THEORIE DE
L'EVOLUTION

Mythologie Bégo



les signes du bego. . un pantheon à ciel ouvert. du mythe à la raison


L’homme aux bras en zigzags ZIV.GIII.R16D, Bego


Relevé de la roche de « l’homme aux bras en zigzags »,  ZIV.GIII.R16D, Bego


Discussion

Le chamanisme ou shamanisme est une approche mytho-symbolique qui cherche à établir une relation entre des humains et les esprits d’une « surnature ». Cette volonté a une fonction, celle de  gérer l'aléatoire économique du groupe social.
« Sam » est une racine altaïque signifiant s'agiter en remuant les membres postérieurs. « Saman » vient du toungouse qui signifie danser, bondir, remuer, s'agiter.
Chez les Bouriates la définition du mot « chamane » recouvre l’idée d’encornement (ou affrontement) ce qui peut être intéressant au regard des nombreux corniformes affrontés existant sur le site du Bego.
Pour  Bertrand Hell le saman est, soit « celui qui sait », soit celui qui « bondit, s'agite, danse ».
Mais c’est aussi celui qui, par la souplesse de sa fonction, et sa relative liberté par rapport aux églises instituées, facilite l’adaptation aux situations de crise.

Horst Kirchner en 1952 a été probablement le premier à tenter d’expliquer sérieusement l'art paléolithique pariétal par un chamanisme.
Andreas Lommel, dès 1960, confirme son travail et écrit : « On a pu proposer, grâce à l’art de chamans qui vivent à notre époque, que de nombreuses peintures rupestres franco-cantrabriques, même anciennes, sont « chamanistes », c’est-à-dire qu’elles sont l’œuvre de chamans et s’inspirent de leur mode de pensée ».

André Leroi-Gourhan, préhistorien spécialiste de l'art pariétal, et Roberte Nicole Hamayon, ethnologue spécialiste du chamanisme, ont depuis nuancé cette lecture.

Les attributions du chamane sont nombreuses : il communique avec les esprits à l’aide de la transe au cours de rituels mais également par le moyen de songes ou de visions.
La transe est en fait une pratique, un geste de la conscience, qui, souvent associée à des éléments rythmiques et musicaux, permet le « passage ».
Le chamane, pour Roberte Nicole Hamayon , est un personnage religieux, qui, de prime abord, se signale par une expression corporelle et un état psychique particulier, dont les tremblements sont l'élément le plus évocateur. Mais elle décrit également des bonds, des cris, des gesticulations. L’ensemble est en général suivi d’une chute dans l’inertie. Cependant tous les chamanes ne connaissent pas ce type de transe et certains chamanes amérindiens ont recours à des plantes psychotropes. Ce comportement est imputé par les sociétés intéressées au contact direct avec des êtres surnaturels ou esprits. « Ce contact est considéré comme le moyen d’action du chamane, grâce auquel il assure de multiples fonctions jugées indispensables à la vie de la communauté: elles vont de l’obtention de la chance à la chasse ou de la fécondité des êtres naturels et l’appel de la pluie jusqu’à la divination ou à la voyance, à la cure ou à l’envoi de certaines maladies, et aux relations avec les morts. […] Des éléments chamaniques ont été repérés dans les sociétés antiques (à propos du culte dionysiaque par exemple). »
Ainsi le thème du chamanisme, associé à un mode de vie primitif, appartenant surtout aux sociétés archaïques, est un phénomène bien identifié et quasiment universel. Est-ce une disposition psychique demandant une pratique individuelle comme le suggère Van Gennep en 1903, cité par Roberte Nicole Hamayon, lorsqu’il écrit qu’« il n’y a pas de religion chamanique, il y a seulement une sorte d’hommes» ? Mircea Eliade, dans un ouvrage général sur la question , propose d’y voir l’expérience religieuse à l’état brut. Pour lui le chamanisme repose sur l’idée de montée au ciel grâce à un axe du monde et se définit comme une technique extatique, compatible avec toutes sortes de croyances. Son ouvrage a développé une vue mystique du chamanisme. En effet, le chamanisme, non lié à un dogme, procède à l’expérience métaphysique de deux niveaux de réalité, l’un naturel, l’autre surnaturel. Ces niveaux sont régis par des lois différentes. Pratiquement, le chamanisme se résume en des expériences psycho-extatiques provoquées, dont les formes sont très variables et dépendent des moyens utilisés par le chamane afin d’influencer les esprits, rééquilibrer des forces ou rétablir des harmonies. Le chamanisme étant avant tout un état d’esprit, tout membre de la société peut avoir, à des degrés divers, des activités de type chamanique (divination, magie, etc.). Le rôle du chamane, garant de la santé morale et physique du clan, est très éloigné de celui du prêtre dont l’action relève d’une idéologie ordonnant les rites et définissant le domaine du sacré. Mais, par ailleurs, des techniques de type chamanique ont été employées dans le cadre de certaines religions (par exemple : religions de l’Inde, bouddhisme tibétain, etc.).
Dans le chamanisme de chasse il a pour fonction première de garantir la vie du groupe en gérant les ressources naturelles que représente le gibier. Cette fonction de régulation qui, à la fois pallie les aléas de l’apparition du gibier et justifie sa prise par l’homme, est une fonction fondamentale. Comme le souligne Roberte Nicole Hamayon, cette gestion repose sur la conception que les êtres naturels dont les humains se nourrissent (gibier, poisson, végétaux) sont animés par des esprits, qui sont à l’animal ou à la plante ce que l’âme de l’homme est à son corpsElle consiste à établir et à entretenir des relations avec ces esprits pour avoir accès aux être naturels qu’ils animent. Autrement dit, les esprits  des animaux évoluent  dans le monde non sensible de la «surnature», le chaman pour les rejoindre doit lui-même se transformer en animal et épouser la fille de l'esprit donneur de gibier (l'esprit de la forêt).  
« Il s’agit d’à agir symboliquement sur la surnature, comprise comme ce qui anime la nature, en vue de pouvoir prélever dans les ressources de celle-ci. C’est la gestion globale de cet échange qui incombe à la fonction chamanique. Cet échange est régi par un accord, voire par une véritable relation d’alliance avec la surnatureMais la loi de l’échange veut que le chamane rende compensation pour sa prise. C’est lui-même qu’il rend, offrant finalement à la surnature animale sa propre force de vie: dans le cadre rituel, après son éclat de furie sauvage, il tombe comme mort, accomplissant dans sa propre personne la totalité du circuit d’échange entre humanité et surnature. Ainsi est-il voué à assumer jusqu’au bout le destin du modèle animal auquel il s’est d’abord identifié par la virilité: il doit, comme lui, finir en gibier ».

Lorsque peu à peu la chasse cède le pas aux activités d’agriculteurs-pasteurs, le but du  chamanisme se déplace. La survie de la communauté dépend davantage du bon rapport avec les esprits des ancêtres. Le lieu d’intervention n’est plus localisé à la forêt, il devient celui du Ciel, et vers le bas, des Enfers. Cet axe est souvent ressenti comme étant une échelle à barreaux ou encore parfois un arbre, avec ses branches et ses racines. Le chaman est celui qui a la capacité de monter et descendre le long de ces différents niveaux de réalité.

Des esprits auxiliaires et un esprit électeur donnent au chamane les moyens de mener à bien son « voyage ». Le chamane prend possession de l'esprit auxiliaire au cours de la séance chamanique. Pour Roberte Nicole Hamayon, le chamane se métamorphose dans l’esprit : c'est une sorte d'ensauvagement qui permet à l'auxiliaire de l’accompagner dans l'au-delà. Pour Mircea Eliade il s’agit d’une « expérience » ou d’un « voyage extatique ».

La dimension sacrée du mont Bego
La situation privilégiée du mont Bego et de sa région, véritable lieu de passage et d’échanges pour les peuples de la partie occidentale du Bassin méditerranéen, le rattache tout naturellement à une conception mythologique générale du Bassin. Le sanctuaire du mont Bego devait attirer les peuples du Chalcolithique et de l’âge du Bronze ancien de la plaine du Pô, de la vallée du Rhône et de la côte Provençale, comme le suggèrent les attributions culturelles et chronologiques des armes gravées.
Son inscription géographique au cœur du monde méditerranéen fait de ce lieu, soulignent J. Abelanet et H. de Lumley, « un site de rassemblement saisonnier pour les agro-pasteurs des régions européennes voisines. Le site était-il consacré à un culte du taureau dédié aux activités agricoles et à la protection des troupeaux lors des transhumances ? Ces propositions rattacheraient le site à la plus vieille mythologie méditerranéenne. »
En effet, nous pouvons penser que toutes les gravures représentent des animaux hautement symboliques. Au mont Bego domine la figure du taureau, au Valcamonica celle du cervidé. Ces gravures rupestres n’ont-elles pas pour seule vocation de mettre en exergue une dimension mythique ou spirituelle ? Deux éléments culturels semblent avoir joué un très grand rôle dans la venue des graveurs dans cette région : la montagne et l’eau. «La notion de montagne sacrée était omniprésente dans toutes les cultures traditionnelles et en particulier dans nos civilisations occidentales comme en témoignent une multitude de sanctuaires construits sur des hauteurs Pour les populations de l’âge du Bronze, le dieu du ciel n’a‑t-il pas sa demeure dans les hauteurs, ce qui pourrait expliquer la fréquentation du mont Bego ? Il existe plusieurs montagnes sacrées dans le monde méditerranéen comme le mont Sinaï, gravi par le grand prêtre Moïse : «Moïse ! N’approche pas d’ici, enlève tes sandales de tes pieds car le lieu sur lequel tu te tiens debout est un sol de sainteté…Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… Je suis descendu pour délivrer mon peuple des mains des égyptiens…Va, fais sortir d’Egypte mon peuple, vous servirez dieu sur cette montagne.» (Exode, II, 1-10)

Concernant l’exécution des gravures au mont Bego, il existe probablement chez les graveurs une forte tradition religieuse que l’on devine par la transmission rigoureuse des motifs, représentés durant plus de 1600 ans. Le style est identique, hormis quelques petites variantes. La religion du mont Bego devait être une religion initiatique.

Roberte Nicole Hamayon nous rappelle qu’il existe un véritable  « chamanisme d’élevage » en relation particulière avec les morts. Ainsi, à mesure que l’élevage ou l’agriculture prennent le pas sur la chasse, se développe la gestion des âmes humaines. Les relations avec les morts tendent alors à prendre le pas dans l’activité du chamane sur celles avec les esprits animaux. En effet les morts de ces sociétés tribales, au sommet de l’échelle gérontocratique, ont désormais le pouvoir, en errant sur la tribu, de favoriser ou non les récoltes. Au-delà des sacrifices ou des dons que la tribu octroie à l’ancêtre, la mission du chamane est éventuellement d’apaiser l’âme du mort.
Les esprits d’origine animale ont désormais mué en esprits humains même s’ils empruntent souvent des formes animales. Dans ces sociétés pastorales la vie dépend déjà plus de la possession de pâturages ou de champs, légitimée par l’héritage, que de facteurs naturels comme la pluie. L’auteur parle alors d’une véritable mutation de l’activité chamanique.
Cette mutation se devine également dans l’attitude chamanique: à la séduction et à la ruse vis à vis des esprits animaux partenaires succèdent la vénération et la louange à l’égard des esprits ancestraux ou, au contraire, la consolation, le marchandage ou la tromperie à l’égard des esprits des morts. Mais peu à peu l’humanisation des esprits auxquels s’adresse le chamane se traduit par le développement du langage dans le rituel, au détriment du mime, qui tend à passer pour un épisode ludique, teinté de dérisoire
En définitive, l’acte chamanique est un contrat entre l’homme et la nature fait de rituels visant au renouvellement de la vie mais à l’aide d’une réutilisation des âmes ou des principes vitaux tant au sein des espèces naturelles que des groupes humains. Cette autre approche est souvent explicitée par des rituels symbolisant des notions de mort et de renaissance. Ainsi les danses d’imitation des animaux qui visent à  favoriser la prospérité des troupeaux. Cette notion d’intervention et contrepartie humaine cède la place à mesure que se développe une forme d’économie organisée, permettant offrandes de nourriture, sacrifices, etc.
En définitive la démarche chamanique peut être considérée comme une  gestion de l’aléatoire réalisée par le jeu de relations contractuelles avec des partenaires surnaturels. Mais comme le précise R. N.Hamayon « la nature contractuelle des relations mises en œuvre fonde l’incapacité attestée du chamanisme à se muer en religion organisée et à s’élever au niveau étatique; lié à un état archaïque de société acéphale, il se marginalise face à tout pouvoir centralisateur, devenant une forme de contre-pouvoir; l’art de négocier qu’il réclame fraye la voie de la subversion. Cependant, l’intention de séduire, qui explique la personnalisation de la pratique, mène le chamanisme à être un creuset de créativité et une voie d’expression personnelle ». Ce pragmatisme, qui fait la faiblesse institutionnelle du chamanisme, fait aussi sa force d’adaptation; toujours présent aux marges d’autres idéologies, il est même revivifié par la situation de crise, car, là où les religions proposent la soumission à des instances transcendantes, il offre le recours de la connivence personnelle avec des partenaires indéfiniment renouvelables:  il ouvre la voie de la chance.
Peut-on parler d’une dimension chamanique chez les populations de graveurs du mont Bego ?
Le site de la région du mont Bego se prête tout naturellement à la culture d’une ambiance magico-spirituelle. Cette ambiance est alimentée par une grande variété de signes les plus souvent représentés de façon symbolique. Les travaux de Jean Clottes et David Lewis-Williams, clairement exposés dans leur ouvrage « Les chamanes de la préhistoire », peuvent permettre de répondre à cette interrogation. Leurs recherches en neuropsychologie en laboratoire soulignent que la transe chamanique se déroule selon un processus constant et universel comprenant trois stades faisant partie intégrante du système nerveux humain. Ces états modifiés de conscience qui ont existé de tout temps ouvrent de nouvelles perspectives applicables, selon nous, à certaines gravures rupestres de la région du mont Bego.
Le premier stade de la transe chamanique se caractérise par la vision de formes géométriques qui peuvent être des zigzags, des points, des grilles, des ensembles de lignes ou de courbes parallèles. Ces formes scintillent, bougent, peuvent s’élargir, se contracter et se mêler entre elles. Les yeux ouverts, elles peuvent être perçues comme projetées sur des surfaces.



Les première et deuxième étapes des états de conscience modifiée


Dans le second stade, les objets perçus sont chargés de signification religieuse ou émotionnelle. Ces significations sont très influencées par la culture dans laquelle baigne le sujet. Des zigzags deviendront par exemple les ondulations d’un serpent.
Dans le troisième stade, le sujet est attiré par un tourbillon dont les bords sont tapissés de formes géométriques similaires au premier stade et dont l’issue est une vive lumière. C’est à ce stade que l’on a le sentiment de pouvoir voler en se transformant en oiseau mais également, on ne se contente plus seulement de voir des choses étranges, mais l’on devient ces choses.  Ainsi le chamane se sent devenir un animal.


La troisième étape des états de conscience modifiée
Application à la roche ZIV.GIII.R16D


Relevé de la roche ZIV.GIII.R16D, Bego

Si l’on observe la roche ZIV.GIII.R16D de l’homme (Antropomorphe) aux bras en zigzags, nous sommes surpris de constater que ses bras nous rappellent les tremblements de la transe décrits par la plupart des ethnologues comme R. N. Hamayon. Nous observons également sur d’autres roches voisines de simples zigzags rappelant les ondulations d’un serpent ou le mouvement d’une rivière. D’autre part, la forme géométrique en grillage décrite par Jean Clottes et David Lewis-Williams est présente non seulement tout autour du personnage mais le personnage semble s’introduire en elle, rappelant en cela le sujet de la transe qui entre dans le tourbillon tapissé de formes géométriques. 

                                                

 

Le dieu de la  foudre                                   Le réticulé

Stade 1,  figure géométrique

                            ZIV.G III.R 11A, Bego

 

La première étape des états de conscience modifiée
Le réticulé et les zigzags composant les bras du dieu de la foudre rappellent étrangement les figures géométriques du stade 1 de la transe chamanique.
                                                       

Deux corniformes à droite et au-dessus
de l’homme aux bras en zigzag, Bego

Bouquetin de Niaux, avec une corne en zigzag

La deuxième étape des états de conscience modifiée
Les animaux au stade 2, bien que schématiques, ne sont pas encore anthropomorphisés. Cependant il s’opère un glissement dans la représentation de certains corniformes qui, de figurative, se dépouille, pour devenir fortement symbolique. La corne en zigzag du bouquetin rappelle la figure géométrique du stade 1. Elle est à rapprocher des nombreuses cornes en zigzag du mont Bego tel que :



ZXIGO.Autel.Ensemble D.n°727


ZIV.GIV.R10A.n°3

 
Anthropomorphe
aux bras en zigzag
ZIV.GII.R11A.n°8

Corniforme aux
cornes en zigzag ZVI.GII.R7A

 

Le cercle entourant la tête n’est-il pas assimilable à un halo, symbolisant l’extase de la transe ?
Au-delà des différentes figures ou signes rappelant les étapes de l’état de transe, il faut noter sur la même roche, une figure anthropomorphisée, de l’aboutissement du rituel chamanique. Ici, reprenant les mots de R. N. Hayamon, « la surnature » du corniforme fusionne avec celle du chamane.


               

Déesse corniforme acéphale
 rappelant les êtres composites
 mi-humains mi-animaux, connus
 dans des contextes chamaniques
 typiques du stade 3, Bego

Gravure pariétale de la grotte des Trois-Frères, Ariège, Magdalénien, d’après H. Beguen et H. Breuil. Scène mythique ou représentation de magie de chasse.

Dans la grotte des Trois-Frères en Ariège, le petit personnage appelé « Petit sorcier à l’arc musical » présente des caractères humains et animaux (bison).

Troisième stade de la transe chamanique

La gravure de la déesse corniforme acéphale n’est pas sans nous rappeler « les créatures composites, parfois appelées anthropozoomorphe, thérianthropes, sorciers, qu’évoquent Jean Clottes et David Lewis-Williams. Ce thème apparaît dès l’Aurignacien (art pariétal de Chauvet) […] et il est encore présent dans le Magdalénien moyen des Trois-Frères, près de vingt mille ans après ses débuts. »  

Nous pourrions également évoquer la gravure du dieu taureau ou dite du « chef de tribu » dans la mesure ou elle est constitué dans ses moindres détails par des corniformes. Cette représentation anthropomorphe mi-humaine, mi bovine est très fréquente sur le site.

 
Le chef de tribu

RocheZ VII. GI.R8, ,Bego

Le jeune chamane « choisira fréquemment un site d’art rupestre considéré comme un lieu adéquat pour la recherche de visions. Le critère essentiel du lieu retenu est son isolement. Loin des humains et de l’aide de sa communauté il va jeûner et méditer.» Il n’est pas rare que la recherche de la transe se fasse à l’aide de sons et de rythmes naturels comme « le martèlement incessant du torrent. » La région du mont Bego ne réunit-elle pas ces conditions même si, de prime abord, le lieu peut paraître hostile ? Cependant il est vraisemblable de penser que le site servait de cadre à des initiations collectives de type  chamanique. Le nombre très élevé de gravures plaide pour cette hypothèse.
A propos du corps du chamane, par exemple celui « du dieu de la foudre » (ZIV.G III.R 11A), sa description nous semble pouvoir être mise en regard des signes présents sur la même roche: le réticulé au-dessus de la tête de l’homme aux bras en zigzags ne rappelle-t-il pas une échelle ? Le corps de l’homme aux bras en zigzags, un poteau ou un arbre ?
« La sensation de s’élever s’exprime également dans les histoires de chamanes qui montent au ciel au moyen d’une échelle, d’un arbre ou d’un poteau. Les chamanes san traduisent ce concept par un réseau invisible de fils, un peu comme une toile d’araignée qu’ils gravissent jusqu’à la demeure divine. »
En ce qui concerne l’exploration par les voyages extra-corporels des mondes inférieurs par les chamanes, Clottes et Lewis-Williams ont souligné que « l’origine souterraine de certaines de ces images est suggérée par la façon dont elles paraissent sortir de fissures et autres accidents de la surface rocheuse ou y entrer. »
Il existe également sur cette roche des gravures telles que des cupules, des fines barres de cupules, en un mot des signes qui nous rappellent certaines caractéristiques de l’art pariétal paléolithique à ce jour non interprétées (nappes de points, signes évoquant les armes de jet).
« Ces représentations non figuratives, que certains préfèrent appeler idéomorphes, idéogrammes ou symboles plutôt que signes, accompagnent toujours les animaux pendant les vingt-cinq millénaires de l’art pariétal. […]
Les animaux sont toujours accompagnés de signes géométriques et de tracés indéterminés. La représentation humaine reste en arrière-plan. »
Sur la roche qui nous occupe, que dire de l’arme qui frappe la tête de l’homme aux bras en zigzags, des poignards et des groupes de cupules et signes géométriques disséminées à proximité des corniformes ?
Ne peut-on avancer, comme dans tous les rituels de sacrifice, que le chamane doit « mourir à sa nature ordinaire pour rejoindre la surnature par sa nature spirituelle » ?


 Naquane, Capo di Ponte, Valcamonica, Italie
Gravures rupestres d’un événement social


 
figure anthropomorphe aux grandes mains,  émettant des rayons d’énergie

 

figure anthropomorphe à masque de tête animale

Dans la composition de figures anthropomorphes schématiques représentant un événement social (figure 112), le professeur Anati nous fait remarquer qu’en bas de la roche, en position centrale, nous pouvons observer une figure anthropomorphe à tête animale (probablement un masque). Immédiatement au-dessus nous voyons une figure humaine aux grandes mains qui émet des rayons d’énergie de tout son corps. Cette figure a été interprétée comme étant celle d’un chamane.

Discussion

Il n’est pas dénué de sens d’envisager au cœur du sanctuaire et panthéon à ciel ouvert de la région du mont Bego une dimension chamanique même si elle reste discrète. Toutes les grandes religions ou mythologies semblent avoir connu ce type de personnages mystiques, marginaux, échappant à tout pouvoir religieux étatique. Comme le dit si bien Hayamon, c’est à la fois leur force et leur faiblesse, leur force car ils s’adaptent en permanence avec une certaine créativité aux modifications de la société. De plus, comme l’écrivent Jean Clottes et David Lewis-Williams, « il n’existe pas dans le chamanisme de distinction entre théologie et cosmologie ; explorer le cosmos, c’est aussi explorer les univers spirituels. C’est à l’intérieur de ce cosmos étagé que les chamanes fonctionnent. »
Il peut paraître étonnant de parler d’une dimension chamanique d’élevage ou même de chasse  existant dans la région du mont Bego au Chalcolithique. En effet il est très probable que les peuples agriculteurs-pasteurs et métallurgistes de cette époque continuaient à pratiquer l’art de la chasse et préservaient ainsi le patrimoine culturel propre aux chasseurs-cueilleurs. Jean Gasco dans son ouvrage L’âge du Bronze dans la moitié sud de la France, nous rappèle que la place  consacrée à la chasse par rapport à l’élevage dés la fin du chalcolithique jusqu’à moins 800 ans n’était pas négligeable et nécessite un choix de vie. De plus un chamanisme d’élevage avait tout sa place auprès de ces peuples  
Le Bœuf sauvage y a été chassé, même si à la fin de l’âge du Bronze on ne le trouvait plus guère qu’en Dordogne. Au Val D’enfer, sur une grande roche, on peut aisément observer une scène représentant une silhouette humaine tirant à l’aide d’un arc sur un capridé ou un bovin.
Toujours d’après l’auteur même s’il est difficile d’affirmer que les poignards servaient à la chasse, les lances à pointe de bronze laissent peu de doute quant à leur utilisation pour l’attaque des grands animaux (mais il n’y a aucune représentation de pointe de lance sur les sites du mont Bégo. La lance à pointe en bronze apparaît au Bronze Moyen et pouvait servir autant au combat qu’à la chasse).
De nombreux travaux produits par l’équipe du professeur Henry de Lumley depuis 1960 soulignent qu’au mont Bego nous ne sommes pas en présence de représentations dites « de l’art pour l’art  ». Que ces signes soient d’inspiration religieuse, associés à des rites visant la garantie d’abondance surtout en période difficile, n’exclut à notre avis en rien l’étroite complicité existant ici entre l’homme et le taureau. Le taureau peut facilement être considéré comme le totem du groupe qui le vénère. Nous avons vu également que la mutation et la souplesse des pouvoirs du chamane se conciliaient fort bien avec les nouvelles mythologies des peuples agriculteurs-pasteurs.
L’abbé Breuil imagine que les représentations d'animaux ou de scènes de chasse sont censées aider les hominidés dans leur recherche de nourriture. En attribuant aux images un pouvoir surnaturel, les hommes préhistoriques pouvaient ainsi exorciser leurs démons, et se « garantir » une chasse fructueuse ou, par la suite, des récoltes abondantes, ou encore une bonne fécondité des troupeaux.

Pour ce faire, le chaman doit, à l’aide d’outils spécifiques, entrer dans une autre dimension de lui-même. Des rites précis et codifiés par le groupe ouvrent un passage initiatique et vont l’aider à communiquer avec les esprits. Le feu, mais également le son du tambour lui permettront de quitter son corps (il s’agit plus exactement d’une expansion de la conscience, capable dès lors d’expérimenter une hors limite corporelle). Le son incantatoire, monotone, quasi perpétuel semble être le premier vecteur de la transe. Nous avons déjà souligné que le berceau sonore que représente ce lieu animé par les torrents et le vent de la région du mont Bego semble particulièrement propice a l’expérience chamanique.
Le chaman initié a le plus souvent des prédispositions bien identifiés dès son plus jeune âge. Il apprendra par la suite à développer et à contrôler ses états de conscience altérée.

Eugène d'Aquili et Andrew Newberg, neurologues à l'université de Pennsylvanie ont pu démontré  que les états modifiés de conscience, que ce soit les extases mystiques ou les sensations chamaniques de conscience universelle, correspondent à un processus cortical précis, mettant hors circuit la zone du néocortex qui permet de distinguer le soi du non‑soi.
Pierre Changeux ou Jacques Monod avaient déjà évoquer cette possibilité, tout en la réduisant à des épiphénomènes hallucinés. Les progrès des neurosciences et de l’imagerie cérébrale semblent confirmer que la démarche mystique serait une nécessité inscrite dans les fibres mêmes de notre système nerveux central. Plus exactement il s’agit du « cortex pariétal supérieur arrière » rebaptisé pour la circonstance « aire associative pour l’orientation » (AAO). L’AAO a pour fonction de tracer une séparation précise entre l’individu et le reste de l’univers. Elle trie pratiquement dans l’instant le flux d’impulsions nerveuses provenant des organes sensoriels du corps. Or, si l’AAO n'a aucune information sur laquelle travailler, elle n'a d'autre choix que de « percevoir » que le soi est désormais sans fin et qu'il se trouve en étroite interdépendance avec tout ce que le mental ressent, avec tout ce qui est. Cette perception est ressentie comme totalement et indiscutablement réelle et rien ne permet de dire qu'elle ne l'est pas.

 

L’aspiration « furieuse » de l’humain à rencontrer et à accéder au « radicalement autre » que les apparences peut désormais se lire par la scanographie. L’humain est naturellement capable  de transcender l’existence matérielle, de connaître la partie la plus inconnue de lui-même, de la ressentir comme une réalité absolue et universelle le reliant à tout ce qui existe. Ce qui fait dire à Pascal Boyer, anthropologue que « la capacité à vivre le soi/non-soi serait apparue au cours de l’évolution. Ce processus neurologique permet à l’homme de transcender l’existence matérielle et de percevoir une autre réalité fondamentale » .
Cette réalité universelle se lit dans les Upanishads :

Comme les fleuves coulant vers l'est et l'ouest
Fusionnent dans l'océan et s'unifient à lui,
En oubliant qu'ils avaient jamais été des fleuves individuels,
De même toutes les créatures perdent leur nature Individuelle.

Pour apprendre à rejoindre cet « autre réel » le chaman se soumet à un rite initiatique qui peut durer trois, sept ou neuf jours. Inanimés dans leurs abris, la personnalité des jeunes gens se morcelle et leur esprit se réfugie dans un nid Grand Arbre cosmique. Là, ils se «reconstituent» peu à peu et  apprennent à voir le monde et ses phénomènes selon une nouvelle perspective universelle et transcendante. Racontant son voyage terrifiant et ses révélations, il devient guérisseur et convoyeur des âmes (« psychopompe ») vers l'au-delà. Il comprend également le langage des animaux ou des ancêtres.

Rien à mon sens ne s’oppose à de longs campements et à une initiation chamanique sur le site aux paysages mystérieux de la « vallée des Merveilles » au cœur des Alpes du Sud. L’été, le climat n’y est pas brutal, l’eau en abondance ; les grasses prairies alpines permettent l’élevage, les animaux sont faciles à chasser. 

Cependant, en accord avec Rolland Dufrenne, je constate que ce sujet passionnant est très vaste. Il conviendrait méthodiquement de rapprocher les initiations chamaniques du contexte dans lequel évoluent les populations de graveurs.

Il est vraisemblable que les trois stades de la transe chamanique n’étaient pas obligatoirement illustrés sur la même roche par le même individu. Une étude plus détaillée des gravures et de leurs symbolismes doit être continuée.

Sources

CHANGEUX Jean-Pierre, CONNES Alain, « Matière à penser », Odile Jacob, Paris, 2000.

CHANGEUX Jean-Pierre, CONNES Alain, « Raison et Plaisir », Odile Jacob, Paris, 2000.

CLOTTES Jean, LEWIS-WILLIAMS David, « Les chamanes de la préhistoire », La maison des Roches, 2001, Paris.

DUFRENNE Roland, 1997, "La vallée des Merveilles et les mythologies indo-européennes", édition du CCSP, Capo di Ponte.

ECHASSOUX Annie et LUMLEY Henry de, 1991, « Historique de l'étude des gravures rupestres de la région du mont Bego. » In : Le mont Bego. Une montagne sacrée de l'âge du Bronze. Sa place dans le contexte des religions protohistoriques du bassin méditerranéen. Colloque international, Tende, Alpes-Maritimes, vendredi 5 au jeudi 11 juillet 1991, tome 1, pp. 73-81, 11 références bibliographiques.

ELIADE Mircea, 1951, « Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase », 5e éd. Payot, Paris, 1988.

ELIADE Mircea, 1963, « Aspects du mythe », rééd. 1991, Folio Essai, Gallimard, Paris.

ELIADE  Mircea, 1949, « Traité d’histoire des religions », Payot, Paris, rééd. 1979.

GASCO Jean, « L’âge du bronze dans la moitié sud de la France », Coll. Histoire de la France préhistorique, La Maison des Roches, Paris, 2000.

GUIRANDFélix, dir. « Mythologie Générale », 1936, 448 p, 882 gravures, 6 hors-texte en couleurs, Larousse, Paris, 1936.

HELL Bertrand,  « Possession et chamanisme Les maîtres du désordre », Flammarion, Paris 1999

LEROI-GOURHAN André, 1982, « Les racines du monde », Biblio/essais, Belfond, 1982.

LUMLEY HENRY de, 1991, La religion du mont Bego (Tende, Alpes-Maritimes). « Essai sur la religion des hommes de l'âge du bronze dans les Alpes méridionales. » In Le mont Bego. Une montagne sacrée de l'âge du bronze. Sa place dans le contexte des religions protohistoriques du bassin méditerranéen. Colloque international, Tende, Alpes-Maritimes, vendredi 5 au 11 juillet 1991, t.2, pp. 631-653, 12 réf. bibl.

MOHEN Jean-Pierre, 2002, « Art et Préhistoire », Finest S.A./Editions, Pierre Terrail, Paris, 207 p., 80 réf. bibl.

* Théorie un peu désuète présente un peu les hommes préhistoriques comme des esthètes à la recherche du "beau"... L'art pour l'art... l'art fait pour être vu...
Malheureusement la grande majorité de l'art pariétal est situé dans des endroit innacessible, comment, dans ce cas, imaginer une  recherche et cette création et d'ornements ?

Pourquoi dieu ne disparaîtra pas , Editions Sully, 2002

Pascal Boyer, anthropologue « La fonction spirituelle du cerveau » Nouvelle clés N° 39









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