Carnet de Route de Goéland

Article paru dans le Valeurs Actuelles du 16 novembre, sur la Fondation du Patrimoine… Une fondation dont j’aime bien la philosophie, la conception de la sauvegarde du « petit » Patrimoine, et auprès de qui j’ai failli avoir du boulot… Mais je ne désespère pas, ils peuvent toujours me rappeler…

Fondation du patrimoine, dix ans de sauvetage

Valérie Collet, le 09-11-2007

Institution privée, l’État lui a cédé la sauvegarde de notre patrimoine de proximité. Elle fête sa millième souscription publique et son cinq millième label.

Nichée sur un promontoire, à l’écart du village, au cœur des vignobles champenois, la petite église de Saint-Crespin d’Écueil (Marne) jette tous ses feux sous les rayons dorés du soleil automnal. Avec sa nef romane du XIIe siècle, son chœur et son transept gothiques auxquels furent ajoutés, six cents ans plus tard, des collatéraux et de grandes fenêtres, l’édifice que borde un petit cimetière a conservé tout son charme et son authenticité. Il a simplement quelques défauts à sa cuirasse.

Qui s’approche observe, en effet, de grandes fissures sur les parements et sur les voûtes, des joints délités, des désordres de maçonnerie. L’eau s’infiltre à travers le toit et, à l’extérieur, on a dû installer des poutres de soutien sur certains murs… Tout ne va pas au mieux pour la belle champenoise dont l’état demande une restauration évaluée à 500 000 euros. Une coquette somme pour cette commune de 323 habitants qui n’a guère envie, pour autant, de voir disparaître son joli clocher.

C’est le millième dossier passé entre les mains de la Fondation du patrimoine, qui, pour cet édifice comme pour tant d’autres, a prodigué ses conseils et organisé une souscription publique (avec demande de subventions au conseil régional et au conseil général). Comme pour bon nombre de perles patrimoniales locales, les Champenois sont invités à ouvrir leur portefeuille. Quand on aime, on ne compte pas ? L’avenir dira s’ils donnent raison à l’adage… En attendant, la fondation souffle ses bougies car elle fête aujourd’hui ses dix ans.

Créée par la loi du 2 juillet 1996 mais effective à partir de 1997, cette institution, à cheval entre le public et le privé, et que préside aujourd’hui Charles de Croisset, aide à préserver le patrimoine national non protégé par l’État. C’est-à-dire tout ce patrimoine souvent dit “de proximité” que sont les vieilles granges, les abris, les moulins, les vitraux de nos petites églises, les chapelles, les lavoirs, les fours à pain… En France, il s’évalue à environ 500 000 édifices originaux ou simplement intéressants, publics ou privés (contre 45 000 édifices protégés). Ceux-là même qui font notre mémoire et constituent les traces de notre histoire.

La naissance de la fondation, en 1997, marque une véritable révolution. Structure privée créée par l’État pour mobiliser le secteur privé, elle correspond à la grande époque de la décentralisation et à une certaine volonté de désengagement de celui-ci pour ce qui est du patrimoine. En France, depuis le milieu du XIXe siècle, contrairement à d’autres pays (le Royaume-Uni, l’Allemagne), l’État, accompagné des collectivités locales, tenait les rênes dans ce domaine. Il y a dix ans, il a pensé qu’il ne pouvait plus supporter une telle charge et que citoyens et entreprises devaient participer… Un pis-aller, donc, dans un contexte difficile. Les débuts de la fondation, qui considère avoir atteint aujourd’hui sa vitesse de croisière, ne le furent pas moins : « Jusqu’à aujourd’hui, notre rôle a moins été de subventionner que de fédérer les gens autour de projets de sauvegarde en lançant par exemple des souscriptions publiques pour lesquelles les gens peuvent verser de 20 à plus de 1 000 euros. Nous avons progressé pas à pas », explique Frédéric Néraud, son directeur général.

Après l’installation, en 2000, d’un premier réseau de délégués régionaux, départementaux ou de pays (ils sont aujourd’hui 286 à travailler bénévolement), la Fondation du patrimoine a négocié avec le ministère des Finances la mise en œuvre d’un label donnant aux propriétaires privés, sous certaines conditions, des avantages fiscaux pour leurs projets de restauration. Puis, après le lancement des accords de partenariat avec les départements et les régions, elle a remporté une nouvelle victoire en se faisant attribuer, par la loi de finances pour 2003, une fraction du produit des successions en déshérence (50 % à partir de 2006). Enfin, le partenariat avec des mécènes tels que Total, Veolia Environnement, Dexia, les Mousquetaires ou Lafarge Granulats lui a donné, depuis l’an dernier, des moyens supplémentaires (11,7 mil­lions d’euros au total).

En dix ans, la fondation a aidé 7 600 projets (1 800 en 2006) pour un montant de travaux de 500 millions d’euros. Pour la seule année 2006, 1 041 labels à incidence fiscale ont été octroyés et 356 projets ont donné lieu à des souscriptions (contre 225 en 2005), apportant au total 2,8 millions d’euros. Une goutte d’eau dans l’océan des 500 000 édifices patrimoniaux répertoriés en France. L’avenir réservera peut-être de nouvelles surprises car jamais les Français ne semblent avoir été aussi préoccupés par leur patrimoine. Une mode qui, malheureusement, semble bien inversement proportionnelle à l’intérêt du ministère de la Culture…

« Patrimoine, le mot est beau, il sonne bien, il sent bon. Derrière la raideur de son P de majesté, qui honore la propriété et lui confère sa respectabilité et l’autorité de grands, se dissimulent pourtant des rondeurs et une familiarité de bon aloi qui s’appellent la tradition, la simplicité, les marques familiales, valeurs devenues trop discrètes à une époque qui veut aller vite », écrit avec raison Michel Vicq, délégué de Meurthe-et-Moselle. Tous les types de patrimoine sont éligibles à l’action de la fondation, qu’il soit industriel, artisanal, religieux, maritime et fluvial, rural, militaire, artistique, funéraire… Ainsi, la minuscule chapelle Notre-Dame-de-Pitié, à Chevannes (Loiret), totalement en ruine et envahie par la végétation, a-t-elle pu être rénovée et rouvrir ses portes l’an dernier.

« Mais nous ne restaurons pas pour restaurer, reprend Frédéric Néraud. Si certains lieux sont aujourd’hui en mauvais état, c’est qu’ils sont sortis à un moment donné de la vie économique et sociale. Notre but est de les faire revi­vre. » C’est le cas pour le temple protestant de Chamonix (XIXe siècle), la rotonde ferroviaire de Longueville (Seine-et-Marne), le Cirque d’hiver à Paris (lire aussi page 80). Ou encore les corons de Wallers (Nord) dont les trente-cinq maisons ont été réhabilitées en logements sociaux. L’Abri du marin de Sainte-Marine (Bretagne), quant à lui, redeviendra un lieu culturel. Cette charmante maisonnette rose aux lignes art nouveau, fondée avec une quinzaine d’autres à la fin du XIXe siècle comme lieu de loisir et d’éducation par le philanthrope Jacques de Thézac, comprenait une bibliothèque et on y dis­pensait des cours de secourisme ou de matelotage. Pour lutter contre l’alcoolisme, on n’y servait que des tisanes à l’eucalyptus !

On citera encore l’Auberge des sœurs Moisy (Normandie, fin XIXe siècle) dont les murs ont conservé d’étonnants portraits peints à la lueur de la bougie par les artistes qui la fréquentaient. Ou encore le moulin du Got (Limousin, XVe siècle), l’un des derniers ensembles homogènes de l’industrie traditionnelle du papier, qui a pu repren­dre une activité grâce à la mobilisation de la commune, aux 250 adhérents et aux six salariés de son association. Le patrimoine, un moyen (presque) gratuit de voyager dans le temps…

A voir sur le site de Valeurs actuelles, et celui de la Fondation du Patrimoine….