Décès

Que reste-t-il de Bob Marley ?

Le 10 mai, on a beaucoup entendu parler de l’information principale en France : les 30 ans de l’accession au pouvoir de l’homme de gauche le plus populaire et le plus présidentialisé, François Mitterrand. Le déferlement médiatique pour célébrer un pan de notre histoire politique nous a pourtant laissé amer. Les espérances ont étés déçues, laissant un peuple de gauche et un peuple de Français dans un rejet de la gauche, criant aux dernières élections nationales, et à fortiori en 2002. Cependant, d’autres espérances ont étés déçues, lorsque le 11 mai 1981, soit un jour après l’élection de Mitterrand, Bob Marley mourrait d’un cancer à Miami, en Floride, preuve que le rastafarisme et le reggae ne protégeait pas de la mort pratique. Symbole de l’idéalisme, il convient de nous arrêter sur ce personnage, sa musique, son idéalisme, et d’abord, ses rapports avec les médias.

Une enquête parue sur le site de Libération a la prétention de nous renseigner sur la façon dont les journalistes parlaient de la mort de Bob Marley. Voici ce qu’écrit le journaliste de l’enquête : « le jour de sa disparition, le sujet ne fait pas les gros titres. Patrick Poivre d’Arvor introduit le sujet avec «on pourrait presque intégrer dans ses informations essentielles en provenance de l’étranger, la mort de Bob Marley». Et la voix off est assurée par le journaliste Gérard Holtz, qui insiste sur l’amour de la star pour… le foot. ». Par ailleurs, l’enquête faite sur les sources des JT disponibles sur l’INA, nous apprend la difficulté de mener une interview de lui. Aussi, l’intervention médiatique sur Bob Marley est rare, sauf pour montrer le « tiers-monde musical » à l’œuvre, ou la gloire de la défonce. Cette image donnée par de nombreux médias, et qui sont confirmés par les médias actuels nous poussent à affirmer que Bob Marley, bien que suscitant de nombreux commentaires, a du mal à séduire totalement les médias français, surtout un jour après un bouleversement de l’opinion politique française. Et pourtant, Bob Marley est un grand personnage à juste titre, popularisant à la fois l’idéal rastafari, mais surtout le reggae, « sa » musique.

Bob Marley, symbole du reggae

Une interview paraissait le 5 mai dans le magazine VSD. Cette interview était inédite, et livrée par Marley en novembre 1978. Marley, dans cette interview nous livre exactement tout ce qu’il a sur le cœur, sa philosophie de vie (le rastafarisme) et la musique, le reggae. Il en explique la différence : « Je ne dirais pas que le reggae et le rasta sont la même chose, non, le reggae amène l’esprit rasta aux gens, c’est la musique qui importe, quelle que soit sa forme. Toutes les chansons sont identiques, la forme importe peu, c’est le contenu, ce que tu racontes qui est important, la manière que tu as de communiquer…Il y a plein de choses que tu entends dans le reggae mais que tu peux ne pas comprendre ; peu importe, ces mots tu les entends et tu les ressens. ». Dans cette longue citation, on peut essentiellement comprendre sa définition du reggae, comme si le reggae n’était qu’un véhicule pour un message qu’il délivre. Il nous explique ainsi la redondance de la reggae music, qui était une des critiques les plus importantes livrées à cette musique. Il est vrai que nombreux refrains sont encore fredonnés par le quidam (Get Up Stand Up, Jamming…).

Malgré tout, le reggae reste une musique jamaïcaine, souvent considérée comme LA musique jamaïcaine par essence. Elle n’apparait pas de manière mystique, elle provient d’une lente évolution. En réalité, le reggae tel que nous le connaissons est né de plusieurs contractions sociales, politiques et culturelles (entendons bien musicales). C’est, et nous y reviendrons, la naissance du rastafarisme, l’indépendance de l’île en 1962 et enfin, la progressive évolution du genre musical : le ska et le rocksteady était ses ancêtres. C’était des tempos assez lents qui s’accélèrent au fur et à mesure. On estime alors la création du mot reggae (venant de la contraction de streaggae, voulant dire « femme de petite vertu ») à l’année phare 1968. Des hommes les portent : Lee « Scratch » Perry, le déjà tout jeune Bob Marley et les Wailers,  mais aussi Sly & Robbie. Au final, ce qu’il appartient nécessaire de comprendre pour intérioriser le parcours des Wailers, c’est le rôle important du reggae et de la musique en Jamaïque. C’est une façon, au début des années 70 d’avoir assez d’argent pour manger, et il s’agit d’une musique encore traditionnelle, faite avec « les moyens du bord ». La musique a en Jamaïque un rôle plus que non-négligeable : c’est la matrice de toute une culture.

Bob Marley et les Wailers

Penchons-nous maintenant sur l’aventure des Wailers, dans le reggae jamaïcain. Appelé les Wailing Wailers lors de leur aventure ska-rocksteady, ce groupe représente à lui-seul cette mythologie du reggae. Il est composé à l’origine de Robert Nesta Marley, dit Bob Marley, de Winston Hubert MacIntosh, dit Peter Tosh, et Neville Livingstone, dit Bunny Wailer. Ces trois personnes sont le noyau dur du groupe, jusqu’à la mort d’une certaine façon. Autour de ces trois personnes se constituent des réseaux de musiciens expérimentés, dont John « Rabbit » Bundrick, organiste, en est le symbole : il travaillera plus tard avec les Who. On leur doit des albums extraordinairement magiques, de Catch A Fire à Burnin’. Mais à travers l’histoire du groupe, ceci est surtout l’histoire d’un homme : Bob Marley. C’est son groupe, dont il prendra la tête après le départ de Bunny Wailer et de Peter Tosh en 1974. « Bob Marley & The Wailers » n’est-il pas un nom qui résonne dans nos têtes ? Sa trajectoire personnelle, celle qui l’amène à fonder en 1967 sa propre marque de disques, Wail’n Soul’m, est importante : ses voyages en Suède (1971) mais surtout sa rencontre avec Chris Blackwell, producteur et patron d’Island Records, qui, à l’époque, vient de perdre Jimmy Cliff et qui a envie de ne pas lâcher cette « mode ». Les albums produits par lui sont des pures merveilles, et à considérer Catch A Fire comme le premier d’entre eux, il permet de faire passer le reggae dans une autre dimension, musicale et économique. Musicalement, c’est une innovation dans les techniques de réalisation. Economiquement, il présage une longue réussite dans ce domaine, incarnée par Burnin’, et les tubes Get Up Stand Up et I Shot The Sheriff. Au fur et à mesure des albums, Marley est de plus en plus mis en avant et le noyau du groupe explose. Le groupe s’internationalise grâce à Natty Dread (1974) et au tube No Woman No Cry. Dès 1975, et la reprise de Clapton d’I Shot The Sheriff, le groupe atteint une notoriété impensable. Avec ces albums (Rastaman Vibration, mais surtout Exodus/Kaya, cet ensemble de deux albums faits pour être rassemblés), Bob Marley se fait voix du tiers monde, et des défavorisés. Des chansons comme Zimbabwe, ou Africa Unite (dans l’album engagé Survival) et bien sur l’ultra tube repris par des fanas de reggae comme Johnny Cash ou Joe Strummer Redemption Song le confirme : dans les pays occidentaux, la musique et les paroles de Marley sont mises en relief et glorifiées dans des temps politiques et économiques assez troubles.

Un drapeau « rasta »

Après avoir évoqué la musique de Marley et sa trajectoire personnelle dans un groupe, il nous faut évoquer ce qu’il reste de Marley outre sa musique. C’est les idées. Car Marley lui-même considérait la musique comme un moyen de véhiculer des idées. C’était profondément un révolutionnaire, un « Malcolm X » ont pu écrire certains. Les paroles de ces chansons nous révèle aisément cette philosophie du rastafarisme : il a pour base le couronnement de Hailié Sélassié Ier, empereur d’Ethiopie en 1930. La diaspora africaine, dans le contexte de colonialisme européen sur le continent africain, en a fait un roi d’indépendance, dans un royaume définitivement insoumis. Modèle, Hailé Selassié devient le Ras Tafari (prince créateur). Dès lors, après le Dieu, il faut trouver le clergé. « Marcus Garvey devait s’avérer pour la foi plus que le Saint Jean-Baptiste des rastas »[1]. Il crée la Black Star Line, devant permettre aux noirs d’avoir de l’argent. Au final, Garvey est le véritable fondateur du rastafarisme, dans ses écrits et ses faits, créant une véritable religion. Leonard Howell est probablement le véritable père du rastafarisme moderne. Avec Archibald Dunkley et Joseph Hilbert, il impose Selassié, dans une véritable mythologie du noir libre : c’est le premier modèle noir. Pour résumer de façon courte, Garvey est une des influences du rastafarisme, et c’est Howell qui popularise et théologise cette religion véritable. La philosophie du Jah, du Dieu, ou Babylone, symbolisant les puissances occidentales (ou plutôt les puissances qui s’opposent à la vertu rastafarienne), imbibée d’herbe et de cannabis, se trouve donc dans les ghettos urbains, dont Trench Town, la où habite Bob Marley. Si Leonard Howell est le « Gong », Bob Marley est le « Tuff Gong ». C’est inévitablement une nouvelle figure du rastafarisme, plus qu’un prédicateur à l’image de Jean Gerson : il s’agit d’un saint. Saint Bob Marley. La volonté de sortir du ghetto, de sa condition sociale, c’est le studio et la musique. La religion passe donc par la musique, à l’image des chants d’harmonies chrétiennes de la fin du Moyen Age. Bob Marley, par sa grande influence internationale, devient donc un véritable saint-prédicateur (que l’on remarque dans Exodus, par exemple) : la promotion et la technique a permis d’internationaliser le reggae, musique du mouvement rastafari. Malgré tout, s’il faut nuancer, c’est que cette philosophie religieuse n’est cependant pas dogmatique, dans une volonté toujours de sortir de soi-même en étant soi-même. Elle parait de moins en moins cohérente dès lors, car non-oppressive, mais elle touche.

Que reste-il de Bob Marley ?

Pour finir, il nous faut répondre à la question « Qu’est-ce qu’il reste de Marley ? ». Inévitablement, il en reste une dimension musicale, nationale, et spirituelle importante. Pour le dire plus clairement, Bob Marley était la Jamaïque et plus que ça, il était le reggae. Spirituellement, il a su faire évoluer le rastafarisme, dans une perspective plus sociale, plus antisystème. Bob Marley est le premier artiste contre la mondialisation, devenant, à fortiori, la voix du tiers-monde, et du métissage. Artistiquement, il a su donc trouver une place importante et a permis de susciter des passions pour le type de musique, au même titre que Burning Spear, ou même de son frère ennemi (plus radical que lui dans ses positions anti-Babylone) Peter Tosh. Des groupes comme Danakil, Fundé, voire même dans une certaine mesure Sinsemilia ou Tryo, ou même des labels de productions comme X-Ray Productions ont su trouver leur place. Même, si on peut considérer l’apogée du reggae sous le « règne » de Bob Marley, le mouvement dancehall et ragga qui s’impose de plus en plus dans nos discothèques et radios dites « jeunes » se place dans la lignée du reggae, malgré elle. Dans tous les cas, il reste de beaucoup de culture reggae dans nos cultures occidentales, preuve que ces dernières savent assimiler des cultures différentes, et ne sont pas fermées comme on peut l’entendre.

Par ailleurs, le 10 mai à la Bastille se trouvaient Yannick Noah, Dub Inc et Alpha Blondy, des chanteurs aux dreadlocks et tresses apparentes. Clin d’œil ou simple coïncidence ?

A consulter : – Enquête de Liberation http://next.liberation.fr/musique/01012336560-comment-la-tele-francaise-a-enterre-bob-marley

                          – Interview de VSD http://www.vsd.fr/contenu-editorial/en-coulisses/en-interview-avec/1859-bob-marley-linterview-inedite?xtor=RSS-3

                         –  BRADLEY Lloyd, Bass Culture, Quand le reggae était roi, Paris, Editions Allia, 2005.

By Mickael Chailloux

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