Les événements de Pouzols.
Du 5 décembre 1904 au 15 janvier 1905

    

Avertissement au lecteur.


Nous avons transcris ces notes, écrites par Monsieur Jules FERRAN, dans le souci constant de respecter son texte et ses expressions. Nous n'avons procédé qu'à des retouches de ponctuation.
Nous ne portons aucun jugement sur ce témoignage, forcément partisan, mais représentant l'état d'esprit d'une époque où les conflits étaient très virulents.
Nous ne possédons pas de témoignage de la partie ouvrière, mais nous comprenons sa détresse dans ces temps très difficiles pour tous et qui déboucheront sur les événements tragiques de 1907 où patrons et ouvriers se sont battus ensemble pour ne pas mourir.


 

Remerciements


Je remercie sincèrement Madame veuve Alice BAYSSAS, pour l'intérêt qu'elle a porté à notre recherche. Elle nous a aimablement prêté le document qui a servi de modèle à ce petit recueil.

Philippe BONNAFOUS


 

 


"Le dimanche 4 décembre 1904, le syndicat des ouvriers dit syndicat rouge proclame la grève générale à Pouzols. Cette grève peut se diviser en trois phases distinctes.
Grève, émeute, révolution, ou insoumission dans la journée du vendredi 13 janvier 1905.       

Les deux chefs principaux de ce mouvement sont le sieur Charles BERAL, président du syndicat ouvrier de Pouzols et le sieur FUVAL, un fédéré vice président du syndicat ouvrier de Cuxac d'Aude.
Lundi 5 décembre, les ouvriers syndiqués cessent tout travail. Différents postes sont établis autour du village dans le but d'arrêter les ouvriers non syndiqués, qui voudraient se rendre au travail. Les débuts de cette grève sont calmes et indiquent une grève modèle : les ouvriers syndiqués ne sont pas en grand nombre, les postes sont de peu d'importance. La plupart de grévistes avaient été condamnés à quelques jours de prison avec loi de sursis pour les faits de grève du mois de février 1904, aussi la crainte des procès verbaux est pour eux le commencement de la sagesse. Nos grévistes en trop petit nombre ne se hasardent pas à arrêter les propriétaires et ouvriers. Le président du syndicat rouge fait appel aux syndicats étrangers du même nom, et le jeudi 8, une bande de fédérés de Cuxac d'Aude arrive dans notre localité pour prêter main forte à nos grévistes impuissants. Tout travail est suspendu.

Le vendredi 9, le docteur FERRAN résidant à Ginestas, propriétaire à Pouzols, part avec ses ouvriers pour aller tailler la vigne. Il est arrêté, il appelle le garde et le commissaire pour faire dresser procès verbal . A ce moment on lui laisse le passage libre; il peut ainsi arriver à la vigne et faire travailler. Une heure après, le docteur FERRAN voit venir à lui, une trentaine de grévistes surexcités, et, voyant sa vie menacée, il se retire avec ses hommes. Le docteur est reconduit au village par cette bande qui ne cesse de le menacer et de l'injurier. Cette scène ne prend fin que lorsque le Docteur FERRAN, requis par la femme Delon, non gréviste, entre dans la maison de cette dernière pour donner des soins à la fillette qui était malade. Dès ce jour, la grève devient menaçante et subit transformation: les grévistes sont des émeutiers dangereux et cette émeute durera de jour et de nuit jusqu'au 13 janvier 1905


place 2 Le samedi 10, messieurs MARQUIER, Maire, RIVALS et FERRAN Jules délégués des propriétaires dans la question d'arbitrage du 11 février écoulé se rendent à la sous préfecture . Ceux-ci exposent la situation à Monsieur le Sous Préfet qui promet d'envoyer la force armée en cas de besoin.
Pendant ce temps l'émeute devient de plus en plus grande et plusieurs scènes de sauvagerie se passent à Pouzols. Le sieur LIGNERES Etienne, vieillard de 70 ans, était allé à sa vigne située à 3500 mètres du village. Après le travail, il rentrait chez lui, lorsqu'il fut assailli sur le chemin de grande communication n°5, à environ 50 mètres de sa vigne, par 3 individus armés de triques: les sieurs Gaston ROUX, PIEUX Léon fils et B……….. Antoine (ce dernier, fils de B……… qui fut condamné aux travaux forcés à perpétuité pour viol et assassinat sur une jeune fille de 10 ans). Ceux-ci accompagnèrent le sieur LIGNERES jusqu'à son domicile en le menaçant de mort. Plainte fut déposée auprès du Procureur de la République. Ce même jour, le sieur Baptiste GALY, domestique chez monsieur Jules FERRAN, veut aller chez le charron emprunter une scie; il est arrêté devant la maison BALMES par les émeutiers qui le menacent de leur bâton. Si cet homme n'est pas frappé, c'est grâce au sang froid de la femme Delon, qui enlève le bâton à un gréviste menaçant, de la dame FERRAN, qui prend le domestique par le bras pour le ramener, et de sa fillette, Isaure, âgée de 15 ans, qui se place entre la bande et le sieur GALY. Le dimanche 11, à 7 heures du matin, Monsieur le Curé fait sonner les cloches pour la messe. Les émeutiers placent le drapeau rouge sur la porte du cimetière, se massent devant la porte de l'église et empêchent la célébration des offices. Le maire absent, Monsieur BALMES, son adjoint informe par télégramme le sous préfet et demande la force armée. Mais le sous préfet ne répond pas. Les gendarmes arrivent tout de même à 5 heures du soir. A 10 heures, Monsieur le Curé veut se rendre à Mailhac accompagné du sieur ACOT, jardinier au château de Pouzols. Après un parcours de 300 mètres, un coup de sifflet retentit, Monsieur le Curé et ACOT sont immédiatement cernés par une centaine d'individus qui étaient cachés dans les ruisseaux ou dans les plis du terrain. Ils se laissent conduire et arrivent à l'entrée du village. Le cortège défile dans les rues, avec tambours et clairons en tête, deux drapeaux rouges, un, appartenant au syndicat de Pouzols, l'autre à celui de Sallèles d'Aude. Le Curé et ACOT viennent ensuite, suivis de tous les émeutiers, 200 environ, qui chantent l'Internationale et Adiu paoure Carnaval. Le cortège s'arrête devant la maison du Maire et là est constitué un tribunal, dit avec juste raison "tribunal révolutionnaire"qui devait juger notre curé, âgé de 65 ans. Il fut accusé d'avoir été la cause du renvoi de deux ouvriers, et pour ce fait condamné à la peine de mort. Toutefois, l'exécution fut retardée, afin, disait le jugement, qu'il put employer le temps qu'on lui accordait à intercéder auprès des propriétaires pour amener ces derniers à reprendre les ouvriers sans travail. Le curé et ACOT sont reconduits à leur domicile. Le président du "tribunal", le citoyen Charles BERAL et trois de ses acolytes entrent au presbytère et exigent du pauvre vieillard une lettre écrite et signée de sa main invitant RIVALS à reprendre les trois ouvriers, dont deux avaient été congédiés, le troisième ayant quitté volontairement le travail. Le curé, condamné à mort, ne devrait son salut qu'à la reprise de ces ouvriers. Deux d'entre eux avaient été prévenus le 30 janvier qu'ils seraient occupés jusqu'à la saint Michel, 29 septembre. Ils avaient donc le temps de se procurer du travail ailleurs. Quant au troisième, il avait de lui-même quitté le travail après les vendanges. Monsieur RIVALS, voyant l'anarchie régner en maîtresse et dans un but d'apaisement, promet de reprendre ces ouvriers à condition que la grève cessât. Ces trois ouvriers, accompagnés par le délégué de la fédération, demandèrent humblement pardon à M. RIVALS pour les insultes qu'ils lui avaient adressées et promirent de reprendre le travail le lendemain matin. Cette promesse des ouvriers n'est pas tenue et la grève continue.
A 6 heures du soir, 16 gendarmes à cheval et 10 dragons arrivent dans notre localité. La journée du lundi fut relativement calme. Une réunion des propriétaires a lieu à la mairie, mais l'entente ne peut se faire.

mairie école

Le matin du 13, un poste de grévistes arrête la voiture du docteur FERRAN médecin de l'assistance publique, appelé pour donner ses soins à la 
dame Marie FREYTES, qui venait de se blesser à une jambe. La gendarmerie, prévenue , se porte en tout hâte sur les lieux, mais sa présence ne change pas la situation. Les femmes de grévistes couchaient leurs enfants à la mamelle sur la chaussée et se couchaient après eux au second rang, pour empêcher les chevaux d'avancer .Les dragons arrivèrent à leur tour pour assister à la représentation. Le chef de gendarmerie, un maréchal des logis appelle Monsieur le Maire et fait faire sur son ordre quatre sommations qui restent sans résultats, les émeutiers ne craignaient rien. Enfin les grévistes se dispersent quand le chef de gendarmerie leur annonce qu'une nouvelle réunion doit avoir lieu à la mairie. Le docteur peut alors rentrer.
Toute personne aperçue dans la campagne est ramenée de force par les grévistes. Le soir, les ouvriers du château peuvent travailler sous la protection de la gendarmerie qui parvient à tenir les grévistes à distance. Dans l'après midi, réunion des propriétaires: ceux-ci ne sont pas en nombre et, d'accord avec la délégation ouvrière, décident d'inviter monsieur le Préfet à venir convoquer lui-même les propriétaires pour mettre fin au conflit. Le maire adresse immédiatement à M. le Préfet le télégramme convenu. Mais celui-ci ne vient pas et la grève continue.
Mercredi 14, journée de pluie, journée calme.
Jeudi 15, rappel des troupes et arrivée de 30 gendarmes et 12 dragons commandés par un Lieutenant de gendarmerie.
Le vendredi 16 à 9 heures du matin, nouvelle réunion des propriétaires avec la délégation ouvrière. Le sieur FERVAL de Cuxac, explique article par article la "beauté" des revendications ouvrières. Pour mettre fin au conflit, les propriétaires décident de donner deux litres de vin par jour du 1er mars au 30 juillet, mais cela ne suffit pas. Le sieur FERVAL n'arrive pas à convaincre les propriétaires sur les autres articles; il ne répond plus des troubles qui peuvent survenir et l'émeute va toujours grandissant.
Cette menace de FERVAL qui n'avait pas été prise en considération fut suivie de l'acte de vandalisme commis la nuit suivante du 16 au 17. Pendant la nuit du vendredi au samedi, la cave de Jules FERRAN , située à environ 300 mètres du village, fut le théâtre d'un acte inqualifiable. Des émeutiers, en nombre, montent sur la toiture, en démolissent une partie pour se frayer un passage et pénètrent dans la cave . Ils ouvrent le portail pour faire entrer ceux qui font le guet, referment. Ils enlèvent les manchons en se servant de la clé du propriétaire; ils ouvrent tous les foudres, introduisant un bâton dans chaque clapet, ayant soin, pour ne pas se mouiller, de commencer par le foudre du fond, le plus éloigné du portail. 676 hectolitres de vin sont ainsi répandus sur le sol, la rivière Répudre passe à proximité de celle-ci. On a recueilli à 6 ou 700 mètres en aval un échantillon de liquide ayant encore très bon goût. 
Ce samedi 16, un poste de grévistes établi chaque jour à 20 mètres de la maison de Jules FERRAN est porté à 150 mètres plus loin sur le même chemin. La nouvelle connue, la constatation du délit fut faite par M. le Maire et le Lieutenant de gendarmerie. Le parquet fut aussitôt prévenu. Cette cave isolée fut choisie par les grévistes pour accomplir un pareil acte afin de terroriser les autres propriétaires et les forcer à accepter toutes leurs revendications. L'officier de gendarmerie reconnaissant alors qu'il avait à faire à des émeutiers dangereux, ordonna, après cet acte, des patrouilles pendant la nuit, mesure de prudence qui aurait dû être prise plus tôt.
Dimanche 18, journée calme, pas d'office religieux, le curé étant absent depuis le jugement rendu par le tribunal révolutionnaire. Nouveaux procès-verbaux pour entraves à la liberté des travaux. A signaler le tour de ville réglementaire deux fois par jour, avec des figures connues ou nouvelles plus ou moins sinistres.
Jusqu'au samedi 24, aucun fait saillant à relever, sinon, le tour de ville toujours deux fois par jour..
Le samedi 24 à 8 heures du matin, la dame Corbière, domestique chez CALVET Antoine, veut aller voir sa mère malade à Sainte Valière et lui apporter un litre de lait. Elle est arrêtée à la sortie du village par quatre femmes grévistes; trois la tiennent et la quatrième la frappe à tour de bras. Un coup de clairon retentit et tous les émeutiers accourent; la gendarmerie arrive aussi au galop et dresse procès-verbal. La dame CORBIERE est obligé de regagner sa maison, son état ne lui permettant plus de continuer sa route. Ce même jour, à 1 heure de l'après midi, la dame RIGAIL travaillait dans son jardin clôturé attenant à la cave de madame Vivia BAPTISTE; les grévistes forcent la clôture et y pénètrent; s'emparant de l'outil que tenait cette ouvrière ils menacent de la rouer de coups si elle ne quitte pas immédiatement les lieux. La gendarmerie arrive et dresse procès-verbal. A 8 heures, le sieur PHILIPPE Julien, chef d'équipe chez M. FERRAN, rentrait chez lui, le chemin qu'il suivait, longe le terrain au centre duquel se trouve le siège social. Une clôture d'un mètre de haut borde ce chemin. Un nommé DAVID, repris de justice, qui se trouvait derrière la clôture, lui lance à la tête un gros caillou, qui fort heureusement ne l'atteignit pas et alla se briser sur le mur, en face.
Dans le courant de cette journée, le Maire fit annoncer que le lundi 26, les chantiers communaux seraient ouverts et que les ouvriers sans travail pourraient se faire inscrire. Cette mesure est vaine et la grève dure.

 

eglise

 

. Le jour de Noël, pas d'office, promenade des grévistes toujours plus nombreux, armés de faux et autres outils. Entre les drapeaux rouges on remarque une planche portée par un gréviste avec cette inscription: "DU PAIN OU DU SANG".
Les grévistes augmentent le nombre des postes, ils établissent même des postes nocturnes dans quelques endroits du village.
Lundi 26, personne ne se présente pour travailler aux chantiers communaux.. A dix heures, arrivée de 36 gendarmes commandés par un capitaine et retour du détachement des dragons. Effectif: 62 gendarmes commandés par un capitaine et un lieutenant. Les propriétaires font afficher que si la grève n'est pas terminée dans les vingt quatre heures, ils s'en remettront exclusivement à l'arbitrage rendu par M. le Sous Préfet le 12 février 1904, arbitrage qui avait été voté par les grévistes. A quatre heures du soir, tour de ville habituel; les grévistes sont toujours nombreux.
Jeudi 29, réveil à 4 heures et demie par tambours et clairons. A 6 heures, occupation des postes et le drapeau rouge est placé au poste où s'était produite l'échauffourée de la veille. Dans la journée, pas d'incident grave, mais l'acte de vandalisme commis la nuit du 16 au 17 sur la cave de Jules FERRAN, ne devait pas rester isolé et être l'unique exploit des émeutiers.
Dans la nuit du 29, les grévistes interceptent la circulation sur le chemin d'intérêt communal n°67 en faisant un barrage avec d'énormes blocs de pierres . Ils démolissent le pont qui le relie au chemin de grande communication n°5. Ils enlèvent aussi le ponceau du chemin du jardin potager.
Vendredi 30, deux charretiers sont arrêtés et ne peuvent continuer leur route qu'avec la protection de la gendarmerie. Une autre échauffourée se produit à propos d'un marchand qu'on veut arrêter, la gendarmerie est menacée et une pierre est lancée à la tête d'un cheval. Trois arrestations sont faites, mais ne sont pas maintenues
A une heure et demie, le Maire veut aller prendre le train à Cabezac pour se rendre à la préfecture, il est arrêté par les grévistes et doit rentrer chez lui. Il doit attendre le train de 6 heures et se rend à la gare escorté par les gendarmes.
9 heures du soir, arrivée de 40 gendarmes commandés par un lieutenant.

Cette nuit, nouvel exploit: en beaucoup d'endroits, des fils de fer sont placés en travers des routes, mais heureusement, à la première heure, les fils sont aperçus et enlevés.. On devine le but poursuivi par les grévistes.
Samedi 31, matinée calme, soirée agitée. Les grévistes ont leur poste loin du village. L'un est rétabli sur la grand route à une distance de 1500 mètres.un autre est placé du côté opposé sur cette même route à une distance de deux kilomètres. Un convoi d'approvisionnement pour les chevaux de la gendarmerie est arrêté; une brigade avec un lieutenant arrive pour rétablir la circulation. Six grévistes sont arrêtés et conduits à la mairie. Procès-verbal est dressé et les grévistes sont aussitôt remis en liberté. A quatre heures et demie, tour de ville.
Dimanche 1er janvier 1905, pas d'office religieux. Notre curé est encore absent. Dans l'après midi, le Maire fait publier un arrêté, approuvé par monsieur le Préfet, interdisant tout attroupement et toute manifestation. Mais les grévistes se sentent les maîtres et, habitués aux procès-verbaux, ne craignent plus rien. Cet arrêté n'est donc pas respecté.
Lundi 2, le froid est très vif. Les gendarmes font le service à pied. Certains postes sont établis à trois kilomètres du village. Un convoi portant de l'avoine est arrêté au "Vergel". Il a fallu l'intervention des gendarmes pour que le convoi puisse continuer sa route.
Mardi 3, la rigueur de la température produit un peu de calme. Les grévistes semblent fatigués de leurs exploits et l'on se demande pourquoi la grève continue. Ils demandent la démission du Maire, ce qui confirme encore que notre localité est sous le coup, non d'une grève, mais d'une émeute. Ce jour, les propriétaires et les ouvriers non grévistes essaient de reprendre leur travail sous la protection de la gendarmerie; mais malheur à celui qui se hasarde un peu loin. A quatre heures du soir le sieur RIGAIL, domestique rentrait du travail, mais en passant dans un chemin encaissé, il est entouré et frappé violemment par quelques grévistes. Arrivé péniblement chez lui, il sera obligé de garder le lit quelques jours; 
Jeudi 5, réveil à 4 heures et demie. Le nombre des étrangers au village à sensiblement diminué. Le travail continue dans les mêmes conditions. Cette journée de calme était le signe avant coureur des terribles événements qui devaient avoir lieu plus tard. A huit heures du matin, monsieur BALMES se rend au travail avec ses ouvriers. Il est arrêté à un poste des grévistes; ceux-ci avaient été trop calmes la veille. Le poste était surveillé par quelques gendarmes. Comme monsieur BALMES insiste pour passer, il est menacé par quelques bâtons dressés au dessus de sa tête. Après l'arrestation de PIEUX Léon fils et Victor DAVID qui furent conduits à Narbonne et mis à la disposition du Procureur de la République, les grévistes demandent, par la voix de leur cher Président BERAL la remise en liberté de ces deux prisonniers. Mais ceux-ci ne seront remis en liberté que lorsque le plus grand calme sera rétabli dans le village.
Samedi 7, pas d'incident à signaler. Le travail se fait avec la protection de la gendarmerie. 
Les journées du 8, 9, 10, 11 et douze janvier sont paisibles. Les gendarmes parcourent le terrain et il y a toujours des patrouilles de nuit. Le 9, 10 gendarmes sont envoyés à Ventenac d'Aude, et le 11, 30 gendarmes venus de Paraza arrivent encore dans la localité. Effectif total: 123 gendarmes deux lieutenants et un capitaine.

Jeudi 12: à deux reprises, Monsieur RATIE, notaire, maire de Bize et Conseiller général vient à Pouzols essayer d'arranger la situation, mais il n'y réussit pas. Ce jour là les grévistes partent dans toutes les directions pour recruter de la force et dans la nuit du 12 au 13, deux ou trois cents grévistes venus d'un peu partout envahissent le village. Un nouvel exploit est à signaler dans la nuit du douze au treize: Ils coupent à deux reprises le fil télégraphique afin d'intercepter toutes les communications.
On peut porter à 300 le nombre des émeutiers qui se trouvent à Pouzols. Que devait faire cette bande? La journée du vendredi nous le dira.
Journée du vendredi 13 janvier 1905. Cette journée du 13 est une journée terrible, c'est la révolution à Pouzols . Elle n'honore pas le capitaine de gendarmerie TUAILLON, à moins que celui-ci n'ait reçu des autorités supérieures, l'ordre formel de tout permettre aux insurgés. Espérons qu'un jour ce mystère sera éclairci et que les responsabilités seront établies. A trois heures, le matin, réunion générale de tous les grévistes à la chambre syndicale; à 5 heures et demie, occupation des postes, chacun comprenant cinquante hommes au moins. Ces postes sont établis de nouveau tout autour du village et à proximité. Le départ pour le travail est retardé pour permettre à la gendarmerie de s'organiser afin de protéger les ouvriers. Les travailleurs, propriétaires et ouvriers réunis, décident d'aller tailler à la même vigne. Ils sont quarante environ. Les grévistes ignorent la vigne choisie et ont soin de placer un clairon dans une vigne du baron DE FOURNAS, à 60 mètres environ au sud du village. Celui-ci est chargé de sonner le rassemblement des grévistes sur tel ou tel poste suivant la direction prise par les travailleurs, afin de pouvoir les arrêter. L'heure venue, les travailleurs prennent le chemin de la vigne. Les gendarmes à cheval ouvrent la marche et couvrent l'arrière; les flancs sont protégés par des gendarmes à pied. Le tout forme un cortège imposant. Le clairon retentit, les grévistes des autres postes se portent au même point, tentent d'arrêter les travailleurs mais ne réussissent pas. Dans l'impuissance, ils poussent des cris de rage. A l'arrivée à la vigne, le travail commence. Les injures pleuvent, les gendarmes à cheval et à pied accourent de tous côtés et en un instant la vigne située à 300 mètres du village est gardée par 94 gendarmes; les grévistes essaient, mais en vain de faire irruption dans la vigne. La gendarmerie les tient à distance. A 9 heures et demie, fatigués d'insulter, les grévistes se retirent, le clairon les rappelle et une nouvelle réunion est tenue à la chambre syndicale.
A dix heures et demie, tour de ville habituel; le nombre de grévistes va toujours croissant. Ceux de la localité désignent aux "étrangers" les propriétaires qu'ils doivent injurier, menacer et étrangler au besoin.
A midi, le sieur Julien PHILIPPE, chef de chantier chez le docteur FERRAN est insulté par un gréviste étranger qui, quelques jours auparavant lui avait lancé des pierres. PHILIPPE riposte à ces insultes et le menace du poing. Deux gendarmes se trouvant sur les lieux saisissent le gréviste, l'enferment dans une écurie et prennent son identité. Ils le relâchent ensuite sur les conseils de celui qui venait d'être insulté. Ce gréviste se rend aussitôt à la chambre syndicale qui était bondée et raconte le fait à sa manière. Toute la bande se porte au secours du camarade en criant:"à mort!" et le sieur PHILIPPE qui allait être lynché, ne doit son salut qu'au concours de deux gendarmes qui le font rentrer dans la remise de M BALMES, ferment la porte et emportent la clef. La gendarmerie accourt au plus vite, les officiers prévenus, arrivent aussi et l'on assiste alors à une scène de sauvagerie inénarrable. Tous les émeutiers sont massés devant la remise de M. BALMES proférant toujours contre PHILIPPE les mêmes menaces de mort. Les gendarmes à cheval ne peuvent dégager la voie, ils sont menacés de coups de bâtons, des pierres même sont lancées. Ils sont obligés de mettre sabre au clair pour se défendre; mais l'officier leur enlève ce droit de défense en ordonnant de remettre le sabre au fourreau. Il y avait devant la remise, le capitaine, deux lieutenants, des gendarmes à pied, un grand nombre de gendarmes à cheval. Les émeutiers réclament leur prisonnier avec les cris:"à mort!". En face la remise se trouve une rue en pente très raide. Quelques émeutiers vont prendre une charrette qu'ils lancent à toute vitesse contre le portail qui, fortement ébranlé, tient bon. Cette charrette sépare les gendarmes de la troupe des insurgés. Deux grévistes montent sur la charrette et se servent de pics pour pratiquer une ouverture et s'emparer du prisonnier. Les officiers de gendarmerie assistent impassibles à ce spectacle déchirant. Les gendarmes, sans ordre, ne bougent pas, leur face est défaite. Les insurgés sont armés de couteaux et certains de revolvers. L'opération terminée, l'ouverture pratiquée, monte toujours le même cri: "à mort!". Le président BERAL, chef de cette bande, monte sur le chariot et ordonne au capitaine de mettre les menottes au prisonnier PHILIPPE et de le faire conduire à la prison. PHILIPPE, entendant toujours ces cris de mort proférés contre lui, essaie de monter sur le toit pour se sauver; mais peine inutile, il est aperçu et obligé de redescendre dans la remise. Enfin le capitaine obéit aux injonctions qui lui ont été faites: le portail est ouvert, le prisonnier enchaîné monte sur une voiture désignée pour la circonstance. Mais la voiture ne peut partir, elle a devant elle 200 émeutiers qui exigent une autre voiture de grévistes pour escorter la première jusqu'à Cabezac, car cette arrestation étant arbitraire, ils craignent qu'on donne la liberté à PHILIPPE. Le capitaine s'incline une nouvelle fois devant les émeutiers. Quand les deux voitures sont prêtes, elles filent à trois heures à Cabezac, où le prisonnier conduit par deux gendarmes attend le train de six heures pour Narbonne. Après interrogatoire, cette arrestation n'est pas maintenue. Le prisonnier, innocent est remis en liberté, mais ne rentre pas à Pouzols; il attend que le calme soit rétabli. Après le départ des voitures, le Maire se rend à la mairie, les insurgés le suivent peu après et pénètrent dans la cour, dans la maison d'écoles.
La délégation ouvrière entre dans la cour, dans la salle de la mairie où se trouve le Maire et l'obligent à convoquer les propriétaires pour 4 heures et demie, ajoutant que les grévistes se chargeaient d'aller prendre chez eux ceux qui ne voudraient pas se rendre à cette réunion. Le maire s'exécute, et sur son ordre, le commissaire appariteur passe de maison en maison et prévient chaque propriétaire. Le Maire prie le capitaine de gendarmerie de bien vouloir envoyer des gendarmes devant la mairie pour protéger au besoin cette réunion. Pendant ce temps, le Sous Préfet et le Substitut du Procureur arrivent dans la salle de la mairie. A quatre heures et demie, quelques propriétaires se rendent à la convocation, mais on ne voit pas de gendarmes. Sont présents: le maire, son secrétaire, RIVALS, PIEUX Martin fils, Paul MOLINIER, SICARD Joseph, régisseur au château, Victor BOY et FERRAN Jules. Les insurgés dont le nombre avait augmenté dans la journée sont à peu près 3 ou 400. Ils se massent sur le chemin, devant la cour des écoles, et bientôt la mairie est cernée de tous côtés; on ne peut sortir. Le capitaine, malgré l'insistance du Maire n'a pas pris les mesures nécessaires et cette conduite se passe de tout commentaire.
Le Sous Préfet et le Substitut prennent la mesure exacte de la situation qui était faite aux propriétaires présents. Le Sous Préfet explique qu'il n'était pas venu pour un essai de conciliation, mais pour prendre des mesures d'ordre. Il prévient le Président BERAL que M le Préfet doit venir le lendemain matin, samedi, pour réunir les propriétaires et tacher de mettre fin au conflit. Mais les émeutiers ne veulent rien entendre; ils demandent un arrangement le soir même. L'heure est critique car la nuit approche, le guet-apens est parfaitement organisé. Quelques émeutiers montent sur le toit pour pénétrer dans la salle de la mairie. Le Sous Préfet descend haranguer la foule, mais il est conspué. Il remonte aussitôt et donne l'ordre au capitaine de faire déblayer la voie et de disperser la foule. Le capitaine obéit, quelques gendarmes arrivent à pied et à cheval et l'on voit une manière très drôle de déblayer la route: les émeutiers pour livrer passage à la gendarmerie, font irruption dans la cour d'où on ne peut plus les déloger; ils veulent même fermer la porte pour empêcher l'entrée des gendarmes à pied. Ceux-ci parviennent tout de même à pénétrer et viennent se poster devant l'entrée du bâtiment. Les propriétaires, voyant l'impuissance de la gendarmerie et se sentant menacés, implorent la protection du Sous Préfet; mais celui-ci, prétextant qu'il doit aller prendre le train à Cabezac , ne répond pas et file à l'anglaise, accompagné du Substitut. Il réussit à se frayer un passage au milieu de la foule et se dirige ensuite vers Cabezac, laissant les propriétaires à la merci des bandits, tous armés de revolver qui veulent à tout prix un arrangement. Encore un peu, et cette salle de la mairie, déjà saccagée le 1er mai 1904 devenait le théâtre d'un crime épouvantable. Les propriétaires, comprenant le sort qui leur est réservé se décident à appeler la délégation ouvrière et signent sous la menace tous les articles des revendications ouvrières. Tous les émeutiers se retirent satisfaits en criant victoire. Quelques uns quittèrent immédiatement le village et déchargèrent leurs armes en tirant en l'air dès qu'ils se trouvèrent à une centaine de mètres des dernières maisons. Cette scène, terminée à 7 heures et demie du soir, met fin à la grève.

croix mission

Le lendemain, les prisonniers PIEUX Léon fils, et Victor DAVID sont remis en liberté, ils sont attendus à la gare de Cabezac par les insurgés qui les portent en triomphe. A 10 heures du soir, arrivée de deux escadrons du 17ème dragon, sous les ordres d'un commandant, l'un cantonné à Pouzols, l'autre à Mailhac. Sainte Valière recevait en même temps deux escadrons du 13ème chasseur. Effectif total gendarmerie comprise: 520 hommes, et la population de Pouzols est de 650 habitants. Ce samedi 14 janvier, le travail est encore suspendu, mais l'émeute a pris fin. Le dimanche 15, le Sous Préfet revient à Pouzols d'où il repart le lundi 15. Il voudrait une nouvelle réunion où l'on pût discuter librement; mais les propriétaires déjà pris au guet-apens avaient juré qu'on ne les y prendrait plus. Ils s'en tiennent aux signatures données sous la menace.
Vendredi 18 , à 6 heures du matin, départ des chasseurs, à 11 heures, départ des dragons.
Dimanche 22, à 5 heures du soir, départ de tous les gendarmes pour Ventenac d'Aude"
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NOTE SUR BERAL


Aux élections municipales du 1er mai(1904), le citoyen BERAL avait voulu prendre la place du Maire MARQUIER. A la fin du dépouillement, la liste MARQUIER avait obtenu la majorité, la salle était occupée en majorité par des acolytes de BERAL. Des bulletins furent lancés vers l'urne, une bagarre suivit; BERAL saisit le Maire à la gorge et commença de l'étrangler. Celui-ci ne dut son salut qu'au sang froid de son fils qui, d'un coup de clef sur la main de BERAL, lui fit lâcher prise.
Deux gendarmes de Cabezac furent battus ainsi que quelques partisans de MARQUIER. Tout fut brisé, l'urne fut jetée par la croisée. On ne put pas proclamer l'élection.
Le deuxième tour, le 22 mai, confirma le résultat du premier mai, donnant à la liste MARQUIER 14 voix de majorité.
Aucune suite n'a été donnée à cette affaire et ce retard devait entraîner fatalement les troubles graves, qui ont eu lieu dans notre commune du 4 décembre 1904 au 15 janvier 1905


Les Grèves: ( air: Caporal des zouaves).1er couplet
Désignés pour partir aux grèves
Gendarmes, vite, levez-vous
Pour aller turbiner sans trêve
Allons, lestes: dépêchez-vous
Abandonnez votre famille,
Allez user votre santé
Pour garder la propriété
Que le gréviste saccage et pille.Refrain
Je suis gendarme, je le sais bien
Oui ce n'est pas gai à la grève
Il faudra encor' turbiner demain
C'est pas trop tôt que ça s'achève
Et qu'il n'y ait plus de potin.2ème couplet
Derrière vous fermez les portes,
Allez vite vous embarquer
Et dans le train qui vous emporte
Ne vous laissez pas trop aller.
Vous aurez sûrement de l'ouvrage
Aussi pénible qu'embêtant
Mais pour l'assurer carrément
Conservez-tous votre courage. (refrain)3ème couplet
En arrivant dans les villages,
Il faut savoir se débrouiller,
Faire, défaire les paquetages
Et puis chercher à boulotter.
Mais tout à coup quelle déveine!
Au milieu d'un repas frugal
On commande: "A cheval!"
Il faut laisser l'assiette pleine.4ème couplet
Arrivés sur la place publique
Ouvriers, grévistes et badauds
Que la curiosité pique
Viennent assombrir le tableau.
Un grand attroupement se forme
Il faut de suite le disperser
On donne l'ordre de charger
On charge puis on se reforme.5ème couplet
Enfin la journée est finie
On pense à se caler les joues
Et puis la face réjouie
Chantons, buvons, amusons-nous.
Et si demain on recommence,
Aux grévistes récalcitrants
Nous apprendrons pareillement
Ce qu'il faut faire en l'occurrence.(refrain)6ème couplet
Les grèves sont enfin terminées
Nous allons tous rentrer chez nous
Et dans nos familles éplorées
Nous apaiserons nos courroux.
Mais pour sauvegarder nos femmes,
Les préserver des accidents 
Qui se produisent en rentrant
Attention!!!! Modérons nos flammes.Refrain du 6ème couplet
Je suis gendarme, je le sais bien
Oui, ce n'est pas gai à la grève
Bravo! Nous partirons tous demain.
C'est aujourd'hui qu'elle s'achève,
Allons amis, serrons nos mains.
L'Insurrection Pouzoléenne.
1er couplet.A Pouzols, la grève agricole
Ne cesse de continuer
Et le fameux syndicat colle
Sur nos murs, du sale papier.
Voulant un nouvel arbitrage,
Ils courent le plus grand danger
Mais il serait pourtant plus sage
Qu'ils travaillent pour pouvoir manger.RefrainLes pouzoléennes toute effrénées
Comme des hyènes
Suivent les syndiqués.
Plus tard on verra
Et avec raison
Le résultat de leur union.2ème coupletMalgré toute la gendarmerie
La liberté est suspendue.
Il faut gratifier de folie
Les actes qu'on lui attribue.
Verser le vin d'une cave entière
Est un bel acte évidemment
Dont la chambrée peut-être fière
Ainsi que Monsieur le Président.
(Refrain)3ème coupletLa grève actuelle donne à l'enfance 
L'exemple d'être bon soldat,
Pour que plus tard notre chère France 
Soit vaincue au premier combat.
Mais c'est aujourd'hui l'heure fatale 
Où tous les braves proprios
Feront, malgré l'Internationale 
Exécuter tous leurs travaux.
Refrain du 3ème couplet.La belle chambrée
Du haut Pouzols
Est composée
De nombreux espagnols
Cette bande d'apaches
Pour les calmer
Il faudrait sans relâche
Tous les emprisonner.Composé à Pouzols
Le 1er janvier 1905 Auteur:Bélaoru, gréviste immodéré Sans commentaire...!!! 

 

Sources : Pouzols, Mémoire et Synergies -Philippe Bonnafous -  

 

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