Expositions

 

 

Basquiat

 

 

 

Le musée d’Art moderne de la ville de Paris propose une rétrospective sur l’œuvre de l’enfant terrible de la scène new-yorkaise : Basquiat (1960 – 1988) qui a effectué un parcours aussi brillant que court et tragique. La foule s’allonge sur l’avenue du Président Wilson et il est prudent de venir pendant les heures creuses. Les visiteurs attirés, sans doute, par la réputation sulfureuse d’un personnage en rupture de ban – Révolte, sexe, drogue est-il cocktail plus excitant ? - découvriront un grand peintre tout simplement.

 

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Dès la première salle un tableau de grand format s’impose par sa maîtrise et le raffinement de sa couleur : The Field Next to the Other Road (1981) mesure 2m21 sur 4m15 ; c’est l’œuvre d’un garçon de 21 ans ! Sur un fond largement brossé en couleurs claires, un Noir – au-dessus de sa tête un auréole ? – conduit pas un licol une vache, pleine d’humour qui n’est pas sans rappeler celles de Jean Dubuffet. Les personnages sont dessinés rapidement en un trait noir quasi continu, les surfaces étant remplies par des coups de pinceaux rageurs rouges, noirs, blancs, bruns verts pour les visages. Le sens de la scène est assez obscur. Est-ce une parodie d’une certaine peinture sentimentale consacrée à une vie campagnarde supposée idyllique ? Ou alors un souvenir grotesque des années d’enfance passées à Porto Rico en compagnie de son père ? Il faut, par ailleurs, insister sur la dimension du tableau : il est immense et on peut s’étonner et admirer qu’un si jeune homme ait pu maîtriser avec aisance une telle surface ; ajoutons qu’une toile de cette taille coûte très cher. Dans le New York de ces années là, il s’est donc trouvé des galeristes pour offrir à un garçon qui, il n’y avait pas si longtemps était un clochard, les moyens de ses ambitions.

 

 

Basquiat est le fils d’un émigré Haïtien, ce qui explique son patronyme français, et d’une Américaine d’origine portoricaine. Dès son plus jeune âge, sa mère conduit le jeune Jean-Michel dans les musées et l’encourage à cultiver des dispositions évidentes pour le dessin. Mais alors qu’il a huit ans, le couple se sépare et il se retrouve sous la garde de son père. Après un séjour à Porto Rico, la famille revient à New-York où Jean-Michel poursuit ses études dans une école pour surdoués, études qu’il ne mènera pas jusqu’au bout. A quinze ans il a déjà fait une fugue de plusieurs mois et à dix-sept ans quand il quitte définitivement sa famille, il retourne à cette précarité… Il a connu la faim, le froid, la crasse ; pour survivre il dessine et peint de petites cartes postales qu’il vend dans la rue. Rude formation où avec ses compagnons d’infortune il regarde d’en bas la société. Il plonge dans le monde underground new-yorkais où il s’impose rapidement par son étourdissante virtuosité. Il rencontre Madonna, Andy Warhol… Avec ce dernier il finira par peindre de grandes toiles en commun, qui ne sont pas d’ailleurs ce qu’il a fait de mieux. Sans doute son art est-il trop singulier pour se fondre avec celui d’un autre. Il cultive volontiers un type de dandy sauvage. Un cliché célèbre le montre, vêtu d’un costume couteux maculé de peinture, cravaté, pieds nus, assis dans son atelier, pinceau à la main…

 

Aux tous débuts de sa carrière, il imagine avec son ami de lycée, Al Diaz, le Samo (Same Old Shit ! On ne saurait mieux dire…) qui n’était pas vraiment un mouvement au sens traditionnel du terme, avec programme, déclaration d’intentions etc. mais plutôt une sensibilité contestataire. Les deux jeunes peignent sur les murs de grandes fresques, des tags à l’aérosol, que les amateurs détacheront plus tard ; ils accompagnent leur signature du © sans doute en signe de refus de l’argent roi.

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Il brosse d’étranges effigies aussi effrayantes que grinçantes, où il jette à la gueule de la société des sortes de portraits miroirs. A ce propos on remarquera comment ses personnages, écrasés sur le support, ressemblent aux planches anatomiques d’un ouvrage que lui avait offert sa mère lors d’un séjour à l’hôpital tout enfant. Il prend tout ce qui lui tombe sous la main pour réaliser ces grandes compositions : la toile bien entendu mais aussi des matériaux de récupération, planches, fenêtres, papiers… qu’il couvre de peinture acrylique, de dessins, d’inscriptions faites au pastel gras. Il inscrit des phrases plus ou moins énigmatiques, des mots qui paraissent sans suite. Ils sont là parfois pour donner sens à la composition, pour le plaisir d’une sonorité, pour étonner, parce qu’il trouve cela beau, par souci incantatoire. Qui sait ? Tout cela disposé comme au hasard, en des listes dont la logique peut sembler mystérieuse mais qui souvent traduisent un regard lucide sur le monde qui l’entoure. Par exemple Jawbone of an ass 1982 (on remarquera la provocation du titre), toile fixée sur un châssis de baguettes, montre dans la séquence centrale du tableau des colonnes de noms : au hasard, Socrate, Sapho, Spartacus, Louis XIII, Cinq-Mars, Savonarole… Quelle n’est pas la surprise de découvrir au milieu de cet inventaire à la Prévert, et par trois fois, celui d’Hypatie ? Une mystique païenne, qu’une foule de Chrétiens, fanatisés par des moines incultes, lyncha. Cela se passait à Alexandrie d’Égypte dans l’antiquité tardive. On appréciera la référence dans l’Amérique des intégrismes.

 

Car l’œuvre de Basquiat a un sens, ces personnes effrayants, tirés du répertoire africain ou caraïbe, ces crânes, ces couleurs violentes décrivent un monde sans pitié, rude aux pauvres, aux petits ; un monde qui le fête mais dont il n’est pas dupe. Il refuse son allégeance à une société qui fait de l’argent la valeur suprême en dépit d’une religiosité affichée et qui, en définitive, repose sur l’inégalité, le racisme. Il n’accepte pas le statut de « bon nègre » qui est le sien et dont la réussite sert de cache-sexe à l’oppression dont sont victimes ses frères noirs ou métis.

 

Mais que cet aspect de l’œuvre n’occulte pas la vitalité d’une création placée sous le signe de l’improvisation, de la joie d’inventer, de l’humour. Terrassé par une surdose le 12 août 1988, Basquiat n’a pas eu le temps de tout dire.

 

 

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

Jean-Michel Basquiat dans son atelier de Great Jones Street à New York, devant Untitled, 1985, Photo © Lizzie Himmel © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010.

Boy and Dog in a johnnypump, 1982, 1982, 240 x 420,5 cm. Courtesy The Brant Foundation, USA © The Estate of Jean-Michel Basquiat © ADAGP, Paris 2010

 

 

 

Basquiat

15 octobre 2010 – 30 janvier 2011

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

11, avenue du Président Wilson, 75016 Paris

Tél. : 01 53 67 40 00

Fax : 01 47 23 35 98

Internet : www.mam.paris.fr

Ouverture : mardi à dimanche, 10h – 18h ; nocturne le jeudi de 10h à 22h.

Publications : Catalogue, 2010, Paris, Paris-Musées, 264p., 34€