Position du thérapeute en abandon corporel
Synthèse des propos d’Aimé Hamann


Séminaire de recherche
Octobre 2000, Bois le Roi, France



Synthèse de : Micheline Dalpé



L’implication dans une démarche en abandon corporel, c’est l’entrée dans un processus infini où l’on tente de faire progressivement de la place à toute la vie comme elle est organisée, dans une attitude de disponibilité intérieure à l’involontaire. On tente ainsi d’habiter tout ce qui émerge de soi, peu importe ce que c’est, en essayant de ne rien empêcher volontairement, ni d’adhérer à priori à quelque modèle que ce soit. Tout mouvement intérieur est donc à recevoir comme il est, quel qu’il soit. On se met à l’école de la vie, dans une attitude de disponibilité à apprendre.

La position que nous prenons pour apprendre, pour accéder à la connaissance, implique
notre consentement à passer par le chemin de la subjectivité, de la co-dépendance et de la filiation.


Consentement à la subjectivité

Il n’y a pas de possibilité d’échapper à la subjectivité que nous sommes ; elle est incontournable. Chacun de nous est une institution. Nous avons tous une organisation qui nous protège de certains aspects de la vie vécus comme trop menaçants. Ces vécus nous renvoient à la douleur insupportable que nous ressentons quand nous rejoignons certaines dimensions de notre être que nous percevons comme inacceptables, irrecevables. Intrinsèquement, nous sommes des êtres morcelés, coupés plus ou moins de nous-mêmes. Être humain c’est justement avoir cette capacité de s’institutionnaliser. La grandeur et le drame de notre condition humaine s’y trouvent de ce fait rattachés : on ne peut pas s’accomplir sans avoir à passer par le déterminisme qui nous constitue.

Personne ne peut être en mesure d’assurer qu’il détient la vérité sur ce qui se passe objectivement. Étant donné cet état de fait, nous n’avons pas d’autres choix que de prendre le risque de ce qui émerge de notre mouvement intérieur, de notre subjectivité. C’est le seul chemin accessible pour que la vie puisse nous apprendre progressivement ce qu’elle est, qui elle est. Comme thérapeute, nous cherchons donc à nous mettre dans une disponibilité intérieure qui nous permette d’habiter toujours plus notre subjectivité. Sinon, on fabrique un chemin, on se culpabilise et on intervient pour que l’autre change.

La subjectivité habitée, c’est l’ouverture au sens. Tout est à recevoir de soi ou de la vie comme elle est, n’importe quoi, même ce que l’on juge être indésirable. La vie n’a pas besoin d’être autre pour être. La subjectivité est le seul chemin possible. Faire l’effort d’éviter le mal pour faire le bien n’a pas vraiment de sens puisqu’il n’y a pas moyen d’échapper à l’être que nous sommes, à la vie comme elle est organisée, au déterminisme de nos êtres, de notre organisation intérieure. Le désir humain n’a pas d’autres issues que d’avoir à passer par l’organisation de l’être spécifique que nous sommes. Nous avons donc à tendre à intégrer continuellement la psychose qui est constitutive de nos êtres. Autrement, on passe à côté de soi. L’étouffement, par exemple, est simplement une forme d’expression particulière de la violence que l’on porte. Elle existe toujours et est encore aussi active sous cette forme et plus encore, d’ailleurs. « Rien ne se perd, rien ne se crée ». Le déterminisme est une réalité incontournable.

Une des caractéristiques du thérapeute en abandon corporel est donc de prendre une position de chercheur et non d’expert. C’est dire que l’on juge essentiel de ne pas définir la vie à priori, mais plutôt de lui laisser nous dire qui elle est en tentant le plus possible d’aménager les conditions qui lui permettent de se révéler à nous. D’emblée, on sait que l’on ne sait pas et que tout est à apprendre. Nous sommes des êtres particuliers qui ne peuvent savoir ce qu’ils sont qu’en devenant ce que nous sommes. La connaissance ne se commande pas, elle émerge de soi. C’est une position exigeante. En effet, ce n’est pas évident de faire de la place, de porter, d’habiter son incompétence.


Position du chercheur

C’est tout de même dans la mesure où le thérapeute peut adopter cette position de chercheur, en étant centré sur son propre mouvement intérieur et en se l’appropriant, qu’il pourra permettre au client d’y être inévitablement.

On ne peut pas être thérapeute autrement que comme on est. Ainsi, on a à apprendre à vivre avec soi-même et non pas à chercher à devenir quelqu’un d’autre. Bien plus, si on ne choisit pas d’être là où on est, on ne sera jamais réellement là où on veut être.

C’est une position que nous avons à reprendre chaque fois. Elle n’est jamais assurée une fois pour toute et le chemin est toujours à refaire pour y être.

On ne peut pas demander aux clients de s’habiter. Mais le thérapeute en étant disponible à son mouvement intérieur permettra au client d’y aller. C’est le thérapeute d’abord qui a à faire le chemin de sa subjectivité (reconnaître les réactions éveillées à l’occasion de l’autre comme étant soi). Ainsi, faire de la place pour soi, pose la réalité au plan de l’être, au plan ontologique.


Co-chercheur ou interdépendance

Nous venons tous d’un univers paranoïaque, dépossédés de nous-mêmes où rien de soi au départ, n’était porté et ne pouvait l’être. Chacun de nous dépose donc plus ou moins son être dans l’autre, n’ayant pas de place en soi. Nous avons à prendre possession de soi, toujours dans une absence à nous-mêmes. Ainsi, le processus de récupérer nos êtres passe nécessairement par la rencontre de l’autre, dans le consentement à l’interdépendance. On tente ainsi de sortir progressivement du monde fusionnel pour habiter toujours plus celui de la différenciation.

Profondément, l’être humain est constitutivement un être d’amour dans le sens que rien en soi ne donne pas la vie. Même la haine ou l’holocauste, reconnu comme étant sa vie éveillée, peut donner aux autres de nous donner la vie. Mais cela ne peut pas se faire sans contacter au-dedans de soi, son ambivalence profonde à être. Cette émotion est aussi constitutive de notre condition humaine. En effet, la présence de l’autre éveille nécessairement : menace, méfiance, culpabilité, violence, etc. L’accusation est incontournable et la culpabilité est une émotion constitutive de la nature humaine. Terrible et essentiel que le processus d’humanisation ne puisse se faire qu’en ayant à passer par des ressentis aussi pénibles et par un rapport à l’autre aussi menaçant et exigeant.

Il reste que ce n’est pas rien que des émotions comme la culpabilité et la honte existent en chacun de nous. Cela représente tout de même pour nous la possibilité d’apprendre qu’il y a quelque chose en nous qui va à l’encontre de la vie. Il y a un fondement, une justification à ces ressentis. De ce fait, elles sont la porte d’entrée, elle ouvre le chemin de la responsabilisation de nos êtres qui prépare la rencontre véritable à l’autre. La mort et la vie sont toujours présentes et liées l’une à l’autre. Le dépassement de l’ambivalence ne peut donc être autre chose que l’ambivalence reçue.


Consentement au rapport de filiation

Comme thérapeute, nous sommes donc nécessairement dans une position de co-chercheur, interdépendants de nos clients. Nous sommes, en quelque sorte, le fils de nos clients qui nous donnent notre être, notre vie. Si nous ne sommes pas là, nous n’avons rien d’autre à offrir.

En effet, on ne peut rien dire d’un autre sans se placer dans le lieu de l’être où toute chose peut donner la vie. En se livrant, on laisse la possibilité à l’autre de vivre. On devient soi des deus côtés. C’est le risque pris de co-devenir.

Nous avons à prendre le temps (pour que le passage puisse se faire) d’être dans une position de transfert habité. Et que cela même puisse devenir le lieu de la rencontre. Effectivement, on est appelé à faire en sorte que tous vécus intérieurs (haine, désespoir, impuissance, etc.) puissent donner la vie et permettent la rencontre. Que tout devienne de l’être qui ouvre sur une connaissance toujours plus profonde et globale de soi.

C’est là notre rôle de toujours tenter de prendre cette place de co-chercheur. Nous tentons d’offrir les conditions qui permettent le passage de toute chose du côté de l’être. C’est essentiellement la position prise du thérapeute, son lieu de travail. De ce lieu, on se met à avoir des compréhensions qui ne s’enseignent pas. Elle est fondamentale cette position. Tout le reste de ce que l’on peut dire et faire n’est qu’une suite logique de cette position.

Ontologiquement, l’être humain est trinitaire. Le maître c’est la position que l’on prend : le consentement au subjectivisme avec tout ce que ça veut dire de limites et de possibilités. La connaissance de l’autre est radicalement subjective. C’est la seule position qui puisse permettre d’apprendre l’autre. Le caractère subjectif de ce qui est éveillé à l’occasion de l’autre c’est notre être à chacun. L’autre n’est pas la cause de ce que nous ressentons et de ce que nous sommes. Il est notre père qui nous donne la vie. Nous avons à lui donner de nous donner. C’est le fils qui devient le père. Ainsi, nous sommes le fils qui reçoit et qui du fait même de recevoir de notre vie, peut redonner la vie de l’autre et devenir père à son tour. L’espace de soi c’est aussi l’espace de l’autre.

La rencontre qui peut se produire alors c’est de l’être reçu, le lieu de connaissance et d’amour, lieu de sens et de spiritualité.


En guise de conclusion…

L’être humain est radicalement paradoxal. C’est dans la mesure où on peut se différencier, rejoindre et porter son unicité que l’on est aussi tous les autres. Donc plus nous arrivons à nous différencier, plus nous sommes en mesure de rejoindre toute l’humanité en soi-même. Autrement dit, chacun est toute l’humanité à accomplir à travers sa forme spécifique. Pas simple comme programme de vie !