La vengeance est un plat qui se mange froid

Oh c’est bon, nom de Dieu, qu’est-ce que c’est bon. Si j’avais su que cela faisait autant de bien, je n’aurais pas attendu aussi longtemps. Je suis au chômage, d’accord, mais quel pied je me suis pris, quel pied. Je me suis bien vengée.

Quel salaud quand même. Quel beau salaud. Enfin, je suis assez salope aussi, faut dire. Je l’ai bien eu. Il croyait quoi, ce gros porc, qu’il allait pouvoir me foutre dehors comme cela ? Sans que je bouge ? Je revois encore sa tête. Je me souviendrai de ça toute ma vie. Quand j’aurais besoin de me faire du bien, je repenserai à lui, à la tronche qu’il faisait. Oh je respire, je respire, il fait bon…

Il y a quinze jours, j’ai appris la nouvelle. Tu crois que c’est ce con qui me l’aurait annoncée. Ça fait deux ans que nous travaillons ensemble dans le même bureau. Que je fais partie de son équipe, que je lui écris ses textes, que je lui prépare ses cours, que je reçois ses étudiants. Voire même que je corrige les copies à sa place. En plus des miennes. Et puis l’université a décidé de supprimer des postes. Un fonctionnaire sur deux, vous connaissez la chanson. Encore plus facile quand on ne l’est pas encore, fonctionnaire. Il n’y a juste qu’à ne pas me renouveler mon contrat. Et mettre cela sur le compte de l’administration. Le pire c’est que lorsque je lui en ai parlé, il s’est presque mis à pleure : « Je n’y suis pour rien, je me suis battu pour toi tu sais, mais ils n’ont rien voulu savoir… » Tu parles. Ce qu’il ignore, c’est que la secrétaire de la présidente de la fac, c’est une amie d’enfance. Et c’est elle qui m’a appris la nouvelle. Et m’a décrit très exactement la façon dont mon patron avait défendu mon poste. En l’enfonçant gentiment, mais sûrement. Je ne suis pas indispensable.

L’infâme salaud. Quand j’y pense. Enfin, là, je suis peut-être au chômage, mais, lui, il est dans la merde.

Je me marre. C’est vrai, c’est drôle. Il a monté il y a quelques années un petit observatoire des inégalités hommes/femmes grâce à ses recherches en sociologie du genre. Au début, ce sont ses étudiants, dont je faisais partie, qui lui faisaient son secrétariat : saisie de données, gestion des fiches, courriers, agenda, etc. Et puis la structure a pris de l’importance, il lui fallait une secrétaire. N’ayant pas vraiment de statut ni de revenus, il ne pouvait bénéficier d’un emploi aidé. Alors une association, avec laquelle il travaille de temps à autres et dont il connaît le président, a fait la demande d’un contrat jeune travailleur auprès du conseil régional. Et la obtenu pour la mettre à la disposition de mon salaud. Ça fait un peu plus d’un an que dure cette petite magouille qui ne prête pas à conséquence. La jeune fille qui occupe le poste travaille réellement, dans un domaine intéressant, et comme elle est loin d’être bête, à la fin de ses deux ans, elle aura acquis suffisamment d’expérience en secrétariat et en communication pour postuler n’importe quel poste d’assistante. Alors qu’importe pour qui elle bosse vraiment.

Sauf que. Monsieur a également des ambitions politiques dans sa ville d’origine. Il est déjà conseiller général, mais là, il vise carrément la députation. Vous savez quoi, il a besoin d’un assistant là bas. Pas n’importe quel assistant, hein. Pas une petite secrétaire. Non, d’un jeune aux dents longues qui va pouvoir lui préparer le terrain. Mais il n’est pas encore élu. Alors il n’a pas les moyens de le payer. Et donc, qu’est-ce qu’il a trouvé comme idée lumineuse ? Hier, il a demandé à sa secrétaire, celle de l’emploi aidé, de démissionner, pour attribuer le contrat à son assistant. Le salopiau. Que la petite se retrouve au chômage, il n’en à rien à cirer. Elle était en larmes dans le bureau. Mais qu’est-ce que je vais faire ? Je n’ai même pas fait mes deux ans. Je n’ai même pas pu prévoir. Il m’a dit que j’avais deux jours pour lui donner ma démission.

Alors j’ai décroché mon téléphone. Et j’ai appelé son vrai patron. Le président de l’association. Et je lui ai demandé un rendez-vous, urgent. Deux heures après, j’étais dans son bureau, avec la secrétaire. Et j’ai tout déballé. Le contrat détourné bien sûr, mais aussi d’autres magouilles : les travaux des étudiants détournés, l’argent, les fausses signatures, bref, tout ce que deux ans de collaborations m’avaient appris. Evidemment, j’avais quelques preuves. On ne dégomme pas un mec connu et reconnu comme ça. Le président, d’abord estomaqué, était vert, de rage. A la fin, je lui ai demandé s’il avait besoin d’une secrétaire parce qu’en fait, il en avait une qui était très compétente et bosseuse. Il s’est tourné vers la jeune fille : « Nous sommes jeudi, vous pouvez commencer lundi ? »

Elle bichait. Mais avait un peu les pétoches d’affronter notre patron. Moi, plus rien à perdre, juste du mépris. Je lui ai promis que je serai au bureau le lendemain, au moment où elle cracherait le morceau. Je ne voulais louper ça pour rien au monde.

Ce matin, quand il est arrivé, elle était en train de ranger ses affaires dans un carton. Il lui a dit qu’elle prenait la bonne décision. Qu’il ferait en sorte de lui verser une prime pour sa compréhension de la situation. Elle ne répondait pas. Il s’est alors enhardi à lui demander s’il elle avait un autre boulot en vue. Là, elle a levé la tête. Si ses yeux avaient été des revolvers, je crois que j’aurais assisté à un meurtre. Elle s’est contenté de répondre : « Je commence à travailler lundi pour l’association. » Il a tiqué. Lui a demandé de répéter. Elle a pris ses affaires et est passée devant lui pour partir. Il lui a attrapé le bras. Elle a crié : « Ne me touchez pas ou je crie au viol ! » Il l’a lâchée, stupéfait. Elle est sortie de la pièce. Alors il s’est tourné vers moi. « Mais qu’est-ce qu’elle a cette folle ? Elle est complètement tarée de crier des choses pareilles. » J’ai souri. J’ai pris ma besace. Je me suis levée. J’ai contourné mon bureau que j’avais déjà entièrement vidé. Je me suis campée devant lui, et je lui ai raconté l’entrevue de la veille. Par le menu.

Il est devenu livide. Puis c’est mis à hurler. Il m’a traité de tous les noms : de salope, de mal baisée, d’enculée, de pute, et même de sale rouquine. Là, je me suis marrée. J’ai ouvert la porte. Mais avant de partir, je lui ai asséné le coup final. « Ah ! J’oubliais de te dire. Je crois que j’ai fais une bourde. Tu sais les photos que tu as prises avec ton étudiante de deuxième année, oui, celles prises à Eleuthera il y a deux mois. Tu vois, mais si tu vois, celles où vous êtes tous les deux en pleine action. Tu devrais protéger tes données tu sais…
- Quoi, beugla-t-il
- Eh bien, je l’ai envoyé à ta femme. Oups !

Et j’ai refermé la porte tout doucement. Je suis sortie de la fac. J’ai allumé une cigarette, j’ai rempli mes poumons d’air. Putain, c’est bon, c’est bon.

Ceci est, vous l’aurez compris, ma participation au diptyque 5.2, l’histoire de la photo. Elle m’a été inspirée par la photo de Jonas Cuénin et par une vieille histoire…

 

Commentaires

1. Le mardi 18 mai 2010, 02:36 par Lyjazz

Eh eh eh !
Pas mal de textes féministes tout compte fait pour cette session !
Je jubile !

2. Le mardi 18 mai 2010, 06:46 par julio

Superbe le texte ! Les relations entres les gens dans la vrais vie et surtout dans le monde du travail ressemble de plus en plus a la description que tu en fais ! L’hypocrisie le mensonge et la trahison, et plus tu monte haut dans les sphères du pouvoir plus il pratique se genre de relation avec les autres. L’histoire que tu raconte et très réaliste et je suis sur que dans le monde des affaires sa doit être moins romantique ! Je me marre ha ha ha!

A oui pour la photo et les photos Jonas Cuénin je les trouves superbe, et je sais de quoi je parle, je me sais pas bien cadrer mais photos je supose que je mais pas le coup d’œil pour les détails, mais photos manque de personnalité. Toi tu fais aussi de bels photos !

3. Le mardi 18 mai 2010, 09:22 par Mavie

Hé, j'ai bien accroché avec ce texte! En fait, ça semble très réaliste...si réaliste...réel? On peut le souhaiter.

4. Le mardi 18 mai 2010, 14:10 par akynou

Je sais pas si on peut souhaiter la réalité d'une telle histoire, parce qu'en fait, elle n'est pas très drôle même si elle se finit bien. Mais c'est vrai qu'elle est vaguement inspiré à quelque chose que j'ai connu.

5. Le mercredi 19 mai 2010, 00:20 par pl4n3th

Ça sentirait pas le vécu ?
On s'y croirait !
Super texte.

6. Le mercredi 19 mai 2010, 11:21 par Anna

C'est marrant, dans plusieurs textes on retrouve l'idée que cette fille se sent très libre. Le tien est excellent !

La discussion continue ailleurs

1. Le mercredi 19 mai 2010, 17:15 par La salle de jeux d'Akynou

Diptyque 5.2, on récapitule

La seconde session de ce printemps enfin ensoleillé s'est achevée lundi soir. Il me reste à récapituler les participations toujours intéressantes. 1. Il fallait d'abord inventer l'histoire de la photo de Jonas Cuénin . Comme je le disais, j'aime...