Les amoureux du cyclotourisme reconnaitront des moments de vie dans les extraits suivants d'un vieux classique de la littérature britannique : "Trois hommes sur un vélo", de Jerome K. Jerome (qui date de 1900 !)

 

 

  LE BRICOLEUR

  Il y a deux manières de jouir d'un vélo. En "bricoleur" ou en randonneur et, en vérité, je me demande si ce n'est pas celui qui bricole qui a le plus de satisfactions. En effet, le bricoleur est indépendant du temps, du vent et l'état de la route lui est indifférent. donnez lui un tournevis, un vieux chiffon et une burette d'huile, de quoi s'assoir et le voilà heureux pour toute une journée. Il a bien quelques désagréments : le bonheur parfait n'est pas de ce monde. C'est vrai qu'il ressemble souvent à un chaudronnier et que lorsqu'on voit son vélo, on a l'impression qu'il a essyé de le maquiller. En fait, ce n'est pas grave car il dépasse rarement la première borne kilométrique. L'erreur serait de croire qu'on puisse tirer du même vélo ces deux sortes de plaisir. C'est impossible. Aucun engin ne peut supporter ça. Il faut choisir : ou bricoleur ou randonneur.

  Personnellement, je préfère rouler et c'est pourquoi j'évite soigneusement tout ce qui pourrait me donner l'idée de "bricoler" mon vélo. Dès qu'il lui arrive un pépin, je le pousse tout de suite chez le réparateur le plus proche. Je sais que mon grand péril réside, à ces moments là, dans le passage d'un bricoleur en balade. La vue d'un vélo en panne est pour un bricoleur ce qu'un cadavre abandonné est pour un corbeau. Il se jette dessus avec un hurlement de triomphe. Au début, j'essayais de rester poli. Je disais :
  - Ce n'est rien. Ne vous inquiétez pas. Continuez votre promenade. Je vous le demande comme une faveur : laissez-moi.
  L'expérience m'a malheureusement appris que la courtoisie n'était pas de mise dans ces extrémités. Maintenant je crie :
  - Fichez le camp et laissez ce truc tranquille ou je me paye votre tête d'abruti !  

  Envie de vous marrer plus encore ? En pdf, les péripéties d'une rencontre avec un bricoleur...

 

 

  LES BEAUTÉS DE LA JOURNÉE QUAND ON LES IMAGINE LA VEILLE AU SOIR

  Nous n'avons pu mener notre programme à son terme pour la simple et bonne raison que les performances de l'homme sont toujours en deça de ses ambitions. Il est en effet facile de dire - et de croire - à trois heures de l'après-midi :
  - Demain, debout à cinq heures du matin ; à la demie, petit-déjeuner succint et départ à six heures.
  - On aura fait la plus grande partie du chemin avant les grandes chaleurs, fait remarquer quelqu'un.
  - En cette saison, c'est le petit matin qui est le meilleur moment de la journée, non ? ajoute un autre.
  - Sans aucun doute !
  - Il fait si frais ; c'est si agréable !
  - le demi-jour est si exquis ! Etc...

Le premier jour, on s'en tient à son programme. L'équipe est prête, au complet, à cinq heure et demie. Tout est silencieux. Chacun est un peu excité, enclin à trouver mauvaise la nourriture, ainsi que déagréable la plupart des choses. L'atmosphère se charge d'irritabilité contenue qui cherche le moyen d'exploser. Le soir, la voix du Tentateur retentit :
  -Je crois que si nous partions à six heures et demie ce serait amplement suffisant.
  La Vertue, alors, réplique :
  - Ce serait briser nos résolutions.
  Le Tentateur reprend :
  - Les résolutions sont faites pour l'homme et non l'homme pour les résolutions.
  Le diable sait parfois paraphraser l'Écriture dans son propre intérêt.   - De plus on dérange tout l'hôtel. Pensez au petit personnel !
  La voix de la Vertue continue, mais de plus en plus faiblement :
  - De toutes façons, le personnel a l'habitude de se lever tôt, non ?
  - Les pauvres ! Vous croyez qu'ils se lèveraient si tôt si ils n'y étaient pas obligés ? Allons ! disons : petit déjeuner à six heures et demie et nous ne dérangerons personne.
  Alors le Péché prenant les traits de la Bonté, on dort jusqu'à six heures en expliquant à sa conscience qui n'en croit d'ailleurs pas un mot, qu'on agit ainsi pour les autres. J'ai même vu, parfois, cet altruisme prolonger le sommeil jusqu'à sept heures bien sonnées.  

De la même manière, les distances relevées sur la carte au compas ne sont pas exactement les mêmes que celles qu'on mesure sur le terrain avec ses jambes.
  - Vingt kilomètres à l'heure pendant sept heures, ça fait cent quarante kilomètres. C'est très faisable dans une journée.
  - Il y a quand même quelques côtes un peu dures, non ?
  - Oui, mais on les resdescend de l'autre côté. Bon, mettons quinze kilomètres à l'heure et décidons de ne faire que cent kilomètres par jour. Gott im Himmel ! si nous n'arrivons pas à faire du quinze kilomètres à l'heure, autant voyager en fauteuil roulant !
  Sur la carte, il semble en effet impossible de faire moins. Mais à quatre heures de l'après-midi, la voix du Devoir se met en sourdine :
  - Bon, je pense qu'on a presque fini pour aujourd'hui ?
  - Oh, les amis, il n'y a pas le feu ! Doucement ! La vue est belle par ici, non ?
  - Oui, superbe. Mais n'oubliez pas que nous sommes encore à quarante kilomètres de Saint-Blasien.
  - À combien ?
  - Quarante kilomètres. Peut-être même un peu plus.
  - Vous voulez dire que nous n'avons fait que soixante kilomètres ?
  - Exactement !
  - C'est impossible. je n'ai pas confiance dans cette carte. Nous roulons depuis les premières heures du jour.
  - Ce n'est pas vrai, nous sommes partis vers huit heures.
  - Huit heures moins le quart exactement.
  - D'accord, mais ensuite, nous nous sommes arrêtés tous les huit kilomètres.
  Nous nous sommes arrêtés seulement pour admirer le paysage. Ça rime à quoi de visiter une région si on ne prend pas le temps de l'admirer&nbps;?

  - On a eu aussi quelques côtes drôlement raides.
  - Et il fait une chaleur exceptionnelle aujourd'hui.
  - Bon, mais n'oublions pas que Saint-Blasien est à quarante kilomètres.
  - Il y a encore des côtes ?
  - Oui, deux : à monter et à redescendre.
  - Il me semble que vous aviez dit que ça descendait jusqu'à Saint-Blasien ?
  - Seulement dans les quinze derniers kilomètres. Et nous en sommes encore à quarante.
  - Et il n'y a rien entre Saint-Blasien et ici ? Quel est ce village, là, à côté du lac ?
  - Ce n'est ni Saint-Blasien, ni rien d'approchant. On est sur la mauvaise pente quand on commence à réagir comme ça.
  - Il y a également le danger à se surmener. Il faut s'appliquer, en toute chose, à se ménager. D'après la carte, on dirait que c'est un joli petit coin, ce Titisee, non ? Il semble qu'on y respire un bon air. Si on s'y arrêtait ?
 
- D'accord, je veux bien. Mais je vous ferais remarquer que c'est vous, les amis, qui vouliez aller jusqu'à Saint-Blasien.
  - Oh, on se fiche pas mal de Saint-Blasien ! Ce petit trou perdu au fond d'une vallée ! J'ai comme l'impression que ce Titisee est beaucoup plus agréable.
  - Et c'est tout près ?
  - Huit kilomètres.
  Alors tous d'une même voix :
  - On va à Titisee.
 

  Encore plus hilarant ? En pdf, les déboires de nos trois amis à la recherche du bon chemin !

 

 

  LE CYCLISME SELON LA RÉCLAME

  - Votre Engin n'est pas à la hauteur de son affiche publicitaire. J'en ai vue une sur Sloane Street la veille de notre départ. On y voyait un homme en train de pédaler sur le même engin, un drapeau à la main. Il avait l'air de ne pas faire le moindre effort, c'était clair comme le jour. Tranquillement assis, on aurait dit qu'il buvait le grand air. Le vélo avançait comme de lui-même, et rapidement. Alors que le vôtre semble vous laissez tout le travail. Ce n'est qu'un monstre de paresse. Quand vous n'appuyez pas sur les pédales, il ne fait strictement rien. À votre place, je me plaindrais.
  Quand on y pense, il n'y a en effet bien peu de vélos à la hauteur de leur réclame. J'ai le souvenir d'une seule affiche où le cycliste avait l'air de faire des efforts. Mais il faut dire qu'il était poursuivi par un taureau. Dans la plupart des cas, l'illustrateur n'a qu'un seul but : persuader le néophyte hésitant que pratiquer le cyclisme, c'est être assis tout simplement sur une selle magnifique, mu rapidement dans la direction souhaitée par des forces invisibles et surnaturelles. En général, le cycliste représenté est une dame et, en la voyant, on imagine que, pour la perfection du repos et l'élimination de l'anxiété, un léger somme sur un matelas moelleux ne vaudra jamais une randonnée à vélo sur une route montueuse. L'affiche est là pour vous prouver qu'aucune fée au monde, même allanguie sur un nuage d'été, ne pourra jamais rivaliser d'aisance avec une femme à vélo. Celle-ci est idéalement vêtue pour rouler par temps chaud. Sans doute une patronne d'auberge un peu vieux jeu ne consentirait pas à lui servir à déjeuner ; et même, un policier à l'esprit borné ferait sûrement l'impossible pour la dérober aux regards en la drapant dans une couverture avant de l'arrêter. Mais elle se moque de tout cela. Par monts et par vaux, dans un dédale où une chatte ne retrouverait pas ses petits, sur des routes à mettre en pièce un rouleau compresseur, elle passe, beauté nonchalante, les cheveux ondulant sous le vent, son corps de sylphide en équilibre parfait, un pied sur la selle, l'autre néglidemment posé sur le phase, condescendant parfois à s'asseoir sur la selle, jambes ballantes ; on peut la voir aussi allumer sa cigarette en approchant de sa tête une lanterne chinoise.

Plus rarement, c'est un garçon sur le vélo. Mais jamais il n'a cet air d'acrobate accompli que la femme arbore. Il peut cependant réussir des prouesses, comme se tenir debout sur sa selle en agitant des drapeaux ou boire de la bière en roulant. Il faut bien s'occuper, quand on est assis, sans effort à fournir, pendant des heures, sur sa machine, sans rien non plus à quoi penser  Pour un homme actif, quelle corvée ! Voilà pourquoi on le voit se dresser sur ses pédales, en arrivant au sommet d'une côte, pour apostropher le soleil ou déclamer des vers au paysage.
  L'affiche peut également représenter un couple de cyclistes. On se rend compte, alors, combien le vélo, aujourd'hui, est supérieur au salon d'autrefois ou à la porte du jardin pour favoriser un petit flirt. Le garçon et la fille montent sur leurs vélos, après s'être bien assurés que ce sont des engins de bonne qualité. Ensuite, il n'y a plus rien à faire qu'à se laisser bercer par la vieille romance. Dévalant des sentiers étroits, traversant des villes grouillantes un jour de marché, gaiement, roulent des Bermondsey Company's Bottom Bracket Britain's Best ou les "Camberwell Company's Jointless Eureka. Inutile de pédaler. Inutile de tenir le guidon. Il suffit de leur donner la destination et l'heure du retour, ils n'en demandent pas davantage. Alors, tandis qu'Edwin se penche à l'oreille d'Angelina pour lui susurrer de charmantes bêtise et qu'Angelina se détourne vers l'horizon pour cacher la rougeur qui lui empourpre le visage, les vélos magiques poursuivent leur course tranquille. Ah ! Pourquoi n'avons-nous pas eu, quand nous étions jeunes, de Britain's Best ou de Campberwelle Eureka ?
  On peut les voir, également, les Britains's Best ou les Camberwell Eureka, appuyé contre une porte. Ils sont sans doute fatigués. Ils ont travaillé dur tout l'après-midi pour promener leur petit monde. Les randonneurs sont assis par terre, à l'ombre de riants arbustes. L'herbe est haute et sèche. Un ruisseau coule à leur pieds. Tout est calme et volupté.  

L'illustrateur d'une réclame pour vélo s'efforcera toujours de suggérer cette idée : calme et volupté.
  Vous, jeunes hommes fatigués, assis, découragés, sur une borne kilométrique, trop las même pour prendre garde à la pluie fine persitante qui vous pénètre ; vous, jeunes filles épuisées, aux cheveux raides et mouillés, craignant l'heure tardive, sur le point blasphémer mais ne sachant comment ; vous le gros monsieur chauve, qui fondez à vue d'oeil en haletant et grognant sur la route sans fin ; vous la grosse dondon découragée, écarlate, qui avez tant de peine à faire avancer cette mécanique récalcitrante ; vous tous, enfin, pourquoi n'avez-vous pas acheté un Britain's Best ou un Cambell Eureka ? Pourquoi donc tant de vélo de pacotille sont-ils répandus sur cette terre ?
  Ou bien en est-il du cyclisme comme de toutes choses ici-bas ? La vie n'est-elle donc pas à la hauteur des promesses de l'affiche ?  

 

 

 Le bricoleur
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 La réclame
 Délire perso...
 BD Nostalgie



DÉGOÛT DE VÉLO

  Pour les lecteurs courageux, ma thérapie littéraire pour soigner les blessures à l'âme infligées par le vélo.

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  Point question dans ce texte de vanter des brillantes sorties à vélo (par exemple dans le froid et la neige). L'anecdote qui suit conte plutôt la perte de mes dernières parcelles de dignité dans le monde professionnel.

  En effet, ayant rapidement compris qu'il me serait impossible de m'élever au niveau intellectuel des collègues qui m'entourent, j'avais reporté la sauvegarde d'un semblant d'honneur sur la seule activité qui m'ait jamais valu un peu de considération : le vélo. A force de souffrance sous les électrodes, de sueur versée sur home-trainer, de leçons d'humilité reçues derrière les roues de mes coéquipiers aux maillots oranges floqués d'un cochon rondouillard, mon inattendue performance sur "L'Etape du Tour" m'avait soudainement hissée au rang de cycliste émérite, apportant enfin un soupçon de reconnaissance d'un talent caché.

  C'est donc plein de suffisance que je déclinais les offres de raccompagnement véhiculé de mes collègues, lorsque la nuit tombait et que le brouillard enveloppait les routes du retour vers mon domicile : "Pensez donc mes amis, dix ans bientôt que je parcours en baroudeur du bitume les coins les plus reculés et les plus périlleux de notre pays. Ce n'est une petite heure de pédalage à travers notre froide banlieue qui va m'effrayer. Au mieux, vous pourriez me suivre en voiture pour m'éclairer le chemin !"

  Un minuscule silex allait me ramener à la triste réalité de ma vraie condition. "P... ! Fait c... ! Bien sûr à l'arrière ! Et en plus le long de la voie rapide, histoire que tous ces impotents d'automobilistes se délectent de mes déboires... Salope de Bergamote, c'est comme ça que tu me remercies de t'avoir déniché un nouveau dérailleur ?!"

  Pourtant, malgré le froid et l'obscurité, mes premiers gestes se font précis et efficaces. La chaîne ramenée sur le petit pignon, la roue dégagée sans salir les mains, puis le pneu retiré de la jante d'un petit coup de démonte-pneus, le silex coupable est rapidement repéré et délogé de la gomme. La chambre à air fraîchement achetée chez "Osmon-vélociste-à-L'Aigle" trouve facilement sa place, tandis que je repositionne entièrement à la main le pneumatique, prenant même soin de terminer l'opération côté valve (quelle lucidité ! Les experts sauront apprécier).

  Ne restait plus qu'à gonfler. L'opération allait être rondement menée, et je me félicitais intérieurement de l'habilité déployée en pareilles circonstances, déclinant poliment, mais d'un ton assuré, les propositions d'aide de deux cyclos charitables.

  Hélas, bientôt, le complexe Shadock m'envahit. Pompant, pompant toujours plus, plus vite, plus fort. Rien n'y faisait, l'air compressé dans le corps de cette splendide pompe (achetée pourtant à prix d'or chez un vélociste du Colorado) s'obstinait à s'échapper par le mauvais bout ! Après quelques minutes de vains efforts, alors que mes muscles s'acharnaient mécaniquement dans ce mouvement de va-et-vient sur cet outil d'une désormais improbable utilité, le doute envahissait mon esprit, balayant tout éclair de lucidité qui aurait permis de trouver une issue favorable face au cruel sort qui s'acharnait une fois de plus sur ma modeste existence.

  En proie au désarroi le plus profond, au milieu de nul part, abandonné de tous et de Dieu, ce dernier allait m'offrir un ultime salut. Mais à quel prix... Une voix venue d'on-ne-sait-z-où vint briser le son lancinant de mon souffle saccadé par tant d'efforts.
  - "Un problème ?"
  - "Ah ? Tient ? Nicolas ? Euh..., ben, c'est juste ma pompe qui veut pas gonfler."
  (Ah le vautour charognard ! Qui vient se délecter de ma misère, comme il viendrait se repaître autour d'un cadavre agonisant !)   -
"C'est bête, non ? Sans ça, pfffff... je s'rais déjà reparti, presque chez moi."
  - "Allez viens, je vais pas te laisser là. Je vais te ramener en voiture."
  - "C'est gentil , mais j'veux pas abandonner comme ça ma progéniture métallique, contre une anonyme clôture."
  - "T'inquiète pas, on la démonte (Quoi la clôture ? Mais non, ta bicyclette ! Qu'est-ce que tu peux être c... Loïc quand tu perds les pédales...), et elle va rentrer avec nous (mais non toujours pas la clôture !)."
  - "Bah... C'est bien parce que c'est toi. Si ça te fait plaisir de rompre ta solitude au volant... Bon, c'est vrai qu'en plus, je me disais encore il y a pas plus tard que quelques minutes que j'avais encore jamais mis de vélo dans le coffre d'une Opel Corsa. Ça faisait comme un manque dans mon expérience de cyclo."

  N'importe quoi !... L'instinct de survie prenait le dessus, ravalant toute fierté, m'abaissant au rang du premier piéton venu, alors que ma monture toute ornée de carbone gisait retournée dans l'herbe, définitivement inanimée. Trop fatigué par cette lutte sans espoir contre mon funeste destin, je traînais ma misère et les restes de ma machine jusqu'au véhicule de mon collègue, le laissant même ramasser cette roue sans pression, tandis qu'il m'expliquait combien j'étais chanceux (Arrgh, comme le couteau qui se retourne dans la plaie !) qu'il se soit arrêté faire le plein, sans quoi il aurait déjà été bien loin avant que je ne sois arrêté par la crevaison. Dans un ultime sursaut de dignité, je me refusais à ôter mon casque, le temps de l'interminable torture que dura le voyage.

  Dire que ma nuit fut difficile est un euphémisme. Bien en peine de trouver un sommeil agité, dix fois, je me suis levé, décidé à me taillader les veines pour en finir définitivement. Pour n'avoir à souffrir la honte et à porter le poids de cette humiliation (la croix du Christ devait être un fardeau plus léger, la crucifixion me serait une douce délivrance), ce déshonneur, cette déchéance que me renvoient désormais les sourires narquois des collègues. Hélas, dix fois aussi, ma faiblesse de caractère me fit reculer devant l'éclat de la lame, me condamnant ainsi à une existence de paria, rejeté plus bas que le moins respecté des Intouchables Indiens sur l'échelle sociale de l'humanité.

  "Par le vélo il vécut, par le vélo il mourrut."

  Vélo, je te hais...
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  PS: Ça y est, vous avez tout lu ? Bravo !
  Naturellement, comme vous vous en doutiez, tout ceci n'est que pure fiction... Mes collègues sont des êtres adorables, et puis de toutes façons, le silex qui me fera crever n'est pas encore solidifié sous le magma de la croûte terrestre !
  Euh,... des bons gros pneus à crampons de VTT, c'est du costaud, non ? C'est pas mal non plus le VTT pour aller au boulot...