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Amis Diocèse du SAHARA
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Mgr Michel GAGNON (+ 1er juin 2004)
Le mardi 1er juin 2004 Mardi de Pentecôte, terrassé par une crise cardiaque, Mgr Michel Gagnon , évêque du diocèse du Sahara, fondateur de l'ADS , décédait à El Bayadh en Algérie.  Il était âgé de 71 ans.Il fut inhumé au cimetière chrétien de Ghardaïa le dimanche suivant, 6 juin 2004, dimanche de la Fête de la Trinité.

Ayant découvert , au cours de l'année 2006, divers témoignages sur Mgr Gagnon, tant en Algérie au travers d'un "blog" en 2006, qu'au travers de documents parus  au Québec,

l' ADS a tenu à vous les faire partager le jour de la date anniversaire de sa disparition.A travers ces témoignages, une façon aussi de "tenir les 2 bouts de la chaîne",l'importance
, pour tout missionnaire,  des liens familiaux et d'amitié , l'importance aussi, dans le pays d'accueil, d'une présence qualitative et éducative, relationnelle et spirituelle, qui se perpétue au delà de soi-même.

Merci pour ces contributions, ainsi qu' à la famille Gagnon
pour nous avoir  transmis à la fois textes et photos du Québec.

Le "Père Gagnon",  "Michel",  " Mgr Gagnon", c'est selon,...


Temoignages du Québec en 2006
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mgg.jpg Tombes de Mgr Gagnon (** jaune) (+1er juin 2004)
& de Mgr Guérin(**rouge) ,
1er " évêque " du Sahara qui accueillit le Bhx C de  Foucauld au sahara   . (cliché  2005 )

 Michel Gagnon, un évêque en pays musulman
1mgrogereny1.jpg     par  Roger Reny (***)               1mgandreelaberge.jpg
                 Mgr Michel Gagnon avec Roger Reny et Andrée Laberge           
Le mardi 1er juin 2004, terrassé par une crise cardiaque, est mort à El Bayadh en Algérie, Mgr Michel Gagnon.  Il était âgé de 71 ans.

Est-ce l’attrait du monde arabe et de l’islam ou le désir, plus exigeant, d’aller vivre et œuvrer en pays musulman qui a poussé le jeune Michel Gagnon, alors âgé de 18 ans, à entrer le 4 août 1951 au noviciat à Saint-Martin-de-Laval et à partir, l’année suivante, pour Carthage (en Tunisie) afin d’y poursuivre ses études dans le but de devenir Père Blanc ?  Oui, l’attrait et le désir ont certainement joué un rôle capital dans sa décision de quitter famille, amis et pays, mais selon ses propres dires, il fut d’abord et avant tout impressionné par la lecture d’un livre qui, à l’époque, était beaucoup prisé en France.  Il s’agit du premier ouvrage important consacré à Charles de Foucauld.   René Bazin de l’Académie française, a publié son Charles de Foucauld, explorateur au Maroc, ermite au Sahara en 1921(1), soit cinq ans seulement après la mort du petit frère universel.  L’auteur a donc pu bénéficier de rencontres avec les proches de celui-ci et s’appuyer sur des témoignages crédibles pour écrire son livre.

Quoi qu’il en soit, il sera ordonné prêtre le 1er avril 1956 à l’âge de 23 ans.  Et en 1958, on le retrouve dans le diocèse de Laghouat, en Algérie.  Quarante ans plus tard, revenu depuis le 12 février 1991 dans ce même diocèse, en tant qu’évêque cette fois, il y mourra.  Il a été inhumé à Ghardaïa juste à côté de la tombe de Mgr Charles Guérin (mort en 1910), délégué apostolique de l’Algérie, supérieur immédiat et ami de Charles de Foucauld.  Son vœu le plus cher fut ainsi réalisé : mourir et être enterré en terre d’Algérie, ce pays où il a vécu près de vingt ans et qu’il a tant et tant aimé.  Le 1er juin 2004, l’Algérie et le Québec perdaient un homme de grande valeur.

Un homme de grande valeur, certes.  Homme de foi et d’action, témoin du Christ en terre musulmane; homme d’une profonde et vaste culture; homme de courage aussi et d’abnégation.  Voilà tracé à grands traits le profil de cet évêque hors du commun.   En sa qualité de Père Blanc et d’évêque, Michel Gagnon, soutenu par sa foi au Christ, n’a jamais failli à la tâche.  Il a traversé la terrible guerre d’Algérie (1954-1962) et plus tard, dans les années 90, il a été témoin indirect des massacres de populations civiles perpétrés par les terroristes islamistes.

Dans son homélie du 40e anniversaire de son ordination sacerdotale
, le 17 août 1996 en l’église Saint-Sacrement à Québec, il a ouvertement témoigné de sa foi; d’une foi musclée qui, par son réalisme, n’a rien de celle d’un exalté.  Voici un extrait de cette homélie prononcée quelques semaines avant son retour en Algérie,  où les massacres d’innocents se multipliaient (déjà on parlait à l’époque de 50 000 victimes).

[ … ] beaucoup de personnes sont étonnées quand je dis que j’y retourne dans trois semaines.  Oui, humainement parlant, cela peut paraître de la folie.  Nous ne jouons pas aux héros et ne nous expo-
sons pas inutilement, mais nous sommes conscients qu’il y a des risques (2).  Pour la majorité des Pères, des Sœurs et d’un bon nombre de laïcs, il y a eu à l’origine un choix de vie par vocation qui n’est pas remis en question ; on ne quitte pas le bateau parce qu’il traverse une tempête!  Beaucoup de missionnaires, et je me compte parmi eux, ont une longue présence en Algérie où ils se sont fait beaucoup d’amis et y trouvent leurs raisons de vivre et de mourir.


Dans cet extrait, Mgr Gagnon, en fait, s’exprime à deux niveaux différents. Sur le plan humain, son retour en Algérie peut sembler de la folie.  Donc, prudence, il ne faut pas jouer aux héros.  Mais sur le plan  divin, en conformité avec sa vocation et le don total qu’il a fait de lui-même au Christ, il y retournera " avec la conviction, ajoute-t-il plus loin, que les temps d’épreuve et de crise sont aussi des temps de réflexion et d’approfondissement du sens des valeurs et de la vie et qu’en tout état de cause, le Seigneur sait se servir de nos souffrances unies aux siennes pour un plus grand bien de tous et que le chemin de la Croix est aussi celui de la résurrection ".  Le mystère de la souffrance : aucune attitude de complaisance de sa part, tant s’en faut!  Car je sais jusqu’à quel point cet homme pouvait aimer la vie.  Mgr Gagnon donne ici à la souffrance sa véritable dimension chrétienne; il rejoint sur ce point  Simone Weil qui nous rappelle que " l’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel à la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance (3) ".   Il est donc retourné à Laghouat se dévouer auprès des gens simples, pauvres pour la plupart, faisant le bien autour de lui.

Faisant le bien autour de lui…  À l’occasion de son décès, deux témoignages lui ont été rendus qui le confirment.  Le premier, celui du Président de l’Assemblée Populaire de la communale( commune,ndlr) de Laghouat, M. Kahchita Mohamed, met surtout l’accent sur ses qualités morales.   Il déplore, dans ses condoléances, la perte d’un " homme de valeur, de cœur, de charité, de piété et de droiture ".  Il met également l’accent sur le fait que Mgr Gagnon, durant sa vie, a été un ardent défenseur de la justice et de la tolérance.  Aux yeux du Président de l’Assemblée Populaire – il est important de le mentionner – Michel Gagnon, " homme de religion ", s’est révélé durant toutes ses années passées en Algérie, un homme qui a su créer un " espace de paix, de dialogue et d’ouverture entre les peuples sans aucune distinction de race ou de religion ".  Et d’ajouter le Président " c’est là que réside l’importance de la formidable œuvre d’amour et de générosité que nous a léguée Mgr Gagnon ".  Amour et générosité : des valeurs précieuses  qui ne passent pas et qui élèvent l’homme au-dessus de lui-même.  Ne soyons donc pas surpris si M. Khachita Mohamed conclut que le souvenir de cet homme " restera à tout jamais vivace dans nos cœurs et nos esprits. "
 
Quant au deuxième témoignage, il nous vient d’une lettre que M. Richard Belliveau, ambassadeur du Canada envoya, le 16 juin 2004, à la famille de Mgr Gagnon (4).  En voici des extraits:

J’ai été particulièrement impressionné de voir le nombre de personnes qui sont venues de tous les coins du sud de l’Algérie – Biskra, Ouargla, El Golea, Timmimoun ainsi que de la ville de Ghardaïa – pour lui rendre hommage.  Les évêques catholiques d’Algérie étaient également présents et ont co-célébré la messe.  Au cours de la cérémonie, on a lu le message de condoléances du Président de l’Algérie, M. Abdelaziz Bouteflika.  De nombreux Algériens gardent un souvenir ému  de l’époque où votre frère enseignait et ont tenu à me témoigner leur reconnaissance pour l’éducation exemplaire qu’ils ont reçue  (5).        Si vous visitez un peu Ghardaïa au milieu du désert du Sahara.  Le petit cimetière catholique, où le premier évêque de Ghardaïa enterré il y a cent ans ( (6)  ,    est bien entretenu et constitue un lieu de repos paisible pour un grand Canadien et un homme d’Église admirable.

D’aucuns seraient peut-être tentés de qualifier ces propos de typiquement protocolaires.  Qu’ils aient raison ou non, ces paroles  expriment fondamentalement le vécu d’un homme qui  a consacré sa vie au service d’autrui, tout en s’efforçant, du mieux qu’il le pouvait, de vivre les valeurs de l’Évangile. Au demeurant, ces témoignages démontrent jusqu’à quel point il était grandement apprécié par tous.

Et puisqu’il a vécu de nombreuses années au Sahara, il serait peut-être intéressant de nous demander quel attrait pouvait exercer ces grands espaces à ses yeux.
Michel Gagnon et le Sahara

                                                  Dieu a créé des pays pleins d’eau pour que les
                                              hommes y vivent et des déserts pour qu’ils y
 trouvent leur âme.

                                                                                      Proverbe touareg

                                                Il faut passer par le désert et y séjourner pour
                                            recevoir la grâce de Dieu : c’est là qu’on se
                                                   vide, qu’on chasse de soi ce qui n’est pas Dieu.

                                                                                             Charles de Foucauld

Dès son arrivée en 1958 à Laghouat, Michel Gagnon, jeune Père Blanc à l’époque (il avait alors 25 ans) a été atteint " par le virus du désert ".  Et il n’en guérira jamais.  Dans son homélie dont j’ai parlé plus haut, voici ce qu’il disait au sujet du Sahara : " Pays rude, pays de chaleur, de la sécheresse, du vent, du silence et des grands espaces qui a façonné un type humain particulier ".    Et il a raison d’affirmer qu’en plein désert nous prenons conscience que nous sommes " peu de chose  [et qu’un ] homme seul (en ce lieu) est un homme mort ".

Le désert incite à la méditation et à la contemplation.  Imaginez-vous un instant, au sommet d’une dune orangée, dans le Grand Erg occidental par exemple, sous un ciel bleu qui contraste avec le vert d’une palmeraie située en contrebas et la couleur ocre d’un haut plateau qui se profile à l’horizon, et vous comprendrez pourquoi un tel paysage nous interpelle, nous ouvre sur l’infini : le Sahara, durant ces moments de grâce revêt un caractère mystique.  Allah Akbar!  Pour Michel Gagnon qui dit désert dit solidarité.  La vie y est dure, les gens sont pauvres, mais ils sont spontanément portés à s’entraider.  Et au Sahara, si on voit peu de gens, par contre, on se " rencontre " (dans le sens convivial de s’exprimer, partager) comme l’a déjà fait remarquer Charles de Foucauld.

Il aimait dire, comme son prédécesseur, que le siège de son évêché était celui de son automobile, car il devait visiter des petites communautés dispersées sur un très vaste territoire.  En effet, sa juridiction épiscopale s’étendait sur … deux millions de kilomètres carrés! et ne comprenait que 850 catholiques.  Il m’a raconté une anecdote à ce sujet.  En 1991, alors qu’il s’apprêtait à quitter Rome pour retourner définitivement en Algérie, le secrétaire de la Congrégation le convoqua pour affaires internes.  Il en profita pour lui manifester, sinon sa frustration, du moins sa surprise.  Vous, Michel Gagnon, vous êtes envoyé au Sahara pour vous occuper d’un très  petit nombre de catholiques sur un des plus vastes diocèses du monde, alors que moi quand j’étais évêque aux Philippines, je devais m’occuper de paroisses qui pouvaient compter des milliers de catholiques et il m’était difficile de leur envoyer des curés. Cette remarque  n’eut aucun effet sur Michel.

Au volant de sa voiture, à rouler pendant des heures et des heures, dans le désert ou en direction de la mer, il avait amplement le temps de réfléchir, de prier et de méditer.  Lorsqu’il partait de Biskra, par exemple, pour remonter vers Constantine (ville située à mi-chemin entre le désert et la mer) dans le but d’y rencontrer, entre autres, les coopérants québécois, il appréciait grandement ces moments de silence et de solitude, favorables à l’intériorisation. Temps suspendu, propice à la méditation effectivement, mais également à l’émerveillement, car il se laissait littéralement imprégner par l’austère beauté des Aurès, ce superbe massif montagneux peuplé de Berbères qu’il devait traverser pour se rendre à destination.

Michel Gagnon, homme du désert, certes.  Il était devenu au cours des ans beaucoup plus Arabe que Roumi.  Grand, mince, le nez aquilin, le teint basané, le dos rond, voilà sommairement son physique.  Et sa voix forte et nasillarde qui prenait parfois des inflexions gutturales propres à la langue arabe le faisait facilement passer pour un Algérien du sud.  Et c’est parce qu’il parlait leur langue, connaissait leurs us et coutumes, respectait leur religion, employait leurs formules de salutations et de politesse lors de ses visites tant chez les gens simples que chez les notables, qu’il avait pu tisser un si solide réseau d’amis.

À ce sujet, qu’on m’autorise un souvenir personnel.  J’ai eu le privilège, grâce à lui, d’assister (à Ghardaïa si je ne m’abuse) à l’immolation du mouton à l’aïd-el-Kébir. Cette invitation de la part d’une famille musulmane exprimait bien la confiance et le respect que ces gens manifestaient envers Michel.                                                    
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Michel Gagnon et Charles de Foucauld

On peut dire, sans se tromper, que Charles de Foucauld a joué un rôle déterminant dans la vocation de Michel Gagnon.  Un des facteurs à l’origine de cette vocation fut, comme je l’ai mentionné au début, la lecture du livre de René Bazin.  Pendant plus de cinquante ans, il a manifesté un respect et une admiration indéfectibles envers cet homme qui vient d’être béatifié.  Il avait une excellente connaissance de la vie et de l’œuvre de Charles de Foucauld et, grâce à sa relation amicale avec Antoine Chatelard  – véritable spécialiste foucauldien – il pouvait jeter un regard neuf, objectif et critique sur cet ermite du Sahara qui fut pendant plus d’un demi-siècle un objet d’admiration et de contestation.

On reconnaît aisément que Mgr Michel Gagnon faisait partie de la grande famille spirituelle foucauldienne.  Toutefois, il n’a jamais cherché à suivre les traces de cet " explorateur mystique " (Michel Carrouges).  Il n’était ni un mystique, ni un ermite et à aucun moment il n’a songé à fonder une communauté; mais si on compare leur vie, on se rend compte qu’elles se ressemblent sur certains points.  Tous les deux, hommes du désert et de religion catholique ont été fort respectés et aimés.  Nul prosélytisme de leur part, toutefois, et cela en conformité avec l’impérieux désir du fondateur des Pères Blancs, le cardinal Lavigerie, qui suggérait aux membres de sa communauté d’agir sur le terrain auprès des gens plutôt que de faire du prêchi-prêcha.  Témoins du Christ, telle était leur attitude face aux musulmans.

Néanmoins, une mise au point est ici nécessaire.  Charles de Foucauld partageait la vision expansionniste de la France du XIXe siècle, le contraire eût été surprenant.  Catholique profondément convaincu, il rêvait, grâce au colonialisme français, de répandre la Bonne Nouvelle jusqu’aux confins du Sahara et même si, selon lui, la conversion des musulmans était affaire de siècles  (7),     il espérait de tout son cœur qu’elle se produise.  Un demi-siècle plus tard, Mgr Gagnon sur ce sujet ne partageait pas la même espérance, on le comprend aisément.  Il n’a d’ailleurs jamais cru qu’un jour le christianisme allait attirer dans son sein de nombreux musulmans.  Il m’a déjà avoué qu’à toutes fins utiles on ne pouvait guère les convertir au catholicisme.  Cette divergence de point de vue entre ces deux hommes, imputables à des contextes religieux et sociopolitiques différents  (8)   est relativement secondaire cependant si l’on tient compte du fait que " pour dire Dieu, [ils] le dévoil[aient] sans le dire" (Guy Gilbert) à travers leur disponibilité, leur dévouement et leur amour du prochain.

Ils avaient également une connaissance approfondie de la religion musulmane et de la langue arabe.  Ils reconnaissaient que l’islam pouvait " nous apprendre quelque chose de la grandeur et de la transcendance de Dieu, de la pratique régulière de la prière et du jeûne, du souci d’être conséquent avec sa foi jusque dans le domaine de la vie publique (9)  ".  Retenons ces deux mots : grandeur et transcendance.  Tout être humain, qu’il soit croyant ou incroyant, plongé au cœur du Sahara, peut s’ouvrir à ces deux dimensions.

Le respect de l’intégrité d’autrui, voilà la condition sine qua non d’une authentique fraternité.  Charles de Foucauld et Mgr Gagnon l’avaient bien compris eux qui ont vécu parmi les Algériens   et qui se sont imprégnés de leur culture sans renier, pour autant, leur spécificité culturelle.  Et c’est parce qu’ils étaient authentiques et qu’ils sont restés fidèles à eux-mêmes, à leur foi, qu’ils ont tant été estimés.

Tout bien considéré, ce qu’il est important de retenir à leur sujet, c’est qu’ils se rejoignaient sur " l’essentiel " que je pourrais résumer de la façon suivante :  ils partageaient la même foi en ce Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné et ressuscité; le même amour en celui (et non en un vague concept) qui a osé dire qu’il était la voie, la vérité et  la vie; la même fidélité envers cet ami qui les a interpellés et séduits au point de tout abandonner pour se mettre chacun à sa façon à son service.  Et puisqu’on ne peut guère aimer le Christ sans aimer les hommes, tout les deux enfin, prêtres, se nourrissant et puisant leurs forces dans l’eucharistie, se sont donc consacrés au service du prochain jusqu’à leur mort au Sahara.

Michel Gagnon, homme d’une vaste et solide culture

Il suffisait de partager un repas avec lui, de discuter de choses et d’autres pour nous rendre compte rapidement que nous avions affaire à une personne cultivée " qui ne se piqu[ait] de rien ".  Honnête homme en effet (au sens classique du terme), sobre et nuancé dans ses jugements, il était tout le contraire de ces érudits à la voix haute qui étalent avec ostentation leur savoir.  Polyglotte,  il parlait couramment, en plus du français, l’anglais, l’arabe et assez bien l’italien.  Sa connaissance géopolitique du monde arabe en général et de l’Algérie en particulier, en étonnait plusieurs. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’assister, à Oka, chez les moines cisterciens de l’abbaye de Notre-Dame-du-Lac, à une conférence qui portait justement sur l’Algérie.  La clarté de son exposé, son esprit méthodique, sa fluidité lexicale et l’étendue de ses connaissances sur ce pays plurent aux moines dont certains de leurs membres, rappelons-le, ont été tués en Algérie.

Spécialiste de l’histoire, oui, mais également, comme je l’ai souligné, de la langue arabe et de la religion musulmane.  Il ne faut donc pas se surprendre s’il assuma, de 1987 à 1991, la charge de recteur de l’Institut pontifical d’études arabes (PISAI) à Rome.  C’est ainsi que  Mgr Gagnon, qui avait été sacré évêque par le pape Jean-Paul II, le 4 mai 1980 à Kinshasa au Zaïre, eut quelquefois l’occasion de partager un repas avec celui-ci.  Mais l’intérêt de cet homme ne se limitait pas au monde arabe.  Esprit curieux et ouvert, il se passionnait pour tout : musique (il venait d’une famille de musiciens et, plus jeune, il avait lui-même joué du saxophone),  astronomie, philosophie,  politique, économie, littérature, etc.

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  Au saxophone, à Biskra, avec le groupe musical " les vescériens"

                                      qu'il avait créé en 1969 avec des amis algériens de Biskra ( en latin "Vescera"
)                                      

Esprit critique, il portait un regard sévère sur les tendances égoïstes et mercantiles des Occidentaux; sur la richesse planétaire si mal répartie,  citant à l’occasion des statistiques; sur la violence, les massacres d’innocents, le fanatisme religieux.  Faut-il s’en étonner de la part d’un homme si sensible à l’injustice?
Discret, il aimait vivre parmi les gens simples.  N’a-t-il pas quitté sans hésitation les splendeurs de la Ville éternelle pour aller finir ses jours au Sahara.   Je suis convaincu, d’ailleurs, qu’il se sentait beaucoup plus à l’aise dans son modeste évêché de Ghardaïa que dans les appartements luxueux de Saint-Pierre de Rome.  

Mgr Gagnon, par le caractère oblatif de toute sa vie, confirme le fait que le don de sa personne reste encore et restera toujours un des moyens les plus efficaces pour créer autour de soi une ambiance favorable à la fraternité, à la solidarité et à l’entraide.

Que celui qu’on surnommait  si justement  " L’évêque des sables  (10)  " repose en paix au cimetière chrétien ( où reposent notamment ) des Pères Blancs, aménagé dans un tout petit coin de cet immense et fascinant Sahara qu’il connaissait si bien.


Roger Reny (***)  (2006)   boutonhaut.jpg
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Notice biographique de Mgr Michel Gagnon  


* 23 mars 1933 : naissance à Québec
* 4 août 1951 : entre dans la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs)
* 1er avril 1956 : ordonné prêtre (Père Blanc) à Carthage (Tunisie)
* de 1958 à 1972 : œuvre dans le diocèse de Laghouat (Algérie)
        o Touggourt, 1958-1959
        o Aïn-Sefra de 1959 à 1963
        o Biskra de 1963 à 1972
*  1972 - 1973 : personne-ressource au département de missiologie à l’Université Saint-Paul
* de 1973 à 1980 : Yémen du Nord, administre l’hôpital de Hodeidah et un centre pour cas sociaux
* 4 mai 1980 : à Kinhasa (Zaïre), le pape Jean-Paul II lui confère l’ordination épiscopale comme
  évêque de Djibouti
* de 1980 à 1987 ; évêque de Djibouti
* de 1987 à 1991 : recteur de l’Institut pontifical d’études arabes et Islamiques (PISAI), à Rome
* 12 février 1991 : évêque de Laghouat
* décembre 2000 : installation à Ghardaïa
* mardi 1er juin 2004 : meurt  à  El Bayadh (Ghardaïa) à l’âge de 71 ans.

Mgr Michel Gagnon était le postulateur officiel de la cause de la béatification de Charles de Foucauld.

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Notes et références

 1.     Ouvrage réédité en 1954 et 1959.
 2.     Et comment!  Que l’on songe à l’assassinat, le 26 mars 1999, des sept moines cisterciens enlevés
        à  Tibhirine dans leur monastère de Notre-Dame de l’Atlas.  Mgr Gagnon les connaissait bien.
 3.     Simone Weil, L’attente de Dieu, éditions du Vieux-Colombier, 1950, p. 120.  In François Chavanes,
        Albert Camus, un message d’espoir, Paris, Cerf 1996, p. 25.
 4.     Je tiens à remercier le frère de Mgr Gagnon, François, qui m’a autorisé à en publier des extraits.
 5.     Mgr Gagnon, alors qu’il était Père Blanc, a enseigné à Touggourt, Aïn-Sefra et surtout à Biskra
         où il aurait tant aimé  prendre sa retraite. 
 6.     Il s’agit de Mgr Charles Guérin.

 7.     "Tout cela pour amener, Dieu sait quand, peut-être dans des siècles, au christianisme. "  In Richard
        Ledoux, La pauvreté : une Béatitude?  Anne Sigier, Sainte-Foy, 1993, p. 135.


 8.     Ces contextes différents peuvent également expliquer des divergences de points de vue concernant
        d’autres sujets; sur la pauvreté de Jésus, l’imitation de Jésus, la conception de la souffrance, par
        exemple.  Pour ce qui a trait à la conception de Charles de Foucauld sur ces sujets précis, je renvoie
        le lecteur aux ouvrages de Jean-François Six – plus particulièrement à son livre Itinéraire spirituel
        de Charles de Foucauld (Paris, Éditions du Seuil, 1958) et à ceux, beaucoup plus récents, de Antoine
        de Chatelard, La mort de Charles de Foucauld (Paris, Karthala, 2000) et Charles de Foucauld, le
        chemin  vers Tamanrasset (Paris, Karthala, 2002).
9.    Cf. le texte du cardinal Godfried Danniels, L’Église et les défis du troisième millénaire, in Demain
       L’Église   (ouvrage collectif), Paris, Flammarion 2001, p. 264.
10.   Littéralement " L’évêque du sable " (wali r’mel).  Cf. le grand reportage de Didier Contant
      " L’Algérie : Michel Gagnon, l’évêque des sables ", dans la revue Panorama, avril 2002, no 376, p. 48 
        à 53.  Les photos de ce reportage sont superbes.



Roger Reny (***) Ami de longue date de Mgr Gagnon, Roger Reny exerça  pendant 4 ans - de 1968 à 72-  comme professeur , au titre de l'ACDI ( agence Canadienne de Développement International)  à Constantine, ville relativement (vu du Canada)  proche de Biskra au moment où Mgr Gagnon était en poste à Biskra . C'est ainsi que leurs liens de jeunesse se trouvèrent renforcés. Les clichés représentent Mgr Gagnon lors des séjours au Québec, avec la famille de Roger... et ci-contre lors d'une partie de pétanque.

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autre page commémorative en 2007  boutondroit.jpg

11bio.jpg Mgr Michel GAGNON, évêque de LAGHOUAT, diocèse du Sahara :1991-2004
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Messe des Funérailles (1)    le  6 juin 2004
Messe des Funérailles (2)    le  6 juin 2004
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