Baudrillard, De la séduction

Publié le par Mathilde Argane

31XW3YEJD7L.-SL160-.jpgJean BAUDRILLARD, De la séduction, Galilée, 1979
(les chiffres entre parenthèses renvoient aux références des pages dans cette édition)


Jean Baudrillard : (1929-2007) Sociologue touche-à-tout qui a consacré l’essentiel de son travail à penser la société de consommation (La société de consommation, 1970) et les relations des hommes aux objets (Le système des objets, 1968). Polémiste, il s’exprime sur les sujets d’actualité, s’intéresse aux guerres contemporaines (Golfe, 11 septembre…)
Dans le dernier tournant de sa pensée, qualifié de post-moderne, Baudrillard aborde la séduction non en sociologue ou en anthropologue mais en philosophe : il ne s’agit pas de décrire des pratiques de séduction mais de définir un concept qui lui sert de clef d’explication du monde. C’est un système de pensée résolument subversif qu’il propose, qui s’oppose à la pensée « linéaire », unilatérale, de la « production ».
Vue d’ensemble de la thèse : la séduction se pense autour du paradigme suivant : artifice vs nature, signe, manque vs détail réaliste, exhaustivité, défi vs contrat, le jeu, la règle, le conventionnel vs la liberté et le hasard, la réversibilité vs hiérarchie, la subversion vs opposition.


Résumé sélectif des parties saillantes de l’argumentation, en particulier ce qui concerne les analyses de mythes littéraires et la problématique du corps.

INTRO : ébauche de définition de la séduction= « toujours celle du mal » « cest lartifice du monde ». (10) : « nous vivons toujours dans la promotion de la nature » « or la séduction n’est jamais de l’ordre de la nature, mais de celui de l’artifice – jamais de l’ordre de l’énergie, mais de celui du signe et du rituel » « la séduction veille à détruire l’ordre de Dieu »

1- L’ECLIPTIQUE DU SEXE

Pas d’opposition homme vs. femme, mais une différence générique : féminin vs. masculin (où un homme peut être feminin et vice versa). Le féminin est « ce qui séduit le masculin » (18). Le masculin se définit par une structure en profondeur vs féminin qui est dans l’apparence, le rôle joué, le construit culturellement. La séduction est l’apanage du féminin.
Baudrillard s’oppose au déterminisme freudien, « l’anatomie c’est le destin » : la séduction c’est le « travail du corps par l’artifice et non par le désir ».

L’ETERNELLE IRONIE DE LA COMMUNAUTE ***

« féminin comme principe d’incertitude » : puisqu’il est forcement joué, il est toujours vacillant. (24) : le féminin (et donc la séduction) atteint son paroxysme quand il est redoublé par « le jeu de la féminité » : le travesti = charme de la vacillation sexuelle. « transsubstanciation du sexe dans les signes qui est à la source de toute séduction » (26) = la séduction repose dans le déplacement du sexuel, du biologique dans le domaine du signe, du code, du volontaire : être féminine ou viril ça n’est pas avoir le sexe correspondant, mais surrenchérir, souligner de facon ostentatoire et codée cette anatomie.
(27) : le travesti constitue un « défi lancé à la femme-femme par la femme-signe. » : exerce une double séduction, sur l’homme et la femme.

Le porno est une réponse à l’inquiétude du masculin sommé de faire ses preuves : il oppose la continuité du féminin, sa disponibilité permanente, à l’incertitude du masculin, la peur de la panne.

PORNO STEREO ***

Séduction = manque de réalité, le signe, vs. porno = saturation de détails, plus réel que le réel, ce qu’il appelle le « stéréo », le rendu « haute fidélité » (48), « le porno c’est la quadriphonie du sexe ». « hyperréalisme » du rendu d’une scène que personne n’a jamais vécue ni vue. S’il y a fantasme ce n’est pas de sexe mais de réalité (46). Le porno est un simulacre (vs représentation), c’est à dire « l’effet d’une vérité qui cache que celle-ci n’existe pas ».

SÉDUCTION – PRODUCTION

Nuance l’opposition trop systématique sexe vs séduction par l’exemple d’une stratégie paradoxale de séduction : (Philip Dick) « baise-moi » mais selon Baudrillard cette invitation est « trop directe pour être vraie et du coup renvoie à autre chose » elle est paradoxalement mystérieuse en dépit de sa crudité apparente. D’où la réponse : « il y a dans ton vocabulaire quelque chse d’indéfinissable et et qui laisse à désirer ». (64)

69 : séduction et pouvoir : la séduction est supérieure car elle est réversible (alors que le pouvoir s’appuie sur l’unitéralité d’un rapport de forces (qui est celui de la production, avec un debut, une fin et un sens) qui peut toujours être mise en défaut par la séduction)
Réversible, c’est à dire qu’elle contient en elle-même une demande, ou plutôt un défi de répondre : elle défie l’autre de séduire à son tour, et s’expose à être séduite.

2- LES ABIMES SUPERFICIELS

Opposition de l’interprétation (=recherche d’une profondeur et d’une signification) vs séduction qui est du domaine des apparences et de l’absence de sens. « le leurre de la psychanalyse » est de vouloir faire un discours de sens qui abolisse les apparences : c’est impossible et c’est d’ailleurs une entreprise vaine car (85) : « la vérité n’existe pas, quand on lui a enlevé son voile elle n’est plus elle-même »

LE TROMPE L’ŒIL OU LA SIMULATION ENCHANTÉE ***

Ce qui seduit n est pas le fait qu’on confonde le trompe-l’oeil avec le réel, ce n’est pas le« surcroit de réalité » (vs. raisins de Zeuxis) mais sa soudaine défaillance.

I LL BE YOUR MIRROR ***

« Miroir ou peinture, c’est le charme de cette dimension en moins qui nous ensorcelle, qui fait l’espace de la séduction et devient source de vertige » (95).

Réinterprétation du mythe de Narcisse : il ne tombe pas amoureux de son image vivante, mais au contraire d’une absence de profondeur, d’un « abîme superficiel » = le fait d’être séduit renvoie à une tentation de mort : « Séduire c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre » (98)

LA MORT A SAMARKANDE ***

Puissance du « signifiant insignifiant » (104) : histoire de la queue rouge du renard. « l’esprit est irresistiblement attiré par la place laissée vide par le sens »
La séduction opère par l’absence, par un signe coupé de sa profondeur : cf parfum de la panthère, ou femme sous le maquillage.
« L’attraction par le vide est au fond de la séduction », d’où la séduction opérée par les systémes fermés sur eux-même, impénétrables, opaques : (108) : cf stratégie de la strip teaseuse, la fascination de Dieu, etc...

LE SECRET ET LE DEFI

Deux éléments constitutifs de la séduction :
(110) le secret n’est pas la clef de quelque chose mais une complicité, « l’inverse de la communication », de même que la séduction qui tient son pouvoir de ne pas être dite.
lien séduction – défi : consistent tous deux à faire venir l’autre sur le terrain de ma force (defi) ou de notre défaillance commune (séduction).

(116) « le secret de la séduction est dans la lenteur des geste parce que quelque chose alors avant de s’accomplir, a le temps de vous manquer, ce qui constitue, sil en est une la perfection du désir ».

L’EFFIGIE DE LA SÉDUCTRICE

La séduction animale est la plus pure la plus ritualisée. Artifice le plus naïf, instinct de la parade nuptiale.
(124) « la ritualité est une forme bien supérieure à la socialité. »
éloge du maquillage. « operation excessive » (129) et pas camouflage.

STRATEGIE IRONIQUE DU SÉDUCTEUR

(158) commente le Journal du séducteur : jeune fille vue comme figure mythique, défi à l’homme dont elle est le rêve. cf récit de la création = elle lui échappe par la main de Dieu pendant que l’homme dort.

LA PEUR DETRE SÉDUIT

Hystériques, anorexiques.. = figures de femmes qui sont toutes entières dans la représentation.

3- LE DESTIN POLITIQUE DE LA SEDUCTION

LA PASSION DE LA REGLE ***

Loi vs. Règle. La Règle n’a pas de sujet. Aucun plaisir du sens mais simple « observance ».
(181) passion rituelle, puissance cérémoniale, du jeu vs la jouissance du rapport à la loi. La transgression n’a pas de sens dans la Règle.
Le jeu est un système d’obéissance, le plaisir n’est pas celui de la liberté mais de l’obéissance.
Les hommes sont plus égaux devant le cérémonial et la règle que devant la loi. Sont délivres du sens (fantasme qui est au cœur de la séduction), ce qui n’est pas exclu avec le hasard.
(196) l’hypothèse fondamentale du joueur c’est que le hasard n’existe pas.


Remarques critiques
 
        1- sur le corps : vision de Baudrillard : dissociation totale du sexe et du genre. idée d’un genre tout-construit cf Butler, + idee que les rapports humains ne se passent qu’à ce niveau du culturel, du conventionnel, du rituel. Fantasme de l’abolition de la profondeur, apologie du tout-apparence. Relègue la profondeur dans une obscurité d’où elle agit comme pouvoir d’attraction, par l’absence justement.
Ça laisse de côté toute individualité de la personne, du corps qui n’est qu’un assemblage de codes – pas sûr que la séduction ne joue pas aussi sur l’innattendu, le discordant. – mais ça peut être ramené à une forme de manque, qui rentrerait a son tour dans le jeu de la séduction… (ce concept de séduction ne serait-il pas un peu fourre-tout? A force de le voir partout, on en vient peut être à éluder un autre mode de fonctionnement du réel…)

        2- Application littéraire : critique du réalisme : porno vs. trompe l’œil // Goncourt vs Maupassant, le trop de réalisme empêchant l’effet de séduction qu’on retrouve dans « l’illusion particulière » (c’est-à-dire vue par un sujet, donc limitée, défaillante, contrairement à la desciption par un narrateur omniscient et omni-disant).

        3- réserve par rapport à l’anti-interprétation, l’attaque de la psychanalyse. Risque d’un discours anti-intellectualiste (voir Barthes, Mythologies, « Racine est Racine » ou, encore mieux, « Critique muette et aveugle »). Contre l’idée sous-jacente chez Baudrillard qu’une lecture superficielle et naïve est préférable et plus juste qu’une lecture savante qui dénaturerait le texte : la critique n’épuise pas le littéraire, il lui reste ce « quelque chose d’indéfinissable qui laisse à désirer ».

        4- s’il s’appuie sur des textes littéraires, Baudrillard n’aborde jamais l’objet littérature comme séduction. La séduction, métaphore de la lecture, de la littérature? Mauvais lecteur, ceux qui voient la littérature comme production, et donc leur place au bout de la chaîne, au niveau du produit, alors que la littérature est séduction : le livre est un objet clos sur lui-même (on n’a pas accès à sa profondeur, genèse ou auteur), réversible (Eco, Lector in fabula : c’est au lecteur et non à l’auteur de produire le sens). Enfin il est défi cf tradition des « anti-captatio » par exemple le début des Chants de Maldoror.
 

Publié dans en lisant en écrivant

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Votre résumé est dense, j'espère ne pas en faire une mauvaise lecture.<br /> Une citation m'a choquée :« or la séduction n’est jamais de l’ordre de la nature, mais de celui de l’artifice – jamais de l’ordre de l’énergie, mais de celui du signe et du rituel ».<br /> <br /> Je crois que c'est exactement le contraire. La séduction n'est pas artificielle. La séduction agit sur la recherche par l'autre d'un manque. Mais cette recherche peut tout à fait se focaliser sur des éléments naturels et objectifs (conscients ou non). L'artifice peut souligner, augmenter ou leurrer la nature. Mais il n'y a rien de nécessaire, et pas de quoi fonder une dichotomie dans la séduction entre nature et artifice.
Répondre
A
Votre résumé est dense, j'espère ne pas en faire une mauvaise lecture.<br /> Une citation m'a choquée :« or la séduction n’est jamais de l’ordre de la nature, mais de celui de l’artifice – jamais de l’ordre de l’énergie, mais de celui du signe et du rituel ».<br /> <br /> Je crois que c'est exactement le contraire. La séduction n'est pas artificielle. La séduction agit sur la recherche par l'autre d'un manque. Mais cette recherche peut tout à fait se focaliser sur des éléments naturels et objectifs (conscients ou non). L'artifice peut souligner, augmenter ou leurrer la nature. Mais il n'y a rien de nécessaire, et pas de quoi fonder une dichotomie dans la séduction entre nature et artifice.
Répondre