté que jugé indispensable.

Au-delà de l’apparition du gibier, ce sont tous les phénomènes aléatoires que le chamane peut être appelé à gérer : la pluie, les affaires, l’amour, le succès. Maître dans l’art de séduire et de négocier, il ouvre la voie de la chance. C’est pourquoi le chamanisme perdure aux marges des grandes religions. Il est un recours latent, revivifié par toute situation de crise, car loin d’inviter à se soumettre à des instances transcendantes, il propose de négocier avec des partenaires surnaturels indéfiniment renouvelables ».

Un extrait, une idée. Il a bien fallu en choisir un. J’aurais pu en sélectionner des dizaines !

« S’il y a bien rupture entre le pas incertain de la domestication qui maintient le chasseur semblable à lui-même et le fait rester en forêt, et celui décisif de l’élevage qui le transforme en producteur et le fait sortir de la forêt, il n’est pas toujours aisé de ranger une société donnée dans l’un ou l’autre camp. La Sibérie offre l’image d’un continuum dans lequel toute classification a quelque chose d’arbitraire […] Les données laissent entrevoir, entre chasse et élevage, un changement de conception éloquent en soi : l’animal passe de la condition d’être à celle de produit, et son nom diffère.. Aussi va-t-on revenir compléter le point de vue du chasseur sur ces animaux en qui il puise tant d’images de lui-meme, pour voir en quoi il les traite en êtres avec qui entretenir des relations ; il leur prête une «âme» semblable à la sienne. Ceci a incité bon nombre d’auteurs à parler d’animisme, et à y voir le fondement du chamanisme ».

Aperçu du livre :

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1 Mai 2010 - Posted by | lecture |

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