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22 janvier 2007 1 22 /01 /janvier /2007 22:15

« Jamais l’homme n’est aussi grand que quand il se fait tout petit. »

Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde

 


Voici l'exemple d'un projet qui prend vraiment le temps de comprendre chacun. Ce projet s’appelle la « Cour aux cent métiers » et à été à Ouagadougou au Burkina Faso par l’association ATD Quart Monde. 

 

 

Sauf indications contraire toutes les citations seront donc des extraits du livre : La Cour aux 100 Métiers, écrit par Michel Aussedat et publié aux Editions Quart Monde en 1996.

 

 

 Le point de départ de ce projet est très simple, deux « volontaires permanents[1] » d’ATQ Quart Monde décide de partir à Ouagadougou, la capitale du Burkina pour chercher à voir comment il pourrait apporter leur soutien aux enfants qui vivent dans la rue.

 

Pendant les deux premières années ils ont été simplement chercher à rencontrer véritablement ces enfants en étant à leurs côtés afin de s’imprégner de leur environnement, de comprendre leurs envies, leurs rêves, leurs ambitions ainsi que les mécanismes de solidarité qui existaient déjà entre les enfants des rues eux-mêmes et entre ces derniers et les habitants de la capitale burkinabée.

 

 « Vivre cette première étape sans engager d’action, dans un contexte où les besoins sont énormes, est une difficile exigence, autant pour nous que pour ceux qui nous accueillent. A bien des égards, ce temps pourrait apparaître comme un gaspillage, un luxe inutile. Mais l’expérience montre que, quelle que soit le pays, cette première étape consacrée à la « connaissance » est nécessaire et décisive pour rejoindre la population très pauvre et gagner sa confiance. » p.15

 

Les volontaires cherchent à se rapprocher des enfants qui paraissent les plus reclus :

 

« Parmi tous ces enfants et ces jeunes étroitement mêlés à l’activité de la ville, nous parvenons peu à peu à en distinguer quelques-uns se tenant à l’écart. Des passant nous mettent en garde, nous conseillant de ne pas les approcher ». p.17

 

Ils cherchent à établir un vrai climat d’échange avec les enfants qui ne soit pas basé sur l’aide :

«  A chaque fois, nous ne manquons pas de les saluer dans leur langue, le mooré, ce qui ne manque pas d’amener un grand sourire, comme de nous voir nous déplacer à pied plutôt que de prendre notre mobylette. Sans céder à leur demande d’argent, de vêtements ou de médicaments, nous tachons de manifester à leur égard un signe d’attention, une arque de considération : une poignée de main, quelques mots, nos prénoms échangés. » p.18

  

Très souvent les enfants essayent d’attirer la pitié sur eux, en parlant très mal de leurs parents, mais les volontaires refusent d’accepter cela :

 

« Nous freinons les confidences : notre amitié n’exige pas qu’ils se découvrent ainsi ni qu’ils soient obligés de mentir pour attirer sur eux notre attention. Au contraire, nous ne pouvons pas accepter qu’ils déshonorent leur famille. La souffrance de tous les parents pauvres rencontrés en Europe, impuissants à offrir un avenir à leurs enfants, nous revient de plein fouet. Affrontant les enfants, nous exigeons d’eux qu’ils accordent le même respect à leurs parents que celui que nous leur accordons en dépit de leur mauvaise réputation. A ce prix seulement naîtra une réelle amitié entre nous. » p.25

 

Les jeunes qui vivent dans la rue ont beaucoup de mal à trouver du travail :

« Amidou, quinze ans : Quand tu cherches du travail, on te demande où est ta famille et, comme ta famille est loin, on ne te prend pas. Si tu arrives à Ouagadougou et que tu n’as personne, personne ne te prend. » p.27

 

« Mathias, 18 ans : Les enfants ont peur, ils ne veulent pas s’engager ailleurs et ils restent à la gare. Ils se débrouillent. Tu as une idée du boulot et tu crois que, partout, ça va être pareil. Tu penses que, partout, on fera tout pour te critiquer, soi-disant que tu as perdu quelque chose, pour pouvoir ne pas te payer ou te chasser. » p.27

 

 

Beaucoup d’enfants ont le sentiment angoissant d’être devenus inutiles et irrécupérables :

 

 

« Mouni, quatorze ans : Personne n’est né pour ne rien savoir. Des gens essayent de nous décourager en citant des proverbes bizarre comme : « Est-ce que le bois sec peut donner du fruit ? » Ou bien ils nous disent que nous sommes devenus comme du bois sec qui ne peut plus lier. Mais moi, je me bouche les oreilles pour ne pas entendre. » p.31

 

 

La première « action » au sens courant - en réalité la rencontre est déjà une action en soi - des volontaires est de mettrent à dispositions des enfants, sur leur demande, un robinet pour se laver.

 

 

« Ali quinze ans : Si tu es sale, il est impossible que tu trouve du travail. » p.33

 

En effet, à cause de la saleté et de la honte qui en découlait les enfants n’osent plus chercher du travail, aller au dispensaire et encore moins retourner au village.


 

Beaucoup d’enfants n’osent même plus aller voir les associations qui faisaient des distributions de nourriture et de soins ! Les associations qui avaient critiqué la démarche d’ATD Quart Monde comme trop lente se retrouvent dans une position paradoxale où les « bénéficiaires » de leur programme n’osent plus aller bénéficier de leur aide… Apparaît alors la question de la causalité : on pouvait penser que les jeunes sont sales parce qu’ils sont pauvres, mais l’inverse est aussi vrai.

 

Il faut toujours faire très attention aux signaux qu’on envoie aux enfants : l’exemple de la paire de chaussure qui divise.

 

François est un jeune qui a laissé tomber ses études. Aujourd’hui il garde les mobylettes devant la gare, car il a honte de retourner dans son village et d’être considéré comme un bon à rien.


 

Sur la demande de d’autres jeunes de la gare, les volontaires vont rencontrer François et essayer de le soutenir pour qu’il puisse reprendre ses études dans un cours du soir, ce dont il rêve. Cela marche, et devant ses bons résultats du premier semestre, les volontaires décident de lui offrir une paire de chaussures pour l‘encourager.

 

« Les jeunes, qui nous avaient interpellés auparavant, viennent alors chacun à leur tour exprimer leur profond mécontentement. Qu’est-ce qui justifie que François ait reçu une paire de chaussures ? Est-ce que leurs efforts à eux comptent moins que lui ? Est-ce qu’ils valent moins que lui ? Et François ne va-t-il pas avoir honte d’eux maintenant ? Il y a, dans les réactions de ces jeunes, un profond désarroi, un appel de détresse pour que leur camarade ne les abandonne pas. » p.38


 

« Le geste que nous avons eu leur est apparu comme une tentative pour les diviser. Tous, ils rêvent d’apprendre un métier et d’être comme les autres. Aucun n’est heureux de la vie qu’il mène, mais voilà qu’on leur signifie qu’à nos yeux un de leurs camarades a plus de courage. » p.38

 

 

Cet exemple illustre parfaitement le fait qu’il ne suffit pas de vouloir bien faire pour faire le bien.

 

Les volontaires s’aperçoivent que de toute évidence, il faudra permettre à ces enfants d’être accueillis dans le monde du travail :

 

« Mais cela devra se faire à partir d’un rassemblement où tous seront solidaires. Que jamais la réussite de l’un ne devienne l’humiliation de l’autre. Que la réussite de l’un, au contraire, devienne la fierté de tous. » p.39

 

 

Les volontaires envisagent alors la création d’ateliers professionnels dans la cour. Mais avant cela il faut déjà construire les bâtiments qui accueilleront ces ateliers.


 

Les volontaires décident alors de proposer à quatre jeunes des plus fragiles, des plus démunis pour travailler sur ce chantier :


 

« Avec ces quatre jeunes, la réussite n’est pas certaine. D’aucuns nous reprochent notre inconscience, mais une seule chose nous préoccupe : dès le départ, il faut garantir que ce projet de « partage du savoir » soit accessible à tous les enfants, à commencer par les plus démunies d’entre eux. » p.39

 

 

 

Il faut du temps pour convaincre les jeunes de participer à ce chantier. Ils n’ont pas confiance en eux et hésite à accepter. Mais après de nombreuses discussions, ils finissent par accepter le défi.

 

 

« Malgré les difficultés, Madi, Alexis, Sayouba et Lamine tiennent bon. Sur le chantier, ils expérimentent les différentes étapes de la construction des bâtiments et découvrent l’importance des travaux de finition. Nous effectuons avec eux toutes les taches ingrates, refusant de les cantonner à des rôles auxiliaires et Matthieu, l’artisan maçon, a compris la nécessité d’accorder son rythme au leur : il est impossible de leur donner un programme de travail pour la matinée et de les laisser se débrouiller seuls. » p.40

 

Au terme de deux mois et demi de chantiers les deux bâtiments sont construits !

 

Réactions d’Alexis : « Il n’y a pas d’enfants qui ne veulent pas travailler. Moi-même je ne savais pas que je pouvais construire les murs, tôler une maison et même apprendre l’électricité et le crépissage ». p.40

 

En voyant ce qu’on construit ces quatre jeunes auparavant méprisés par chacun, les autres enfants sont impressionnés et se disent, « mais s’ils sont capables de construire ces bâtiments, alors nous aussi on peut le faire ! »

 

 

Ainsi en choisissant de travailler avec les plus fragiles, les volontaires ont lancé une dynamique positive qui redonne espoir et confiance en eux à tous les enfants qui vivent dans la vue, même ceux qui n’ont pas participé au chantier.

 

 

ATD Quart Monde décide donc d’organiser des stages de formations dans ces nouveaux locaux :

 

 

« L’objectif de ces ateliers n’est pas de créer un centre d’apprentissage dans la cour mais de réunir des enfants et des jeunes autour d’un artisan, le temps d’un stage. Qu’ensemble, ils prennent part à la connaissance de leurs aînés s’émerveillent de la richesse des métiers et retrouvent confiance en leur capacité d’apprendre. Qu’ils réalisent de leurs mains quelque chose de beau et d’utile pour leur communauté et de là s’ouvrira - peut être - un chemin vers la formation et le travail ». p.43

 

 

Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD Quart Monde, s’enthousiasme pour ce projet et dit : « Ce devrait être une Cour aux cent métiers ! »

 

S’en suivent donc des stages de menuiserie, de poterie, de mécanique, couture…

 

 

Ousmane, 15 ans, suite à un stage de maçonnerie : «  Je ne m’attendais pas à être là. Par coup de chance, vous m’avez appelé pour suivre ce stage qui va me soutenir dans la vie. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir. Comme j’ai appris quelque chose, je me mets à l’idée que je pourrais retourner chez mes parents et qu’ils seront fiers. Comme, avant, je ne faisais rien, il y avait des rancunes. Si tu ne peux pas donner quelque chose à tes parents, cela ne va pas. » p.46

 


L’histoire se poursuit avec une participation plus large à la vie de la ville : représentation théâtrale, participation au FESPACO,…

 

 

 

Repères pour l’action


 

Sans vouloir faire ressortir une méthodologie unique sur la manière de monter un projet qui se fasse réellement au rythme de chacun, c’est-à-dire d’abord des plus fragiles, il est important à partir de cette expérience de chercher à toucher du doigt certains des éléments qui peuvent être les clefs d’un projet où les habitants se sentent réellement acteurs et initiateurs d’un projet.

 

 

  • L’importance de prendre le temps de la rencontre

     

Les volontaires ont attendus deux ans avant de faire le premier chantier de maçonnerie. Cela peut apparaître comme un temps très long avant d’entreprendre une « action », mais en réalité, la rencontre est déjà une action en soi !

 

 

 

Claude Heyberger :« Il n'y a pas de rencontre entre celui qui sait et celui qui ignore, entre celui croit savoir et celui qui pense qu'il ignore, entre celui qui a et celui qui demande, entre celui qui a tort et celui qui a raison…

 

 

 

La rencontre n'est pas une démarche initiale, elle est la condition permanente d'une relation patiente dans laquelle personne n'impose rien à personne. Dans la rencontre, chacun peut exister dans son savoir, son expérience, sa pensée, sa fierté. Elle est réciproquement valorisante. Elle doit encourager chacun à être en mesure de poser des gestes pour le bien de ceux qui l'entourent et ainsi contribuer à redonner sens à sa vie. »[2]

 

 

 

  • Refuser l’assistanat

 

 

« Dès le départ la Cour aux cent métiers ne s’est pas bâtie en réponse aux demandes d’assistance des enfants en vêtements, en nourriture, en médicaments, ni pour suppléer à leur manque de logement ou de travail. Non seulement les moyens nous manquaient mais, surtout, une telle prise en charge risquait de rendre dérisoire leurs propres efforts et des les marginaliser d’avantage encore du fait d’une dépendance donc, au plus profond d’eux-mêmes, ils ne voulaient pas. » p.92

 


 

 

  • S’adapter réellement aux enfants tout en gardant des exigences fortes.

 

« Les temps d’évaluation avec les enfants participant aux ateliers constituent également une véritable école de formation et permettent d’adapter continuellement l’apprentissage en fonction des difficultés et des espoirs de chacun. Mais cette adaptation ne signifie pas pour autant le renoncement aux exigences de tout apprentissage.

 

 

Trop souvent en effet, face à ces enfants, la tendance est de réduire les exigences, contribuant ainsi à rendre plus durables leurs difficultés. Dans la Cour, nous insistons au contraire sur les exigences de la formation : respect des horaires, qualités du travail, responsabilisation envers le matériel et évaluation mensuelle. Tout en tenant ferme ces exigences, il revient à l’équipe de provoquer des situations où chaque enfant peut constater qu’il progresse effectivement. Dans la Cour, les enfants aiment venir apprendre d’abord parce qu’ils sentent que leur réussite est souhaitée » p.93

 

 

 

  • Chercher à rejoindre les enfants les plus démunis

 

 

« Comme dans tout projet qui prend forme et se développe, la tentation est grande parmi l’équipe de volontaires et d’amis de céder au désir de suivre, de réfléchir et d’agir avec les enfants les plus dynamiques, avec ceux qui s’expriment le mieux. Pour parer à cette tentation, l’équipe s’oblige à toujours retourner dans la rue, rencontrer sur leurs lieux de vie les enfants qui n’osent pas venir à la Cour, aller aux nouvelles de celui qui a manqué le cours ou l’atelier et explorer de nouveaux quartiers sans cesse à la recherche d’autres enfants.

 

 

Ces rencontres dans la rue permettent de rester au plus proche de ce que vivent et espèrent les enfants. A tout moment, les actions doivent pouvoir être repensées et réajustées, dès lors qu’elles ne correspondent plus aux attentes et aux nouvelles situations vécues par les enfants les plus démunis. De cette connaissance sans cesse réactualisée peut naître une réflexion et une action ne mettant personne à l’écart. » p.95

 


 

 

  • Reconnaître l’histoire des enfants, c’est-à-dire leur appartenance à une famille, à une communauté,  un pays.

 

 

Adama : « On ne peut pas vivre sans sa famille parce qu’on ne pourra jamais être heureux »

 

 

 

Claude Heyberger : « un enfant qui vit dans la rue n’est pas un “ enfant de la rue ” réduit à n’être que sa situation. Il est avant tout un enfant issu d’une famille, porteur d’un savoir familial, d’une éducation, et donc d’un regard sur le monde qui l’entoure. »[3]

 

 

 

 « Ainsi, après une première étape pour reprendre force et confiance, les enfants espèrent, dans une deuxième étape, être soutenus dans des projets propres à les revaloriser aux yeux de leur famille et de leur communauté. A cette fin, toutes les activités de la Cour comptent une dimension familiale. Les fêtes annuelles, par exemple, sont avant tout une occasion pour que parents et enfants se retrouvent dans la fierté » p. 95

 

 

 

 


 

 



[1] Les volontaires permanents du Mouvement ATD Quart Monde sont des hommes et des femmes d’origine et de formations diverses, qui rejoignent durablement les populations très exclues de par le monde.

[2] Extrait de l’intervention de Claude Heyberger, qui a travaillé 10 ans au Burkina Faso pour ATD Quart Monde, lors de la conférence à 3A sur le thème : « Les projets de développement, Les projets humanitaires, qu’en sais tu ? » le 8 mars 2005. Retrouvez l’intégralité de son intervention sur le site : http://boribana.over-blog.com

[3] Intervention de Claude Heyberger à 3A, op. cit.

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commentaires

B
tres interessant
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S
c'est une action formidable, la première etape c'est celle que je trouve la plus intéressante (c'est la seule que j'ai lu...) Bravo !!
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B
<br /> <br /> ok<br /> <br /> <br /> <br />