La transition écologique: s’affranchir des illusions et trouver une voie

Le grand paradoxe politique de notre temps concerne la question écologique et plus précisément le changement climatique. Le paradoxe réside ici dans l’écart entre ce que nous savons et ce que nous faisons, c’est à dire entre la conscience du problème, de sa gravité et de son urgence et l’absence ou la faiblesse des actions en conséquence. Il n’est sans doute pas besoin de démontrer que les efforts qui ont été faits jusqu’ici, que ce soit à travers l’action des Etats et collectivités publiques ainsi que ceux des entreprises et des individus ne nous ont pas déviés d’un pouce de la voie macabre dans laquelle l’humanité s’est engagée. Et nous ne parlons pas uniquement des conséquences qui auront lieu dans 20 ans et plus. En 2000 l’OMS avait estimé que le changement climatique et ses conséquences causaient déjà 150 000 morts par an dans le monde et que le nombre allait s’accroître de manière exponentielle par la suite. Voir par exemple cet article du Point sur la question: http://www.lepoint.fr/actualites-monde/le-changement-climatique-pourrait-faire-des-millions-de-morts-d/924/0/269548

La majorité des efforts de communication des écologistes, au sens large de ceux qui militent pour la cause que ce soit par l’activisme ou par leur profession, se concentre sur l’augmentation de la conscience du problème, en faisant ainsi le levier principal de leur action. Or il est temps de conclure que cette stratégie seule, si elle a rendu la reconnaissance des problèmes environnementaux consensuelle dans la société, n’a pas produit les résultats escomptés en terme d’impact concret. Nous pensons que la question des solutions et stratégies politiques est trop délaissée. Nous allons donc aborder la question des solutions illusoires à laquelle beaucoup se raccrochent puis dresser une ébauche de la démarche de réflexion collective qui est à entamer.

L’échec des solutions magiques

La première de cette illusion étant la croyance au miracle technologique. L’idée selon laquelle nous allons trouver la nouvelle formule, le nouveau produit vert qui résoudra tous nos problèmes. Il est permis d’en douter. Si la recherche doit bien sûr être encouragée et financée, il n’est pas raisonnable de suspendre les efforts à un très hypothétique découverte miraculeuse, qu’il faudrait de plus appliquer en l’espace d’une décennie pour qu’elle soit d’un quelconque secours. Autre variante du technologisme, le projet d’un recours massif au nucléaire. Curieusement, les défenseurs de cette proposition se sont faits plus discrets ces derniers temps.

Il y a ensuite la croyance dans le pouvoir du marché. Le triste bilan des conférences internationales qui pariaient sur les mécanismes du marché est que les émissions de CO2 n’ont pas diminué. Non seulement ont-elles augmenté mais le marché des droits à polluer a créée une vaste bulle spéculative (Foster, 2010). Le transfert de technologies relativement plus « propres » est également une fausse solution. Ces technologies qui consomment moins d’énergie sont de fait moins coûteuses au quotidien, ce qui encourage leur usage et annule les gains en matière d’émissions.

Enfin l’espoir qui réside dans le pouvoir des petits actes de chacun dans le quotidien est largement surestimé. Il ne fait pas de doute que ces efforts sont à encourager. Ils participent à une prise de conscience de la finitude des ressources et reflètent une cohérence de comportement entre les paroles et les actions. Certaines actions ont également un impact local fort ou bien peuvent faire montrer la voie à d’autres. Toutefois prétendre qu’un peu de sobriété de la part de chacun suffira à sauver l’environnement ne résiste pas à l’analyse. Dans les années 1990, l’association les Amis de la Terre Pays-Bas avaient calculé qu’il faudrait que les néerlandais réduisent de 2/3 leurs émissions pour parvenir en 2010 à une empreinte écologique durable, c’est à dire qui puisse être adoptés par tous les peuples. Inutile de préciser que rien de cela ne s’est produit, alors même que les néerlandais ont une conscience écologique très développé.

Entamer le chemin

Nous ne traiterons pas ici de « la » solution politique à apporter, si même elle existe. Nous doutons de l’existence d’un modèle qui serait disponible clé en mains, ce qui n’empêche pas de prendre conscience d’une direction à suivre qui passe par l’esquisse de solutions positives et de la lutte contre les obstacles qui apparaissent sur le chemin. Parmi ceux-ci il y a bien sûr la question cruciale du système économique qui domine la planète. Est-il possible d’apporter une solution aux problèmes écologiques dans le cadre d’un système qui demande une croissance continue de la production de 3% (voir notre article « quid de la croissance »), qui n’est pas capable de prendre en compte d’autres critères que le profit à court terme et qui nécessite pour fonctionner une culture encourageant si fortement la consommation ?

Il s’agit plus ici de poser la question et d’en débattre plutôt que d’y apporter une réponse catégorique. Une analyse des solutions politiques à la question nécessite de marquer une distinction entre réponses à court terme, dictées par un certain nombre de contraintes dont il s’agit de prendre conscience avec réalisme, et vision à long terme dont il s’agit de poser les conditions en réalisant que, s’il n’est pas inutile d’avoir un plan, les choses ne se déroulent jamais comme elles étaient prévues, loin s’en faut.

S’agissant des réponses à court terme, il faut penser les possibilités et les limites de la démocratie représentative et de l’action étatique dans l’état actuel des rapports de force et de l’opinion publique. Cette réflexion nous pousserait plutôt vers une certaine modération dans le choix d’un candidat ou d’un parti qui serait capable d’accéder démocratiquement au pouvoir pour changer ce qu’il est possible de changer de l’intérieur du système. Le tout sans enthousiasme excessif qui n’engendrait que déception et en assumant un certain nombre de compromis. N’oublions pas non plus le pouvoir de la protestation, que ce soit par des actions ciblées « coup de poing » ou de grandes mobilisations qui lient revendications sociales et environnementales.

S’agissant des réponses à long terme, nous sommes ici portés à plus de radicalisme. Poursuivre le travail de désillusion de l’opinion publique, continuer à faire le lien et à passer des alliances avec ceux qui s’opposent aux mêmes choses que les écologistes pour des raisons différentes ou complémentaires en travaillant à intégrer ces courants de pensée dans une même synthèse.

Nous pensons bien sûr aux gauches mais aussi aux différentes traditions spirituelles et religieuses dont certains ont déjà montrés une volonté de lier ce qui relève de leur domaine à la question écologique. Absentes du débat public et de ce fait peu visibles en raison d’une certaine conception de la laïcité, l’influence combinée de ces traditions sur les esprits reste puissant et doit être mobilisé, au sein des communautés de croyants et au-delà pour produire les impératifs moraux, religieux ou spirituel qui sont nécessaires pour produire le type de changement envisagé.

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