mardi 18 septembre 2007

Un point de vue d' Edouard Legangneux, professeur au Lycée Camille Jullian de Bordeaux

Un autre aspect qui appelle à la réforme : des profils de carrière devenus aujourd'hui inacceptables, surtout au début. Un témoignage.

Nommé directement en khâgne à 38 ans pour un service complet, je suis depuis 4 ans et pour longtemps encore rémunéré sur l'échelle normale des agrégés, comme nombre de collègues faisant cours à des 6ème.

L'échelle normale est d'abord insuffisante en elle-même.
Une enquête réalisée par trois économistes et parue dans le Monde du 22 janvier 2007 fait état d'une perte de pouvoir d'achat de 20,6% pour les agrégés entre 1981 et 2004 exprimée en traitement annuel net réel. La dernière revalorisation du corps des agrégés remonte à 1972. Les statistiques du Ministère lui-même indiquent que les agrégés sont ceux des enseignants qui travaillent le plus, bien plus d'ailleurs que la durée légale. Cette involution a lieu alors même que les difficultés croissantes de la vie économique accentuent l'importance des parcours individuels de carrière.
La situation qui voit sans cesse notre charge de travail s'alourdir et la situation matérielle et morale se dégrader est désormais insoutenable. L'équilibre entre contribution et rétribution est rompu.

L'échelle normale est d'autant plus inacceptable lorsqu'elle s'applique à des professeurs de CPGE.
En me portant candidat à l'enseignement en CPGE et affrontant à nouveau des critères sélectifs, j'ai choisi de remettre en question les acquis professionnels dont je commençais à avoir la maîtrise et qui m'apportaient une certaine position et reconnaissance.
Pendant une année de transition, j'ai effectué jusqu'à 20h00 en lycée et 4 heures en prépa, conditions subies par nombre de nos collègues.
Ce nouveau poste a exigé ensuite la capacité à changer d'univers. Il s'agissait d'un nouveau métier, pour des raisons que nous connaissons tous, parmi lesquelles la remise à plat des connaissances et l'acquisition de nouvelles compétences.
Enseignant une discipline à dissertation devant deux khâgnes, l'essentiel de chaque période de vacances est consacré à la correction des copies. Ces congés me sont payés à travailler. La préparation du nouveau programme du concours ne laisse pas non plus subsister grand chose des congés sans solde d'été.
J'ai par ailleurs aussi plus de responsabilités face à mes étudiants, dont les résultats sont publics et chaque année connus de tous. Le système me soumet à une évaluation permanente.
En résumé, la véritable mutation professionnelle dont je me suis rendu capable a entraîné une très nette augmentation de mon temps de travail, une reconversion de mes compétences mais également plus de responsabilités.

L'Etat m'a pourtant oublié.
En effet, les statistiques montrent que je vais devoir attendre au mieux 8 ans une promotion à la chaire supérieure. En Physique le plus jeune nommé est âgé de 38 ans alors qu'en Histoire-Géographie il en a 48. D'autres sont nommés dans les toutes dernières années de leur carrière. A l'inverse, les collègues nommés assez jeunes atteignent le bout de l'échelle en quelques années et comme il n'existe pas d'échelle hors-classe, scandaleuse exception, leur traitement plafonne pendant parfois les 15 dernières années de leur carrière.
Alors je demande régulièrement la hors-classe, même sil s'agit d'un poste budgétaire destiné à un collègue du Secondaire. Là encore je suis loin de la barre d'accès et c'est sûrement le dépit qui me fait me rappeler les propos anti-prépa proférés en petit comité par celui qui est censé attribuer la hors-classe dans mon académie. Selon toute probabilité, je vais même être promu à l'échelon supérieur au choix et non au grand choix.

Je ne suis concrètement récompensé que par les colles.
Comment faire croire que ce bonus peut compenser de tels retards de carrière ? Quel actif à niveau équivalent accepterait une telle impasse ? Qui peut imaginer que suffisent aux enseignants les chaleureuses félicitations du chef, la reconnaissance des pairs et la seule satisfaction d'avoir de meilleurs élèves ? Dois-je partir, malgré le déchirement personnel que cela signifierait, pour retrouver des perspectives d'évolution ? Je ne suis pas le seul à y penser parmi les fonctionnaires dont le niveau peut intéresser l'entreprise. L'Etat est une mécanique qui aujourd'hui fuit de toute part car partout les mêmes logiques sont à l'œuvre qui usent les motivations les mieux trempées : officiers supérieurs, médecins spécialistes, chercheurs, combien le quittent parmi ses meilleurs serviteurs ?
Les préoccupations des enseignants aujourd'hui conservent des caractères spécifiques, comme l'intérêt pour le service du public et la conscience d'accomplir une mission particulière, ce dont ils sont souvent particulièrement fiers. Cependant, s'ajoutent désormais, et de façon toujours plus aiguë, celles de tout autre actif : une juste rétribution, une évolution de carrière correspondant au travail fourni.

Il paraît urgent de suivre des règles plus justes.
La période probatoire, si elle est nécessaire, doit être raisonnable et à plus de travail et plus de responsabilités doit correspondre une promotion. Le professeur des Classes Préparatoires doit être rétribué différemment pour un service d'une nature différente de celui du secondaire et doit voir s'ouvrir des perspectives d'évolution.
Comme tout cadre, le professeur de prépa doit également bénéficier d'une formation continue.
Si la réforme des métiers de l'enseignement est conduite, elle modifiera les statuts et les nomenclatures mais ne peut faire l'économie du double effet de la revalorisation et de la différenciation des carrières. Il y a un lourd retard à rattraper.

Il faut rebâtir les carrières.
Une telle réforme des pratiques peut s'appliquer d'autant plus rapidement que le mouvement de départ massif à la retraite a déjà commencé.
La place des prépas, leur rapport coût-efficacité, leur ouverture sociale, l'accroissement de leurs débouchés sont en débat. Ne doutons pas que la carrière des professeurs de CPGE est un chapitre de leur modernisation. Les données démographiques concernant les professeurs vont produire un effet de relève et cette relève a des inquiétudes qu'il ne faut pas ignorer.
Il est bien évident que l'Etat ne peut continuer dans cette voie, qui exige de ses jeunes professeurs de CPGE de hauts niveaux de qualification, les laissent devant leur lourde tâche sans la moindre formation continue et attend de bons résultats, sans les traiter justement.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Entièrement de votre avis.
Cette réforme va bien au-delà du réel: c'est comme une valise sans poignée...
Pour conserver et cultiver l'élan vital de l'enseignement, il ne reste plus qu'un moyen: le suicide argumentaire!