Motorau et Korowae, deux filles d'un vieux chef Maori, s'étaient perdues dans les bois. Elles ont alors tant pleuré que leurs larmes ont fait apparaître le lac de Manapouri.
Légende maorie
Manapouri lake est aussi appelé le lac du cœur en peine. Cela m'allait bien. L'épisode Milford sound datait de la veille, je n'avais pas encore dépassé la déception de n'avoir pu naviguer dans le fjord. Le ciel menaçait de s'en prendre à la journée mais il ne pleuvait pas. Manapouri, à 21 kilomètres de Te Anau, est le seul moyen d'accès vers Doubtful sound, un fjord qui vaut la balade. Malheureusement, il n'y avait plus une place sur les bateaux qui y partaient. J'étais chagrine. Parcourir la moitié de la planète et ne pouvoir aller dans les fjords du Sud de la Nouvelle-Zélande dont j'avais tant rêvé, c'est rageant !
Comme lot de consolation, il restait la visite de la centrale hydroélectrique souterraine de Manapouri. La plus grande du pays. Turbines et alternateurs sont placés dans une caverne creusée dans la roche à 200 mètres sous la surface du lac. L'œuvre technique monumentale se visite - entre la visite d'un château et celle d'une usine, c'est l'usine qui a ma préférence. Dans la réalité, je n'ai jamais eu à faire un tel choix mais si jamais il se présente un jour... Encore que j'hésiterais peut-être si le château est hanté ! - On ne peut accéder à la centrale que par bateau. Il se prend à Pearl Harbor sur la rivière Waiau qui alimente le lac. En attendant l'heure du départ, nous avons patienté dans le petit bar près de l'église. Le village compte 300 âmes, autant dire qu'on en fait rapidement le tour. Le propriétaire du lieu nous a offert des cerises, c'était le printemps.
Considéré comme le plus beau lac de Nouvelle Zélande, la traversée de Manapouri lake, et ses paysages grandioses ont fait surgir les émotions du même acabit. La forêt descend jusqu'à la rive sur les pentes abruptes. De la neige restait accrochée sur les sommets des montagnes au pied desquelles nous naviguions. La brume emballait le tout d'une ambiance ouatée. Le bateau prenait son temps. Il avait raison. Un instant d'éternité ne se bâcle pas.
A West arm, au bout du débarcadère, une salle d'exposition présente la centrale, sa construction et les actions pour la protection de l'environnement qui l'ont accompagnée. On y apprend que la centrale hydroélectrique de Manapouri est considérée comme le lieu où est née la conscience écologique néo zélandaise. Les premiers plans prévoyaient une élévation de 30 mètres du niveau de l'eau ce qui aurait entraîné la disparition des îles boisées et l'engloutissement de la forêt de hêtres. Les manifestations de protestation ont fait reculer le projet.
Deux cars attendaient leurs passagers. Le premier à partir emportait les chanceux qui allaient passer la nuit dans le fjord de Milford sound. Dans le second, nous étions trois pour la visite de la centrale hydroélectrique. Eve, la jeune femme qui le conduisait, connaissait ce lieu comme sa poche. Depuis huit mois, elle y amenait les visiteurs et s'en trouvait combler. A plusieurs reprises, elle a arrêté son véhicule afin que nous puissions admirer les beautés et particularités de l'environnement. Elle nous parlait de la faune, de la flore et de tous les efforts accomplis pour les préserver en dépit des bouleversements intervenus avec l'implantation de la centrale. Sur les hauteurs de Wilmott Pass, l’œuvre du demi-dieu Tuterakiwhanoa qui a façonné les vallées encaissées et les montagnes escarpées, la halte s'est prolongée, elle le valait bien.
Enfin, Eve a engagé le car dans le tunnel. S'enfoncer dans la montagne où se niche la centrale est une expérience d'un autre ordre que celle de la traversée du lac mais tout aussi riche en émotions. Dans la grande nature, le registre émotionnel est souvent d'ordre extatique, on côtoie le transcendant et le sublime. Dans le cas de réalisations techniques, il s'agit plus d'admiration pour l'intelligence, le talent et le travail dont il est question.
D'une largeur de neuf mètres, les deux kilomètres de tunnel descendent en spirale jusqu'à la machinerie. Les camions ont parfois dû le parcourir en marche arrière pour livrer quelques pièces imposantes. L'opération pouvait durer sept heures. L'ingénieur qui nous a pris en charge à l'entrée de la machinerie, nous a expliqué la roche, nous a raconté les difficultés du chantier, les 1800 hommes qui y ont travaillé durement dans des conditions difficiles. « Il fallait sans cesse pomper l'eau qui s'infiltrait par la paroi d'excavation à mesure qu'ils creusaient des trous dans la roche avec des marteau-piqueurs imposants pour placer des explosifs » Une plaque commémorative porte le nom des 16 hommes qui y ont laissé leur vie.
Pénétrer dans la partie visible de la machinerie revient à ouvrir les portes d'un temple dédié à la technologie : 111 mètres de long et 40 mètres de hauteur occupés par une rangée de gigantesques machines bleues dressées comme des totems aux pieds desquels les humains ressemblent à des nains. C'est bien de la fascination que l'on peut ressentir. Et l'ingénieur s'est amusé à aligner des chiffres hors du commun qui exacerbait plus encore ce sentiment. Nous étions dans la démesure : « les câbles électriques qui relient les turbines au poste extérieur mesurent 263 mètres et pèsent 23 kilos par mètre soit près de 8 tonnes par câble. Les transformateurs pèsent 133 tonnes,..... ».
Toute cette énergie pour alimenter en électricité une fonderie d'aluminium !
Au retour, le ciel s'était mis en bleu, et le lac s'en est trouvé tout illuminé. Facétieux, le pilote qui nous reconduisait, a placé la proue du bateau sous une chute d'eau ce qui en a amusé plus d'un. Les petites îles semblaient flotter de ci-de là. Nul ne disait mot. Mes yeux se gavaient de ce qu'ils voyaient et mon esprit naviguait sur des vagues euphoriques. Et une fois de plus, rien n'aurait pu être retiré ou ajouté à ce moment.
Décembre 2012