Paupières de terre

Vous l'avez sans doute remarqué, le Tenancier était occupé ailleurs.


En attendant une reprise du collier, voici un ouvrage qu'il a reçu récemment et qu'il compte bien mettre en vente sous peu, car la librairie vend quelques ouvrages neufs. On se doit d'aimer ce que produit Claire d'Aurélie sous le nom de Paupières de terre. Sous des présentations sobres et souvent élégantes, elle nous fait découvrir quelques poètes ou écrivains. Certes, Jacques Roman n'est pas un inconnu, tout de même, ni Bernard Noël, présent dans ses rayons également... mais cela vaut la peine de mettre le nez dans son catalogue, à l'aventure. Vous verrez à l'occasion d'autres ouvrages ici même.
Le présent recueil de poèmes est illustré de bois de Vincent Ottiger.
Si vous avez le temps d'attendre, venez au prochain Marché de la Poésie, cet été, n'hésitez pas à rejoindre son stand et de céder au plaisir d'une conversation avec l'éditrice.

Abrév. - 3e part. (version 1.2)

Alors voilà : on s'absente quelques jours pour être tranquille en son île de Gutenbergerie, on travaille, on travaille coupé du monde, des humains, des mouettes et des inter-mouettes dans la félicité sans partage d'une solitude salvatrice, et à son retour on s'aperçoit que le monde n'a pas changé. Les politiques politiquent toujours sans conscience, les mirlitaires étripatouillent toujours de l'ennemi avec délices et sans remords, les scientifiques scientifient toujours sans crédits, les littéraires écrivassent toujours sans mesure et le tenancier de ce lieu peu fréquentable s'entête, comme toujours, à raconter des calembredaines.
Rectifions-donc une fois de plus, sans conscience, sans remords, sans crédits et sans mesure.

I

ill. --- illuté. Ouvrage trempé volontairement dans la boue. Ce traitement de faveur était réservé aux ouvrages proscrits qui ne méritaient pas encore l'auto-da-fé.
illust. --- illustrissime. Édition célèbre et recherchée d'un texte reconnu.
impr. --- 1. - impromptu. Ouvrage de typographe, improvisé sans manuscrit préalable et composé directement au plomb. L'oeuvre de Nicolas Restif de la Bretonne est constitué en grande partie d'impromptus. --- 2. - imprégné. Ouvrage pour dames dont les pages étaient parfumées. Ainsi ces dames pouvaient lire agréablement au boudoir tandis que ces messieurs suffoquaient au fumoir. --- 3. imprenable. Ouvrage de très grand format dont la manipulation est quasi impossible.
introd. --- introduit (désuet). Synonyme : découronné ; antonyme : vierge (désuet). Se disait des ouvrages brochés et non massicotés après le découpage des cahiers par un premier lecteur aux fins de séparer les pages. L'ouvrage, suivant le degré de douceur ou d'impatience du lecteur pouvait être introduit en douceur, à l'aide d'une lame point trop coupante, ou brutalement à l'aide d'un doigt grossier. L'état de l'ouvrage défloré pouvait afficher un traumatisme que seules la restauration et la reliure pouvaient tenter d'atténuer ou de masquer. La rectification des ouvrages au massicot trilatéral rend, de nos jours, inutile cette agréable pratique.
inc. --- inculte. Désigne les monuments de bêtise non voulue et de fatuité.
int. --- intangible. Contraire absolu d'inc. Désigne un ouvrage de si haute portée que seuls quelques individus peuvent en apprécier les beautés et les vérités réelles.
ital. --- itou (ancien français itel, du latin hic talis), aussi. Jargon de libraire d'ancien qui rend hasardeuse la lecture d'un catalogue pour un amateur non averti. Exemple : Canon romain ital. composé en romain gros romain (traduction : Canon romain composé aussi en caractères droits de corps 16 [approximativement 6 mm de haut]).

J

jans. --- ajonc. Reliures finement tressées de brins d'ajonc de très petit diamètre, diversement colorés. Ces reliures étaient réalisées traditionnellement par des enfants parce qu'ils avaient les mains fines et habiles et qu'on ne les payait pas ou très peu. Elles ornaient le plus souvent les ouvrages de culte : bibles, missels, livres d'heures, etc. et étaient fort appréciées du haut clergé.

L

L.A. --- littérature anthropomorphique. Études sur l'apparence de Dieu rédigées par des auteurs profanes.
L.A.S. --- littérature anthropomorphique sacrée. Idem, rédigées par des auteurs béatifiés ou sanctifiés.
L.S. --- littérature sacrée. Tout texte religieux. De la Bible au Standinge selon Bérurier en passant par le Kama Soutra, le Matin des magiciens, le Necronomicon, le Popol Vuh et le Lacroux en douze volumes.
lith., lithogr. --- lithograffiti. Mots ou phrases écrits par des hommes (des femmes, par exception) sur les murs alors qu'ils urinent debout. Ce type de littérature a été étudié dans quelques rares ouvrages assez recherchés.

M

marb. --- marbre. Ouvrage sur les intailles funéraires (recensement, historique, technique).
maroq. --- ma roquette (bobine). Trombinoscope de célébrités à galons dorés.
miniat. --- mini atlas. Atlas de poche pour voyageurs à pied.
mod. --- modeste. Ouvrage de peu de valeur pécuniaire mais dont le contenu est de bon aloi.
mouch. --- mouchoir. Tous les fluides et productions du corps humain peuvent se retrouver entre les pages d'un livre. La morve ne fait pas exception. Les ouvrages décorés de cette manière sont dénommés mouchoirs par les libraires d'ancien. Certains amateurs particuliers collectionnent ces ouvrages uniques.
mouill. --- mouillettes. Ouvrages, généralement érotiques, cachés dans des lieux adéquats aux fins d'être compissés de nombreuses fois avant d'être récupérés pour être lus avec délectation par leur légitime propriétaire. Les amateurs de mouillettes peuvent l'être aussi de mouchoirs. On en connut un dont la maîtresse pièce de collection était la mouillette d'une étude sur les lithograffiti romains du Bas-Empire.
mq., mque. --- moque ou moquerie. Recueil de traits d'esprit ou de mots ironiques sur un sujet donné.
ms. --- mauvais. Livre bourré d'annotations manuscrites rendant la lecture quasi impossible et vendu bon marché par le bouquiniste pour s'en débarrasser.

CLS

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Si vous avez manqué le début :

Abrév. - 1ere part.
Abrév. - 2e part.
Abrév. - 3e part.

... et bien sûr les correction apportées par CLS qui valent tout même mieux que cette triste liste (bien pratique cependant, non ?) :


Abrév. - 1ere part. (version 1.2)
Abrév. - 2e part. (version 1.2)

(A suivre...)

Le petit dernier


Le petit dernier de Fornax éditeur. La maison étant avare de renseignements on ira cliquer de temps en temps sur le site pour voir si CLS s'est fendu d'un descriptif plus complet.
Le Tenancier est de toute façon vivement alléché !

Le Magnifique et le Justicier

Le libraire, et peu importe son champ d’activité, est souvent amené à travailler avec des bibliographies, listes parfois fort longues, desséchantes et néanmoins indispensables. Il est nécessaire d’être précis dans un descriptif, raison pour laquelle, jamais assuré de ce qu’il sait, un professionnel idéal se doit de mettre le nez dans les sources.
Pourtant, ce recours n’est qu’une facette du métier. Outre ses lectures, ses souvenirs et ses bibliographies, il doit également alimenter ses connaissances par le truchement des sources «secondaires», qui ne le sont point tant au bout du compte.
Ainsi, les biographies, les revues littéraires et les bulletins d’associations littéraires sont autant de pièces utiles pour aider le libraire dans ses recherches autour des livres qu’il veut mettre en vente. Pour autant, on s’éloigne de l’austérité de la recherche bibliographique pure. Des idées s’agitent, l’ombre des acteurs du temps passé s’esquisse au coin du regard, tout cela aide à une compréhension plus intime d’un auteur, d’une époque, d’un courant littéraire et, ainsi, à une expression plus subtile et plus maîtrisée des notices bibliographiques rédigées sur les catalogues ou pour la vente sur internet.

Il y a peu, je vous faisais part de l’existence du blog autour de Saint-Pol-Roux et d’un bulletin dont le numéro 3 ne devrait pas tarder à paraître. Je me suis abonné. Pourtant, je n’ai pas une admiration éperdue pour ce poète que j’estime grandement malgré tout. Je n’ai pas de Saint-Pol-Roux dans ma bibliothèque personnelle. J’en ai toutefois lu. Alors pourquoi m’être abonné ? La raison en est simple, la plupart des bulletins littéraires, ne se préoccupent pas uniquement de l’auteur ou du courant traité. Ainsi, les deux premiers numéros traitent de la réception du «Reposoir de la Procession» et de «La Dame à la Faulx». Outre que ces dossiers me permettent de mieux comprendre l’œuvre de Saint-Pol-Roux, ils constituent un panorama de la réception critique d’un poète à la fin du dix-neuvième siècle. Ainsi, cette approche critique permet de resituer «idéologiquement» les revues littéraires et leurs critiques et alimenter un panorama de la vie culturelle de l’époque, riche et foisonnante.
Cette exploration par le petit bout de la lorgnette permet ainsi au libraire de continuer à alimenter ses connaissances et, point si incidemment que cela, d’éprouver une curiosité accrue envers Saint-Pol-Roux. Ce qui est mon cas.



Il semble bien que quelques ouvrages de Saint-Pol-Roux, Le Magnifique, finissent par rejoindre les rayons de ma bibliothèque personnelle (1).
Pour commander ces bulletins, la meilleure chose à faire est de consulter le site Les Féeries Intérieures. On en trouvera également dans le fonds de la librairie.
Rappelons ici également la parution de :

Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, mars 2009, 376 pages

PREMIÈRE PARTIE : ÉTUDES

Pierre MICHEL : « Octave Mirbeau et les personnages reparaissants »

• Yannick LEMARIÉ : « L’Abbé Jules : de la révolte des fils aux zigzags de la filiation »

• Fabienne MASSIANI- LEBAHAR : « Les états mystiques dans l’œuvre d’Octave Mirbeau »

• Robert ZIEGLER : « Le chien, le perroquet et l’homme, dans Le Journal d’une femme de chambre ».

• Claude HERZFELD : « Mirbeau et Fromentin chez les “peintres du Nord” »

• Christian LIMOUSIN : « En visitant les expos avec Mirbeau »

• Arnaud VAREILLE : « Le “mentir-vrai” de la chronique mirbellienne »

• Samuel LAIR : « Quelques observations sur les rapports entre Octave Mirbeau et Gustave Geffroy, à travers leur correspondance »

Sonia ANTON : « Style, poétique et genèse : propositions de lecture de la Correspondance générale d’Octave Mirbeau »

• Antigone SAMIOU : « La Réception de Mirbeau en Grèce »

• Jean-Claude DELAUNEY : « Mirbeau bibliophile, ou des clés pour la bibliothèque d’Octave »

• Jean-Claude DELAUNEY : « Tableau synoptique des livres constituant la bibliothèque d'Octave Mirbeau »

DEUXIÈME PARTIE : DOCUMENTS

• Tristan JORDAN : « La Comédie-Française a-t-elle accueilli Alice Regnault ? »

• Steve MURPHY : « Octave Mirbeau et un vers inédit de Rimbaud »

• Pierre MICHEL : « Deux contes inconnus de Mirbeau traduits du tchèque »

- Octave Mirbeau : « Le Petit nid d'amour »

- Octave Mirbeau : « Pour l’éternité... »

• Pierre MICHEL : « Un texte inconnu de Mirbeau en espagnol »

- Octave Mirbeau : « Deux hommes honorables »

• Pierre MICHEL : « Les romans de Mirbeau vus par l’Opus Dei »

• Pierre MICHEL et Christian LIMOUSIN : « Octave Mirbeau et Paul Signac – Une lettre inédite de Signac à Mirbeau »

• Pierre MICHEL : « Mirbeau et le paiement de l’amende de Zola pour J’accuse »

- Octave Mirbeau : lettre inédite à Ernest Vaughan

• Pierre MICHEL : « Octave Mirbeau et le néo-malthusianisme »

- Octave Mirbeau : « Consultation »

- Octave Mirbeau : « Brouardel et Boisleux »

- Octave Mirbeau : « Dépopulation »
• Pierre MICHEL : « Mirbeau vu par Aleister Crowley »
- Aleister Crowley : « Octave Mirbeau »
• Mathieu SCHNEIDER : « Contre la Russie, pour l’Allemagne – Un article inédit d'Octave Mirbeau paru dans la presse autrichienne »
- Octave Mirbeau : « De l’alliance franco-russe »

TROISIÈME PARTIE BIBLIOGRAPHIE

1. Œuvres d’Octave Mirbeau. :

Correspondance générale, tome III (1895-1902), par Samuel Lair.

Correspondance Octave Mirbeau – Jules Huret, par Samuel Lair.

2. Études sur Octave Mirbeau :

• Samuel Lair, Octave Mirbeau l’iconoclaste, par Claude Herzfeld

• Claude Herzfeld, Octave Mirbeau – Aspects de la vie et de l’œuvre, par Pierre Michel

• Claude Herzfeld, Octave Mirbeau – “Le Calvaire” – Étude du roman, par Pierre Michel

Éléonore Reverzy et Guy Ducrey (éd.), Voyage à travers l’Europe, autour de “La 628-E8” d’Octave Mirbeau, par Pierre Michel

3. Notes de lecture :

• Wieslaw Malinowski (éd.), La Pologne et les Polonais dans la littérature française (XIVe – XIXe siècles), par Pierre Michel

Saulo Neiva (dir.), Déclin et confins de l’épopée au XIXe siècle : sur le « vieillir » d’une forme poétique, par Arnaud Vareille

• Claude Herzfeld, Flaubert – Les problèmes de la jeunesse selon “L’Éducation sentimentale”, les écrits de jeunesse et les romans de formation, et Flaubert – “L’Éducation sentimentale” – Minutie et intensité, par Bernard Garreau

• Auguste Villiers de l’Isle-Adam, Tableau de Paris sous la Commune, par Laurent Zaïche

• Éléonore Reverzy commente “Nana”, d’Émile Zola, par Pierre Michel

Cahiers naturalistes, par Yannick Lemarié

Huysmans et les romans de la conversion, par Samuel Lair

• Guy de Maupassant, Chroniques, par Pierre Michel

• Guy Ducrey (éd.), Victorien Sardou, par Philippe Baron

• Hélène Laplace-Claverie et alii (éd.), Le Théâtre français du XIXe siècle, par Philippe Baron

• Andrea Mariani (éd.), Riscritture dell’Eden – Il giardino nell’immaginazione letteraria : da Oriente a Occidente, par Pierre Michel

Carmela Covato (éd.), Metamorfosi dell’identità. Per una storia delle pedagogie narrate, par Fernando Cipriani

• Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière – Réception d’une scénographie clinique : Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-de-siècle, par Céline Grenaud

• Alain (Georges) Leduc, Résolument moderne – Gauguin céramiste, par Pierre Michel

• Véronique Nora-Milin et alii, Eugène Carrière (1849-1906) – Catalogue raisonné de l'œuvre peint, par Sylvie Le Gratiet

Edmond et Jules de Goncourt, L'Art du XVIIIe siècle, par Christian Limousin

Jean Lorrain, Chroniques d'art, par Christian Limousin

• Dominique Bona, Camille et Paul, La Passion Claudel, par Michel Brethenoux

• Caroline Granier, Les Briseurs de formules – Les écrivains anarchistes à la fin du XIXe siècle, par Caroline Granier

• Michel Ragon, Dictionnaire de l’Anarchie, par Clémence Arnoult

• Philippe Oriol, Histoire de l’affaire Dreyfus, tome I, par Pierre Michel

Marguerite Audoux, Douce Lumière, par Bernard Garreau

David Van Reybrouck, Le Fléau, par Maxime Benoît-Jeannin

• Jelena Novakovic et alii (éd.), Le Surréalisme en son temps et aujourd’hui, par Milica Vinaver-Ković

Alain (Georges) Leduc, Roger Vailland (1907-1965). Un homme encombrant, par Élisabeth Legros

• Carmen Boustani et alii (éd.), La Mutation du masculin et du patriarcat aujourd’hui, par Carmen Boustani

• Claude Herzfeld, Jean Rouaud et “Le Trésor des humbles”, par Samuel Lair

Marc Bressant, La Dernière conférence, par Alain Gendrault

4. Bibliographie mirbellienne, par Pierre Michel

Nouvelles diverses.

Mirbeau au théâtre – Mirbeau sur Internet – Le Jardin des supplices, opéra virtuel – Lettres inédites de Mirbeau à Hervieu – Staline et Mirbeau – René Ghil, Mirbeau et Saint-Pol-Roux – Mirbeau, les médecins et Arsène Lupin – Business is business au cinéma en 1915 – Rues Octave Mirbeau – Ramuz, Rey-Millet... et Mirbeau – Les Éditions du Boucher – Marcel Schwob – Jules Renard – Saint-Pol-Roux – Carrière et Besnard Le Grognard, Amer et L’Œil bleu Sophia

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Pour en savoir plus, c'est .
En ce qui concerne Mirbeau, le seul souci consiste à terminer ce que je possède déja...

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(1) - Rappelons que « ma » bibliothèque « personnelle » n’est en aucun cas un pléonasme pour le libraire. Il en possède au moins trois : personnelle, professionnelle (les références) et celle de la librairie. Il y a quelquefois des allées et venues entre celles-ci.

Signez ici !

Lors de la présentation de l’ouvrage de Raymond Gid, une de nos lectrices assidues fit allusion à une mention que j’avais donnée dans le descriptif de l’ouvrage, à savoir qu’il avait été justifié par l’auteur. A juste titre, elle s’interrogeait sur le fait que la justification que je donnais ne concernait pas le contenu. En fait, en d’autres termes, il apparaissait que la disposition de la typo n’était pas alignée à droite et à gauche, c’est à dire justifiée, selon les termes du métier.

La justification de tirage de "Comptine pour saluer le métier de marbreur", ouvrage présenté dans un précédent billet
En effet, ici, le terme ne s’appliquait nullement à la disposition typographique mais avait un rapport avec le tirage de l’ouvrage. Pour plus de clarté, on reviendra dans un article ultérieur sur la mise en page car il appelle quelques développements qui risqueraient de nous mettre dedans. Ce serait malheureux : on vient à peine de sortir de la torpeur...
La notion de bibliophilie a toujours été accolée à celle de tirages restreints ou à tout le moins limités pour l’un de ses composants. Pour vérifier la justesse de ce tirage, on avait coutume de numéroter les exemplaires, souvent même d’y appliquer plusieurs types de numérotation selon les papiers : chiffres arabes, romains, alphabet.

Une justification de tirage de "Un Pari de milliardaire" de Mark Twain, au Mercure de France en 1925. Une numérotation toute simple, pas de déclinaison de papier puisque nous sommes ici face à une réédition.
Cette disposition pratique est encore en usage dans la bibliophilie contemporaine, elle est utilisée notamment dans les exemplaires sur « beau papier » de chez Gallimard ou des Éditions de Minuit, souvent avec une numérotation unique. Cette numérotation excite un morne fétichisme qui veut que le n° 1 ait plus d’intérêt que le dernier numéro du tirage. A notre sens, ces exemplaires se valent : même papier, mêmes couvertures et peut-être même vague ennui que procurent ces publications, sauvées parfois par leur contenu non par leur façon : offset sur vélin, brochage industriel, la belle affaire…
Mais, la bibliophilie c’est aussi autre chose, de ces livres, quelquefois aux tirages confortables, qui se font des mines en parant leurs justifications de tirage d’ajouts baroques, de signatures d’artistes, d’éditeurs, d’illustrateurs, voire des trois…
Justification, le mot est lâché, enfin.
La justification de tirage, ou colophon, est le moyen par lequel l’éditeur fera connaître la teneur du tirage : la qualité et le nombre de beaux papiers proposés, leur quantité dans chaque papier et le numéro qui insère l’ouvrage que vous tenez dans les mains dans cette série. Or, parfois, l’éditeur – ou l’auteur, ou l’illustrateur – ont pour mission d’apposer leur paraphe pour authentifier le travail de l’imprimeur : ainsi, point de double tirage (on est pas dans les lithos de Dali…) Le libraire, devant cette signature, dans le descriptif, dira ainsi que cet exemplaire a été justifié par l’éditeur, par exemple. Ce qui était le cas du livre de Raymond Gid, qui en était également l’auteur.

Justification avec la marque de l'auteur, Rachilde pour "La Jongleuse", au Mercure de France...
... avec la marque du traducteur, Henry-D. Davray, pour les "Premiers Hommes dans la Lune" de Wells, au Mercure de France

Évidemment, ce qui est possible pour une centaine d’exemplaires devient une entreprise quelque peu malaisée lorsqu’il s’agit de justifier un tirage pour le grand public. Or, ce besoin se fit sentir chez quelques éditeurs scrupuleux, désireux que chaque volume dont on avait fixé le tirage au préalable fut approuvé par l’auteur. A cette fin, ces auteurs furent dotés d’une marque personnelle apposée au colophon, lors du tirage. Cette méthode fut quelque fois utilisée aux XIXe et XXe siècles, comme le Mercure de France, Gallimard (rarement, il est vrai), la petite collection Les Introuvables, etc. Ces mêmes eurent recours bien plus souvent à la numérotation. Quelquefois, l’on trouve également la signature imprimée de l’éditeur, certifiant que l’ouvrage émane bien de son officine, précaution quelque peu superfétatoire à une époque ou les contrefaçons littéraires s’étaient estompées depuis plusieurs années.

Ces justifications de tirages du Mercure de France ont été collationnées et reproduites par CLS dans l'ouvrage ci-dessus. Il a du reste récidivé pour Les Introuvables, ci-dessous. On peut se procurer ces ouvrages dans d'excellentes librairies, de qualité... et dont le Tenancier est un être exquis et spirituel - ou bien chez l'éditeur.

Enfin, la bibliophilie moderne redécouvrit la signature originale pour des tirages réduits. Parfois, la justification pouvait même s’accompagner d’une phrase originale de l’auteur, d’un petit dessin, tout dépendait également de l’importance de l'ouvrage ou du projet bibliophilique. Bien sûr ces signatures ne revêtent pas autant d’importance que les envois autographes des mêmes, mais elles témoignent d’un contrat passé entre l’éditeur, l’auteur et son lecteur au terme duquel cet ouvrage a été approuvé et tiré scrupuleusement.

Justification de tirage pour "Marie Mathématique", de Jean-Claude Forest. Pour ce tirage de tête, l'auteur a à la fois apposé sa signature et son monogramme (qui est la transcription idéogrammatique de son nom)

De gauche à droite : CLS qui réalisa la maquette et l'impression de "Marie Mathématique", André Ruellan, co-auteur, Jean-Claude Forest, l'auteur, et le Tenancier de ce présent blog qui eut la chance de publier tout cela ! On assiste ici à la séance de signature où l'auteur compléta la justification de tirage, comme plus haut...
Ainsi, lorsqu’un libraire mentionne qu’un ouvrage a été "justifié", cela signifie que vous y trouverez une signature ou une marque quelconque qui authentifiera le tirage.

Minute, papillon...

Voici une jolie curiosité par Raymond Gid. Abstenons-nous de toute glose autour de ce créateur (affichiste et typographe) et laissons nous aller à quelques images papillonnantes...


Ces quelques collages épars sont issus de "Comptine pour saluer le métier de marbreur" - A Monthiaume, chez Raymond Gid, 1963 - in-8° en feuilles à l'italienne tiré à 100 exemplaires sur papier de Rives numérotés (et justifiés), ornés de chûtes marbrées par Duval, relieur-marbreur à Paris (Coll. part. du Tenancier)

Un scandale anodisé

« Il y encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. »

Roland Barthes : « L’usager de la grève », in : Mythologie (1957)


Depuis de nombreuses années, nous contemplons la coutume télévisuelle qui consiste à prendre un quidam dans la rue et à l’interroger sur les effets d’une grève. Ce «marronnier» social reprend invariablement les mêmes éléments du vocabulaire : «scandale», «otage», «victime». Cette trinité du logos télévisuel a traversé l’écran et imprègne désormais la population. Le langage tient alors lieu d’opinion. Ce pavlovisme sans frein opère dans d’autres sphères comme la politique ou le fait divers, avec des outils à peine transformés, mais jamais avec autant de prégnance que pour le sujet de la grève. Cette perméabilité arrive, dans notre société marchande, à devenir un élément de l’argumentaire de vente.
Comme beaucoup de sociétés, le site 2Xmoinscher.com utilise le mail pour transmettre ses promotions et ses actions de vente. Plutôt que de céder à l’agacement, ce genre de procédé ne recueille d’ordinaire que l’attention des logiciels chargés de trier les courriers indésirables. La gêne ne serait donc que relative si, par ailleurs, nous n’avions pas reçu dans notre boîte un message rectificatif qui nous incita illico à aller fouiller dans la corbeille de notre messagerie. Passons sous silence, pour l’instant, le rectificatif et, avant de nous concentrer sur le message également, il serait bon de dire ici pourquoi nous nous sommes sentis concernés. Cette société a pour but de vendre à prix cassés un certain nombre de produits. Soldés ou d’occasion, on y propose des dévédés, des cédés, des jeux vidéo et bien sûr des livres. Cela nous concerne donc. En fait, le premier message ne déparerait pas des précédents : appel à venir rejoindre le site pour profiter des promotions. Seulement le message commençait par la phrase suivante :
Victimes de la grève, profitez-en !
De nouveau, les effets de la rhétorique victimaire opéraient. Mais ici, à la souffrance de la «victime» on opposait un mieux-être immédiat. Sans calculer l’indécence du propos, sans même réfléchir un seul instant aux raisons qui ont poussé plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue, ce site ne proposait guère que l’alternative de la jouissance consumériste. Ainsi, le marketing direct commençait à s’emparer du logos médiatique, comme s’il entérinait un état de fait : «La grève empêche de consommer et c’est en cela que vous êtes des victimes». Les autres victimes, de celles qui font justement la grève, on ne dira rien ouvertement. Mais le message est clair : ils sont les acteurs d’une aubaine. De ce temps échappé au salariat de cette transgression on ne retiendra que le moment où, séchant les devoirs, on va faire un peu de shopping pour passer le temps, ce temps mort qui nous déchire entre le travail et les galeries marchandes. Le vide… rien que le vide sans passion, le chèque à découvert.
Cinq heures après survenait la rectification suivante :
Bonjour Yves,
Certaines personnes nous ont fait part de leur mécontentement quant au contenu de notre mail intitulé "C'est la grève... Profitez-en !"
Il est vrai que l'accroche que nous avons utilisée pouvait prêter à confusion.
Nous les remercions de nous avoir signalé cette accroche malheureuse et sommes désolés que ce mail les ait choquées.
En utilisant le mot "Victime" nous pensions avant tout aux personnes "bloquées" chez eux par la grève.
Nous comprenons que le caractère "excessif" du terme soit inapproprié et souhaitions nous excuser pour cette formule malvenue.
2xmoinscher a été créé en 2001 pour faciliter l'achat/vente entre particuliers. Nous ne défendons aucun intérêt politique.
Mais nous avons toujours défendu nos utilisateurs pour qu'ils puissent continuer à acheter et vendre en toute sécurité et aux meilleurs prix.
2xmoinscher est un site au service et à l'écoute de ses utilisateurs.
C'est pourquoi nous vous présentons une nouvelle fois toutes nos excuses.
Très cordialement
L'équipe 2xmoinscher.com
Il est évident qu’il ne sert à rien de réclamer la tête du signataire du message qualifié de "malheureux", en quelque sorte. Mais on déplorera qu’une société se comporte avec un certain cynisme, avouant ses propres erreurs uniquement sous la pression de personnes extérieures. Si nous ne renonçons pas à travailler avec des sites similaires à celui-ci, nous ne sommes néanmoins pas dupe du comportement schizophrène de ses sociétés qui, si elles étaient traitées comme des êtres humains, recevraient un soin psychiatrique prolongé pour bon nombre d’entre elles. De ces messages, nous ne retenons encore que des mots épars : «vendre», «prix», etc. Oui, naturellement, ce n’est pas un péché d’exercer un commerce. On n’en sort pas damné. Mais la désincarnation, en cette matière, donne un poids aux mots et à leur absence également.
On se dira tout de même que, dans notre société ou la culture se trouve à l’encan sur des têtes de gondole, il est bon parfois de s’arrêter un moment au bord du trottoir, de voir ses contemporains défiler et tout à coup avoir envie de les rejoindre, parler, rire. Et si l’on en n’a pas envie, de rester dans son coin. Bien que dépendant financièrement de ce que nous vendons, nous avons du mal à considérer notre existence entre les fourches caudines du travail et de la consommation. Nous pensons que le prix de notre existence ne se monnaye pas au prix de l'ennui et de l'écholalie publicitaire, qu'il y a un moment ou l'esprit n'est pas qu'à l'affut des aubaines des galeries marchandes, virtuelles ou non.
Enfin, nous doutons fortement que ces sociétés et nous-même exercions le même travail. Depuis longtemps, nous savons que le marketing n’agit que sur les zones primaires du cerveau. Nous préférons renoncer à cette «scientifisation» de la vente, ne plus parler de «produit» et continuer dans notre humanité maladroite à parler de livres.