Vendue à 7 ans comme esclave dans un bordel.





Depuis que le gouvernement thaïlandais a durci ses sanctions à l’encontre des délinquants sexuels, la prostitution à grande échelle s’est intensifiée au Cambodge. Reportage.


Photo de Nicolas Lainez



Il est bientôt 22 heures et déjà les bars de Phnom Penh affichent complets. Des couples improbables se forment. Des étrangers avec de jeunes gamines dont le regard n’est plus, depuis longtemps, celui de l’innocence. La réalité transp
ire à chaque coin de rue de la capitale cambodgienne. Survie permanente d’un pays anéanti par des années de guerre et qui est aujourd’hui une destination pour le tourisme à grande échelle. Un tourisme qui ne se limite pas à la visite des merveilles et mystères des temples d’Angkor. Le Cambodge est devenu un pays à la mode pour les amateurs de tourisme sexuel…très bon marché. Entre 3 et 5 dollars la passe, souvent à l’étage des bars dans de minuscules chambres,  les jeunes filles usent leurs corps, parfois jusqu'à 30 rapports dans la même soirée.

Sochenda a 29 ans, elle vit avec son petit frère dans une chambre d’hôtel qu’elle loue 25 dollars par mois. Elle est hôtesse dans un bar de Phnom
Penh. Sa douceur et sa gentillesse contraste avec la violence de sa réalité. « Mon travail consiste à faire consommer le client, puis le faire monter à l’étage. Je suis indépendante donc je n’ai pas à reverser de l’argent à un pimp (gérant de bordel) ou à une mama-san (superviseuse de bordel). Une bonne soirée pour moi représente environ 50 dollars si le client veut toute une nuit, mais en général ce se sont des passes à 3 dollars. » Aujourd'hui le paysage de la prostitution au Cambodge se divise en deux : des lieux réservés à la clientèle occidentale et ceux fréquentés exclusivement par les locaux et les asiatiques. Selon les chiffres officiels, ces derniers représentent 95 % de la clientèle en Asie et sont, pour la plupart, les habitants du pays. Bars à filles ou boîtes de nuit, le spectacle est toujours le même; clients de tout âge et expatriés d'un jour ou de toujours sirotent leurs verres glacés au bar. A leurs côtés de magnifiques jeunes filles à la peau de velours, perchées sur des talons trop hauts et maquillées à la perfection, arborent le sourire de circonstance. Spectacle de marionnettes. Inlassable.

« Au Cambodge, un enfant vaut moins cher qu’un chien »

 Le coordinateur de l’AFESIP (Agir pour les femmes en situation précaire), Som Sophatra, rappelle ce que l’on a tendance à oublier en se baladant dans les rues de la capitale, « la prostitution est interdite au Cambodge. Pour donner l'exemple le gouvernement a fermé un certain nombre de bordel. Le problème c’est qu’ils ne sont pas vraiment fermés et qu’ il est très facile d’y aller et de demander des filles. » Concernant les bordels des grands hôtels, « ils sont toujours ouverts ainsi que les soit disant salons de massage », ajoute t’il. Le problème est donc double, il y a de plus en plus de demande et la population, elle, est pauvre. Les revenus par habitant excèdent à peine les 500$ par an et par habitant. Dans ce contexte économique et social, les dérives se multiplient. Beaucoup de familles se retrouvent ainsi à vendre leurs propres enfants, qui viendront ensuite grossir les bordels de la capitale. « Au Cambodge, un enfant vaut moins cher qu’un chien », constate Patrick Roux, fondateur de l'ONG « Aide volontaire aux enfants du Cambodge (Avec). « A Battambang, [ndlr : deuxième ville du pays], un berger allemand se vend entre 150 et 200 dollars. Un enfant coûte 40 dollars. »

Vendue à 7 ans
Sreypao a 7 ans quand sa mère la vend comme esclave à un couple de Phnom Penh. Il promet d’offrir à la famille une vie meilleure en faisant travailler Sreypao comme serveuse dans un bar. Mais une fois sur place, la donne est tout autre. « Ils m’ont emmené dans une toute petite pièce et ils ont fermé à clé. J’ai commencé à crier et à pleurer, je ne comprenais pas. Ils sont arrivés et m’ont dit que si je ne me taisais pas, ils me tueraient. » C’est le début d’un long cauchemar qui durera 5 ans. 5 longues années de viols et de maltraitance tant physique que psychologique. Les hommes se succèdent, Sreypao survie dans une pièce infestée de scorpions et d’araignées, et puis c’est la fuite. Un jour, entre deux « clients », elle n’est évidemment pas payée, elle s’évade. Elle sera recueillie par l’équipe de l’AFESIP et pourra enfin avoir la vie d’une jeune fille de son âge, aller à l’école et essayer de tourner cette page noire. Le cas de Sreypao n’est pas isolé. « Nous venons d’intervenir dans l’enlèvement d’un enfant de 3 ans par un homme de 18 ans dans une province isolée et très pauvre », nous confie le coordinateur de l’AFESIP. Il ajoute que la demande de vidéos pédophiles est très importante et que les enlèvements de jeunes enfants se multiplient. Le profil des enfants sacrifiés sur l’autel du sexe est souvent le même : une grande précarité, des parents décédés très jeunes, ils deviennent donc des proies on ne peut plus faciles.

Dommage collatéral
L’explosion de la prostitution a entraîné naturellement une explosion du Sida. Les clients qui se succèdent dans les quelques 3000 bars, salons de massage, karaokés ou bordels sont-ils au courant que parmi les 60 000 « entertainement workers », plus d’un tiers des filles est atteinte du sida ? Et que plus d’un tiers a moins de 17 ans ? Pour compliquer le tout, une effroyable croyance au Cambodge veut que « pour guérir du sida, il faut coucher avec une jeune vierge… ! »
Selon les derniers chiffres de l’OMS, 67200 personnes seraient infectées par le virus du sida sur une population qui atteindra bientôt les 15 millions d’habitants. Un problème que le gouvernement tente de déplacer. En juin dernier, 20 familles porteuses du virus ont été expulsées de leurs logements. Elles ont été relogées en dehors de la ville dans le site de réinstallation de Tuol Sambo, un ghetto qui ne dispose ni d'approvisionnement en eau saine ni d'électricité et où il est difficile d’avoir accès à des services médicaux.
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