Groupe F.T.P.F "Chanzy"
La Résistance dans la région Centre.




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Réquisitoire. Plaidoiries. Dans l'attente
du verdict.
Verdict.

Sources documentaires:
"la République du Centre"

Orléans
L’affaire des fusillés de Chartres et d’Orléans
devant la Cour de Justice
du 3 septembre au 12 septembre 1945

Meresse, Viviani et Devynck fournissent leurs explications au cours de cette première audience

Dès midi, un important service d’ordre garde les abords du Palais et il faut montrer patte blanche pour entrer dans la salle. Il est vrai que les seuls ayants droit : avocats, journalistes, témoins (ils sont 150) et les familles des victimes suffisent à garnir la salle. Il est 13 heures 45 quand le président Saulnier prononce la phrase rituelle:
« Gendarmes, introduisez les accusés. ».Le plus grand procès que la Cour de Justice d’Orléans ait eu à juger, depuis sa création, a commencé cet après-midi. Il s’agit des deux graves affaires dites des « 17 fusillés d’Orléans » et des « 31 fusillés de Chartres ».
Il y a deux ans, à la fin de septembre 1943, des feldgendarmes, mitraillettes au poing, gardaient le Palais de Justice, où se déroulait le procès des 17 F.T.P.F. du Loiret. Condamnés à mort le 1eroctobre, ils tombaient courageusement pour la France, sous les balles allemandes, le 8 octobre, à la butte de tir des Groues.
C’est dans cette même salle des Assises où ils furent jugés, que se déroulera le procès des responsables de leur condamnation.
Ils sont quinze:
                   Louis Denuzières, 42 ans, ancien inspecteur de police mobile, 108 rue Bannier à Orléans.
                   Albert Méresse, 31 ans, monteur-électricien, à Maubeuge, ex agent de la Sicherhieftpolizei.
                   Henri Devynck, 47 ans, ancien commissaire divisionnaire de po-lice mobile à Orléans et à Paris.
                   Nicolas Viviani, 50 ans, ancien commissaire de police mobile à Orléans et à Lille.
                   Marcel Duché, 51 ans, inspec-teur de police à Bourges.
                   Henri Breton, 24 ans, inspec-teur de police à Bourges.
                   Georges Baillou, 24 ans, cimentier à Saint-Claude-de-Diray (Loir et Cher).
                   Pierre Le Baube, 51 ans, ancien préfet de la Somme et de l’Eure et Loir.
                   Maurice Verney, 23 ans, ancien commissaire de police à Orléans.
                   Raymonde Pateloin, femme Papet, 24 ans, couturière à Montoire, Loir et Cher.
                   Odette Passegué, veuve Barraire, 27 ans, s.p, 13 rue Viala à Paris.
                   William Marigault, 29 ans, maçon cimentier, à Saint Georges sur Eure (Eure et Loir)
                   Gaston Giboreau, 34 ans, cultivateur à Croisille (Eure et Loir)
                   Louis Bergeron, 19 ans, étudiant à Saint Hilaire sur Eure (Orne).
                   René Verbeuken, 43 ans.

En outre, cinq autres individus en fuite seront jugés par contumace.

Sur le bureau de M. le Commissaire du Gouvernement, Larrieu, sont placés deux énormes dossiers. Il y a en effet, dans ce procès, deux affaires bien distinctes, celle de Chartres et celle d’Orléans. Mais certains accusés sont mêlés aux deux et c’est pourquoi l’instruction fut continuée à Orléans. C’est aussi le procès de la section politique de la 5ème Brigade mobile que l’on va faire, et pour donner au jury tous les éléments qui lui permettront de prendre sa décision, l’exposé du Commissaire du Gouvernement convoquera également d’autres activités de cette section. C’est le 26 mars 1943 que débuta l’affaire d’Orléans.

Ce jour-là, le chef de la Sureté locale, M. Ronceray, recevait un coup de téléphone d’un certain Bourgine, demeurant à Angers, qui lui signalait qu’il venait de rencontrer à Orléans, un de ses anciens ouvriers, Maurice Jenot (photo ci-dessus), individu dangereux, recherché par la police et déjà condamné par contumace par la cour spéciale d’Angers.

L’inspecteur chef Ronceray envoya deux inspecteurs à la gare. Ceux-ci trouvèrent Bourgine qui leur indiqua Jenot au moment où il montait dans le train.

Jenot avait sur lui des documents prouvant qu’il appartenait à un groupe F.T.P. dans lequel il avait une très grande activité. La sûreté locale prévint donc la 5ème Brigade mobile qui prit l »affaire en mains.

C’est ainsi que l’interrogatoire de Jenot apprit qu’il s’était rendu peu de jours avant chez sa belle-sœur, à Tours.

Le commissaire divisionnaire Devinck ordonna une perquisition chez celle-ci. On y trouva, non seulement d’importants renseignements sur l’organisation F.T.P. et sur certains sabotages commis dans la région, mais un rapport sur l’attentat manqué contre Marcel Déat, dans sa propriété de la Nièvre.

Le ministère saisi de l’affaire envoya à Orléans la fameuse brigade du commissaire Fourcade, de la S.P.A.C., police créée spécialement par Laval et ne dépendant que de lui-même, pour lutter contre les résistants en général et contre les communistes en particulier.

Pendant plusieurs jours, Jenot fut odieusement martyrisé, ainsi que quelques uns de ses camarades arrêtés grâce aux documents trouvés à Tours. Malgré son courage, qui fut admirable, Jenot, sous l’effet de la souffrance, dut avouer ce qu’il ne pouvait nier. C’est ainsi que la S.P.A.C. arrêta ou fit arrêter 75 personnes.

Il est à remarquer, dit cependant l’acte d’accusation, que les policiers d’Orléans ne participèrent pas à ces interrogatoires et que Fourcade et ses sbires, arrêtés à Paris, répondront de ce crime devant la Cour de Justice de la Seine ».

Mais l’affaire devait prendre une extension inattendue dans le courant de mai. Une perquisition faite dans le Loir et Cher chez M. Rivière, commissaire politique F.T.P., fit découvrir un papier d’emballage portant l’adresse de Albert Méresse, à Bonny sur Loire.

Méresse fut arrêté à Orléans où il était en voyage. Tout de suite, il avoua aux commissaires Chanterelle, chef de la 5ème Brigade – qui fut tué quelques jours avant la libération – et Viviani qu’il était le chef militaire de la région et, avec une lâcheté inconcevable, dévoila toute l’organisation clandestine. Se mettant absolument au service de la police, il participa à des arrestations, faisant tomber ses camarades dans des guet-apens. C’est ainsi que furent arrêtés Breton, à Orléans, Chartier (l’un des fusillés), à Ferrières, et que le chef responsable des F.T.P. de la région Est de Paris n’échappa que de justesse à l’arrestation. Il fit mieux et entra au service de la Gestapo pour dénoncer les organisations de Paris et de Maubeuge. Mais il fut « grillé » et arrêta sa triste besogne. Le dossier fut transmis à la justice française, mais les Allemands s’en emparèrent et dix-sept patriotes payèrent de leur vie la trahison de Méresse et le zèle de la police.

L’affaire de Chartres.

L’affaire de Chartres se place à la même époque que celle d’Orléans et débute aussi de façon fortuite. Fin juillet 1943 des F.T.P. d’Eure et Loir se rendant de nuit à une mission de sabotage se heurtèrent à une patrouille de feldgendarmes qui surveillaient le feldkommandant de Chartres qui se trouvait dans un rendez-vous de chasse, à Saint Luperce.

Un engagement s’ensuivit au cours duquel des Allemands furent atteints. Un F.T.P., Mattéi, fut tué et deux autres, Viaouet et Laigneau, furent blessés.

Denuzières fut appelé à enquêter sur cette affaire. Mais il cacha que Viaouet avait un revolver et celui-ci fut simplement déporté.

Seulement cette affaire avait éveillé l’attention des Allemands et ils envoyaient en septembre n faux parachutiste que l’on connaît que sous le nom de Destrées et qui a pris la fuite et la femme Rudeau. Grâce aux bavardages de Giboreau, ces agents de la Gestapo apprirent que le réfractaire Marigault se cachait dans la région. Celui-ci fut arrêté le 11 octobre. Il donna les noms de treize autres personnes parmi lesquelles se trouvait Francis Fermine, chef départemental technique F.T.P.

L’affaire fut prise par Denuzières qui procéda à d’autres arrestations.

Le préfet Le Baube, qui suivait l’affaire de très près, demanda à Devynck de lui envoyer des policiers, celui-ci ayant refusé, faute de personnel, Le Baube se rendit à Paris avec Denuzières et demanda l’intervention de la S.P.A.C. Une brigade fut envoyée à Chartres. Elle procéda à six nouvelles arrestations puis, en dépit de tortures, personne n’ayant fait d’aveux, elle abandonna l’affaire.

Sur l’intervention de Devynck le dossier fut retiré aux Allemands et donné à la justice française.

Les dix-neuf inculpés furent transférés à Paris et délivrés lors de la libération de la capitale.

Mais un fait plus grave devait se produire.

A la suite de nombreux sabotages commis dans la région d’Illiers, Le Baube demanda aux renseignements de Chartres une enquête serrée.

C’est ainsi que l’inspecteur Verney arrêta Pipet qui faisait partie du groupe de sabotage. Il le remit à Denuzières.

La femme de Pipet tenta de sauver son mari et… elle devint la maîtresse de Verney, qui obtint d’elle des renseignements sur la résistance.

Puis, elle fut la maîtresse de Denuzières qui obtint aussi des renseignements, mais en remerciements libéra Pipet.

L’affaire à ce moment prit une grande extension.

En décembre, un certain Cortez vint apporter aux Allemands d’importants renseignements sur les sabotages, signalant un centre de résistance important chez M. Savouret, à Saint Martin de Nigelle. La Gestapo confia Cortez à Denuzières. Et les arrestations se succédèrent.

Un coup de filet chez M. Savouret fit arrêter plusieurs personnes, notamment Verbeucken et la femme Barfaire qui dénoncèrent de nombreux membres de l’organisation, dont Pipet, qui fut arrêté à nouveau.

Trente-deux accusés furent condamnés à mort par le tribunal militaire allemand. Un seul, Pipet, fut gracié sur l’intervention de Denuzières, il est mort en Allemagne.

L'interrogatoire.

L’exposé de ces différents affaires a occupé une grande partie de l’audience et on procédera seulement dans la soirée aux interrogatoires de Méresse, Viviani et Devynck sur l’affaire d’Orléans.

Méresse est interrogé le premier. Quand on voit ce grand garçon blême, louchant derrière des lunettes, s’exprimant avec emphase et employant des mots dont il ne connaît pas la valeur, on est quelque peu effrayé qu’il ait eu la responsabilité d’un important réseau de résistance, puisqu’il se déclare commandant militaire du Loiret. Mais cet imbécile prétentieux et solennel est aussi un lâche qui, sans contrainte, dénonça tous ses camarades dès qu’il se vit lui-même menacé.

"Devynck m’a démontré, dit-il, que notre organisation était grillée. J’ai pensé qu’il était inutile de nier ».

Il déclare que Denuzières l’a battu mais que Viviani ne l’a pas frappé.

A l’en croire, il fit semblant de servir d’indicateur pour sauver ses amis. « J‘ai suivi la parole de Lénine dit-il. On reconnaît la valeur d’un militant à la souplesse avec laquelle il résiste à la police ».

Mais le président Saulnier lui rappelle avec quelle duplicité il fit arrêter son camarade Chartier, à Ferrières. Il téléphona lui-même à la brigade en s’annonçant : inspecteur Méresse. Au cours des interrogatoires, il confondait lui-même ses amis.

« Je ne voulais pas les laisser battre », dit-il.

« Vous préfériez les envoyer au poteau », réplique le président.

Quand on lui reproche d’avoir accepté de l’argent de la police française et de la Gestapo, il dit : « J’étais sans argent. J’ai même dû faire du marché noir, bien que ce soit très vilain » (sic). Mais il ajoute : « j’ai été lâche, mais j’ai eu des pages glorieuses. Je suis prêt à aller retrouver mes camarades dans la tombe. »

Viviani, interrogé ensuite, rejette la plus grande res-ponsabilité sur la S.P.A.C.

Celle-ci faisait les interrogatoires et la brigade se bornait à établir la procédure.

L’ex-chef de la section politique s’énerve et discute âprement avec Méresse.

«  Vous me faisiez le moral (sic) dit ce dernier, en me disant que les résistants étaient des sadiques ».

Viviani proteste et déclare que Chartier fut arrêté par la faute de Méresse, car il lui avait laissé le temps de fuir.

C’est enfin le tour de l’ex-commissaire divisionnaire Devynck.

« On vous représente, dit le président, comme un chef compétent et consciencieux, surveillant activement votre personnel. Vous n’établissiez aucune différence entre les affaires judiciaires et politiques. »

Parfaitement calme, avec objectivité et habileté, Devynck expose le rôle de la brigade affirmant qu’il n’intervenait que comme chef administratif.

A une question du président il répond qu’il n’a pas déféré Jenot au Parquet comme il aurait dû le faire, parce qu’il ignorait que celui-ci faisait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Le secrétaire général Bousquet avait donné des ordres pour que les procédures soient transmises à la police française c’est ce qu’il fit, contre l’avis de Fourcade.

S’il poursuivit l’enquête c’est que l’Allemand Faber surveillait la brigade mais, ajoute-t-il, nous croyons que cette affaire serait jugée par la justice française.

« En trois ans, dit-il, on n’a pu nous reprocher que cette malheureuse affaire. Sur toutes celles qui furent traitées par la section politique, à peine dix pour cent ont été réussies. On peut le vérifier.

L’audience est levée sur cette déclaration.

Demain, suite des interrogatoires.


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