Le Livre du Cimetière

de Samko Tále
20 x 13 cm - broché
172 p.
Date de publication : 15/10/2006
ISBN : 2-9700444-6-3
Prix : 15.00 €

Ce livre conté par un écrivain-narrateur en marge de la société décrit la vie d’une petite ville de Slovaquie peuplée par la minorité hongroise du pays. Les efforts de composition de l’auteur l’amènent à inventer une langue qui met à mal la syntaxe et la logique, et le lecteur amusé par ce motif « idiot » se laisse entraîner dans une évocation de l’atmosphère biaisée de la période communiste qui a laissé des traces dans les relations et les sentiments d’aujourd’hui. Une étude tragi-comique qui est un témoignage sur la société slovaque à un tournant de son histoire. C’est aussi un livre cruel qui met à nu le potentiel d’agressivité, de racisme et de délation que le régime totalitaire peut exploiter dans les petites villes où tout le monde se connaît. Et si la danse est menée par un idiot, c’est parce que les références et les valeurs de cette société étaient maintenus à l’échelon le plus bas par les principes de mensonge et de délation.

J’avais depuis longtemps entendu que Darinka Gunárová avait pris un noir en mariage en Amérique, mais je ne le croyais pas parce que souvent les gens ne font qu’inventer et ils disaient souvent du mal de Darinka Gunárová quand elle était mariée à ce gros lard de Manica. Ils disaient déjà du mal d’elle. Moi je n’ai jamais dit du mal de Darinka Gunárová, même quand elle était mariée à ce gros lard de Manica ni jamais de la vie.

Je haïssais ce gros lard de Manica parce que c’est le premier qui a lancé à Komárno que :

« Tu pues des pieds Samko Tále

Tu t’es encore laissé aller. »

Il n’était même pas son mari à l’époque, c’était juste pour crier. Je n’ai donc pas cru qu’elle était mariée à un noir parce que même ce gros lard de Manica était blanc et pas noir.

D’ailleurs personne n’a jamais pris un noir en mariage à Komárno.

Parce qu’il y a bien assez de Slovaques, non ?

Mais oui.

Mais ensuite je l’ai vu de mes propres yeux quand la mère de Darinka Gunárová est morte et que je suis allé à l’enterrement. Il va de soi que je n’y suis pas allé pour y voir Darinka Gunárová ou son mari noir, c’est absolument exclu, j’y suis allé par respect, car le Dr Gunár Karol était mon camarade. À ce moment, j’ai vu que c’était un noir en vrai.

Comme s’il sortait de la télévision.

Parce que j’ai déjà vu beaucoup de noirs à la télévision, mais celui-là était tout à fait comme vivant, pas comme ceux de la télévision. C’était un noir vivant. Et même s’il était noir, il était presque aussi grand que mon grand-père de Detva.

Mais mon grand-père de Detva était un blanc comme tous les gens du monde entier qui sont là pour de vrai et pas à la télévision, ce sont des blancs. Sauf les tsiganes mais cela ne compte pas parce que ce sont des tsiganes.

Un jour il y en avait un à Komárno qui n’était pas de Komárno mais d’Amérique, il s’appelait Harry H. Torry et il n’était pas noir, il était blanc comme s’il venait de Komárno, tant il était blanc. Comme de Komárno. Il était professeur à l’égard de la langue anglaise parce que maintenant c’est obligatoire.

Harry H. Torry apprenait aux enfants normaux mais cela ne lui suffisait pas et il est allé apprendre gratis aux enfants tsiganes dans la classe tsigane et là, il leur apprenait l’anglais.

Mais il y a une chose que je ne comprends pas, c’est pourquoi leur apprendre l’anglais, parce que le tsigane leur est bien suffisant pour qu’ils me volent mes cartons aux halles, non ?

Mais si.

Harry H. Torry disait que les tsiganes sont persécutés parce qu’ils sont tsiganes et il disait que nous sommes tous égaux l’un à l’autre et qu’un Slovaque est égal à un tsigane. Mais même s’il venait d’Amérique et que les gens le respectaient à cet égard, il n’avait pas à dire des choses du genre qu’un Slovaque était égal à un tsigane parce que les gens se sont fâchés et ils ne voulaient plus le laisser apprendre à leurs enfants.

Moi aussi je me suis fâché.

Car personne ne veut être égal aux tsiganes, et il a dû repartir en Amérique plus vite que prévu. Quand il est reparti, il a fait toutes ses valises et ses sacs d’où sortait une raquette de tennis et il est allé dire adieu à ses tsiganes et pendant qu’il faisait ses adieux, les tsiganes lui ont volé toutes ses valises et ses sacs d’où sortait la raquette de tennis.

Harry H. Torry se rendit à la police et leur raconta tout et les policiers disaient en riant qu’il connaissait maintenant la différence entre un tsigane et un Slovaque. Ensuite ils ont tous monté dans une voiture de police et ils sont allés dans les maisons tsiganes, au bout d’une heure ils avaient tout récupéré, sauf la raquette de tennis que les tsiganes avaient brûlée entre-temps, car ils avaient fait un feu.

Les gens étaient contents parce qu’ils pensaient que Harry H. Torry avait compris la différence entre un Slovaque et un tsigane, mais il n’avait pas dû comprendre parce qu’il disait toujours que c’était la même chose. Alors personne n’était plus content du tout et Harry H. Torry a dû repartir. En Amérique, il a ensuite écrit dans beaucoup de journaux que les Slovaques étaient des préjugés racistes.

Mais il y a une chose que je ne comprends pas, c’est pourquoi il a écrit qu’en Slovaquie les gens étaient des préjugés racistes alors que ce n’est pas les gens mais les tsiganes qui lui ont volé ses valises et ses sacs d’où sortait la raquette de tennis, non ?

Mais oui.

Moi je ne suis pas un préjugé raciste parce que je suis très bon.

On le sait quand à la télévision, il y a un film où quelqu’un est un préjugé raciste à l’égard d’un Indien ou d’un esclave, parce que je suis alors très fâché et quand il est puni à cet égard, alors je suis très satisfait.

Je ne sais pas si Alf. Névéry était un préjugé raciste parce qu’il n’avait pas la télévision et il n’était pas possible d’en parler. S’il avait eu la télévision, je le saurais.

Ni Margita ni Valent Anka ne sont des préjugés racistes parce qu’à Komárno, il n’y a pas d’Indiens ni d’esclaves. Il y en a peut-être à Bratislava et je ne sais donc pas si Ivana est un préjugé raciste. Car elle est vraiment bizarre, elle n’insulte pas les Hongrois ni les Tchèques, et Zebrák non plus. Mais il va de soi qu’ils n’insultent pas parce que le père de Zebrák était Tchèque. Sinon, ils insulteraient certainement parce que les gens le remarquent, si quelqu’un n’insulte pas, et ensuite ils ne lui font plus confiance, parce qu’il est louche.

Moi je ne suis pas louche parce que j’insulte.

Mais jamais les Indiens ou les esclaves parce que je ne suis pas un préjugé raciste.