Israël : le mur de la haine. Entretien avec Moshe Machover.

Israël : le mur de la haine

Entretien avec Moshe Machover, Socialist Worker , 23 avril 2005

http://www.socialistworker.co.uk/article.php4 ?article_id=6259

traduction P Y Salingue

Ariel Sharon, Premier Ministre israélien de droite, contraint les colons à quitter la bande de Gaza. Pourquoi ?

Pendant qu’on palabre beaucoup au sujet de ce retrait, c’est « en avant toute » pour la colonisation de la Cisjordanie.

Ce qui se passe avec la construction de l’ignoble mur de « sécurité » israélien est très significatif. Le mur ne suit pas la vieille « ligne verte » entre Israël et les Territoires occupés mais mord largement à l’intérieur des Territoires.

Le mur n’est pas une façon de séparer Israéliens et Palestiniens, il est fait pour isoler les Palestiniens de leurs terres et pour les séparer entre eux.

A certains endroits le mur mesure 9 mètres de haut. Beaucoup de gens pensent que c’est une ligne continue qui serpente au sein des Territoires occupés parce que sur le versant ouest il y a des colonies israéliennes. Mais parmi ces colonies il peut se trouver un ou deux villages palestiniens.

Ces villages sont du côté israélien du mur. Aussi les Israéliens entourent ces villages avec une sorte de mur d’encerclement qui les transforme en une île. Les habitants se retrouvent dans une sorte de camp de concentration, cernés par le mur.

Les Palestiniens vivant dans ces zones devront emprunter un tunnel pour aller dans la majeure partie des territoires occupés. Dans le tunnel il y aura une herse que les autorités israéliennes pourront décider de fermer à tout moment, emprisonnant ainsi ces gens.

Le plan des Israéliens n’est pas du tout de créer un état palestinien viable. Ils n’ont pas non plus à l’esprit un projet de Bantoustans, comme dans l’apartheid sud-africain. C’est plutôt un projet de « réserves indiennes ». La comparaison faite avec l’apartheid est trompeuse bien qu’il y ait de nombreuses similitudes.

L’apartheid était fondé sur l’idée que les non-blancs serviraient de force de travail aux colons mais n’auraient pas de droits civiques.

Ils devaient être isolés mais rester tout proches. Les Bantoustans étaient la réponse à cette volonté. L’état d’Israël ne fait pas partie de ce modèle de colonisation. Il repose sur un autre genre de colonisation, comme en Amérique du nord où les peuples indigènes ont été victimes de nettoyage ethnique. Les autochtones ont été contraints de rejoindre des réserves indiennes, des camps de concentration temporaires, avant d’être entièrement victimes de purification ethnique.

Sharon et les principaux partenaires de la coalition gouvernementale ne sont pas des Sionistes religieux. Ce sont des Sionistes laïques. Ils n’ont pas l’obsession des choses sacrées. Pour les dévots religieux chaque part de la terre d’Israël est sacrée et ne saurait être abandonnée. Sharon est beaucoup plus pragmatique.

La Cisjordanie a une frontière commune avec la Jordanie. Si l’opportunité se présente Sharon expulsera les Palestiniens en Jordanie.

La Bande de Gaza borde le désert du Sinaï, qui fait partie de l’Egypte et il ne faut pas faire de bêtises avec l’Egypte. Il n’y a donc pas de place qui convienne à un nettoyage ethnique pour les Palestiniens de Gaza et je ne crois pas qu’Israël envisage leur destruction physique. Ceci implique que la Bande de Gaza doit être évacuée par l’armée israélienne et transformée en un grand camp de concentration.

Sharon a intérêt à faire paraître cette évacuation aussi difficile que possible. Ainsi il peut dire aux USA et à l’Europe : « regardez, je fais des sacrifices douloureux » Il est en train de susciter une certaine résistance dans la bande de Gaza qui le contraindra à employer à un certain degré de contrainte.

Au même moment la Cisjordanie est découpée en morceaux. Israël accapare toute la terre mais se retire des centres urbains palestiniens, à l’exception d’Hébron.

Quelle est la nature de la société israélienne ?

C’est un état colonial de peuplement, le dernier du genre. Beaucoup de pays dans le monde ont commencé de cette manière. Mais la différence est celle qui existe entre un volcan éteint et un volcan actif.

La Nouvelle Zélande, l’Australie, les Etats Unis et d’autres se sont développés comme états coloniaux ; mais la phase coloniale est terminée et ne se développe plus. La colonisation sioniste de la Palestine a démarré après celle des autres états coloniaux.

Le commencement remonte au dernier tiers du 19ème siècle et la colonisation prend réellement son essor après la deuxième guerre mondiale.

Le modèle de nettoyage ethnique qui fonde Israël structure l’ensemble de la société israélienne.

Le pays est aussi divisé de l’intérieur.

Tout au long de son histoire le Sionisme s’est efforcé de ne pas mobiliser la force de travail palestinienne. Dans les décennies précédant la fondation d’Israël les sionistes ont imposé cela par des méthodes contraignantes. Individuellement les patrons préféraient utiliser la main d’œuvre palestinienne parce qu’elle était moins chère et plus qualifiée dans l’agriculture. Les organisations sionistes et notamment le prétendu syndicat, l’Histadrout, ont utilisé des méthodes armées violentes pour intimider les patrons juifs et expulser les travailleurs palestiniens.

La plupart des Palestiniens ont été victimes de nettoyage ethnique et sont devenus des réfugiés après la création de l’Etat d’Israël en 1948.

Ceux qui sont restés ont été soumis à la loi martiale. Ils n’ont pas pu être totalement écartés de l’économie israélienne, mais ce n’était pas un problème majeur car ils n’étaient pas très nombreux.

Après 1967, quand Israël a occupé tout le restant de la Palestine, avec une population palestinienne beaucoup plus nombreuse, on a pu penser pendant environ deux décennies que la main d’œuvre palestinienne allait être utilisée par l’économie israélienne.

Il semblait alors que le modèle colonial israélien allait rejoindre le modèle sud-africain. Sur le long terme c’eut été une bonne nouvelle pour les Palestiniens qui, bien que sévèrement exploités, auraient pu espérer un changement similaire à l’Afrique du Sud.

Mais Israël s’est servi de la première Intifada, le soulèvement palestinien de la fin des années 80 et du début des années 90, pour mettre fin à l’emploi de la force de travail palestinienne.

Maintenant Israël importe de la main d’œuvre du monde entier.

Il y a une grande quantité de travailleurs chinois dans le bâtiment. Il y a des travailleurs philippins dans les services domestiques. , des travailleurs polonais et roumains dans les travaux de second œuvre, des travailleurs thaïs dans l’agriculture etc.

Aujourd’hui Israël est en récession et on voudrait se débarrasser d’une partie de ces travailleurs immigrés. En mettant un terme à toute dépendance vis à vis de la main d’œuvre palestinienne, Israël revient à son modèle sioniste classique. En ce qui les concerne les Palestiniens sont en trop par rapport à la demande.

La société israélienne est internement divisée suivant des lignes quasi-ethniques. Les Juifs israéliens proviennent d’endroits divers et sont discriminés suivant leur lieu d’origine, et cela renvoie plus ou moins à l’appartenance de classes.

Il y a une classe ouvrière israélienne composée d’immigrants d’Asie et d’Afrique.

Quel est le rôle des USA au Moyen Orient ?

Beaucoup de ceux qui s’opposent à Israël et au sionisme affirment qu’Israël dirige les USA.

Cela revient à dire que c’est la queue qui fait frétiller le chien.

Evidemment que le lobby pro-israélien est très fort aux USA. Mais il ne se réduit pas au lobby juif, qui n’est qu’une petite partie du lobby pro-israélien. Les fondamentalistes chrétiens dominent largement. C’est le groupe de loin le plus important et le plus fort, et il est aussi antisémite. Il soutient Israël pour des motifs qui lui sont propres. L’antisémitisme et le sionisme marchent souvent la main dans la main.

Mais aucun de ces soutiens à Israël ne se concrétiserait si l’élite capitaliste étatsunienne ne pensait pas qu’Israël est utile à ses objectifs. Israël est l’allié fidèle des USA au Moyen-Orient.

C’est leur chien de garde et leur gendarme. Israël est le seul état du Moyen Orient qui possède des vraies armes de destruction massive avec son arsenal nucléaire. Ce n’est pas fondamentalement nouveau, c’est même quelque chose de traditionnel dans le modèle sioniste de colonisation.

Dans les cas des colonisations des Etats Unis ou de l’Algérie, les colons provenaient de métropoles impérialistes, l’Angleterre et la France.

S’agissant du Sionisme, les colons n’étaient pas des citoyens originaires d’un pays ayant conquis un territoire et ils avaient donc besoin d’un protecteur impérialiste. Le sionisme a toujours été l’allié subalterne de l’impérialisme dominant au Moyen Orient.

A la fin de la première guerre mondiale c’était l’impérialisme britannique. Le document qui a alors scellé l’alliance fut la déclaration Balfour, le 02 novembre 1917. Ronald Storrs, le premier gouverneur(britannique)de Jérusalem expliquait que l’entreprise sioniste bénéficiait aussi bien à celui qui donnait ( la Grande Bretagne)qu’à celui qui recevait (les Sionistes) en procurant à l’Angleterre « un petit Ulster juif loyaliste dans un océan d’arabisme hostile »

C’était un plan pour utiliser ce projet colonial comme une force au service de l’impérialisme britannique. Puis il y a eu un conflit d’intérêts. Les colons ont demandé davantage que ce que l’empire britannique était prêt à concéder. La Grande Bretagne ne souhaitait pas un état israélien totalement indépendant.

Quand l’Angleterre a perdu son hégémonie dans cette partie du monde, les sionistes ont reporté leur allégeance vers les USA. Cette évolution a commencé dès la fin de la deuxième guerre mondiale et l’affaire fut scellée après qu’Israël ait prouvé sa capacité à faire régner l’ordre au Moyen Orient (après 1967, NdT)

Sans le soutien politique, économique et militaire américain Israël ne pouvait pas jouer ce rôle. L’idée suivant la quelle c’est « la queue qui fait s’agiter le chien » comporte une dose d’antisémitisme, c’est dire : tout ce qui arrive au Moyen Orient est de la faute des Juifs.

Cela retire toute responsabilité au chien, c’est à dire à l’élite capitaliste américaine. C’est réactionnaire et faux.

D’anciens fervents soutiens du Sionisme remettent aujourd’hui en cause l’idéologie de l’état d’Israël. Pourquoi ?

Le député travailliste Gerald Kaufman correspond à votre description. Les soutiens d’Israël les plus rationnels et laïques, notamment parmi les Juifs, ont fini par se rendre compte qu’Israël, loin de défendre la sécurité des Juifs, les met en danger.

Par ignorance beaucoup de gens confondent Juifs et Sionisme. Israël encourage cette confusion en dénonçant comme étant antisémite quiconque critique Israël.

Et ça fonctionne dans les deux sens. La propagande sioniste veut dissuader quiconque de critiquer l’état d’Israël. Du coup des gens un peu simples d’esprit en concluent que, puisque Israël se conduit aussi mal alors, si critiquer Israël c’est être antisémite, alors d’accord, je serai antisémite.

Il y a pas mal de désillusions parmi des gens qui étaient des Sionistes laïcs dans l’aile la moins réactionnaire du Sionisme.Je pense à quelqu’un comme Meron Benvenisti qui fut adjoint au maire de Jérusalem. Il a déclaré que si le Sionisme c’était ça, alors il n’avait plus rien à voir avec.

Mais ne nous laissons pas abuser par des hypocrites comme les écrivains Amos Oz et A B Yehoshua. Aujourd’hui, dans une certaine mesure, ils critiquent la politique israélienne, mais ce sont des apologistes du Sionisme. Yehoshua soutient la « solution » des deux états, pas parce que les Palestiniens sont en droit d’avoir leur état mais parce que les Juifs et les Arabes ne doivent pas vivre ensemble.

Ceux qui les soutiennent en Grande Bretagne, comme Linda Grant et Jonathan Freedland, sont des chevaux de Troie sionistes. Ils critiquent la politique israélienne actuelle, mais ils justifient l’existence d’Israël tel qu’il s’est construit, en tant qu’état colonial. Ils affirment que les Juifs du monde entier ont le droit de venir s’y installer, mais que les réfugiés palestiniens n’ont aucun droit de revenir sur la terre où ils sont nés et dont ils ont été expulsés.

Depuis la mort de Yasser Arafat et l’élection de Mahmoud Abbas, les USA et Israël affirment qu’enfin les Palestiniens s’orientent vers la paix.

C’est n’importe quoi.

Quand du temps de Peres et Rabin, vers 1991, les Israéliens ont décidé de créer un bantoustan palestinien, ils avaient besoin d’un dirigeant (palestinien) pour ça. Arafat est venu de lui-même pour signer au point indiqué. Cet accord a été particulièrement désastreux pour les Palestiniens.

Il s’est soumis à un accord totalement déséquilibré, basé sur la création d’un genre de pseudo-état pour les Palestiniens. Israël attendait d’Arafat qu’il soit garant de la sécurité d’Israël.

Mais pour Sharon et ses alliés, qui envisagent de poursuivre le nettoyage ethnique des Palestiniens, Arafat dérangeait.

Sharon allait donner l’ordre d’assassiner des dirigeants islamiques en sachant pertinemment qu’il y aurait une riposte et que des Israéliens seraient tués en réponse. Dès lors il devenait possible de dire que les accords n’étaient pas respectés et d’en faire reproche à Arafat. Bush a accepté ça volontiers. Mais Arafat demeurait un responsable prestigieux qui pouvait refuser certaines choses.

Il fallait qu’ils s’en débarrassent et qu’il soit remplacé par quelqu’un moins prestigieux aux yeux des masses palestiniennes, quelqu’un que les USA et Israël pouvaient plus facilement contrôler. Abbas fait l’affaire. S’il ne réussit pas à faire ce qu’ils attendent de lui, ils le diaboliseront de la même manière.

Que peut-on espérer et quelles solutions peut-on envisager ?

A court et moyen terme je n’espère pas grand-chose. Je ne dis pas ça le cœur léger.

Une issue pacifique doit être stable et équitable. Le rapport des forces est tel que ça n’est pas possible maintenant.

Israël a la puissance et est soutenu par la seule superpuissance mondiale.

Un autre nettoyage ethnique ne peut être écarté. J’ai de l’espoir à long terme. Rien ne peut durer éternellement.

Une solution ne peut qu’être basée sur le principe du respect de l’égalité des droits, tant pour les individus que pour les deux groupes nationaux existant, les Arabes palestiniens et les Juifs israéliens de langue hébraïque. Le nombre d’états, zéro, un, deux…est une question secondaire.

Mais ceci nécessitera un changement complet des rapports de forces.

Je ne crois pas que cela soit possible sans une transformation radicale de tout l’Orient arabe. Cette région est dirigée par des élites réactionnaires, largement à la botte des USA.

Une transformation en profondeur va survenir un jour ou l’autre.

Un aspect en est l’unification des peuples arabes qui font partie de la Nation arabe.

Mes espoirs se portent vers un Orient arabe unifié socialiste dans lequel il y aurait une place et la possibilité d’autodétermination pour les juifs israéliens, le peuple kurde et les Soudanais du sud.

Pour le Peuple palestinien aussi la solution passe par la constitution d’une fédération socialiste du Moyen Orient.