C'est un mec. Y meurt. [en]

Janvier 1990

C’est un mec. Y meurt. Rien de plus banal, au fond. Tout le monde naît un jour pour mourir. Alors, pourquoi s’inquiéter? Pour rien? Mais si! Moi je m’inquiète, je m’inquiète parce qu’un jour le mec qui meurt ce sera moi. Et parce que je ne veux pas qu’on m’oublie. C’est vraiment injuste: tous les gens qui vivent sur cette terre finissent par mourir un jour. Et ce ne sont pas de quelconques individus, ce sont des personnes qui méritent qu’on se souvienne d’elles. Mais, chose étrange, on ne retient que quelques-uns de ces hommes. Et même pas toujours les meilleurs! Tenez, Hitler, vous croyez qu’on l’oubliera de sitôt? Non! Mais il y a des gens vraiment bien, qu’on ne rencontre pas à  chaque coin de rue, dont plus personne ne se préoccupera après leur mort. Mon ami Pierre, par exemple. C’était un chic type, vraiment chouette. Toujours de bonne humeur, toujours prêt à  vous écouter si vous aviez des soucis. Lui, il est mort il y a trois jours. Maintenant, tout le monde en parle. Mais dans cinq ans, dans dix ans? Sa femme et ses enfants s’en souviendront, sa famille. Moi, son meilleur ami, est-ce que je me souviendrai encore de lui? Je n’en sais rien. Mais je ne veux pas l’oublier! Je ne veux pas qu’il se fonde dans le néant, qu’il ne soit plus qu’un cadavre oublié au fond d’une tombe. C’était Pierre! Un homme pas comme les autres. Vraiment pas. Je voudrais que tout le monde sache qui il était, que son nom reste gravé au fond de la mémoire de chacun. Comme moi, quand je mourrai, je veux qu’on se souvienne de moi. Parce que je ne suis pas n’importe qui! Je suis moi. Une des personnes les plus importantes de la planète, à  mes yeux. On ne devrait pas avoir le droit d’oublier un mort. Personne ne mérite d’être oublié. Pour Pierre, les autres disent: “Il est mort, c’est bien dommage.” Pour moi, ils diront: “Il est mort.” Il est mort. Il est mort! Mais savent-ils ce que ça veut dire, “Il est mort”? Ça ne veut pas seulement dire que Pierre n’est pas là . Ça ne peut pas seulement dire que dans le bistrot, il y a une place de plus pour un quelconque passant. Ça veut dire que sa femme est seule, avec ses deux enfants. Ils n’ont personne d’autre. Ça veut dire aussi que je ne reverrai plus jamais Pierre, que je n’entendrai plus jamais sa voix. Les gens disent: “C’est comme s’il était parti vivre en Amérique.” Mais non! C’est pire. Bien pire. S’il vivait en Amérique, on pourrait lui écrire, lui téléphoner. On pourrait même aller là -bas. Ou bien il pourrait revenir. Mais s’il est mort, comment peut-il revenir? Il ne peut pas. Il est mort. Pierre est mort! Et il ne reviendra plus jamais, plus jamais!

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