Sardaigne, La Maddalena, le Zaca et Errol Flynn

Dans ma famille, on a souvent vécu sur des bateaux. Des paquebots surtout, dans les années 50, 60, mais pour moi, tous les bateaux ont la même poésie. C’est toujours un univers de voyage, de liberté, de fuite, d’ailleurs, loin et infini. J’ai eu de la chance. Ce week-end là, le Zaca était à quai. Un bijou. 35 mètres tout en bois, et une biographie inouïe. Et pas seulement à cause d’Errol Flynn. En fait, ce bateau là n’aurait jamais dû naître, vu que sa construction commença en 1928, juste avant la grande dépression. La crise n’empêcha pourtant pas son premier propriétaire, Templeton Crocker, un milliardaire américain passionné d’ethnologie, de finir son projet et de partir faire le tour de la terre à bord de ce qu’il voulait être, le voilier le plus luxueux du monde. Ils naviguèrent partout. De la baie de Sausalito aux Marquises, à Tahiti, Bali, Java, Singapore, Egypte, Malte, Cannes, Tenerife, Guatemala, San Diego, Santa Barbara et j’en passe… Des voyages comme on n’en fait plus, qu’il raconte dans ses carnets de bords, ses albums photos, toutes sortes de témoignages conservés maintenant à la California Academy of Sciences.
Au moment de la guerre, il décida de le vendre à la US navy qui en fit une station de radio.
En 1946, l’acteur Errol Flynn l’acheta, et à partir de là, l’histoire se complique. Il commença par s’en servir pour une expédition scientifique à Acapulco – un fiasco complet. L’équipe déserta sitôt de retour. Errol Flynn décida alors de former un équipage mexicain et le loua à Orson Wells et Rita Hayworth pour le tournage de The Lady de Shangai.
On le retrouve ensuite à la Jamaïque, que l’acteur appelait sa maison. Ni l’un ni l’autre ne sont alors très en point. L’alcool, les drogues les fêtes, les copains d’Hollywood, tout se mélange à bord. Par manque d’argent, le Zaca n’est plus entretenu. En 1952, Errol Flynn quitte les États-Unis, ou les fuit, comme on veut, et vit à bord, à Palma de Mallorque. C’est la fin. Les fêtes continuent. Les rumeurs aussi. Quand il meurt à 50 ans, usé jusqu’à la moelle, le Zaca est aussi en fin de course. Abandonné à Villefranche-sur-Mer dans un état déplorable, les habitants demandent même à ce qu’il soit exorcisé pour le débarrasser de ses démons…
Aujourd’hui, il appartient à un homme d’affaire italien, charmant, qui a eu la gentillesse de faire une petite visite privée. Une expérience, vraiment. En passant de pièces en pièces, petites comme des coques de noix, en regardant les meubles victoriens, l’incroyable cheminée, je me suis dit que c’était comme entrer dans nos propres ténèbres intérieures. L’extérieur présentait parfaitement, rutilant, tout briqué de frais, l’intérieur était peuplé de combats, d’hallucinations, d’événement bizarres, de silhouettes du passé.

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