C'est évident, alors qu'il a fait plutôt beau toute la semaine, le jour où je décide d'aller en goguette à Paris avec ma fille, la pluie menace. Et je suis à moitié patraque. Nous avons pris la route en milieu de matinée, pour arrivée à Bastille juste à l'heure du déjeuner. Je n'ai qu'une hâte : trouver un restaurant ou une brasserie. Pour déjeuner, bien sûr, mais aussi, et de façon pressante, pour aller aux toilettes, ma patraquitude me taraudant de plus belle.
Nous n'avons pas été décues, ni pour le repas ni pour le reste. Je connaissais ce restaurant dans lequel j'avais dîné avec des copains fans d'opéra. Du temps où j'allais à l'opéra. La salle est biscornue et se sépare en deux partie, une plutôt bar lounge, l'autre restaurant. Le décor est sympatique, la carte accueillante et pas trop chère.
Curieusement, les toilettes se cachent en plein milieu du restaurant. Quand on ouvre la porte, on est saisi. C'est la galerie des glaces. Des miroirs du sol au plafond (plafond compris). Une cuvette unique (et heureusement) mais qui se reproduit à l'infini. C'est le Versaille des egocentrés, des autocurieux insatiables. On peut se regarder déféquer sous tous les angles. N'étant atteinte ni de l'un ni de l'autre mal, je fixe obstinément mes pieds.
Après déjeuner, direction les Halles, pour quelques courses chez Muji. Quand on a des gamines amoureuses du Japon, il y a quelques adresses incontournables. Muji en fait partie. A la sortie du métro, nous passons devant le squat d'artiste du 59. La porte est grande ouverte et l'invitation à entrer attirante. Je suis souvent passée devant, jamais dedans. C'est le moment où jamais de franchir le seuil avec ma fille qui adore le dessin. L'escalier monte en colimaçon jusqu'au sixième ciel. A chaque étages plusieurs ateliers et atistes différents. L'escalier et sa cage sont eux-mêmes décorés de fresques, tags, haiku, gribouillis, dessins.
Au premier étage, on tombe sur une porte close sur laquelle est inscrit : « Accès strictement, absolument, totalement interdit. Merci » Le message et passé, mais pour un squat d'artiste ouvert aux visiteurs, ça commence très fort. On monte donc un étage supplémentaire. On est accueilli par des poupons plus ronds que ronds, la figure même du bébé dodu qui dort. Il y en a sur les murs, sur la porte, dans le couloir, il est peint, dessiné, moulé, rose, bleu, vert, marron, jaune…baby alone in Babylone… Un peu plus loin, des mosaïque. On découvre les esquisses et les mosaïques qu'en fait l'artiste. Je préfère les esquisses personnellement. Et puis au bout du couloir, deux autres ateliers, habités ceux-là. De très belles choses qui plaisent particulièrement à Léone. A l'autre bout, deux gigantesques photos de jeunes femmes noires en train de danser. Elles sont presque à taille réelle, impressionnantes. Ce ne sont pas des photos. Un mot précise que l'artiste est maintenant au 6e. Et c'est vrai qu'il faut encore monter les étages.
Au troisième, quelqu'un s'est improvisé (ou pas) DJ, la musique résonne sur tout l'étage. On découvre des sculptures en terre, femmes nues au pagne, des têtes d'hommes, des morceaux de corps… Léone trouve que les statues ressemblent aux personnages africains d'Arthur et les minimoys. On découvre les costumes fait de brix et de brocs d'une artiste japonaise. L'une des robes est faite de pellicules de cinéma. Trop kawaï, pour rester dans le cliché.
Les escaliers se grimpent sans souffrance car les escales sont nombreuses. On regarde un tag par ci, un dessin par là. Les marches ne sont pas très hautes mais souvent très décorées. Mais on fini par s'y perdre. On s'arrête aux étages, on entre sans frapper, on déambule. Ah j'oubliais, au deuxième étage un panneau nous autorise à jeter des cacahuètes sur les artistes. Sauf que la majorité ne sont pas là. Dommage…
Au total beaucoup de très jolies choses, un certain nombre de trucs très drôles et une bonne collection de n'importe quoi. Il y a même des croutes, au sens premier du terme, des tableaux couvert d'une croute de peinture. Ce n'est pas forcément vilain, tout dépend de la couleur choisie…
Nous redescendons sur le plancher des vaches parisiennes. Et reprenons le cours de notre vie. Pour le moment, il consiste à ralier la boutique Muji sous la canopée. Je veux dire dans le Forum des Halles. J'ai découvert le concept à Londres il y a quelques années. Des objets simples, avec des conceptions classiques, simples et abordables. Ce qui passionne mes filles, c'est tout ce qui concerne la papeterie : crayons, mines, feutres, gommes, etc. et cahiers en tout genre. Bref, on y passerait bien des heures malgré la foule du samedi après-midi. On s'installe même dans un canapé vert pomme extrêmement confortable. Il ne nous manque plus qu'une tasse de thé. On ne va cependant pas y passer la journée. Ni même l'après-midi. Nous nous extirpons et remontons vers la surface.
La surface couverte par la canopée dont on nous rebat les oreille depuis tant de temps est moche comme tout. Le métal est d'une couleur kaki fade qui donnerait mauvaise mine à une top model sur un podium de Jean-Paul Gaulthier. Il fait gris pluie, et ça n'arrange rien. Le vent s'engouffre. Nous sommes tous frigorifiés. La foule est pourtant très dense.
Le quartier ne s'est pas amélioré. Fut une époque où il y avait de nombreux bistrots, il n'y a quasi plus que des fringues à vendre. C'est fou, partout, des magasins de vêtements, des marques que l'on retrouve dans tous les quartiers, dans toutes les villes. On ne mange plus, on se fringue. Et les quelques magasins d'alimentation sont réservés à une élite. Où vend-on les salades au kilo ? Pas sur les marchés. Dans la très chic boutique Causses (qui fleure bon le terroir chic) aux Halles. Zola doit se retourner dans le ventre de Paris.
Ça donne envie de changer le monde… Direction place de la République. Le temps empire. La pluie devient insistante. Je pense aux manifestants rassemblés une fois de plus contre la loi El Komrhi. C'est peu dire que la méteo n'est pas de la partie. Vu de loin, vers 17 heures, lemouvement dont tout le monde parle ne ressemble pas à grand chose. Il y a des bâches sous lesquelles certains se réfugient, des affichettes, des estrades improvisées. En fait, tout est improvisé. Les gens sont contents. Même les énervés. Partout, des carrés montés de toutes pièces qui rassemblent autour d'un thème. Il y a également une manifestation de réfugiés africains dont je ne comprends pas les revendications mais dont je suis sûre qu'elles sont légitimes. Il flotte une odeur de bouffe. Pas de merguez, plutôt des brochettes. Autour d'un arbre, ils sont nombreux à ajouter de la terre, à jouer les terrassier en prévision de la création d'un potager.
La voix d'une femme rythme les activités : elle donne des informations, donne des modes d'emploi : comment intervenir, comment se parler, comment se tutoyer, comment de réunir. Elle accueille les intervenants, reprend le micro. François Rufin fait un speach. La sono n'est pas terrible, difficile de le suivre. Je retrouve le côté un peu boyscout de ce type de mouvements. Sous une des bâches, des étudiants en colère fabrique le panneau de bois qui marquera l'entrée de leur stand. Il y a des gamins qui jouent, des parents qui papotent et des étudiants qui rigolent, la plupart une bière à la main (sauf les gamins, il y a une limite à la liberté). Pour le moment, ça ne va pas jusqu'à échanger avec des étrangers. Chacun arrive avec sa coterie, son groupe, ses copains, sa famille. Avec Léone, nous sommes une bande de jeunes à nous toutes seules.
Voilà, l'Après-midi debout (la nuit est encore loin), c'est un grand bordel où chacun fait fait fait ce qu'il lui plaît plaît plaît, mais ensemble.
Ça me plaît, je resterais bien plus longtemps. Mais je ne tiens plus debout et il est temps de rejoindre la Bastille où nous devons dîner avec le père de mes enfants. Lui, il a été voir du côté de la manif ce qui se passait. Et puis, plus tard, je retrouverai mes camarades de covoiturage. Nous ne referons pas le monde, nous ne discuterons pas jusqu'à plus soif. Je conduirai, ils dormiront. Bye Paris. T'as toujours de la gueule tu sais. Même sous la pluie.