Naissance à Ixelles, le 31 janvier 1942. « Enfant de la guerre », comme on disait à l’époque et dans les années cinquante...
Profondément marqué par l’interminable divorce de ses parents, il se réfugie très tôt dans la solitude, le secret, l’imaginaire. Faible et démunie, la mère (Georgette Sonnemans), lui renvoie l’image d’un monde éprouvant, injuste et déchirant. Le père (Rupert Joiret), « en représentation » dans un salon de coiffure de l’avenue Louise à Bruxelles où il exerce son métier avec talent, balance entre d’épouvantables crises de colère et une jovialité de bon aloi. Proche des milieux artistiques de son temps, ami de Michel de Ghelderode qu'il a rencontré au service militaire, il compose plusieurs comédies dont une jouée après la guerre, quelques chansons alertes - L’une d’elles sera envoyée à Maurice Chevalier - et quelques sketches bien troussés. Son statut de « peintre du dimanche » lui vaut une série de toiles (des huiles) aux atmosphères étranges, essentiellement inspirées par la ville de Bruxelles et les intérieurs des « années Trente ». Parmi celles-ci : « La Place Royale », garde aujourd’hui encore une réel pouvoir de fascination.

Chahuté par le divorce de ses parents, l’enfant se réfugie dans le secret et l’imaginaire. Le recours à l’écrit lui apparaît très vite comme une ouverture décisive au monde qui l’entoure.  Sa vie littéraire débute au Grenier aux Chansons à Bruxelles où il est, comme tant d’autres écrivains de sa génération, l’invité de Jane Tony.  Il y lit ses poèmes et assure ses premières présentations d’écrivains.  Amateur de littérature fantastique, il écrit une monographie sur Michel de Ghelderode et entre dans Le Groupe du Roman, animé par Robert Frickx (où l’on retrouve, entre autres, Thomas Owen, Anne Richter, Jean Muno et Gaston Compère).  À cette époque, il donne des conférences en Belgique, en France et aux Pays-Bas sur le Nouveau Roman et Georges Simenon.
Michel Joiret fut longtemps professeur en Tunisie (dans le cadre de la coopération technique au développement) et dans l’enseignement provincial du Hainaut.
Détaché pédagogique puis chargé de mission pour le CPEONS dans le cadre de la Réforme de l’Enseignement professionnel, il est l’animateur du Projet-Lecture et d’Ecriture Charles Bertin-Charles Plisnier, un projet qui tend essentiellement à la réconciliation de l’élève avec la lecture.
Organisateur de débats, conférencier, écrivain (roman, critique, poésie, nouvelle, essai), il fonde et anime la revue LE NON-DIT , qui s'est mise au service de la littérature belge de langue française. Son goût pour la communication l’amène à  participer aux travaux de l’Alliance Française où il devient professeur de littérature.
Retraité de l’enseignement depuis 2002, Michel Joiret est aujourd’hui consultant pour les questions touchant aux projets pédagogiques et aux initiatives associant l’enseignement et la culture.



LANCEMENT D'UNE VIE…


Michel-01
Premier âge
Michel-02
Les parents
Georgette Sonnemans et Rupert Joiret
Michel-03
La mère, au coeur des
années 30
Michel-041
Le père et sa famille,
au coeur de années 30
Michel-05
Mère, les grands-parents, grand-oncle, grand-tante
Michel-05-2
6 ans


L'ÉCOLE

Études secondaires à l'Athénée Robert Catteau (Ville de Bruxelles)
Études supérieures (régent littéraire) à l'École Normale Charles Buis
(A.E.S.I.)

Quels souvenirs avez-vous gardés de vos études ?

Catteau : côté cour, côté jardin. Autant d'impressions que de souvenirs. Tout d'abord, les lieux : les pierres du sol : mosaïques noires, blanches et grises, losanges initiatiques menant les plus jeunes dans les couloirs sans fin. D'un côté, l'extérieur, le monde trouble des faisceaux de lumière empoussiérés, de l'évasion. De l'autre, les portes des classes, toujours mystérieuses, l'estrade aux planches sonores, podium de
 fortune où les distances se fixent autant que les relations. Et puis le seau rempli d'une eau saumâtre, l'éponge, les veines du tableau noir où certaines lettres dérapent, patinent ou s'effacent dès lors que l'usure patine les surf aces... Des odeurs acres : la craie qui s'insinue dans les moindres interstices, l'encre fade,  le  caoutchouc des semelles qui fait de toute la classe l'antenne du vieux gymnase. Le frisson des jeunes gars "en tenue", drôle de tenue toujours incomplète, couleurs délavées, l'écusson ARC à la place du cœur, ce goût de bonbon acide ou groseille comme si les friandises passaient de bouche en bouche. La salle de fête où la fête est si peu présente, à l'exception de célébrations devant le piano noir. Les gamins qui chantent la liberté, la mort : "Ceux qui pieusement...". Quelquefois un bruit de piscine, des cris, des rires, des silences moites et aussi la transpiration des uns et des autres, mêlée aux sueurs des murs jaunis quand le chauffage ronronne et gargouille dans les tuyaux. Quelques marches et puis le quartier général des plus hauts, la race des seigneurs : préfet,proviseur, secrétaires... Là où les petits marchaient sur la pointe des pieds et parlaient à voix basse.
Ceci dans les yeux, dans les oreilles, dans la bouche de l'enfant qui met un pied sur le trottoir de la rue Ernest Allard en regardant chaque fois les hauts murs du Palais de Justice et en se posant la question de savoir s'il est, lui aussi, parmi les justes. Peu à peu, très lentement, les visages humanisés : Monsieur le Préfet Maquet, Monsieur le Préfet Liénard. Le geste angoissé vers le col : "Aurais-je oublié ma cravate ?". Les professeurs comme autant  de visages sans doute indestructibles, autant de personnalités que de personnes, de moules où se posaient l'oreille, le corps informe de nos pensées, et alors, tout au bout de la pensée, une masse un peu tiède qui ressemble à la tendresse. La son- nerie métallique toujours pressée, pressante : "Je n'ai pas fini, Monsieur"... Le travail coulé parfois dans le naufrage des taches d'encre et de la rêverie.
Les copains : ces bons et mauvais garçons qu'on enfourne comme ils sont dans la poche du cœur, dont on retient le nom, qu'on retrouve plus tard à la surboum de l'un ou de l'autre, ou des années plus tard... Le début d'une aventure sociale qui ne finira qu'avec nous-mêmes. Les relations en cascade : Marc Moulin, Jeanine Moulin, Léo Moulin, le grand salon du haut Ixelles où le passage des artistes devient l'école pirate des types comme moi. En sourdine et puis dans un immense fracas : qui sont les anciens ? Qui sont les modernes ? Premières exclusions, premières amitiés dans le cadre vivant de la salle des profs, le compagnonnage des "magistrats du savoir", le plus souvent bienveillants, parfois complices, "coincés" par l'imagerie de leur temps mais attentifs, brillants quelquefois, mobilisés contre I' ignorance, la guerre, l'injustice et le désordre. Quelques noms ronronnent encore : Chantrie, Toebosch, Frickx, Deltenre, Tensi, Ronsmans, Robberecht, Michel, Vandercoilden, Morelle, Onclincx... L'école avait parfois d'étranges ennemis : la musique de jazz, la bande dessinée. Les caves enfumées de la Grand-Place passaient pour autant de repaires d'alchimistes. Lire Lautréamont sous le manteau, les surréalistes... Céder à la félonie en dépouillant des bibliothèques parallèles.
Robert Catteau et le Parc d'Egmont, ce jardin si proche de la rue du Grand-Cerf où nous montaient aux narines les premières odeurs de filles... Et puis le dernier jour de juin qui sentait bon la cire des chaussures, le jour où craquaient les chemises amidonnées, le bulletin aux encres fraîches, le diplôme au nœud tricolore. Le dernier chant repris dans la salle des fêtes par ce qui ressemble à une communauté... Vallès n'était pas loin, Camus coulait dans nos veines, Sartre nous dictait notre conduite, Breton alimentait nos impertinences. Nous ne doutions de rien. Douter n'était guère au programme. Il fallait "y croire",- il fallait espérer, il fallait apprendre. Ce qu'on attendait de nous était
le produit d'une époque, d'un climat, d'une éducation. Depuis, l'enseignement a trempé dans d'autres eaux. Aujourd'hui, les nouveaux maîtres entendent donner un sens à leurs propos. Dans le secret de moi-même, le soir, quand mes justes principes se dissolvent, je pense quelquefois au temps insensé où ce qui est important pouvait être léger et à la passionnelle envie d'exister.

Les qualités

Quand l'exigence organise, édifie, sanctionne, il faut aussi qu'elle s'appuie sur le désir : désir d'être, de devenir, de créer, de tenir. Il se trouve que, pour moi, l'existence avait le charme des repas de fête. Tout un jeu de valeurs s'est trouvé bien dans nos têtes et si les flambeaux de l'époque les jouaient à la roulette russe, ils s'arrogeaient leur droit de refus sur un système de références appris, connu.
On allait sans doute inventer le monde mais, même dans le désordre, la réinvention reposait sur une écriture, des chiffres, une lisibilité de principe, un référentiel d'apprentissage.
Mon école cultivait la passion de la liberté. Quelquefois mal perçue sous une arrogance bien-
veillante, cette liberté a, bien entendu, glissé dans les interrogations pédagogiques ultérieures. À l'heure de la clarification des valeurs, de la mise en commun de l'interdisciplinarité, à l'heure des rythmes ventilés, de rapport concerté des compétences, rien n'a de sens qui n'est inscrit dans une logique de communication sociale, économique et politique. Quoi de plus légitime ! Le monde a changé, la notion de temps aussi. L'immédiateté s'est substituée au futur, le projet coopératif a rompu les barrières individuelles. On a stigmatisé le paternalisme bourgeois de ces maîtres humanistes qui, cependant, se sont battus à leur manière, avec leurs armes et dans leur temps pour démocratiser l'éducation et légitimer le pacte scolaire. Le libre examen passe toujours par l'examen et il n'y a pas d'examen sans écriture, sans références, sans émotions...L'époque était articulée autour de fonctions et si la coordination entre ces diverses fonctions prête le flanc à la critique, le caractère pertinent de chacune d'elles me fascine encore aujourd'hui : registre pédago-
gique, registre social, registre affectif...
Bien, souvent, mon temps d'école se prolongeait chez mes professeurs, chez mes condisciples, et ma construction personnelle passait par la couleur de l'autre et des autres. Les professeurs d'alors n'obéissaient pas à la même horloge et prenaient le temps d'être autant que celui d'enseigner. Tel était critique d'art, tel était écrivain, tel était collectionneur...
Bien sûr, il y a eu 68 et la culture de participation. Mais le temps des humanistes ne s'est pas éteint pour autant. Le livre demeure le plus sûr rempart contre l'intégrisme et le choix des livres reste une ligne de vie. Mon école d'enseignement officiel est tout à la fois une médiathèque de valeur (que je consulte quand le désir m'y conduit) et une charte civique qui m'offre la possibilité de moduler à l'infini ma représentation du monde.
Ils savaient bien, ces professeurs aux personnalités riches - combien généreuses ! - ils savaient que toute pédagogie ne se limite pas à dynamiser les compétences professionnelles, que l'éducation ne met pas nécessairement en parallèle les besoins et la couverture éducative appropriée. Ils savaient que les besoins implicites dictent la vie de tous et que le cognitif dispute à l'imaginaire la construction d'une personnalité.
L'école officielle a plusieurs vies dans l'histoire de l'éducation. J'ai pour l'une d'elles le regard de
Rodrigue.

Michel JOIRET
Interview publié dans Convergences (Bulletin du Centre de Concertation de l'Enseignement Officiel)
N° 45.


L'ÉCRITURE

Le recours à l’écrit est très tôt apparu au jeune Michel Joiret comme une ouverture décisive au monde qui l’entoure.
Sa vie littéraire débute au cabaret du Grenier aux Chansons animé par Jane Tony. Il y lit ses poèmes et assure ses premières représentations d’écrivains.
Dès son retour de Tunisie, il manifeste un évident intérêt pour la littérature fantastique et la production littéraire belge de langue française. Il entre dans Le Groupe du Roman, animé par Robert Frickx (où l’on retrouve entre autres, Thomas Owen, Anne Richter, Sidonie Basile, Marianne Pierson-Pierard, Henri Cornelus, Jean Muno et Gaston Compère). A cette époque, il donne des conférences en France, en Belgique et aux Pays-Bas, sur le Nouveau Roman, Jacques Brel, Georges Simenon et les romanciers belges (Jacques-Gérard Linze, Jean Muno, Robert Frickx…). La relation orageuse entre son père et Michel de Ghelderode lui inspire une monographie sur l’auteur d’Escurial.

Ghelderode

Auteur prolifique, Michel Joiret est l'auteur d'une trentaine de recueils de poésie, de neuf romans, de pièces de théâtre, d'essais et de pièces de théâtre.
IAprès avoir fondé puis dissout la revue "L'Arche", il a fondé et dirige depuis plus de vingt ans la revue "Le Non-Dit"; exemple rare de longévité dans le domaine des lettres.
Il est encore membre de l’Association internationale Michel de Ghelderode, et entend promouvoir l’œuvre du dramaturge auprès des jeunes.
Michel Joiret est enfin critique littéraire et a collaboré à de nombreuses revues. Il a donné plusieurs communications aux Midis de la Poésie (Ronsard, Loti, Proust)



COOPÉRATION

ENSEIGNEMENT

CHARGÉ DE MISSION

Professeur par affinité (certains disent : vocation), Joiret s’éloigne d'abord de la Belgique en 1963, en optant pour la coopération technique avec les pays en voie de développement. Lié à la Tunisie par un contrat synallagmatique et repris l’année d’après par le Ministère des Affaires Etrangères, non seulement il trouve ses marques dans la gestion des classes surpeuplées et avides de connaissances, mais il remet en question ses propres valeurs à la lumière d’une culture qui dénote singulièrement avec la moyenne bourgeoisie de la région bruxelloise ! Chargé du cours de littérature française au lycée de Gafsa (un an), puis au Collège secondaire de Mahdia (deux ans).
Michel-06
Jeune professeur à Gafsa (Tunisie)

Rentré en Belgique en 1965, doté d’une expérience pédagogique décisive mais aussi, profondément troublé par le choc des cultures et des civilisations, il est nommé dans l'Enseignemet technique et professionnel de la Province du Hainaut.
En 1979, la Réforme de l’Enseignement professionnel est avancée dans les écoles de tous les réseaux d’enseignement. Elle vise essentiellement à valoriser des élèves trop souvent dépréciés et dont l’activité mérite bien plus que la relative indifférence du monde de l’éducation. Désigné animateur pédagogique pour la région du Hainaut, Joiret est accompagné d’une animatrice psycho–sociale pour convaincre les enseignants de développer et de valoriser l’apprentissage des métiers.
Au cours des années 80, son inventivité pédagogique et sa passion des projets lui valent d’être détaché dans son réseau d’enseignement, puis chargé de mission au CPEONS, dans le cadre de la Réforme de l’Enseignement professionnel.
Animateur du Projet Lecture et d’Ecriture Charles Bertin-Charles Plisnier, pour l’Enseignement provincial du Hainaut, Joiret tente de réconcilier l’élève avec la lecture. A cette fin et avec l’aide de la Province de Hainaut et du service de la Promotion des Lettres du Ministère de a Communauté française, il envoie des écrivains dans des classes et s’efforce de nouer une relation gratifiante entre les élèves et les auteurs. En même temps, il organise, coordonne et gère des voyages « d’immersion » au pays des plus grands écrivains français.
Organisateur de débats, conférencier, écrivain (roman, critique, théâtre, poésie, essai), il fonde et anime la revue LE NON-DIT qui s’est mis au service de la littérature belge de langue française. Retraité de l’enseignement depuis 2002, Michel Joiret est aujourd’hui consultant en Hainaut pour les questions touchant aux projets pédagogiques et aux initiatives associant l’enseignement et la culture.


L'ALLIANCE FRANÇAISE


Au début des années 80, Michel Joiret devient professeur de littérature à l’Alliance française en Hainaut (dans les locaux de l’Université de Mons).
Au sein d’une organisation qui a son siège à Paris, les enseignants développent la connaissance de la langue et sensibilisent les étudiants à l’étude du patrimoine littéraire. Ces cours se donnent en fin de journée et requièrent des apprenants une disponibilité et une motivation de tous les instants.
Joiret entend réserver à son cours une part important aux écrivains de la Communauté française (sous forme de séminaires et de conférences)….

Alliance française

Programme AF

Le 15 juin 1990, son action lui vaut d'être nommé par Jack Lang, ministre français de la Culture, au grade de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres pour "Services rendus dans le cadre de l'Alliance Française et à titre personnel, pour la diffusion de la langue, la connaissance de la littérature et le rayonnement de la culture française".


LE 19 août 2006 : NOUVEAU DÉPART


Au fils des années, le passé a très souvent affecté les rapports humains de Michel Joiret, et ses relations féminines en particulier. Plusieurs échecs conjugaux ont probablement pérennisé une enfance balisée par les déchirements affectifs. Cinq enfants (Thierry, Olivier, Thomas, Maud, Martin) ont contribué, chacun selon sa personnalité, à sécuriser une ligne de vie naturellement précaire…
Entouré de son épouse et conforté par la présence de ses fils et de sa fille, Joiret réserve aujourd’hui à l’écriture ses plus grandes énergies. En cette occurrence, il est bien fidèle à lui-même. 


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