L’ocre bourguignonne, vie et mort d’une richesse naturelle.
Le XVIIIe :
Au XVIIIe siècle, la récolte de l'ocre est artisanale : les paysans creusent des trous dans les champs et montent des tas d’ocre que passent acheter, une à deux fois par an, des marchands hollandais. L’ocre était alors traitée en Hollande et revendue en France sous l’appellation «ocre rouge de Hollande».
Vers 1763, Nicolas Croiset (1715-1781), venant de Brienne-le-Château, arrive à Pourrain, situé à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest d’Auxerre, en Puisaye. Il remarque que les couches d'ocre se divisent en plusieurs lits : au-dessus, l’ocre dite "commune", d’un jaune pâle, puis l’ocre fine, dite "la belle". Les ouvriers travaillent essentiellement avec quelques pioches et bêches. Croiset pense à former de petits pains carrés, plus faciles à transporter. Ses ouvriers pétrissent l’ocre, l’humectent avec de l’eau, l’amollissent et la jettent sur une table. Le séchage et le stockage des pains se font en plein air.
Jusqu’à la fin des années 1770, l’activité ocrière reste un simple ramassage. De faible valeur marchande, l’ocre voyage mal. L’emploi de l’ocre jaune reste limité. Croiset construit alors un fourneau pour sa transformation en ocre rouge. Il réussit ainsi à s’imposer sur le marché. Il met au point différents types de rouges grâce à des mélanges dosés. Croiset mettra au point la valorisation et la commercialisation de produits de qualité, au point d'ouvrir une boutique à Paris.
A partir de 1804, la production s’accélère : 1000 tonnes en 1832 et 8000 tonnes en 1846. Elle atteindra jusqu'à 18000 tonnes. On retrouve cette activité partout en Puisaye, à Pourrain, à Diges, Parly, Toucy... Avec moins d’un demi-hectare de terre ocrée, on peut bâtir de belles petites fortunes. Les besoins en capitaux sont faibles. L’équipement est simple et bon marché. Commence alors l’Âge d’or de l'ocre...
Le XIXe :
Le lavage permet d’obtenir l’ocre le plus fin, débarrassé de presque toutes ses impuretés : le broyage est donc centralisé à Auxerre et réalisé avec l’énergie hydraulique de l'Yonne dans la grande ocrerie Brichoux. Cette amélioration technique rend possible la production de masse et à bon marché. Les débouchés s’élargissent : papiers peints, siccatifs, toiles cirées, maquillages, cirages, cires à cacheter, papiers colorés des cigarettes Gitane, plastiques, peintures industrielles et artistiques...
Auxerre devient le lieu de la concentration de la transformation de l’ocre en Bourgogne.
A partir de 1875, le minerai devient de plus en plus rare et plus cher. Il faut passer à l’extraction souterraine par puits et galeries. Les coûts d’exploitation augmentent. Après 30 ans de quasi-monopole, l’ocre bourguignonne ressent durement la concurrence des ocres du Vaucluse, exploitées à ciel ouvert à Apt.
Le XXe :
Les goûts changent et l'on préfère alors les tons pastel et les folles couleurs à la mode des années du même nom. Plus grave, l’oxyde de fer chimique (ou ocre artificielle), désormais parfaitement au point grâce à Bayer et très bon marché, donne le coup de grâce à l'ocre. Les marchés des États-Unis et d’Allemagne s’effondrent définitivement.
En 1956, le dernier puit ferme ; l’épopée de l’ocre bourguignonne est terminée. Elle aura duré deux siècles. L'ocrerie Brichoux ferme définitivement ses portes en 1966. Le site est encore visible, sur les bords de l'Yonne, comme une grande carcasse vide...
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