Les circonscriptions uninominales sont solidement ancrées dans la tradition électorale des États-Unis. Depuis leur fondation au 18e siècle, la représentation électorale repose sur le concept d'unités et sous-unités territoriales. Les Américains ont toujours envisagé la souveraineté du peuple en termes de territoires. Ceci remonte à la fondation même du pays et à sa Constitution originale qui était un contrat entre États souverains et qui se continue au niveau des comtés et des municipalités. La Constitution ne précise pas la structure du système électoral, et les États ont essayé différents mécanismes comme des circonscriptions uninominales, ou plurinominales ou même nationales. Par contre, le système qui semble être préféré à tous les niveaux est celui des circonscriptions uninominales parce qu'il permet à de plus petites entités géographiques de se faire représenter à des législatures de niveaux supérieurs. En revanche, des gouvernements majoritaires ont eu recours à des circonscriptions plurinominales et nationales pour souligner l'identité corporative de certaines juridictions et mettre fin aux dissentions partisanes ou ethniques. On a eu recours à des circonscriptions nationales qui exigeaient un vote majoritaire et qui s'opposaient aux lois à thème unique, tout comme on a eu recours à des circonscriptions numériques pour rehausser le pouvoir de majorités ethniques de contrôler tous les sièges de leur législature.
Aux États-Unis, les noirs ont historiquement été la principale cible des techniques visant à submerger des votes. Ce pays est la seule démocratie moderne fondée durant l'existence de l'esclavage et la Constitution, tout comme les institutions politiques, définissaient les Noirs comme une race à part. Les esclaves n'étaient pas considérés comme étant des personnes, et même les Noirs affranchis n'avaient pas de citoyenneté. Après la guerre civile et la reconstruction, les Noirs du sud ont été systématiquement la cible de violence lors d'élections et, au tournant du siècle, n'avaient pas encore le droit de voter. Les élections d'investiture du parti Démocrate, uniquement composé de Blancs, étaient les seules élections importantes, et tout le sud est devenu un ensemble d'États unipartites. Des pressions internationales de la guerre froide et la campagne qui a rendu illégale toute ségrégation raciale ont éventuellement réussi à faire abroger les lois qui refusaient le droit de vote aux Noirs et les empêchaient de participer aux élections d'investiture. Par la suite, plusieurs juridictions à majorité blanche, dans le sud et ailleurs, ont utilisé des systèmes de circonscriptions nationales et plurinominales pour minimiser et réduire l'influence du vote des Noirs.
La Cour suprême des États-Unis, en réponse à une réévaluation de la nationalité américaine après la Deuxième Guerre mondiale, a rehaussé la valeur constitutionnelle de l'individu. En 1963 et 1964, la Cour a finalement accepté de s'impliquer dans les controverses concernant les remaniements de circonscriptions et a accordé raison aux Blancs des régions urbaines contre le refus de certaines législatures d'États (dominées par des circonscriptions rurales à faible densité) en leur permettant de procéder à un remaniement de leurs circonscriptions. La Cour s'est basée sur le texte du quatorzième amendement de la Constitution qui traite de protection égale pour promulguer la règle « une personne, un vote » définissant le citoyen comme étant l'unité de base de la politique électorale.
Cependant, en institutionnalisant le poids égal du vote individuel, la Cour donna libre cours à des revendications alléguant que le poids du vote se trouvait réduit de façon autre que mathématique. Ceci visait surtout les modes de scrutin qui permettaient au vote en bloc d'une majorité blanche d'éliminer toute possibilité pour les Noirs d'élire leur représentant à la législature d'État ou locale. La réaction de la Cour suprême fut d'aviser les cours inférieures d'accorder une préférence au système de circonscriptions uninominales lors du remaniement des circonscriptions de leurs juridictions. En 1973, elle déclara inconstitutionnelle le recours aux circonscriptions plurinominales de l'État du Texas, précisément parce que cette pratique empêchait les Noirs et les hispaniques d'élire les candidats de leur choix.
Toutes ces réformes ont été ardues à cause des interprétations diverses de la Constitution. En 1965, poussé par la politique de confrontation du mouvement d'intégration raciale, le Congrès a promulgué (et le Président Johnson a signé) la Loi électorale qui accordait pour la première fois le droit de vote à la majorité des Noirs du sud. Les conditions qui permettaient aux tribunaux de mettre un terme aux pratiques visant à réduire l'importance du vote des minorités firent l'objet de litiges de plus en plus compliqués concernant les circonscriptions nationales ou plurinominales et les allégations de gerrymandering ou truquage des circonscriptions uninominales.
En 1980, la Cour suprême a statué que les minorités ethniques devaient prouver qu'une contestation d'élection visait intentionnellement la dilution de leur pouvoir électoral, ce qui amena le Congrès à sanctionner la Loi sur le droit de vote de 1982 qui accordait le recours judiciaire contre les systèmes électoraux qui avaient pour effet de diluer le pouvoir électoral des minorités protégées dont la définition incluait les Américains amérindiens, asiatiques, autochtones de l'Alaska ou hispaniques. Cette loi, appuyée par une décision de la Cour suprême qui a atténué les preuves requises, a donné lieu à l'abandon des circonscriptions nationales en faveur de circonscriptions uninominales. Ces changements provenaient de décisions juridiques aussi bien que de nouvelles législations.
Lors du recensement de 1990, presque tous les États et les organismes responsables du découpage des circonscriptions se sont assurés de respecter ces règles. Les nouvelles circonscriptions uninominales ont produit des gains considérables de sièges pour les Noirs et les hispaniques. Le nombre de Noirs élus est passé de 300 en 1964, à 8 000 en 1993 ne représentant toujours que 2 % de tous les élus du pays dont la population noire est de 12 %. Depuis la loi de 1965, le nombre de Noirs qui sont membres du Congrès a augmenté de 9 à 38, les circonscriptions uninominales à majorité noire étaient responsables pour l'élection des 17 Noirs élus au Congrès dans les 11 États du sud. Après les élections de 1994, sous une nouvelle forme de remaniement des circonscriptions négociée par les chefs de file de la population noire, l'Alabama devint le premier et le seul État du sud à atteindre une représentation proportionnelle des Noirs dans les deux chambres de sa législature.
Le contre-coup nationaliste provoqué par cette montée des circonscriptions uninominales à majorité noire ou hispanique était probablement inévitable. Ces circonscriptions sont délimitées de façon à ce qu'elles assurent une représentation législative sur une base essentiellement géographique. Les décisions en matière de remaniement comportent souvent des motifs politiques et sont rarement de simples méthodes administratives. Au contraire, le mécanisme détermine les communautés qui auront une influence au sein des législatures. Aux États-Unis, les comtés, les municipalités et les communautés distinctes ont traditionnellement servi de pierres angulaires pour délimiter les circonscriptions, sauf quand, en faisant fi de leurs limites, on pouvait submerger l'influence des minorités. Il est devenu nécessaire de diviser ces communautés pour créer des circonscriptions à majorités noires ou hispaniques, car aux États-Unis, les non-Blancs n'ont pas de patrimoine géographique. Bien qu'ils soient souvent regroupés dans des enclaves ethniquement reconnaissables, ces enclaves résidentielles sont dispersées dans des communautés où la race blanche prédomine. Il en est ressorti des circonscriptions à majorités ethniques aux formes irrégulières qui, quoique non moins étranges que certaines circonscriptions à population blanche, ont inévitablement signalé des intentions de divisions ethniques.
Des électeurs blancs ont vite fait de contester devant les tribunaux les circonscriptions les plus irrégulières alléguant qu'elles allaient à l'encontre d'une interprétation strictement « daltonienne » de la Constitution. En 1993, la Cour suprême a émis la première d'une série de décisions établissant une raison constitutionnelle pouvant servir à contester des circonscriptions uninominales truquées à des fins raciales. Les plaignants n'auraient plus à porter le fardeau de la preuve qu'à cause de ces circonscriptions, le pouvoir de leur vote se trouvait dilué. La Cour a plutôt reconnu qu'un tel découpage pouvait être justifié comme étant un effort pour servir les intérêts de l'État. Craignant la balkanisation de l'électorat, la Cour déclara que de telles circonscriptions étaient inconstitutionnelles parce qu'elles présument que tous les membres d'une minorité ethnique partagent les mêmes opinions et choisissent les mêmes candidats. Cette jurisprudence, qui vise à remédier aux torts perçus comme étant à l'encontre de l'unité nationale plutôt qu'envers les plaignants, a poussé les tribunaux à imposer des changements à plusieurs circonscriptions uninominales à caractère ethnique aux niveaux du Congrès, des États et des municipalités.
Dans son désaccord lors du premier cas concernant le principe d'une personne, un vote en 1963, le juge Felix Frankfurter a souligné les dangers de l'ingérence des tribunaux dans la politique. Les principes incohérents qu'impose présentement la Cour suprême dans le gerrymandering lui donnent peut-être raison. Assurément, rien ne se prête moins à des décisions judiciaires que des questions concernant la façon qu'un peuple souverain peut se définir au sein d'une république démocratique multiethnique. Dans son opposition aux États qui présument que tous les Noirs partagent une même ligne de pensée, la Cour ne s'est pas encore adressée à la théorie contraire : pourquoi, effectivement, les Américains noirs, hispaniques, asiatiques, ou autochtones d'un État ou d'une municipalité ne partageraient-ils pas les mêmes intérêts politiques et ne s'associeraient-ils pas librement pour les défendre par le biais de leurs représentants élus, de leurs institutions communautaires ou même de leurs partis politiques? L'argument que la Constitution ne permet pas à des groupes ethniques de négocier leurs propres circonscriptions uninominales, irait à l'encontre des principes constitutionnels de la liberté aux États Unis.
Ce sont de sérieuses questions que les partisans des circonscriptions uninominales eux-mêmes n'ont pas encore abordées. Ils ne se sont jamais entendu pour préciser les limites politiques et la portée du droit de vote qu'ils ont si bien réussi à défendre. De nos jours, les partisans de circonscriptions uninominales créées pour faire valoir le pouvoir électoral d'un groupe ethnique, les défendent comme étant une réponse nécessaire à la malheureuse réalité qu'est la division ethnique de la nation. Ils partagent avec leurs opposants, l'engagement à une vision du pays comme une nation d'immigrants, où les nouveaux arrivants et leurs descendants s'assimilent volontairement aux institutions de la vie politique et sociale, tout en retenant le droit de conserver leurs particularités ethniques par le biais d'institutions privées.
Même les associations ethniques privées de la race blanche étaient sur le point de disparaître durant l'intégration anglo-saxonne qui a duré jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Cependant, la Deuxième Guerre mondiale a apporté un changement considérable à l'identité américaine, alors que les descendants d'autres nationalités européennes se sont déclarés copropriétaires de la nation et des traditions anglo-américaines qu'ils avaient adoptées. Les implications de cette redéfinition nationale furent cependant, en grande partie, submergées là comme ailleurs, dans les empires créés par les idéologies d'États durant la guerre froide. Tout ceci a maintenant changé et les États-Unis ne sont pas à l'abri des vents de nationalisme ethnique qui soufflent sur toute la planète.
De nos jours, les Américains d'origine allemande ou irlandaise sont plus nombreux que les Américains d'origine anglaise. Ils occupent des postes importants au sein des législatures avec les ressortissants de l'Europe du sud et de l'est ainsi qu'avec des Américains d'origine juive, et ils sont devenus les défenseurs les plus ardents de leur langue adoptive et de la Constitution anglo-américaine. Les circonscriptions uninominales gênent ces Américains et menacent leur vision nationale. Les immigrants de la droite appuient le courant actuel qui vise à éliminer les circonscriptions uninominales trop évidemment racistes et ethniques selon eux, alors que la gauche les défend comme étant un outil temporaire d'intégration ou cherche à les remplacer par des circonscriptions plurinominales à l'intérieur d'un système de représentation semi-proportionnelle ou un système à votes uniques transférables. Les partisans de plus en plus nombreux de la proportionnelle maintiennent que les circonscriptions uninominales facilitent trop souvent la réélection des titulaires et réduisent leur obligation de rendre compte tant aux majorités qu'aux minorités. On prétend par contre que la proportionnelle comporte le même danger en encourageant la polarisation ethnique, mettant en péril la stabilité politique.
Les Américains qui ne sont pas de race blanche et surtout les descendants d'esclaves africains sont cependant exclus de ce débat et de ses objectifs visant l'unité nationale. Certains académiciens sont maintenant d'accord pour dire que la suprématie blanche a toujours été plus puissante pour définir les particularités de la citoyenneté américaine que toute autre version d'un pluralisme libéral ou d'un État républicain. Plusieurs Américains de race blanche s'inquiètent et même craignent la prise de contrôle par les Noirs, des unités politiques. Pour les Américains d'origine africaine par contre, l'intégration ne semble ni réaliste ni acceptable comme remède à des siècles d'exclusion. Il semblerait préférable d'entreprendre un nouveau processus de négociation de l'unité américaine qui reconnaîtrait tout au moins leur identité distincte et qui leur accorderait leurs pleines dignité et liberté.
Le redécoupage périodique des circonscriptions uninominales serait peut-être la solution qui leur permettrait de s'asseoir à la table de négociation, et c'est peut-être ce qui explique pourquoi une majorité dissidente des juges de la Cour suprême a constitutionnalisé la question dans l'espoir d'étouffer les négociations.
Un système de représentation proportionnelle offrirait peut-être aux Noirs la participation égale dans les législatures, mais en évitant le dialogue interethnique qu'exige ce redécoupage, ils risquent de nuire à la demande historique des descendants d'esclaves, de leur pleine liberté. De récentes propositions par des membres noirs du Congrès américain, en faveur d'une proportionnelle, n'ont pas suscité l'intérêt de la communauté noire. On peut toutefois comprendre pourquoi les descendants de peuples indigènes colonisés et d'immigrants de race noire puissent avoir une perception tout à fait différente des divers systèmes électoraux qui accommodent le mieux leurs aspirations personnelles et collectives dans une nation de plus en plus diversifiée.
Si des démocraties peuvent tirer des leçons de l'expérience américaine avec le système des circonscriptions uninominales comme instrument d'affranchissement politique des minorités, ces leçons comprendraient, entre autres, l'importance des caractéristiques suivantes :
- le contexte national concerné;
- le respect des traditions politiques;
- la situation particulière des sous-groupes nationaux;
- les occasions d'obtenir le plus vaste consensus possible concernant les systèmes électoraux; et
- en particulier, la réalité des attentes accordées aux solutions durables.