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Les mémoires de Mohamed Charfi : "Mon combat pour les lumières"

dimanche 17 mai 2009

par Samir Taïeb

Heureux qui, comme les démocrates et les progressistes de ce pays, ont eu, en un laps de temps très court – la première moitié de l’an 2009 – à débattre de pans entiers de leur histoire à l’occasion de la parution de trois ouvrages sous forme de mémoires ou de témoignages.

Malgré les différences de genre (un témoignage prospectif, une biographie et des mémoires), les trois ouvrages ont des points communs :

D’abord, il s’agit de trois opposants à Bourguiba avec des itinéraires différents, parfois croisés. Ensuite, les trois productions démontrent l’existence d’une pensée de gauche authentiquement démocratique, véhiculée par des acteurs qui ont payé un tribut très lourd (physique, mental), pensée qui s’est forgée dans la douleur et la souffrance souvent, et parfois dans la bonne humeur malgré les épreuves. Enfin, les trois ouvrages sont écrits dans un style élaboré et clair ; ils sont agréables à lire, car ils prennent à leur compte la devise de Kant, « une lecture amusante est aussi utile à la santé que l’exercice du corps ».

Et si Attariq a rendu compte dans ses précédentes livraisons des ouvrages publiés par Gilbert Naccache et Fethi Belhaj Yahia, il n’en a pas été de même pour les mémoires de Mohamed Charfi. Pourquoi ? Tout simplement, le livre étant publié en France, nous avons attendu sa distribution en Tunisie, jusqu’à la fin de la foire du livre, en vain ! Ils semblent que les pouvoirs publics se dirigent vers une censure du livre.

Devant cet état de fait, nous avons décidé de publier quelques passages du livre qui nous ont paru importants. Le choix n’a pas été facile et une part de subjectivité l’a sans doute déterminé. Ces morceaux choisis ne remplaceront pas la lecture du livre, mais ils donneront une idée sur les opinions et l’itinéraire de ce grand militant qui a certainement marqué l’histoire moderne de la Tunisie. Mohamed Charfi ne laisse pas, en effet, indifférent ; on l’aime ou on ne l’aime pas ; certains l’ont même cordialement détesté.
Le roman de la vie de Mohamed Charfi est le roman d’une époque, d’une mouvance, d’une pensée qui, en affirmant la liberté, prend sur elle l’origine du mal. Un roman sans concessions ni pour l’époque, ni pour l’auteur lui-même.

La lecture de ce roman, pour reprendre, L. Aragon, « jette sur la vie une lumière ». Et c’est le combat pour les lumières de Mohamed Charfi qui nous interpelle, car, devant une telle vie, on ne peut être d’accord sur tout, ni totalement en désaccord.

C’est à un débat que nous invite ce livre. En jugeant les actions de cet Acteur, on se juge soi-même. Or, « l’agir véritable fait que la réalité ne soit pas totalisable » (P. Ricoeur). La mémoire se perd ; mais l’écriture demeure. Bonne lecture.

* Mohamed Charfi, Mon combat pour les lumières, Préface de Bertrand Delanoë, Ed. Zellige, Paris, 2009. 301 pages.


ABECEDAIRE : Morceaux choisis par SAMIR TAÏEB

A

Achour Habib : « Il a été, dés son jeune âge, un militant sincère et courageux, à la fois sur le plan de l’action syndicale et de la lutte politique pour l’indépendance. Il a été blessé par la police au cours d’une grève à Sfax en août 1945 et a connu les geôles françaises. Il a acquis une certaine culture et bénéficié des leçons que donne une très longue expérience politique. Son mérite est d’autant plus grand qu’il était autodidacte. Il a pensé que, avec toute la classe ouvrière derrière lui, dans un jeu démocratique normal, il avait des chances sérieuses d’accéder à la magistrature suprême. Après tout, Lech Welesa, dirigeant autodidacte du syndicat solidarité, n’a-t-il pas été par la suite président de la république de Pologne ? Habib Achour, qui avait plus d’atouts en matière de culture et plus d’expérience des relations internationales, pouvait aspirer à un tel destin ».p 146


Adda Serge : « L’attitude qui consiste à soupçonner tout juif d’être sioniste et ennemi des Palestiniens est certainement une généralisation abusive et injuste. Dans le cas de Serge, elle est révoltante. Déjà, son père Georges Adda a été un combattant pour l’indépendance, et il est un militant antisioniste bien connu. Quant à Serge, il a poussé la sympathie à l’égard des Palestiniens au point qu’il a pris en charge un des enfants de martyrs. Je rappelle ici que le jour de l’attaque du siège de l’OLP à Hammam Chatt, dans la banlieue de Tunis, par l’aviation israélienne, la Ligue a adopté un communiqué de dénonciation de l’agression dont plusieurs civils avaient été les victimes, et m’a chargé de remettre le texte en mains propres à Arafat. Serge a tenu à m’accompagner. On nous a introduits dans le bureau d’Arafat. Ce dernier était entouré de plusieurs de ses collaborateurs et continuait de téléphoner à des chefs d’État sans être gêné par notre arrivée. Par la suite, j’ai été surpris de découvrir que le chef de l’OLP a lui-même reconnu Serge et l’a accueilli en ami de la cause palestinienne ».p 186,187


Astronomie (postface de Ali Mezghani) : « À côté du juriste, de l’homme politique, du militant des droits humains, écrit la femme qu’il a tant aimée, Faouzia, il y avait aussi le scientifique, le passionné d’astronomie qui savait mettre au point un télescope, décrire le ciel, les constellations, les planètes, mais aussi expliquer la vie des étoiles et l’évolution de l’Univers. Allongé sur une chaise longue au bord de la plage de Rafraf, les jumelles pointées dans la direction de la constellation de Pégase, il retrouvait en quelques minutes Andromède, la galaxie la plus proche de la nôtre dans l’hémisphère Nord. Il lui arrivait souvent d’attendre tard dans la nuit, que les Pléiades, magnifique amas d’étoiles jeunes, apparaissent du fond de la mer. Ces longues heures passées à admirer le ciel étaient peut-être aussi celles où il affinait sa réflexion sur les problèmes du moment ou sur les sujets qui lui tenaient à cœur depuis toujours ».p 289


B

Baccouche Hédi : « Hédi Baccouche, que je connaissais depuis longtemps et avec lequel j’avais des relations d’estime réciproque, venait d’être nommé par Nouira conseiller politique du Premier ministre. Pendant de longs mois, nous nous sommes vus très fréquemment. Souvent chez moi, parfois chez lui ; par moment nous nous sommes téléphoné tous les jours. La tactique acceptée, implicitement mais clairement, par les deux parties était la suivante : une grève est votée par notre AG ; le lendemain, une négociation est entamée ; le gouvernement lâche du lest en acceptant la libération d’un certain nombre de détenus à la condition que la grève soit, sinon annulée du moins reportée ». p 141


Bellalouna Rachid : « Rachid Bellalouna est resté fidèle au groupe Noureddine - Gilbert, a subi une longue détention avec eux et a connu la même évolution démocratique ; je n’ai jamais eu de problème avec lui, ni avec Ahmed Ben Othman ». p 97


Ben khadher Noureddine : « Noureddine Ben Khader et son épouse Leila partageaient le même logement avec Naccache. Je savais que ce dernier était de conviction gauchiste. Je savais en outre que Noureddine travaillait dans le même bureau qu’un coopérant français, Jean-Claude Chabert, qui était en même temps son collègue et son ami et que je soupçonnais d’être lui aussi gauchiste. Mais je n’avais jamais imaginé jusque-là que Noureddine pouvait être à ce point influencé par ces deux personnes. La raison principale de ma myopie à cet égard était le sentiment de grande amitié avec Noureddine, ma confiance dans ses convictions démocratiques et l’idée qu’il ne pouvait pas être en train d’évoluer vers le gauchisme sans m’en dire un mot … Dès lors, l’espoir de sauver le groupe passait nécessairement par Noureddine, en qui j’avais une grande confiance et qui était mon compagnon et mon ami intime depuis nos premières actions communes, en 1962-1963. J’entame donc avec lui une longue et pénible discussion, étalée sur plusieurs séances au cours de la première quinzaine de janvier 1968. Quand je lui reproche d’avoir liquidé la commission idéologique dont les travaux étaient si prometteurs, il me répond qu’il était temps de cesser ces débats « stériles ». Quand je parle de démocratie, il me répond que c’est un mot d’ordre « petit bourgeois ». Quand j’invoque le comité Vietnam, il réplique que la phase de la collaboration avec des « démocrates petits bourgeois du genre de Sliman Ben Sliman » est maintenant dépassée. Cela m’a rappelé les anciens relents gauchistes qu’il avait de temps à autre … Nous n’avions manifestement plus rien à nous dire. Un homme qui se respecte doit arrêter là toute discussion ». p 89


Ben Othmen Ahmed  : « Ce dernier a rompu avec la direction en prison et a beaucoup souffert. À sa sortie, il s’est converti en militant pour les droits de l’homme à l’échelle mondiale. Il a participé à la direction d’Amnesty international puis a constitué une association internationale très active qui agit pour l’amélioration des conditions de vie dans les prisons. Il a réalisé une œuvre très utile. Malheureusement, il a connu une fin prématurée, victime d’un accident de la circulation ». p 97


Ben Salah Ahmed  : « Jusque-là, j’observais l’expérience des coopératives menée par Ben Salah avec un grand intérêt. Ben Salah était un socialiste et un patriote sincère. J’étais toutefois agacé par la tournure bureaucratique et autoritaire que prenait son expérience ». p 93


Ben Sliman Sliman : « À l’époque, ma lecture préférée était la Tribune du progrès que venait de lancer Sliman Ben Sliman, dont j’ai admiré le parcours et qui a été destourien, bourguibiste, puis militant de gauche, proche du Parti communiste tout en restant indépendant…S’il y avait eu un parti constitué autour de ce journal, j’y aurais certainement adhéré ». p 63


Ben Youssef Salah : « Ben Youssef me paraissait sincère, d’autant plus que ses partisans, le chef rebelle Tahar Lassoued à leur tête, avaient repris le maquis pour la résistance armée aux côtés des combattants algériens…Le discours panarabiste et tiers-mondiste de Ben Youssef me plaisait. Mais, à cause de l’appui qu’a reçu Ben Youssef de la part de l’aristocratie zitounienne – que je trouvais depuis longtemps conservatrice et réactionnaire et qui n’a pas brillé par son combat contre le colonisateur- et de la part du Palais beylical – Lamine Bey avait flanché et pactisé avec Voisard, le dernier résident général colonialiste- , mon cœur penchait du coté de Bourguiba. Mais celui-ci me dérangeait à cause de la violence exercée à l’égard des yousséfistes ». P 43


Bey Moncef : « Moncef Bey, notre roi bien-aimé, dépositaire de tous nos espoirs et symbole du patriotisme tunisien de cette époque ». P18


Bourguiba Habib : « Bourguiba conduisait la lutte pour concrétiser l’indépendance et construire un État moderne avec une très grande maestria…Il a donc fallu négocier pied à pied pour la reconnaissance d’une diplomatie tunisienne, puis la tunisification de la police, puis de la justice, puis de la monnaie…et à chaque fois mobiliser l’opinion pour faire pression. Bourguiba tenait le peuple au courant de la plupart des péripéties. Il prononçait une longue allocution tous les jeudis soir à la radio, quand il ne se déplaçait pas pour des meetings où à chaque fois il prononçait un discours qui était toujours radiodiffusé en différé, si ce n’était pas en direct.
Toute l’opinion populaire vibrait avec Bourguiba. Il en profitait pour faire l’éducation de la population. J’admirais sa pédagogie, l’art qu’il avait d’expliquer dans des termes simples et clairs les théories les plus élaborées. Il arrivait à vulgariser, sans les déformer ou les caricaturer, les idées de Rousseau, Voltaire, Montesquieu, de manière à mettre l’essentiel des ces idées à la portée des citoyens analphabètes, pourvu qu’ils soient doués d’une bonne intelligence. Ses options étaient progressistes, parfois véritablement révolutionnaires. Inutile d’insister sur le code de statut personnel, qui est resté unique dans son genre dans le monde arabe, la libération de la femme, l’incitation à la suppression du voile…Lors de son combat pour l’adoption de toutes ces options et leur concrétisation, les étudiants, unanimes, étaient de tout cœur avec lui. Il en sera de même, au milieu des années 1960, lorsque la politique de planning familial sera adoptée.

Mais, en même temps, une dictature en bonne et due forme était en train de s’installer. Une des premières décisions prises par Bourguiba Premier ministre a été l’instauration d’une Haute Cour populaire pour juger les yousséfistes ». p 47,48


D

Delanöé Bertrand : (sur M. Charfi) « Ce que j’ai appris de lui en suivant son action et en le rencontrant, ce que j’ai découvert en lisant ce livre, me confortent dans le respect et l’amitié qu’il m’a toujours inspirés. J’éprouve une très grande admiration pour ce Tunisien, ce Maghrébin, ce Méditerranéen, ce citoyen du monde, cet homme de notre temps qui a su puiser aux meilleures sources les plus belles valeurs de l’humanité : la curiosité de ce qui singularise « l’autre », l’appétit de connaissance, le goût de la transmission, l’amour de la justice et de la liberté ». p 8


Démission de Perspectives : « Désormais, je ne suis plus seulement en désaccord total avec la direction du groupe quand à sa nouvelle organisation interne, ses mots d’ordre dans les milieux populaires et estudiantins et l’activisme de ses militants, mais bien plus, je trouve ses positions publiques totalement erronées et d’un impact négatif. En outre, j’ai la certitude que je n’ai plus aucun moyen de redresser la barre. C’est donc le constat que je n’ai plus rien à voir avec ce groupe, que je suis devenu étranger à cette organisation. Le jour même, je rédige un texte de démission longuement motivé où je reproche à la direction d’avoir dévié dangereusement de la ligne adoptée par le groupe depuis sa création cinq ans auparavant, ligne qu’il n’a cessé de clarifier et de consolider, et j’accuse la direction de mener le groupe à son isolement, puis à sa perte. Je lis ma démission à la réunion de ma cellule le lendemain et je la charge de la transmettre à la direction ». p 94


E

Elections de 1989 : « La campagne électorale s’est déroulée à peu convenablement. J’ai assisté à des meetings de l’opposition à Tunis et à un meeting des islamistes à la salle des fêtes de Sfax. Manifestement, ces derniers n’avaient eu aucune entrave pour faire leur campagne comme ils l’entendaient. Les autres membres du comité directeur de la Ligue ont aussi été vigilants. Nous n’avons pas relevé d’incidents.
Les résultats ont été conformes à ce qui était attendu. C’était tout à fai décevant dans la mesure où, encore une fois, le parlement allait être monocolore. C’était la conséquence de la loi électorale contre laquelle j’avais protesté. Par ailleurs, différents partis d’opposition ont crié au scandale, prétendant la fraude. Mais aucun n’en a apporté la moindre preuve, pour la bonne raison que les observateurs des partis aux bureaux de vote étaient très peu nombreux. Seuls les islamistes, qui avaient présenté des candidats dans la plupart des circonscriptions sous la couleur des listes indépendantes, avaient des observateurs en nombre suffisant pour couvrir tous les bureaux. Pour cette raison, eux, dont les représentants avaient participé au décompte des voix et signé les procès-verbaux, ont obtenu une moyenne nationale de 15% des voix environ, moyenne correspondant à leur poids réel. Ils n’ont donc pas protesté en invoquant une prétendue fraude ». p 211,212


Enseignement : « Je veux que l’école soit en harmonie avec la société afin qu’elle prépare l’enfant à s’intégrer facilement dans son milieu. C’est ce que font la plupart des écoles de tous les pays, sauf dans le monde musulman. Dans presque tous les pays d’islam, alors que la société évolue, l’école a continué à adopter des démarches et des contenus vieux de mille ans. 

L’enfant apprend à l’école que la société idéale est celle où la femme est cloîtrée à la maison et, plus tard, il découvrira que la femme s’est émancipée, a investi le marché du travail et qu’elle est sur le point d’acquérir une place égale à celle de l’homme. L’enfant apprend que le prêt à intérêt est prohibé et il découvrira à la sortie que toute l’économie est fondée sur le système bancaire, qui fonctionne sur la base de l’intérêt. L’enfant apprend à l’école que le seul régime politique légitime est celui du califat où le droit est dit par les ulémas et où on applique les châtiments corporels, il découvrira plus tard que le régime politique est républicain, que la loi est l’œuvre du législateur qui a modernisé toutes les branches du droit … Dans ces conditions l’école ne remplit pas son rôle de formation du futur citoyen qui puisse aimer sa société. Si on voulait former des schizophrènes, on n’agirait pas autrement.
Les programmes ont donc besoin d’être modernisés. Toutes les règles du droit musulman que la société a modifiées devront être enseignées comme faits historiques, avec l’explication des motifs qui ont amené à ces modifications. Je dis bien : règles que la société a modifiées, pas seulement l’État. Je prends comme exemple les châtiments corporels qui ont disparu de la pratique judiciaire tunisienne longtemps avant leur abrogation officielle par le législateur de 1864, sous le règne de Sadok Bey et avec l’approbation des ulémas de l’époque. 

D’une façon plus générale, pour aller au fond du problème, je dois avouer que mon expérience de la Ligue des droits de l’homme m’a fait découvrir un fait essentiel et particulièrement grave : dans notre société et même pour une bonne partie de notre élite, même chez certains citoyens patriotes, honnêtes et apparemment libéraux, les concepts de république, de liberté et de démocratie n’ont pas un contenu clair et précis, a fortiori l’expression « droits de l’homme »…Les idées de liberté, d’égalité, de souveraineté du peuple, ont besoin d’être enseignées clairement et longtemps à nos enfants pour enraciner l’idée de la démocratie et celle du régime républicain dans les pays qui n’ont pas une tradition démocratique et républicaine. C’est une des missions essentielles de l’école … La réforme de l’assemble du système éducatif a été incontestablement un événement national de la plus haute importance. D’ailleurs, elle a été perçue ainsi par le régime, par l’opinion publique nationale et même par le corps diplomatique et la presse étrangère. Une réforme d’une telle ampleur ne saurait plaire à tout le monde. En, particulier, elle a profondément dérangé les islamistes ». p 218, 219, 220, 221, 222, 225


G

Groupe des ligueurs “purs” : « Nous étions un petit groupe, composé de Hichem Gribaà, Khadija Chérif, Frej Fenniche, Héla Abdeljaoued, Serge Adda et moi-même, à penser que la Ligue devait grouper principalement des militants qui agissent pour les droits de l’homme sans arrière-pensée politique. Nous avons pendant longtemps constitué le groupe des ligueurs « purs », c’est-à-dire ceux qui ne recherchent ni un intérêt personnel, ni un intérêt partisan et qui partagent, sincèrement et sans réserves, les principes et les valeurs des droits de l’homme, donc de la démocratie, de la liberté, de l’égalité des sexes et de la dignité humaine avec toutes les conséquences que cela implique … Tout le monde savait que nous étions unis simplement par une identité de vue, le partage des mêmes valeurs. Je consultais ce groupe sur tout ce que je faisais, touts les positions que je prenais ». p 181, 182


H

Haddad Tahar : « La découverte du courant de pensée moderniste, et surtout de Tahar Haddad, a constitué un véritable tournant dans ma vie ». p 30


I

Initiative démocratique : « Sur la scène politique interne, il fut, en 2001, l’initiateur du manifeste dans le quel les signatures s’opposaient à une réforme constitutionnelle qui pouvait rendre sans limite le nombre des mandats présidentiels. En continuité avec cette démarche, il participa, en 2004, au lancement de l’initiative pour une « Alternative démocratique en Tunisie ». L’objectif était « la construction d’une large alliance démocratique de nature à sortir le pays du sous-développement politique qu’il connaît et qui est incompatible avec le niveau et les aspirations du peuple tunisien ». Il était alors devenu la voix libre et représentative de la mouvance démocratique et progressiste ». (Postface de Ali Mezghani) p 228


Islam Officiel : « Paradoxalement, ce n’est pas avec les islamistes radicaux représentés par Ennahdha et sa filiale l’UGTE que j’ai eu ma première crise, mais avec ce qu’on appelle l’islam officiel, c’est-à-dire les fonctionnaires de l’Etat chargés des fonctions religieuses, les imams des mosquées et l’administration des Affaires islamiques.

Le lendemain de mon entrée en fonction, le directeur du Centre national pédagogique, organisme chargé d’imprimer les ouvrages scolaires, m’informe que la liste des ouvrages à éditer pour l’année prochaine est arrêtée et qu’on va très bientôt entamer l’impression. Je lui demande de patienter une semaine et je charge différents conseillers et directeurs de parcourir l’ensemble des ouvrages scolaires afin de me signaler les textes ou les passages qu’ils trouvent très critiquables. C’est ainsi que je découvre deux livres d’éducation religieuse tout à fait inacceptables. Il y est question du califat qualifié de « seul régime politique légitime » (ainsi, l’école de la République dénonce le régime républicain), du droit du mari de battre sa femme (en Tunisie, nous sommes fiers de l’émancipation de la femme et du code de statut personnel, et notre école enseigne des règles diamétralement opposées), d’une liste de penseurs occidentaux, parmi les plus libéraux et les grands amis du tiers-monde (tel Jean-Paul Sartre, signataire du célèbre « manifeste des 121 » qui soutenait les combattants de la révolution algérienne), dont il est interdit de lire les œuvres sous prétexte qu’ils sont mécréants.

Je décide donc de retirer les deux ouvrages et de les remplacer, à la hâte, par un livre du grand mufti de la République, Mokhtar Sallami, sur l’ijtihad, dont on enseignerait la première moitié à la place du premier ouvrage retiré et la seconde moitié à la place du second. Solution bricolée, certes, mais provisoire, le temps de préparer de nouveaux ouvrages. Les auteurs des ouvrages retirés se trouvaient être de hauts fonctionnaires de l’administration des Affaires religieuses au Premier ministère. Ils ont profité de leurs positions pour gonfler l’événement en influencer le secrétaire d’État aux Affaires religieuses (à l’époque, il n’y avait pas encore de ministère des Affaires religieuses, mais un simple secrétariat d’État relevant du premier ministère) qui à son tour s’est plaint au Premier ministre. Une question mineure, le remplacement de deux ouvrages d’éducation religieuse par deux autres, par ailleurs irréprochables, allait devenir une affaire d’État.
En juin et juillet, j’apprends que, dans leurs sermons du vendredi, des imams dénoncent la mesure ; des entrefilets dans des journaux font la même chose ». p 226, 227


Islamistes : « Dès le premier jour, ma nomination à la tête du secteur de l’éducation a contrarié les islamistes. Rached Ghannouchi l’a clairement laissé entendre dans ses déclarations à la presse. 

J’ai toujours pensé que, l’islamisme étant une question de culture et de conviction, les fonctionnaires de l’islamisme officiel et les militants de l’islamisme politique pensaient exactement la même chose. Les deux adoptent la même doctrine selon laquelle, d’une part, l’islam se confond avec la charia et, d’autre part, celle-ci est immuable. La seule différence entre les deux est une question de comportement. Les islamistes officiels sont généralement peureux et opportunistes. Ils ne prennent pas de grands risques et ils cherchent à plaire aux dirigeants de l’État pour satisfaire leurs ambitions de carrière. Les politiques sont plus courageux. Les plus radicaux d’entre eux sont violents au point que certains peuvent aller jusqu’au sacrifice de leur vie comme font les kamikazes. Ils sont opportunistes, avec ce que cela implique comme manœuvres, mensonges et mauvaise foi, mais pas sur une base individuelle. C’est leur parti qui fait de l’opportunisme politique, ce qui est tout de même différent. Finalement, les deux islamismes fonctionnent comme des vases communicants. Les officiels assurent la formation des jeunes à l’école et des adultes dans les mosquées et les politiques organisent l’action populaire sur la base des mots d’ordre fondés sur la doctrine enseignée par les officiels. 

Évidemment, l’opposition entre les islamistes et moi n’est pas liée au retrait de deux livres contenant des idées ou des affirmations inacceptables. Tant s’en faut. C’est l’opposition entre deux projets de société, deux attitudes politiques antagoniques …Au début, les islamistes tunisiens rejetaient toutes les règles démocratiques. J’ai encore la casette – qui a beaucoup circulé à Tunis – du discours d’Abdelfattah Mourou, à l’époque numéro deux d’Ennahdha (parti politique islamiste tunisien, non reconnu officiellement par le gouvernement), dans une réunion d’islamistes tenue en 1988 à Londres. En réponse à la question d’un islamiste du Machrek qui reproche aux islamistes tunisiens de se dire démocrates, il rappelle qu’ils agissent dans un milieu particulier, à savoir le peuple tunisien, chez qui l’idée démocratique est très répandue. Il ajoute que s’ils ne veulent pas être rejetés par ce peuple, ils doivent s’adapter. D’autant plus qu’un discours démocratique permet de s’assurer l’appui de l’Occident, soutien utile pendant les périodes de répression. Et de conclure que, du moment que le peuple est musulman et qu’ils représentent l’islam, le fait que les gouvernants soient désignés par le suffrage universel ne peut que les arranger. C’est donc l’aveu que ce parti a adopté le mot d’ordre démocratique par pur opportunisme. Comme si la démocratie était une simple règle de mécanique électorale ». p 225, 229, 230, 183, 184


Islamistes Progressistes : « La fraction des islamistes progressistes, ceux qui publiaient la revue 15/21, a choisi la première attitude. La preuve en est que Hmida Enneifar, leur chef de l’époque, a accepté d’être mon conseiller et a pu, à ce titre, mener la politique des réformes pour l’ensemble de la matière de l’enseignement religieux. Je lui ai laissé une marge de liberté large et importante (mais pas totale, il est vrai) jusqu’au jour où, environ trois ans après, il a choisi de cesser cette coopération, notamment à cause d’un conflit qui l’avait opposé à l’université de la Zitouna et où, pour des raisons de pur équilibre politique, je n’avais pas pu pendre son parti. Nous nous sommes séparés dans le respect mutuel ». p 231


J

Jourchi Slaheddine : « J’ai toujours été favorable à la présence de Slaheddine Jourchi, islamiste progressiste, au comité directeur de la ligue. C’est un ami et un homme de valeur par son intelligence et son ouverture d’esprit ». p 184


K

Kadhafi : « À l’une de ces réunions, qui s’est déroulée à Tripoli alors que ce n’était pas prévu, on est venu me dire que le colonel Khadhafi voulait me recevoir…Moammar Kadhafi m’a reçu chaleureusement. Il voulait savoir les raisons de l’hostilité des islamistes à mon égard. En quelques minutes, il m’a semblé convaincu que ma politique était meilleure que celle des islamistes, puisqu’elle correspondait à une lecture plus libérale de la religion. C’est alors qu’il se met à me vanter sa doctrine de la troisième voie et son système des comités populaires, fondé sur le principe que la représentation est une trahison, ce qui signifie la condamnation des Parlements. Quand il a terminé son plaidoyer, je lui réponds en lui rappelant que lui, Monsieur Kadhafi, admire les héros nationaux et appelle à rester fidèle au sacrifice des martyrs. Bien entendu il approuve. C’est alors que j’ajoute que, dans l’histoire du mouvement national tunisien, la plus grande manifestation contre le colonisateur…était celle du 9 avril 1938. Ces manifestants sont morts en criant « Parlement tunisien ». J’ajoute encore : « Dans ces conditions, permettez-moi de vous conseilleur de ne jamais faire confiance au Tunisien qui accepterait de sacrifier le Parlement tunisien, car cela équivaudrait à une trahison du sang des martyrs ».

Ces propos l’ont perturbé. Deux longues minutes de silence ont suivi. Après quoi, il m’a dit : « Le système des comités populaires ne convient donc pas à la Tunisie » À la sortie, l’ambassadeur tunisien, qui assistait à l’entrevue, m’a assuré qu’il est rarissime qu’un visiteur parvienne à perturber Kadhafi à ce point. Évidemment, à mon retour à Tunis, j’ai rendu compte au Président de toute ma mission ». p 275, 276


L

Ladgham Béhi : « Ladgham, homme au passé glorieux et à la forte personnalité, a toujours pris un profil bas avec Bourguiba, car il devait se faire pardonner ses anciennes affinités avec Ben Youssef ». p 52


LTDH : « je crois qu’on doit sa création à toute une série de circonstances favorables. Du côté du pouvoir, Hédi Nouira, Premier ministre, et Tahar Belkhoja, ministre de l’Intérieur, voulaient, chacun pour ses propres raisons, libéraliser le système progressivement ». 

Bourguiba, vieillissant, devenait moins autoritaire, et ces opposants, tous issus du sérail, ne lui faisaient pas peur. Il pensait que, anciens destouriens, ils ne risquaient pas d’aller loin. Il les considérait comme faisant toujours partie du régime. La dynamique interne à l’UGTT et le ton assez libre de son journal Echaab pendant les années 1976-1977 montraient que le régime pouvait supporter une certaine ouverture. Tout cela a favorisé la reconnaissance de la Ligue. Saâdoun Zmerli, le premier président de la Ligue, et Hassib Ben Ammar, qui a été le fondateur véritable (dans la coulisse), étaient bien convaincus de la philosophie des droits de l’homme. Mais ce n’était pas le cas de toute l’équipe initiale.

Parce que le MDS détenait dès le départ le secrétariat général de la ligue avec Hammouda Ben Slama, et sa trésorerie avec Dali Jazi, la plupart des sections ont été constituées par le MDS à son image. Dès les premiers contacts avec les sections, je suis surpris. Tel président de section trouve que le code de statut personnel tunisien est allé trop loin dans la libération de la femme. Tel autre ne veut avoir aucun contact avec les communistes, considérés comme représentant le parti de l’étranger. Tel autre défend la cause palestinienne avec une pointe d’antisémitisme. Autant d’éléments qui, à la ligue, ne sont pas à leur place. En outre, je ne tarde pas à découvrir que les deux tiers des sections ne sont autres que les cellules locales du MDS. Par ailleurs, cette réalité interne n’échappait pas au gouvernement qui dénonçait souvent la Ligue comme « ramassis d’opposants », fédération des oppositions ou, au mieux, porte-parole des oppositions. Parfois, elle était qualifiée plus crûment de porte-parole du MDS ». p 172, 179, 180, 181


La démission du Ministère : « Étant donné la nature complexe et contradictoire de nos relations, comme je l’ai souligné plus haut, j’espérais avoir avec le Président une séance d’explication franche et loyale. J’ai demandé audience, puis rappelé cette demande une semaine après, mais en vain.

J’ai bouclé les dossiers en cours et décidé de rentrer chez moi. Je ne voulais pas de démission écrite qui aurait énervé le Président davantage. J’ai remplacé la discussion que je voulais avoir avec lui par un long message oral adressé au Premier ministre, à qui j’ai exprimé tous mes griefs et qui, je le sais, les a transmis fidèlement. Une semaine après, le Premier ministre m’informe que ma démission est acceptée et que le Président me consulte pour savoir s’il est opportun de garder les deux secteurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur réunis, ou s’il est préférable de les séparer après mon départ. Il me consulte aussi sur le choix de mon ou de mes successeurs. J’avoue que cela m’a beaucoup touché. Nous nous séparons à l’amiable et nous allons rester pendant un temps de bons amis ; mais c’est déjà l’après-ministère ». p 281


M

Mahfoud Mohamed : « Pendant ma période de ministère, Mohamed Mahfoud a été le seul ancien dirigeant de Perspectives que j’ai trouvé à mes côtés pour contribuer efficacement au succès de la réforme du système éducatif. En particulier, malgré sa grave maladie de cœur, par pur militantisme, il s’est proposé et a été effectivement un des piliers de l’équipe qui a monté la « maîtrise de l’éducation civique », pièce maîtresse pour la formation des futurs enseignants de cette matière dans un esprit libéral et démocratique ». p 97


MDS : « Je, n’ai rien contre ce parti. Au contraire, j’ai un profond respect pour Mestiri ; Jazi et Mouada étaient mes amis ; sur l’insistance de Jazi et de Chamari, devenu le rédacteur en chef de l’Avenir, organe du MDS, je participe souvent à ce journal. Pour toutes ces raisons, beaucoup me considèrent comme ami de ce parti. Ils n’ont par tort, mais j’ai toujours pensé que le MDS est à la droite de Bourguiba. Je sympathisais avec ce parti pour son démocratisme, sans plus. Bref, beaucoup de gens n’étaient pas à leur place à la ligue, et si on peut être reconnaissant au MDS d’avoir favorisé la création de la ligue, ce n’est pas une raison pour qu’il la contrôle. La situation avait quelque chose de malsain. Il fallait y remédier.
Le MDS, parti aux penchants traditionnels comme nous l’avons vu, ne peut pas, de par sa nature, être exigeant à l’égard des islamistes. Ses militants au sein de la ligue se sont toujours employés à relativiser les arguments hostiles aux islamistes ». p 181, 184


Mestiri Ahmed : « En janvier 1968, Ahmed Mestiri, membre influent du bureau politique du Destour, ministre de la Défense et donc un des piliers du régime, choisit de démissionner de son parti et du gouvernement en faisant une déclaration fracassante de protestation contre l’allure de plus en plus autoritaire du régime. Sans partager les options sociales de Mestiri – il se disait socialiste, mais il ne l’était probablement pas, je me réjouis de sa déclaration que je trouve courageuse et salutaire pour le pays en tant que rappel à l’ordre démocratique.

Ahmed Mestiri et son équipe, qui ont constitué ce parti, étaient destouriens et ont accompagné Bourguiba jusqu’au congrès de Monastir I en 1971. Ils se sont séparés du Destour parce qu’il était devenu trop monolithique. Mestiri avait démissionné avec fracas en 1968, essentiellement à cause de son désaccord avec la politique menée par Ben Salah. Il a réintégré le parti dès que cette politique a été abandonnée, en 1969. Il a essayé au cours du congrès de Monastir I de réformer les statuts du parti destourien pour démocratiser son fonctionnement interne. Mais, comme nous l’avons dit plus haut, Bourguiba a refusé de se plier aux nouvelles règles qui auraient limité ses prérogatives. Contre ce putsch à l’intérieur du parti, Mestiri a protesté d’une manière véhémente et cette protestation a servi de prétexte à son exclusion du Destour. Quelques années après, avec plusieurs de ses amis, il constitue le MDS. Parti démocratique, cela ne fait pas de doute, mais il rassemble principalement des éléments qui étaient contrariés par la politique de Bourguiba, jugée trop moderne, trop laïque, peu respectueuse des traditions ». p 94, 179, 180


N

Naccache Gilbert : « Notre consensus a duré jusqu’au jour où un militant trotskiste de vieille date, Glibert Naccache – que nous fréquentions et qui, sans faire partie de notre groupe, avait une grande influence sur l’un de ses dirigeants, Noureddine Ben Khader, du fait qu’ils partageaient le même logement, nous pose le problème de l’ « entrisme ». C’est-à-dire, selon cette thèse, la nécessité ou l’intérêt de taire nos convictions et de chercher à entrer au parti destourien pour le noyauter (?). C’est une vieille méthode trotskiste. p 84

Nachache, l’ancien communiste, puis trotskiste, devenu entriste, avant de se convertir au maoïsme et d’être bombardé un des trois chefs, le doctrinaire, de perspectives, disait à qui voulait l’entendre que la Tunisie vivait la période de février - octobre 1917 à Saint-Pétersbourg. p 95

Au retour, de mon descend à la cave pour me mettre dans une cellule, où je me trouve en tête à tête avec Naccache…Bien sûr, depuis notre installation dans ce bagne, les relations avec la direction de Perspectives étaient devenues extrêmement tendues. Mais dans ma naïveté, j’espérais que, maintenant : Il adopterait, sinon une attitude amicale, du moins le langage correct d’un respect mutuel. Je le salue donc chaleureusement. Il me répond par une question sèche : « Que t’a dit le directeur ? » Je lui dis qu’il m’a conseillé de convaincre mes camarades de cesser la grève et que j’ai refusé de lui répondre. C’est alors qu’il réplique me une phrase que je n’oublierai jamais. Il me dit textuellement ceci : « Je suis étonné par le manque de coordination entre le ministère de l’Intérieur et le directeur de la prison. Veux-tu dire que le directeur ne sait pas que tu es un des leurs, qu’il ignore que tu es un flic ? » Inutile d’ajouter que depuis, et jusqu’à aujourd’hui, je ne lui ai plus jamais adressé la parole ». p 126, 127


Nouira Hédi : « Il n’a pas moins de légitimité historique qu’Achour. Certes, on lui reproche un moment de faiblesse en 1954. Mais avant cela, il avait connu la prison civile de Tunis puis le fort Saint-Nicolas de Marseille et toutes les misères de la répression coloniale. Ensuite, il a participé activement et avec une efficacité exemplaire à la construction de l’État. Son expérience politique est immense parce qu’il a été pendant très longtemps membre du bureau politique, avant Achour. Je pense sincèrement, et pour l’avoir vu à l’œuvre, que, pendant le règne de Bourguiba, après ce dernier, la Tunisie avait un autre véritable homme d’État en la personne de Hédi Nouira ». p 148


P

Pacte National : « C’était l’idée de Moncer Rouissi. Il l’a proposée en 1988 au Président Ben Ali qui l’a chaleureusement approuvée. Il s’agissait de fêter le premier anniversaire du 7 novembre 1987 par la proclamation d’une déclaration qui résumerait la philosophie de la politique de l’avenir, une plate-forme sur laquelle toutes les forces vives de la nation s’entendraient et qui définirait les règles du jeu entre toutes les parties.

Il a été élaboré par une sous-commission composée d’Abdelwahab Bouhdiba, Touhami Nagra, Moncer Rouissi et moi ; Rouissi était le président de la sous-commission en tant que porte-parole de la présidence. En vérité, au cours des travaux, il n’a pas eu à se prévaloir ce cette qualité. Lui et moi pensions à peu près la même chose et nous étions de surcroîts amis.
Nous avons consulté tous les Tunisiens qui représentaient un courant d’opinion ou les intérêts d’un groupement : tous les partis, y compris ceux qui n’étaient pas reconnus, tous les syndicats de salariés, de patrons ou d’étudiants, les ordres professionnels, certaines associations. Tout le monde a accepté volontiers de coopérer avec nous à l’exception du POCT.
Le texte est connu. Je ne serai donc pas long pour le commenter ici. Je dirai simplement que la Tunisie se serait portée beaucoup mieux si tout le monde avait respecté ce pacte.

La commission qui est censée avoir élaboré le Pacte national était composée de tous les partis politiques reconnus, auxquels on a ajouté Ennahdha, simplement toléré, et les principales organisations nationales … J’ai eu une double surprise avec les attitudes de Noureddine Bhiri et Najib Chabbi. La seule question posée par Bhiri, représentant attiré d’Ennahdha dont je craignais une opposition radicale - il me l’a faite en aparté -, a été relative aux châtiments corporels dont j’avais mentionné l’abandon. Il voulait savoir si cela englobait la peine de mort, qu’il voulait maintenir. J’ai répondu que l’expression ne vise habituellement que les flagellations, les amputations et la lapidation. Ma réponse l’a rassuré et il n’a exprimé aucune question ou objection. Quant à Chebbi, secrétaire général du PDP (Parti démocrate progressiste), dont je pensais qu’il était aussi moderniste que moi – il faisait partie du groupe maoïste lorsque j’ai démissionné de Perspectives, que je trouvais gauchiste-, il m’a surpris en critiquant le paragraphe qui mentionnait le rôle bénéfique du Collège Sadiki. Il voulait un éloge plus grand pour l’université de la Zitouna, gardienne de nos traditions. Comme il n’a pas trouvé un grand écho à sa remarque, il n’a pas insisté.

Le Pacte a été adopté à l’unanimité des présents et a été signé par toutes les parties au cours d’une séance solennelle organisée au palis de Carthage ». p 199, 200, 201, 202, 203


PDP : « Dans sa grande majorité, la société tunisienne a accueilli favorablement la réforme du système éducatif. La seule exception, à côté des islamistes, était celle du PDP, le Parti démocrate progressiste dirigé par Najib Chebbi et qui publie El Mawkif. Dès ma conférence de presse de septembre 1989, ce parti a exprimé son hostilité. Par la suite, il a multiplié les critiques, y compris les plus injustes. De grandes manchettes de son journal m’accusaient d’avoir appliqué je ne sais quel rapport d’un expert français dont je n’avais jamais entendu parler et qui, au début de l’indépendance, aurait conseillé au gouvernement tunisien de « franciser les programmes d’enseignement ». C’était à la limite de l’accusation de trahison en faveur de l’ancien colonisateur. Pourtant les membres du PDP connaissaient parfaitement la sincérité et la profondeur de mon patriotisme. En fait, le PDP reprenait à son compte la seconde accusation, la francophilie, que les islamistes lançaient contre moi à côté de l’apostasie. Cette collusion entre le PDP et les islamistes étonnait tout le monde. Chebbi s’était-il converti à l’islamisme ? Un hebdomadaire s’est permis de le qualifier sur sa couverture de Najibullah ! Depuis, les tendances arabo-islamistes de ce parti sont connues, mais à l’époque, c’était pour moi une grande surprise ». p 245, 246


Q

Que faire ? : « Le régime devient de plus en plus autoritaire. Les arrestations dans les milieux islamistes sont trop nombreuses, les traitements policiers violents, indéfendables, les condamnations par les tribunaux lourdes et démesurées, donc inacceptables. En outre, après la disparition d’El Badil et d’El Fajr, voici le tour du Maghreb, hebdomadaire de qualité, de cesser de paraître, à la suite d’une lourde condamnation de son directeur Omar Shabou. Après les islamistes, c’est le tour des militants du POCT d’être pourchassés, maltraités par la police et lourdement condamnés. L’heure du choix a sonné pour moi. Dois-je penser essentiellement au secteur de l’éducation et rester pour continuer ma réforme, ou penser au contexte général et me dire qu’un démocrate ne peut pas faire partie d’un gouvernement répressif ? ». p 251


R

Rekik Faouzia : « Dés mes premières rencontres avec Faouzia Rekik, j’étais impressionné par ces mêmes qualités humaines, avec en plus un caractère affable et une allure sympathique. Ce n’est sûrement pas un hasard si, quelques mois après, nous nous sommes choisis comme mari et femme ». p 66


S

Smaoui Ahmed : « Le 20 mars 1968, dès le début de la vague de répression, mon ami Ahmed Smaoui m’avertit par téléphone que je ne dois pas quitter la maison, car la police parallèle (milice créée par le parti destourien) est en train de sévir dans la ville et je figure en bonne place sur la liste des militants à arrêter. Le lendemain, c’est lui qui se fait arrêter et torturer d’une manière atroce par cette police. Ces tortures lui laisseront des traces et des séquelles, dont certaines se révéleront trente ans après. Le médecin qui l’a opéré des yeux au milieu des années 1990 a été étonné de la forme de cataracte qu’il avait et qu’on ne trouve habituellement que chez les anciens boxeurs. Le médecin ne s’est pas trompé : simplement, la partie de boxe qu’Ahmed a subie était unilatérale. Il a reçu des coups innombrables, sans pouvoir en donner aucun. L’informateur d’Ahmed connaissait l’ordre me concernant, mais il ignorait qu’ahmed était aussi sur la liste ». p 103


T

Le tournant du régime : « En fait, le régime était en train d’opérer un véritable tournant. Celui-ci a commencé au milieu de 1991 et a été consommé à la fin de 1992.

Je pense que, tout en ayant des prédispositions à être autoritaire, le régime n’était, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, ni dictatorial ni policier. Ben Ali voulait effectivement se comporter en démocrate et espérait pouvoir le faire.

Au cours des années 1988, 1989,1990, 1991 le régime s’est comporté de manière démocratique, laissant toutes les familles politiques s’organiser librement, avec pour chacune ses locaux, ses réunions que personne ne perturbait, ses journaux librement rédigés et distribués.

Malheureusement, la démocratie ne fait pas partie de nos traditions. Bourguiba ne l’a pas instaurée. C’était donc une fleur plantée récemment qui avait besoin d’un peu de temps pour s’épanouir. Il aurait fallu la ménager, l’arroser, au lieu de la piétiner comme l’ont fait systématiquement les islamistes. La démocratie suppose un esprit libéral chez les gouvernants et un certain comportement des opposants, même quand ils ne sont pas démocrates.

De son côté le régime aurait pu être moins dur. La réaction aux perturbations de 1989-1990 avait été précisément très mesurée. La réaction de l’année suivante a été beaucoup plus musclée … la police a commis l’irréparable en torturant à mort certains militants islamistes. Par ce fait éminemment regrettable et inacceptable, le régime a coupé les ponts derrière lui. Soit il faisait juger et condamner lourdement les tortionnaires, soit il continuait sur cette voie inacceptable. N’ayant pas le courage d’adopter la première solution, il a glissé vers la seconde. Le régime, menacé par les islamistes, ne pouvait pas se couper de sa police. C’était un cercle vicieux.
J’affirme que la démocratie du début n’était pas que de façade et que le glissement vers l’autoritarisme a été provoqué par les islamistes. Personne ne peut dire comment la situation aurait évolué sans cette provocation ». p 248, 249, 250, 251


Torture : « Parmi les forfaits commis à cette époque et qui figurent en bonne place au tableau d’infamie de cette police, outre la torture infligée à Ahmed Smaoui, citons l’enlèvement du militant communiste Habib Attia, un des premiers universitaires tunisiens, lâchement torturé avant d’être libéré, et l’enlèvement du chirurgien de grande renommée Zouheir Essafi…Il a été cagoulé, puis jeté dans une cave où il est resté plusieurs heures avant d’être libéré. C’était un avertissement éloquent adressé à tous les intellectuels tunisiens. p 103, 104

Un quart d’heure après, la menace es mise à exécution. On apporte le matériel de ce qu’on appelé plus tard le « supplice de l’hélicoptère » ou du « poulet grillé » et on m’ordonne de me déshabiller. Je refuse. C’est alors que trois flics se sont mis à me battre, d’abord à coups de poing et de pied, puis deux me tenant collé au mur et l’autre me frappant avec un bâton. J’ai reçu des coups sur l’ensemble du corps, cela me faisait de plus en plus mal, mais je supporterais encore. Quand j’ai reçu des coups de bâton sur le visage, cela m’a fait très mal, notamment un mal de tête terrible ; je me sentais sur le point de m’évanouir. Dès lors, je me suis mis à me protéger le visage avec mes mains, mais ces dernières, après avoir reçu des dizaines de coups, me brûlaient à un degré insupportable. Quand j’ai réalisé qu’elles étaient ensanglantées, j’ai commencé à envisager de parler, car je n’en pouvais plus. Je pense qu’on ne peut trouver en soi suffisamment d’énergie pour résister davantage que lorsqu’on a de véritables secrets à protéger. Or ce n’était pas mon cas, puisqu’on ne me demandait que de confirmer ce qu’ils savaient. Au bout d’un moment qui m’a semblé très long, mais que, honnêtement, je ne peux pas évaluer, j’ai donc dit que j’allais parler ». p 108, 109


U

UGTE : « Par différents gestes et comportements, l’UGTE (Union Générale Tunisienne des Etudiants), organisation des étudiants islamistes, a manifesté son hostilité. La première fois que j’ai rencontré les dirigeants de ce syndicat, au cours d’une réception officielle au palais du Bardo à l’occasion de la fête de la République, le 25 juillet 1989, je leur ai signifié que j’étais disposé au dialogue. Ils ont par la suite prétendu devant leur base, pendant les six premiers mois, que je voulais pas les recevoir, alors qu’ils n’ont jamais répondu à ma proposition d’ouvrir le dialogue … Dorénavant, ce sera toujours la même chose. Pour chaque décision que je prendrai en toute bonne foi pour résoudre un problème, l’UGTE essayera de trouver interprétation qui la présentera comme malveillante et machiavélique ». p 225, 235


Z

Zitouna (université) : « Ce sont les étudiants de l’université religieuse de la Zitouna, où les islamistes sont nettement majoritaires, qui ont commencé par donner l’exemple et le signal en décrétant une grève illimitée dès le rentrée universitaire … J’invite les professeurs à calmer leurs étudiants. Ils n’en feront rien. Bien au contraire, lorsqu’un groupe d’étudiants occupera les lieux et entamera dans les locaux d’enseignements une grève de la faim, et que la question se posera de savoir si l’islam permet ou non que l’on mette en danger sa propre vie pour défendre une cause - malgré le verset coranique qui interdit le suicide aux musulmans-plusieurs professeurs rendront des visites aux grévistes. Ils les réconforteront, les encourageront et présenteront leur fatwa qui légitimera la grève de la faim malgré le verset du Coran ». p 234, 235, 236


Zmerli Saâdoun : « Le président (de la Ligue), un notable bien connu et un unanimement respecté, a toujours été un homme sincère et affable. Il avait à la bouche le mot adéquat chaque fois qu’il fallait détendre l’atmosphère et il avait toujours des positions conformes aux
principes des droits de l’homme ». p 174



Ce que pense Mohamed Charfi de Mohamed Charfi :

J’ai dû commettre des erreurs et avoir des faiblesses que je ne perçois pas comme telles. Seuls des chercheurs détachés peuvent se prononcer à ce sujet et donner un avis plus crédible que le mien.


Ma conduite a été d’autant plus discutable qu’elle n’a pas été linéaire. Mon itinéraire a été plutôt agité. J’étais destourien, puis j’ai quitté ce parti. J’ai adhéré au groupe trotskiste pendant quelques mois avant de réaliser que cette adhésion était fondée sur un malentendu ou une ignorance, et de démissionner. J’ai contribué à fonder le groupe Perspectives et y ai milité pendant longtemps avant de quitter ses rangs. J’ai eu une attitude que je considère comme exemplaire pendant l’interrogatoire de la police, le procès et la prison, puis, n’ayant pas supporté la torture morale de la part de mes camarades de détention, j’ai choisi de les abandonner. J’ai contribué à fonder le syndicat des professeurs et à diriger son action, puis je l’ai quitté. J’ai constitué l’association Rencontres maghrébines et j’ai dirigé ses activités avant de la mettre en veilleuse. J’ai milité à la Ligue des droits de l’homme, puis j’ai quitté sa présidence pour le ministère de l’Éducation. J’ai été membre du gouvernement, pendant plus de cinq ans avant de démissionner. À chacune de ces activités, je me suis donne corps et âme et j’ai milité au maximum des mes capacités. À chaque fois, j’ai mis fin à cette activité face à un cas de conscience et j’ai quitté l’organisme sur la pointe des pieds, sans une explication claire dans une déclaration publique, À croire que le caractère total de mon engagement puis le choix du départ en douceur font partie de mon tempérament. En effet, je déteste les affrontements fratricides et je trouve inélégant de brûler ce que l’on a adoré » p 283, 284

- La Crise du 26 Janvier 1978 :
J’ai vécu intensément les événements sanglants du 26 janvier 1978 et la répression qui à leur suite s’est abattue sur les dirigeants syndicaux, arrêtés par centaines.

J’ai soutenu la direction légitime de l’UGTT jusqu’à son rétablissement à la tête de la centrale syndicale. Mais cela ne m’empêche pas de dire maintenant, près de trente ans après, ce que je pense de l’ensemble de cette crise. Au cours des années 1970, la Tunisie avait déjà commencé la période où, Bourguiba étant malade et vieillissant, le problème de sa succession était posé. Achour aspirait à cette succession. Formellement, c’était son droit comme pour tout autre tunisien ; en outre, son aspiration était réellement légitime et raisonnable.

Dès lors, celui qui pensait avoir le droit d’être successeur ne pouvait pas tenter sa chance selon des modalités constitutionnelles normales. Achour a donc pensé pouvoir s’imposer en instaurant dans le pays une sorte de rapport de force en sa faveur. Déjà, un an au moins avant la crise du 26 janvier 1978 et alors que le climat social n’était pas tendu, recevant le bureau de notre syndicat dont il savait qu’il était composé entièrement d’opposants, il nous avait demandé ce que nous pensions d’une éventuelle grève générale. Cela m’avait surpris. C’était certainement un ballon d’essai. Notre réponse n’avait pas été encourageante, mais pas décourageante non plus. Je rappelle cet épisode pour dire que, à mon sens, toute la crise était préméditée et soigneusement organisée.

En effet, au cours de l’année 1977, Achour a progressivement fait monter les enchères sociales. Les grèves se sont multipliées et la barre de revendication d’augmentation des salaires était placée très haut, probablement au-dessus des moyens de l’économie tunisienne. Echaab, hebdomadaire des syndicats, s’est permis une liberté de ton et finalement le langage d’un parti d’opposition…La police ne pouvait pas l’interdire puisque son directeur, Habib Achour, était un membre du bureau politique du parti au pouvoir.

Mais Bourguiba n’était pas de nature à céder à ce genre d’action ; sa réaction fut à la fois violente et illégale. Les milices du parti se sont mises à harceler les locaux des syndicats, puis à les occuper. Une campagne de presse mensongère et hargneuse, notamment à la radio et à la télé, a été orchestrée contre l’UGTT, créant une ambiance de guerre civile. Le jour de la grève générale, le 26 janvier 1978, il ya eu des émeutes dont on n’a jamais pu démontrer qu’elles étaient organisées ou téléguidées par les syndicats.
Je pense que les manifestants qui ont saccagé des magasins étaient des jeunes désœuvrés qui réagissaient contre la campagne de dénigrement dont était victime l’UGTT, beaucoup plus populaire que le parti. La milice destourienne y a sûrement joué un rôle. Par la suite, les arrestations ont été suivies par une série de procès irréguliers, j’ai donc soutenu la direction de la centrale syndicale tout le long de la crise, sans hésitation ni état d’âme, par esprit démocratique et légaliste. Et aussi, il est vrai, par amour de l’UGTT. p 139, 145, 146, 147

- L’Affaire Larbi Chouikha :

Au cours de l’été 1993, un article particulièrement critique à l’égard de la politique tunisienne est paru dans le journal Le Monde diplomatique, signé par deux tunisiens, Kamal Labidi, journaliste à la TAP, l’agence de presse nationale, et Larbi Chouikha, enseignant à l’Institut de presse de Tunis. Immédiatement, le journaliste est traduit devant le conseil de discipline et révoqué, et je reçois l’ordre d’en faire autant pour l’enseignant.

Évidemment, il n’est pas question pour moi d’obtempérer. C’est une atteinte grave à la liberté d’expression que je ne commettrai pas…Je demande au conseiller culturel de l’ambassade de France, Jean-Claude Piet, qui est mon ami, de convaincre le directeur du journal en question que les critiques étaient excessives, et d’obtenir de lui la promesse qu’il accepte de publier, non pas un droit de réponse, mais une opinion contraire qui sera signée par une personnalité tunisienne crédible de la société civile. Il obtient la promesse. Je demande à mon ami Khemaïes Chamari d’écrire cette opinion opposée. Il accepte. J’informe alors la présidence que j’ai trouvé mieux que l’action disciplinaire réclamée contre Chouikha : un article favorable qui sera publié à la prochaine livraison du Monde diplomatique. Mais, bien sûr, cela suppose que nous nous abstenions de toute mesure disciplinaire. On accepte ma proposition, un peu à contre cœur, et à condition que l’article soit soumis à l’appréciation avant d’être envoyé au journal. Chamari écrit le projet d’article. Je le trouve bon, mais il est jugé insuffisant par la présidence. Je pense que c’est Abdallah qui est à l’origine de ce refus. Seul pouvait le satisfaire un article aussi laudatif et ennuyeux que ceux de certains journaux tunisiens à sa solde.

Je suis harcelé pour mettre en mouvement le conseil de discipline. Je n’ai plus le choix, il faut être clair. Je réponds en affirmant que l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme ne peut pas reprocher à un enseignant du supérieur d’avoir exprimé ses idées. Je refuse donc d’appliquer l’ordre.
Une heure après, j’ai eu l’une des deux conversations téléphoniques les plus longues et les plus pénibles avec le chef de cabinet du Président…Le ton est monté jusqu’à un point que j’ai trouvé inacceptable. J’ai raccroché. Un quart d’heure après, mon chef de cabinet, Mohamed Ayadi, m’appelle pour me dire que le chef de cabinet du Président m’informe que je n’ai pas le choix, qu’il est indispensable pour qui occupe ma fonction d’obéir aux instructions et que je dois donc à tout prix exécuter une décision présidentielle. Entre temps, je me suis calmé et je dicte à mon chef de cabinet deux phrases qu’il doit écrire et repéter à son interlocuteur : « Je remercie Monsieur le Président pour les années que j’ai passées à la tête de l’Éducation, je le prie de comprendre qu’il m’est rigoureusement impossible d’accomplir un acte contraire à ma conscience ; je sais que ce comportement sera jugé inacceptable et qu’il faudra en tirer les conséquences ; pour cela je voudrais dire au Président que je garderai un bon souvenir de cette période où j’ai servi mon pays comme ministre sous sa présidence ».

Je mes sens très soulagé. Je déjeune, puis je fais une bonne sieste. Au réveil, avec ma femme, nous prenons un bain de mer, puis nous faisons une promenade au bord de l’eau. Enfin, bientôt 18 heures, nous rentrons écouter le bulletin d’information pour connaître le nom de mon successeur. Grande surprise : on n’en parle pas. Puis le chef de cabinet du Président m’appelle pour me dire que, au fond, puisque je pense que la sanction proposée est illégale, il faudra que j’écrive un texte juridique dans ce sens. J’interromps mes vacances pour le faire le lendemain, ce qui met un point final à l’affaire. J’apprends deux jours après que Lâabidi est réintégré dans ses fonctions et que le président-directeur général de l’agence TAP est limogé. Pourtant il n’avait fait qu’appliquer les ordres. p 272, 273, 274