Il faut dire que la Galilée semble attirer le touriste plus parce qu'elle est le lieu des histoires racontées dans la Bible que pour ses ruines et autres sites archéologiques. De Jésus en Marie, de multiplication des pains et des poissons en transformation de l'eau en vin et de disputes sur la localisation exacte de l'Annonciation en maisons de Saint-Pierre, il y a de quoi entrer en transes pour les bons chrétiens pratiquants, et ils ne se gênent absolument pas pour ce faire.

Eglise de la multiplication du pain et du poisson

Église de la multiplication du pain et du poisson (expliquée en images)

Ils choisissent en général un pèlerinage, ou une excursion proposée par une agence spécialisée en catholiqueries. Hélas certains d'entre eux optent pour des circuits moins connotés et c'est ainsi que je me suis retrouvée dans le même bus qu'une dévote péruvienne. La pauvre fondait en larmes au moindre lieu saint, autrement dit dès que l'on collait un pied hors du bus ; ça devait être épuisant, à force, toutes ces palpitations. Nous avons même failli la perdre dans les eaux du lac de Tibériade (aussi connu sous le nom de mer de Galilée) car il fallait absolument qu'elle y plonge la main et il n'était pas particulièrement facile d'accès depuis l'endroit où nous nous tenions.

Lac de Tibériade

Lac de Tibériade (et bateau d'époque, mit touristes)

Elle était cependant fort gentille, malgré la barrière de la langue (elle ne parlait pas un mot d'anglais ; et mes rudiments d'espagnol étaient juste suffisants pour comprendre les histoires de la Bible racontées par le guide), et m'a même offert une de ses bouteilles en plastique vides (récupérées dans les poubelles à l'entrée du site) pour que je puisse moi aussi ramener de l'eau du Jourdain dans ma maison. Comme je n'ai pas de microscope sous la main pour observer les amibes et que, franchement, l'intérêt de mettre de l'eau d'une rivière dans une bouteille, sinon, je ne vois pas, j'ai refusé aussi poliment que possible (no, no, no lo necesito, muchas gracias!). J'étais d'ailleurs en plein débat avec une Américaine plus très catholique cherchant à ramener des cadeaux qui plairaient à sa famille pratiquante, pour déterminer si oui ou non elle pouvait baptiser elle-même les bricoles qu'elle leur avait acheté en les plongeant dans l'eau du Jourdain. Elle disait que les gens en question ne sauraient rien de l'absence de prêtre dans la cérémonie, mais je trouvais que c'était un peu de la triche, quand même, et qu'elle ne m'aurait probablement pas posé la question si elle avait été si sure de son coup.

J'ai néanmoins trempé mes pieds impies dans l'eau relativement fraîche du Jourdain, en faisant bien attention à ne pas aller trop loin car on m'avait dit que si on se mouillait exactement jusqu'aux genoux on se mariait sous quarante jours et ça ne faisait absolument pas partie de mes plans. Je me suis donc arrêtée aux chevilles pour être bien certaine. Il y a plein de petits poissons qui se font nourrir par les touristes, et qui croient que les pieds des gens aussi, c'est open bar ; c'est rigolo, ça fait des chatouilles.

Comme je suis d'une élégance et d'une distinction rare, il a fallu que je lâche une bordée de jurons en posant mon pied nu sur la roche brûlante de la rive, et ce alors qu'une bande de catholiques en robes blanches s'apprêtaient à commencer une cérémonie de baptême à quelques mètres de moi.

Bande de catholiques en robes blanches

Trempette cérémoniale dans les eaux du Jourdain

Ce ne sont cependant ni la péruvienne ni les hordes de pèlerins qui m'ont donné envie de rentrer chez ma mère et de ne plus jamais en ressortir. Notre groupe était de taille fort modeste et l'un des cinq touristes qui le composait était un vieil américain, juif comme il n'a cessé de nous le répéter, obèse, handicapé, brouillé avec sa famille, complètement à côté de la plaque et vaguement lubrique. Il ne comprenait rien à ce qui se passait autour de lui, n'arrivait pas à retenir où nous étions ni ce que l'on y faisait, manquait de se faire renverser à chaque carrefour, et se comportait comme si tout le monde autour de lui parlait l'anglais couramment.

Je n'arrivais pas à le convaincre que mon étoile de Saint-Vincent n'était pas une étoile de David malgré le fait qu'il s'agisse d'un fossile à cinq branches serti dans une monture circulaire en or, en partie parce que je trouve ça vraiment commode d'être bigleux quand il s'agit de regarder un objet qui ne se trouve pas loin du décolleté d'une jeune femme, et qu'il était hors de question que je le laisse s'approcher.

Bien que pendant le trajet depuis Tel-Aviv le guide nous ait plusieurs fois répété que nous nous dirigions vers Nazareth ; bien qu'il nous ait raconté l'histoire de l'Annonciation jusqu'à ce que je sois capable de la répéter en espagnol ; malgré les panneaux et les écriteaux et les commentaires du guide, la première chose que le vieil américain ait faite en entrant dans l'Église de l'Annonciation fut de me demander, à voix haute et sans s'embarrasser une seule seconde du groupe de bonnes sœurs en pleine liturgie, dans quelle ville nous étions et comment s'appelait cette église, puis, une fois que je lui ai eut répondu, ce que pouvait bien être l'Annonciation.

Bonnes sœurs en pleine liturgie

Bonnes sœurs liturgisant dans l'Église de l'Annonciation (Nazareth)

Je me suis retenue de lui ressortir l'histoire dans un espagnol approximatif. Je ne lui ai pas raconté qu'il s'agissait d'une parabole sur le fait que manger de la drogue, c'est mal, après on a des hallucinations et on tombe enceinte de père inconnu. Je ne lui ai pas parlé de la fois où Marie a débarqué chez Gabriel en pleine panique, Gaby j'ai pas mes règles, fais quelque chose, Joe va me tuer ! et où ils ont inventé une histoire de conception immaculée sur le principe du plus c'est gros, plus ça passe, d'ailleurs plus de deux mille ans après y a encore des tas de gens qui y croient, si c'est pas une preuve. Je trouve que j'ai été un modèle de retenue. Par contre j'ai eu des pensées fort peu charitables, et comme on était dans une église j'en aurais presque culpabilisé.

Eglise de l'Annonciation

Église de l'Annonciation (Nazareth). Remarquer le Saint-Esprit qui veille en haut à gauche. Quel soleil ?

Nous avons dû tous nous asseoir tous les cinq à la même table pour déjeuner. Il y a un prix à payer pour visiter la Terre Sainte quand on est mécréante. Dialogues de sourds, engueulades avec les serveurs, malaise général, et le pathétique d'un homme seul qui aurait besoin de bien plus que l'aide que nous répugnions à lui donner, autant de choses que je préfère essayer de chasser de mon esprit, de même que le café qui nous fut servi à la fin de cet horrible repas, à la turque, autrement dit presque saturé de sucre, berk berk berk.

A la place, je me souviendrai des jolis paysages et des ruines de Capharnaüm dans lesquelles j'ai gaiment crapahuté. Capharnaüm, pour les incultes qui comme moi avant d'arriver en Israël l'ignorent, est la ville où vivait Saint Pierre (aussi connu sous le nom de Simon, avant que les jeux de mots nullards en latin ne deviennent à la mode et qu'il ne souffre des retombées de Pierre, tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église) et où Jésus passait souvent, probablement pour aller taper le carton.

Pierre, tu es Pierre et sur cette Pierre...

Saint-Pierre soi-même, lourd de symboles

D'après le guide, qui évitait le vieil américain en me racontant des histoires en français, le terme de capharnaüm tel qu'on l'emploie aujourd'hui vient de l'époque des premiers pèlerinages sur le site, qui n'était alors qu'un gros tas de vieilles pierres en fouillis.

Capharnaüm

Capharnaüm à Capharnaüm (pierre, tu es pierre...)

Enfin, pour la petite histoire, sachez que Capharnaüm appartient au Vatican, qui l'a acheté pour une bouchée de pain il y a fort longtemps, et en a fait un lieu saint où il est interdit de montrer ses épaules ou ses genoux en crapahutant dans les ruines. Ces gens-là ne respectent rien.

Welcome and Bienvenue

Le prix du billet revient au Vatican? Caramba!

Comme quoi, plus le temps passe et plus je m'assure de me garder une place au chaud en Enfer...

Comme d'habitude, plus de photos et en grand format chez M. Flickr.