Ma soutenance aura lieu le lundi 1 décembre 2014, à 15h, salle 308 à l’Ensad.
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Université Paris 8
DISCIPLINE : Esthétique, Sciences et Technologies des arts
SPECIALITE DOCTORALE : Arts plastiques et Photographie
Laboratoire Arts des images et art contemporain – EA4010
Équipe de recherche Esthétique des nouveaux médias – EdNM
Sous la direction de Jean-Louis Boissier
Pratiques artistiques sur les écrans mobiles : création d’un langage de programmation
(version courte)
Tout au long de ses évolutions, l’ordinateur n’a cessé de permettre autant la consultation que la création de médias. Mais contrairement à l’activité de consultation, la création de logiciels interactifs demande une certaine maîtrise de la programmation informatique, qui reste le seul moyen de produire des programmes agissant sur une machine numérique. Dans ce contexte, les pratiques artistiques engagées dans la création d’œuvres interactives ne peuvent se dispenser de recourir à la programmation informatique, c’est-à-dire à la création logicielle. Mais dans quelles situations les artistes se placent-ils face aux techniques du numérique et à la programmation en particulier ? Cette interrogation, qui trouve de multiples réponses, revient au premier plan lorsque le paysage des appareils numériques de grande consommation connaît un événement majeur.
Notre recherche est issue d’une telle situation : à partir de 2007, l’apparition des écrans mobiles (smartphones et tablettes) a été pour nous l’occasion d’interroger le potentiel de ces nouveaux supports dans la création artistique œuvrant avec l’interactivité. Il s’agissait pour nous de faire œuvre avec les écrans mobiles autant que d’en définir les modalités de mise en œuvre esthétique et technique au moment même de leur introduction dans notre quotidien. Nous cherchons à situer une certaine pratique de l’interactivité dans l’art permise par les écrans mobiles et leurs spécificités techniques, en partant de l’hypothèse selon laquelle les écrans mobiles permettent des mises en œuvre artistiques de l’interactivité que d’autres supports numériques ne permettent pas, mais imposent également des créations logicielles spécifiques.
(version longue)
La recherche a pour objectif de situer les écrans mobiles dans la création artistique contemporaine œuvrant avec les technologies numériques et l’interactivité. Notre approche de cette problématique a été marquée par la production et la mise en pratique de Mobilizing, langage de programmation expérimental destiné aux artistes souhaitant pouvoir déployer leurs activités de création sur les écrans mobiles. Notre hypothèse est que les écrans mobiles présentent un fort potentiel dans la conception de travaux artistiques interactifs et qu’ils rendent possibles des mises en œuvre que d’autres appareils numériques ne permettent pas. Il s’agit d’identifier certaines formes que la création artistique peut prendre lorsqu’elle se déploie sur les écrans mobiles. C’est principalement par la réalisation de prototypes fonctionnels et d’œuvres artistiques interactives que nous avons mené cette recherche.
L’expression écran mobile désigne pour nous une catégorie de machines numériques résultant d’une hybridation entre les téléphones portables, les PDA et les ordinateurs portables. Les smartphones et les tablettes sont aujourd’hui les appareils les plus représentatifs de cette catégorie. Les nombreux capteurs embarqués dans ces machines annulent le besoin de périphériques de capture externes dans la construction d’une interactivité. Avec la réalisation de prototypes interactifs, nous analysons l’influence que ces capteurs peuvent avoir sur une création artistique qui cherche autant à interroger les écrans mobiles qu’à les mettre en œuvre. Cette pratique nous a mis sur la piste de la notion d’image-objet, dont nous distinguons différentes acceptions théoriques attachées à trois grands contextes et époques : le Moyen-âge européen et les objets de culte dont son quotidien était rempli, la peinture moderne du XIXe siècle qui interroge le tableau comme espace de représentation, mais aussi comme support physique disposé dans l’espace, et l’image interactive de la fin du XXe siècle qui permet d’attacher des comportements à des objets simulés affichés dans un écran pour les rendre réactifs, troublant ainsi la séparation entre l’objet de référence et sa représentation pour former une nouvelle catégorie d’image qui aurait tendance à se confondre avec l’objet. Notre proposition consiste à ajouter une catégorie d’image-objet à partir du fait que les écrans mobiles rendent possible des interactions sans l’intermédiaire d’un autre élément technique que l’écran lui-même. L’image peut alors réagir à l’état physique de son support de présentation, produisant une image dont le comportement tend à se confondre avec celui éprouvé par l’écran. L’une des caractéristiques principales des écrans mobiles est alors leur capacité à fournir des informations relatives à leur état physique propre à partir desquelles des interactivités peuvent être construites.
En nous intéressant à la notion de mise en œuvre dans les pratiques artistiques impliquant l’interactivité des technologies numériques, nous entreprenons une investigation théorique concernant la nature de l’ordinateur, objet technique qui se trouve au cœur de ces pratiques. Outil, instrument, appareil et machine sont les termes qui forment le champ lexical attaché à notre étude. À partir de ces termes et inspirés par Gilbert Simondon, nous proposons la constitution d’un « ensemble technique » qui tisse des relations fonctionnelles entre ces différents objets techniques. Nous qualifions alors l’ordinateur de machine : un objet technique qui recouvre les modes de fonctionnement de l’outil, de l’instrument et de l’appareil tout en étant capable d’une complète autonomie. Cependant, lorsqu’il est employé dans la création artistique, l’ordinateur n’est généralement pas autosuffisant. Il prend place dans une disposition générale qui cherche à réguler l’accès du spectateur à l’œuvre. Cette régulation correspond à une tentative de matérialisation de l’intention esthétique que l’artiste-auteur souhaite véhiculer à travers son œuvre. C’est donc l’aspect intellectuel et réflexif de l’œuvre qui entre en jeu et intervient dans la conception d’une disposition des éléments qui participeront à faire œuvre. Nous choisissons alors le terme de dispositif afin de forger notre proposition : dans le cadre des pratiques artistiques employant les techniques numériques et l’interactivité, la mise en œuvre consiste en la mise en place d’un réseau d’éléments abstraits et concrets, un dispositif bipartite rassemblant un dispositif artistique et un dispositif technique et visant à régler la relation de l’œuvre à son destinataire. Face à la création d’un tel dispositif interactif, qu’il soit en situation d’autonomie, de collaboration, de coopération ou de subordination, l’artiste se trouve dans l’obligation de mettre en œuvre une machine numérique apparentée à l’ordinateur à l’aide de la programmation informatique. Nous cherchons à définir une « conduite » que les artistes auraient tendance à prendre face à la mise en œuvre de la programmation : quelle que soit la situation, c’est une « programmation en artiste » qui est exercée, il ne s’agit pas de programmer au service d’une œuvre, qu’elle soit celle de l’artiste qui conçoit et implémente le programme ou de celle d’un autre artiste, mais de « programmer en artiste », ou encore d’être « artiste en programmation ».
Langage de programmation construit spécifiquement à destination des artistes et des designers, Mobilizing est un projet de recherche dont l’ambition était de combler le manque d’outils de développement « orientés art » sur les écrans mobiles. L’enseignement auprès d’étudiants en écoles et en universités d’art a eu une forte influence sur l’évolution de ce langage, car il s’agissait principalement de permettre à des non-spécialistes de la programmation informatique de s’emparer du potentiel que présentent les écrans mobiles dans la création artistique. Parce qu’il est un « outil d’art » fondé sur la programmation, nous avons cherché à situer Mobilizing dans le paysage des « environnements logiciels auteurs » et, par la même occasion, à identifier les différents modes d’intégration de la programmation informatique dans les outils logiciels permettant la conception et la réalisation de dispositifs interactifs. C’est avant tout en tant qu’artiste que nous avons poursuivi durant plusieurs années la conception et la création de Mobilizing. Notre démarche se trouve donc à mi-chemin entre plusieurs pratiques et, plus particulièrement, entre la création artistique et la création logicielle. La question de la création d’un outil de création s’est donc posée tout au long de notre travail : quel est le statut de Mobilizing dans notre propre pratique artistique ? Doit-il être considéré uniquement comme un outil logiciel ? La pensée qu’il porte dans sa structure et dans les fonctionnalités qu’il met à disposition des artistes a-t-elle une certaine incidence sur leurs créations ? Si Mobilizing permet de faire œuvre, pourrait-il être considéré lui-même comme étant une œuvre ?