Brice Hortefeux sera en première ligne mardi à
l'Assemblée pour présenter le projet de loi sur l'immigration. La
polémique autour du recours au test ADN pour les candidats au
regroupement familial a fait rage la semaine dernière, mais le
patron su sulfureux ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de
l'Identité nationale front. Retour sur le parcours de ce fidèle
sarkozyste.
Longtemps, il parla à la place de Nicolas Sarkozy sans être jamais
cité. Du maire de Neuilly, du ministre, du président de l'UMP, du
candidat à l'élection présidentielle, il fut, selon les journaux, "
l'homme
lige", "
le porte-serviettes et le porte-flingue", "
l'incarnation
de l'identité sarkozyste". Désormais en charge du ministère de
l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du
Codéveloppement, Brice Hortefeux défendra, à partir de mardi, le
nouveau projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à
l'intégration et à l'asile. "
Un texte qui allie fermeté et
protection, argumente-t-il,
qui permettra de mieux équilibrer
immigrations issues du regroupement familial et économique et
limitera les dangers du communautarisme." Pour cet angoissé
ambitieux de 49 ans, l'heure du vrai baptême du feu est venue.
"
L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare", se plaît à dire
Brice Hortefeux. Il se voyait devenir ministre de l'Intérieur, mais
cette fois, il a été pris au dépourvu. C'est Michèle Alliot-Marie
que Nicolas Sarkozy a installée Place Beauvau. Hortefeux a-t-il payé
l'impair commis en avril, quand il proposa, en pleine campagne,
d'instaurer une dose de proportionnelle aux législatives, laissant
supposer que le candidat de l'UMP se montrait décidément très
prévenant à l'égard du Front national ? "
C'est intolérable,
avait alors hurlé Nicolas Sarkozy.
Il y aura de grosses
déceptions à l'arrivée. Je l'ai trop gavé, maintenant il fait
n'importe quoi !"*
"L'Intérieur ? Evidemment que ça m'aurait plu"
Brice Hortefeux préfère penser qu'une comparaison encombrante lui
barra la route: celle qui le rapproche souvent de feu Michel
Poniatowski, influent et sulfureux ministre de l'Intérieur de Valéry
Giscard d'Estaing. "
On aurait dit qu'en plaçant son fidèle à ce
poste, il allait avoir encore plus la mainmise sur l'appareil
policier", estime-t-il. Autre raison invoquée: il fallait un
homme sûr pour diriger ce nouveau ministère de l'Immigration dont
l'acte de naissance fit quelque scandale (Marie-George Buffet
invoqua Vichy, François Bayrou parla d'une "
remise en cause des
principes républicains les plus élémentaires") mais séduisit une
large part des électeurs habituels du FN.
"
L'Intérieur ? Evidemment que ça m'aurait plu. Mais le défi que
j'ai à relever - préserver la cohésion nationale - est passionnant",
assure Hortefeux. Sans compter que, comme le glisse perfidement un
de ses collaborateurs, "
pendant que Michèle Alliot-Marie préside
une réunion sur les croisements de chiens dangereux, nous, on
élabore le projet de loi sur l'immigration. C'est quand même d'une
autre importance..." Le voici donc Premier ministre de
l'Immigration et de l'Identité nationale. Pourquoi lui ? Etait-il le
seul à pouvoir assumer cette politique sans états d'âme ? "
C'est
exactement ça", confirme l'intéressé, figure détestée d'une
grande partie de la gauche mais défendue par Dominique Sopo,
président de SOS Racisme: "
Il est clairement à droite, mais ce
n'est pas un psychopathe de l'expulsion."
Sarkozy: "Avec Brice, on aura des résultats"
Brice Hortefeux a tendance à voir des trotskistes un peu partout,
surtout chez les défenseurs des sans-papiers (lui dit "
clandestins").
Il aime l'ordre, estime que "
l'organisation permet la liberté"
et répète que "
tout étranger en situation irrégulière a vocation
à quitter le territoire". Y compris les parents d'enfants
scolarisés, à l'exception de quelques cas particuliers qu'il se dit
prêt à examiner personnellement - "
sinon, ça veut dire "venez
tous"". Ainsi vient-il de régulariser Mme Zhang, mère de famille
chinoise vivant à Paris dont le cas a été récemment médiatisé. Mais
à une interlocutrice favorable à une plus large régularisation, il
répond, cassant: "
C'est ça. Et après je les enverrai tous chez
vous !"
A l'entendre, son profil répondait trait pour trait aux attentes du
président de la République: un fidèle discret, moins gaffeur qu'un
Patrick Devedjian et efficace. "
Avec Brice, on aura des résultats",
aurait assuré Sarkozy. Les deux hommes se connaissent depuis 1976,
quand le premier dit au jeune leader UDR survolté: "
Je veux
travailler avec vous." Tous deux ont étudié le droit et
fréquenté Sciences-Po sans en décrocher le diplôme. Ils croient l'un
en l'autre. "
Maintenant, il faut aller jusqu'au bout", lance
Hortefeux à Sarkozy dès 1984. Ensemble ils prendront la mairie de
Neuilly, où il est né, l'UMP, l'Elysée. Nicolas Sarkozy fera de lui
le parrain de son fils Jean.
En 1995, Brice Hortefeux est nommé préfet. Sa promotion suscite un
tollé dans le corps préfectoral. Un recours est déposé devant le
Conseil d'Etat mais, une nouvelle fois, Nicolas Sarkozy est derrière
lui. Quatre ans plus tard, Sarkozy, élu député européen, lui cède
son fauteuil à Strasbourg. Les années passent, l'un joue le rôle
vedette, l'autre celui du conseiller courtisé, influent, écouté et
craint. De son mentor, Hortefeux apprend l'art de parler à bâtons
rompus, en mêlant confidences "off" et déclarations officielles,
laissant son interlocuteur faire le tri. Comme le Président, il peut
dire des horreurs sur d'autres hommes politiques, surtout s'ils font
partie de son camp, les traitant de "
connards, complètement
malades, vieux cons, vraiment pas fiables..." Parfois, le
vocabulaire est recherché. Ainsi Jean-Louis Debré souffrirait-il de
psittacisme: "
Une tendance à répéter mécaniquement les choses.
C'est généralement bénin chez les enfants."
"S'il se présente aux municipales, on verra s'il en a !"
Imitant à la perfection Valéry Giscard d'Estaing, il manie un humour
souvent brillant, plus délicat que celui dont use son ami Jean-Marie
Bigard. Jack Lang, Michel Charasse, Marielle de Sarnez apprécient
aussi cette ironie "
très british, très brillante, signe d'une
grande intelligence" qu'évoque Xavier Darcos, ministre de
l'Education nationale, qui siège à ses côtés lors des Conseils des
ministres. A l'occasion, ses bons mots savent se faire assassins,
mettant parfaitement mal à l'aise et ciblant aussi bien le président
d'une association d'aide aux réfugiés que celui du conseil général
du Rhône, comme jeudi à Lyon, ou qu'un député agaçant, vendredi en
Haute-Loire. Que faire, sinon sourire bêtement et longuement en
avalant sa salive ? Car le ministre, vite coléreux, accepte
difficilement la contradiction et le sarcasme formulé à son
encontre.
Haute stature, maintien droit (il est colonel de réserve dans
l'armée de l'air), mocassins cirés à la perfection, boutons de
manchettes brillants, costumes Lord un brin démodé, cheveux rares et
blonds, teint pâle mais joues roses... Ce "
lézard dangereux",
selon le député (ex-PC) Maxime Gremetz, "
est un homme courtois,
comme peuvent l'être les grands bourgeois, mais qui manque
d'humanité", assure la députée socialiste Odile Saugues, qui le
côtoie depuis longtemps à Clermont-Ferrand où Hortefeux, d'origine
auvergnate, revient chaque fin de semaine. "
Clermont, c'est une
ville ouvrière. Ce n'est pas son monde, reprend cette ancienne
employée Michelin.
Mais je lui reproche surtout son manque de
courage. C'est facile de se moquer des autres quand vous savez
qu'ils n'oseront pas vous répondre. C'est facile de faire carrière
dans l'ombre du futur président de la République. C'est moins facile
de se présenter face aux électeurs. Le suffrage universel, ça vous
tanne la peau. Alors, s'il se présente aux municipales, là, on verra
bien s'il en a !" Le bastion socialiste semble imprenable par la
droite. Mais le ministre rêve surtout de conquérir la région. Se
présenter aux municipales reviendrait à prendre date en attendant
mieux, lui qui philosophe sur l'ingratitude de la politique mais
court âprement après le pouvoir.
*Le Monde, 15 au 16 avril 2007.