"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 21 février 2011

Alzheimaire


Hier, en déplaçant des livres, Denise a exhumé un vieux polar du Fleuve Noir : Votez Bérurier, en édition originale. Émotion de retrouver là, entre les doigts caressants de ma femme digitale, un San-Antonio vintage de mes années à Normale Sup… Entre les deux tours de la présidentielle de décembre 1965, je m’en souviens très bien, ce bouquin le disputait aux Mémoires du cardinal de Retz sur ma table de chevet, rue d'Ulm. Plaisir à en feuilleter quelques pages après déjeuner, comme il y a plus de quarante ans en douce dans un cours de grec ou de philologie médiévale… Soutien indéfectible et affectueux de Rikiki, je me dis que les Français ont peut-être après tout, à leur façon, voté Béru en 2007.

A ce propos, passé la soirée d’hier à préparer la visite du président Razibus demain dans notre ville, pour un bilan Alzheimer au CHU. Sait-on que cette terrible maladie neuro-dégénérative, à ce jour incurable, frappe plus de 800 000 personnes en France ?  L'équivalent de la population de notre métropole ! Elle touche hélas de surcroît toutes les couches de la société, sans distinction, et l’on ignore trop souvent que la classe politique elle-même paie un très lourd tribut à ce fléau national. C’est très grave, comme le pointe Frédéric Dard dont Les pensées de San-Antonio sont curieusement classées entre celles de Pascal et ma Tentation dans notre bibliothèque familiale. Comme en écho à la visite présidentielle, Denise y a trouvé ce matin ceci, qui ne manque pas de profondeur nonobstant une apparente légèreté : « Un politicien ne peut faire carrière sans mémoire, car il doit se souvenir de toutes les promesses qu’il lui faut oublier. » Entre nous, je doute fort que notre petit Tom garde plus qu’un autre le souvenir de ses absences… C'est que, comme San-Antonio, il nous sert lui aussi La Vérité en salade !

Plus sérieusement, combien voyons-nous hélas de maires, de députés, de ministres dans la force de l’âge, apparemment en possession de tous leurs moyens, ahuris et déboussolés qu’on leur mette un jour sous le nez des déclarations écrites ou enregistrées dont ils ont totalement perdu la mémoire, comme si elles avaient été proférées à leur insu, voire forgées par quelque imitateur à seule fin de leur nuire ! Comment leur faire comprendre sans les heurter qu’ils avaient bien publiquement juré, quelque temps auparavant, renoncer définitivement à la convoitise de telle charge ou de tel mandat ? Qu’ils avaient pris avec solennité tel engagement jamais honoré ? Ce serait cruellement les contraindre à regarder dans les yeux ce « mal qui répand la terreur », et vous fait oublier jusqu’à votre nom quand on commence à vous affubler du sien !

Pour me rassurer, un maire-adjoint officiant au CHU m’assure qu’une haine tenace résiste en général aux assauts de la maladie, quand bien même le patient oublie à qui il la voue. Ce n’est à mon sens qu’une piètre consolation, tant il me semble que, fussé-je atteint de ce terrible mal, je serais embarrassé d’un ressentiment cornélien dont l’unique objet eût fui ma mémoire à tire-d’aile. Si la vengeance est un plat qui n’a nul besoin d’être réchauffé au micro-ondes, encore le repas doit-il être pris à deux, et si possible en dehors de l’unité Alzheimer d’un hôpital ou d’un EHPAD ! Pourquoi pas, par exemple, à la loyale dans une urne de chef-lieu de canton ? En chiens de faïence, façon Bas les Pattes ou Mes hommages à la donzelle !

L’actualité du weekend me conduit cependant à m’interroger. Cette épouvantable maladie qui déleste l’être humain de sa connaissance, de ses savoirs et de ses compétences ne toucherait-elle pas aussi prématurément parfois des sujets encore très jeunes, athlètes en pleine forme physique et intellectuelle ? Ainsi de nos malheureux footballeurs qui, hier encore champions de France, se montrent chaque semaine bien incapables de mettre un ballon dans les filets, comme si leur pauvre cerveau avait été ramolli à l'instar de leurs mollets, voire déprogrammé ! Le capitaine de l'équipe parle d’une débâcle, et l'entraîneur d’un cauchemar, qui m’accuse en claironnant que « la Défense n’a rien fait » ! Voulait-il donc que je fisse sauter nos paras en plein match sur le stade de Lorient ?  Soyons francs : nos joueurs sont perdus, désorientés, à tel point que je me demande aujourd’hui s’il ne faudrait pas tout simplement oublier le grand stade… A ce propos, que le dircab me retrouve le mégalo qui a imaginé ce projet pharaonique : j’aurais deux mots à lui dire ! Mais que m'a-t-il pris d'écouter le président du Conseil général ? Celui-là aussi, croyez-moi, il a Du Mouron à se faire !

1 commentaire:

Marie a dit…

Ah ah ah ! J'aime beaucoup. Mais si seulement nous avions vraiment élu Béru...