PAR JO GATSBY
PARIS (Music-lovers.over-blog.com) -- Le pianiste français Franck Amsallem jouait fin octobre 2019 sur la scène du Sunset-Sunside rue des Lombards en quartet avec Irving Acao (sax ténor), Viktor Nyberg (cbasse), Gautier Garrigue (batterie) pour la sortie de leur premier CD "Gotham Goodbye".
Ouvrant ce premier set retransmis en direct sur TSF Jazz, le quartet de Franck Amsallem attaque par un "From two to five" efficace et très be bop, le pianiste ex new-yorkais en bonne forme offrant une belle surface d'impro au ténor plutôt "coltranien" Irving Acao, qu'une rythmique ultra classique encadre exactement entre deux remontées myxolidiennes en diable.
"In Memoriam", thème écrit par Amsallem et dédié à un ami musicien américain DCD, suivait dans un style beaucoup plus mélancolique, presque sombre n'eut été le phrasé très lumineux d'Acao, à découvrir pour sa spontanéité cousine quoique qu'encore jeune de celle d'un Émile Parisien made in Marciac!
"Gotham Goodbye", le titre du CD, évoque New-York où Amsallem vient de clore 25 années de séjour et de jazz pour retrouver des pénates hexagonales, "Gotham" étant un des surnoms de la grosse pomme.
La quadrature exacte du quartet
Lyrisme effectivement marqué par une longue pratique comme "sideman" de solistes divers, accords plaqués dignes d'un Mac Coy Tyner au plus haut de sa présence auprès de John Coltrane, le jeu d'Amsallem se laisse entendre avec plaisir mais ne surprend pas outre mesure, sauf dans les thèmes les plus bluesy, une qualité en fait dans un registre qui ne tient la route que dans la quadrature exacte du quartet qu'il a su réunir avec ses trois accolytes, dont les jeunes Viktor Nyberg et Gautier Garrigue impressionnent par leur rigueur et leur discrétion, bien adaptées aux morceaux joués.
Dominant dans l'ensemble ses collègues par l'énergie injectée en appui à leurs impros, le saxophoniste Irving Acao en volait presque la vedette au pianiste, assez fair play pour glisser entre deux thèmes "nous allons jouer quelque chose de plus lent sinon on va droit vers la crise cardiaque :)".
"Certains musiciens adorent les formes bizarres, j'ai décidé d'écrire un blues en 40 mesures au lieu de 12 d'ordinaire, que j'ai appelé Standard Four", explique Amsallem. Effectivement bizarre, mais qui tient la route! et prétexte à un solo de contrebasse de Nyberg que les auditeurs de TSF Jazz auront pu apprécier à sa juste valeur avant qu'Acao ne tente de le faire oublier, avec un nouvel envol au ténor aussi "je maîtrise le souffle en continu" et tout aussi réussi que les précédents.
Dans "Baton Rouge, Baton Rouge", hommage au New Orlinsse d'hier, Amsallem reprend une autre forme rythmique un poil inhabituelle dit-il pour "les intégristes", chaloupée, cousine des jeux a-rythmiques d'un Herbie Hancoq. Puis fait décoller Acao à la Sanders ou à la Shepp d'avant la guerre de sécession et Gautier Garrigue explorant la décomposition des temps aux drums en 6/9 ou quelque chose d'approchant la virtuosité la plus pure.
"Oui du 9", explique Garrigue, amusé. Pédagogue Amsallem!
"Vous jouez ensemble depuis longtemps?"
FA : "C'est surtout difficile de trouver des dates ensemble".
L'interview la plus courte de l'histoire du jazz, qui me rappelle ce que me répétait Claude-Henri Hay, le meilleur pianiste de l'ouest (de la Loire) d'une époque : "ce qui est intéressant chez les jazzmen, ce n'est pas de les écouter parler, c'est de les entendre jouer". Pas faux!
Pas faux. Surtout durant le 2nd set de ce concert assez inhabituel finalement, débuté par un thème chanté par Amsallem, aux tonalités un rien brésiliennes ou a minima sud américaines, joué au soprano par Acao (Macao? AK oh?) vite revenu au ténor pour d'autres impros plus graves.
Suédois, le contrebassiste Viktor Nyberg a appris à jouer avec son père, comme le breton Eric Le Lann, le dentiste que chantait Boris Vian dans son blues éponyme, qui jazzait dans sa maison du Morbihan avec ses vieux amis et son fiston. Viktor Nyberg ajoute avoir fait une école de jazz aux States après ces enseignements paternels.
Entre les deux sets, Guarrigue et Nyberg boivent du rouge en parlant d'un défaut d'acoustique du mur en brique apparente peinte en blanc derrière la scène, où il verraient mieux un rideau bleu ou noir avec "Sunside-Sunset" imprimé en grand dessus!
Ce 2nd set, de taille à vous faire louper le dernier métro fermé ce soir là dès 22h15 et la matinée qui suit confirme certains des talents cités plus haut : le côté star montante d'Acao, la haute intelligence sensible du groupe d'Amsallem, son côté Papy & the juniors bien posé là, la justesse de Nyberg au jeu sportif et très bien calé à la bonne place au coeur du quartet, le jeu à la fois souple, en soutien des autres, créatif, tourné vers le public de Gautier Garrigue.
Et l'aspect "classique" de leur musique, comme le be-bop sera sans doute encore joué dans cent ou deux cent ans si notre planète résiste à ce que les écolos et les non écolos lui font subir. Lol.
Mais je m'égare! pour finir avec "un vrai blues" dit le pianiste, son quartet joue un autre thème du CD intitulé "From twelve to four", au rythme binaire consommé, genre fin de set au Village Vanguard, mais moins "free", quoique très audible en fait.
Et là encore, John Irving Macao nous offre une impro post be-bop au ténor qui laisse augurer le meilleur pour la bonne soixantaine d'années voire davantage qu'il lui reste à vivre et surtout à souffler dans ses cuivres. Bien parti le môme.
Mais en fin de compte, qu'est-ce qui fait le vrai talent du pianiste Franck Amsallem dans une soirée comme celle-ci?
Dans son jeu en fin de 2nd set, à l'heure des braves ou à celle où des milliers de sidemen rêvent de faire le boeuf avec lui? Bigre! c'est peut-être qu'il nous a paru encore plus subtil, plus fin, plus émouvant qu'au début de son concert, comme si il réalisait que le lancement de leur fusée CD "Gotham Goodbye" était plus que chouette, avant d'aller en faire autant prochainement à Annecy et à Lausanne et nous l'espérons dès que possible à Paris de nouveau.