2. Jeux de nobles, jeux de vilains

Au Moyen Âge, les Jeux physiques ont connu une grande faveur dans notre pays. Si on distingue souvent les sports de l'aristocratie des sports pratiqués par les classes sociales moins élevées, la plupart des jeux casse les disparités sociales et passionnent indifféremment tous les français, du roi au plus humble des vilains.(Joueurs et joueuses)


Joueurs et joueuses

2.1 Les sports de la noblesse : les jeux de la guerre

Le noble, même si ses moyens ne lui permettent pas toujours de se faire armer chevalier, a pour principale occupation de se préparer à la guerre par des sports violents.

2.1.1   La chasse et la pêche

La chasse

La chasse était à la fois un excellent entraînement, un jeu passionnant et un sport utile (chasse nourricière). La chasse médiévale ressemble beaucoup à la chasse pratiquée par les Anciens (cf. 2.3 La chasse dans Rome et son Empire).

Elle exigeait un équipement coûteux et un personnel nombreux. La plus belle des chasses était la chasse au faucon, très accessible aux dames : des rapaces de haut vol (gerfaut, faucon) ou de bas vol (vautour), minutieusement dressés, attrapaient des rongeurs et de grands oiseaux (hérons, grues, canards).

L'art de fauconnerie était l'un des plus délicat. les seigneurs aimaient à se faire représenter sur leur sceau allant à la chasse, le faucon au poing. La meute était également un des éléments caractéristiques de la maison seigneuriale avec ses chenils, ses dresseurs. Les chiens, particulièrement entraînés, étaient de taille et de race sélectionné. Lors de la chasse au faucon, dès que ce dernier était à terre, le chien était capable d'achever sa victime tout en évitant de blesser le faucon.

Les magnifiques manuscrits enluminés du comte de Foix Gaston Phébus évoquent ces scènes de chasse, où l'on devait déployer mille astuces pour impressionner les gentes dames et les preux.

Chasse de paysans, chasse de nobles

La pêche

La pêche en rivière ou en étang était souvent aussi sportive, comme la pêche à la loutre ou au saumon, avec tridents, chiens et filets lestés de plombs.

2.1.2. Les exercices militaires

De nombreux exercices militaires venaient animer la vie quotidienne un peu terne du château seigneurial.

  • Á deux, on pouvait s'entraîner au «béhourd», sur un champ ou dans les lices du château, en s'élançant l'un contre l'autre, rompant des lances et tâchant de se désarçonner mutuellement.
  • Parfois, on dressait une quintaine, gros mannequin avec haubert et écu fixé sur un pieu enfoncé dans le sol ; les chevaliers tentaient au grand galop de renverser la quintaine en la frappant de leur lance au milieu de l'écu; On ne devait pas frapper plus de cinq fois d'où le nom de cet exercice, la quintaine. Si le coup était dévié, le mannequin pivotait, et un de ses bras, muni d'ue forte lance envoyait le maladroit mordre dans la poussière. C'était un exercice de préparation à la joute. Mais comme il était pratiquement sans risque il dériva et devint aussi un jeu de manants.
  • Les jeunes s'entraînaient également à l'escrime: au baton, à l'épée, à la lance.

Les adaptations cinématographiques des romans de chevalerie montrent des reconstitutions souvent fidèles de ces pratiques sportives : Lancelot de Robert Bresson par exemple.

Mais l'entraînement majeur au combat se faisait dans les tournois et dans les joutes.

2.1.3. Tournois

Pour l'historien Huizinga, le véritable sport de l'aristocratie médiévale c'est la guerre. Mais, du fait que l'on ne peut continuellement guerroyer, on se livre au tournoi ou à la joute. Là on limite la bataille.

Toutefois la différence entre ces deux faits d'armes reste difficile à cerner. Les tournois rassemblaient sans doute des équipes plus fournies que les joutes et les faisaient s'affronter en rase campagne. Á la fin du Moyen Âge les tournois tombèrent en désuétude au profit des joutes.

Ces spectacles d'origine indéniablement païenne rassemblait la fleur de la chevalerie.

Chaque combattant était reconnaissable à son timbre et à sa bannière. les spectateurs s'entassaient dans des hourds, sortes de tribunes, dominant l'enceinte entourée de lices de bois ou de champs clos. Là s'affrontaient les champions par équipes régionales ou nationales ou individuellement.

Les tournois et les joutes étaient ordonnés selon des règles très strictes :
  • Présentation des champions et des bannières
  • Armement du chevalier par le soin de l'écuyer
  • Choix de la dame
  • Des hérauts d'arme donnaient le signal des combats. Le jeu consistait alors pour le cavalier armé d'une lance à foncer sur son adversaire et à tenter de le désarçonner en le frappant à l'aide de sa lance, ce dernier tenait vis-à-vis de lui une conduite identique. Malgré l'épaisseur des cuirasses, les combats causaient fréquemment des blessés, parfois des morts.
  • Les vaincus devaient abandonner leurs chevaux, leur harnachement, payer rançon. Les vainqueurs, outre le prix accordé au plus vaillant (faucon dressé, couronne, mouton doré) et le prestige dont ils jouissaient auprès de leur dame, pouvaient également gagner un bon pactole.
"Pour quantités de chevaliers, guerre et tournois c'est tout un" Georges Duby

Ainsi, les jeunes en mal d'aventure et fe fortune faisaient souvent la tournée des lices. On connaît l'exemple de Guillaume le maréchal, grâce à la biographie qu'en a fait l'historien Georges Duby : ce baron anglais, en quelques mois, triompha avec un associé de 203 chevaliers. Le combat était si rude que le maréchal parfois, ne pouvant plus retirer son casque, dut aller le faire décabosser, à grands coups de marteaux chez le forgeron

Georges Duby, citant les écrits de Jean le Trouvère, détermina la zone de prédilection des compétitions, limité par Fougères, Auxerre, Épernay, Abbeville.

Le tournoi et ses coutumes influencèrent les guerres. Et même «pour quantité de chevaliers, guerre et tournoi c'est tout un.»(G. Duby).

«Un chevalier ne peut y briller (à la guerre) s'il n'y est préparé par les tournois. Il faut qu'il ait vu son sang coulé , que ses dents aient craqués sous les coups de poing, que, jeté à terre, il y ait senti le poids du corps de son adversaire et, vingt fois désarçonné, que vingt fois il se soit relevé de sa chute, plus ardent que jamais au combat.»(Roger of Hoveden)

2.1.4. Les joutes

La joute était un duel, on se battait seul à seul et l'on pouvait finalement mieux montrer ses capacités. La joute se courrait au meilleur des trois lances. Souvent on rompait les lances.

La joute du roi Henri II contre Montgoméry le 10 juillet 1559 est restée tristement célèbre. Cette compétition devait célébrer la paix conclue avec la Maison d'Autriche et scellée par un double mariage. Le vendredi 30 juin 1559 les joutes commencent à Paris, rue Saint-Antoine, dépavée pour la circonstance et recouverte de sable. Mécontent de sa première prestation contre Montgomery, le roi exige une seconde lance, ce qui est contraire à l'usage. Nostradamus pourtant avait prévu semble-t-il le drame : :

Le lion jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans cage d'or les yeux lui crevera
Deux classes, une puis mourir mort cruelle

Montgoméry oublie de changer de lance ce qui était aussi contraire à la coutume. Le choc entraine la rupture de cette lance qui pénètre à travers la visière du casque d'Henri II. Après bien des tentatives, les médecins du royaume ne pourront le sauver. Le roi meurt le 10 juillet.

Cet épisode apparemment anecdotique, est en fait riche de conséquences sur le plan politique et symbolique :

  • En premier lieu, on remarque que les rois du premier XVIe siècle, François Ier et Henri II, étaient les premiers souverains de la Renaissance française, mais ils étaient encore très attachés à l'idéal chevaleresque : en organisant des joutes, Henri II montre qu'il est avant tout le premier des seigneurs de France et qu'il doit comme tout seigneur faire preuve de vaillance et de courage.
  • Sur le plan historique, cette joute a changé le visage de la France : si Henri II n'était pas décédé, le prolongement normal du règne aurait assuré la répression de l'hérésie protestante et aurait ainsi évité la guerre civile.

La dernière joute

Ce triste épisode marqua la fin des joutes. Toutefois la langue française conservera de ce sport certaines expressions, telles «entrer en lice» et «rompre des lances».

Si les joutes et les tournois étaient pratiqués exclusivement par les hautes classes de la société, le jeu de paume passionnait tous les Français, du vilain au roi.

2.2 Jeux de balles et jeux de mains

2.2.1   Le jeu de paume

Ce jeu est connu puisqu'il se présente comme l'ancêtre du tennis. Le jeu de paume est connu dans notre pays dès le XIe siècle. Il s'agissait de renvoyer avec la main la balle par-dessus une corde puis plus tard un filet à son ou ses adversaire(s).

Vers 1450, après que l'on eut joué uniquement à main découverte ou avec un gant, on eut l'idée d'utiliser des cordes et des tendons afin de renvoyer la balle plus facilement ; ce fut l'invention de la raquette.

Érasme écrit, en 1541, que «l'on compte par quinze, trente, quarante ou avantage. On renvoie la balle de volée après le premier bond ; au second le coup est mauvais». Ainsi furent définies les règles du futur tennis.

Au XVIe siècle, on eut aussi l'idée de circonscrire le champ de jeu et de l'entourer de murs. Les camps étaient d'abord séparés par des cordes d'où pendaient des franges ; l'invention du filet date de 1600.

En pleine air on utilise la longue paume et en salle la courte paume. Cette salle c'est le tripot ou jeu de paume. La forme la plus ancienne est la longue paume qui se joue sur un terrain de terre battue d'environ 80 m sur 15 m.

Le nombre des jeux de paume construits en France jusqu'au milieu du XVIIe siècle fut prodigieux. L'Anglais, Robert Dallington, maître d'école qui séjourna en France sous Henri IV, affirme que l'on jouait à la paume en France plus que dans tout le reste de la chrétienté. Et il ajoutait : «il y a plus de joueurs de paume en France que d'ivrognes en Angleterre.»

En effet on jouait à la paume, nous dit Jusserand, dans toute la France et quelque soit le temps, même pendant les guerres, par tous, des vilains jusqu'au roi. Dans une chronique de Geoffroi de Paris, on peut lire à propos du roi Louis X le Hutin :

Il avait joué à un jeu
qu'il savait
Á la paume
Si but trop froid et se boua
Là il perdit plumes et pennes
Autrement dit il trépassa

Le jeu de paume a donc passionné les français à tel point d'ailleurs que, de même que pour les tournois, des ordonnances d'interdictions - hors le dimanche et les jours fériés - furent promulgués sous le motif que l'on y perd son temps : «Les religieux même se laissaient entraîner, et le Concile de Sens leur interdisait, en 1485, de jouer à la paume surtout en chemise et en public.»(J.-J. Jusserand, op. cit., p. 241)

La décadence de la paume commença au XVIIe siècle, sous Louis XIV, alors qu'en Angleterre elle proliféra sous une forme remaniée qui revint en France sous le nom de tennis, mot dérivé du français «tenez».

2.2.2   La soule ou la choule


La soule poussée au maillet


Le lancer de projectiles : l'athlétisme populaire

La soule, ou choule, est le jeu populaire par excellence. Le plus souvent il opposait deux paroisses. Á l'occasion d'une fête chacun des deux villages composait une troupe. Le but du jeu consistait à faire pénétrer une grosse balle de cuir, la choule, dans le camp opposé.

Mais ce n'était pas qu'un jeu populaire. Les rois aussi jouaient à la choule, comme Henri II.

Il semble que ce soit d'abord dans la région nord-ouest de la France que l'on joue à la choule. La soule existait aussi en Angleterre sous le nom de Hurling over country, puis de football. D'après Jusserand, ce jeu proviendrait de la Normandie, car tout ce qui «était jeu, amusement, délassement en Angleterre était, au Moyen Âge, d'origine normande ou angevine».

En Italie on pratique le calcio, jeu qui tire son nom du pied (cf.Mercurialis (1530-1606), De arte gymnastica).

2.2.3. Les autres jeux


Les jeux ludiques : la neige et l'eau

On pratiquait aussi :

  • le crosse, très appréciée des jeunes, semble-t-il. La crosse était un bout de bois courbé à sa partie inférieure dont on se servaitt pour pousser une balle. Le jeu serait l'ancêtre de nombres d'autres : le golf, le hockey, le mail, le cricket.
  • la lutte, sport très populaire, particulièrement en Bretagne, où le dimanche après midi on lutte sur la place du village. Seigneurs et rois luttent aussi, car dans la guerre «l'habilité à la lutte était si importante qu'elle compensait parfois le défaut d'expérience militaire».(J.-J. Jusserand, op. cit., p. 169). On se battait souvent en effet au corps à corps.
  • la cournée, jeu extrêmement dangereux. Il consistait à lancer à l'adversaire des projectiles de pierre.
  • le tir à l'arbalète et le tir à l'arc recommandés par les souverains pour pouvoir disposer de troupes efficaces. Les sociétés de tir dans les villes et les villages français bénéficiaient ainsi d'un certain nombre d'avantages (exemption d'impôts...).

Mais tous les jeux n'étaient pas des jeux guerriers. Ainsi les sources iconographiques nous montrent que les hommes du Moyen Âge, qui nous semblent si loin de nous, pratiquaient aussi les sports d'hiver et la natation.(Les jeux ludiques : la neige et l'eau)


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